Les célébrations tel que le millénaire de léglise Notre-Dame de Melun sont des décisions avant tout politiques, qui désignent des choix de mémoire. Il nen demeure pas moins que lhistorien doit sinterroger sur la réalité de la date de lédification du bâtiment, non pour justifier ces décisions mais pour évaluer sa qualité et son apport à lart et à la culture. À partir des données connues, je voudrais ici mener une petite réflexion pour cerner la question.
Ce millénaire ne concerne évidemment pas le bâtiment en son entier. On sait (et on peut voir) les modifications intervenues au cours des siècles, en particulier les apports gothiques et renaissants. Les études menées sur le bâtiment ont permis de circonscrire les parties qui relèvent de lédifice initial. Je nen ferais pas le détail. Je voudrais ici réfléchir sur les enjeux politiques (déjà) et historiques qui contribuent à expliquer son édification, ici, et alors.
Pré-histoire de la collégiale.
Le premier point à souligner est que le vocable de Notre-Dame associé à une autre église Saint-Étienne préexistait à léglise célébrée. Les Carolingiens avaient pris les deux édifices sous leur protection, en particulier le fils de Charlemagne, Louis le Pieux. En 901, dans un contexte politique déjà délicat, son descendant Charles III le Simple, en fait don à un certain Théry; le sanctuaire dédié à la Vierge est désigné comme petite abbaye du castrum de Melun. Jai soutenu ailleurs lhypothèse selon laquelle ce couvent, associé à une église servant aux baptêmes de la paroisse dédiée à Saint-Étienne, avait lui-même pris la place de bâtiments liés à un siège épiscopal éphémère sous les successeurs de Clovis, dont Aspais et Liesne pourraient avoit été les titulaires. En conséquence, le millénaire supposé se rattache à une (nouvelle) transformation, qui fait passer lédifice du statut abbatial à celui de collégiale, du cadre régulier au séculier : le fait dêtre chanoine dune collégiale soumet à une règle, non à la séparation davec le monde.
Avant le siège, Notre-Dame nétait donc peut-être plus protégée par le roi de France. Sa reconstruction paraît avoir impliqué le monarque au point quil en devint lun des chanoines à titre héréditaire. Cest ce qui vaut, sans doute, que les chiffres et lemblème de François 1er et de son épouse Claude se voient sur lune des tours de léglise. Tout porte donc à croire que Robert le Pieux ait contribué, comme pour Saint-Aignan à Orléans, à doter le chapitre pour lui assurer son existence, en même temps quil participait au financement du bâtiment.
Jean Fouquet, Le siège de Melun, miniature, Grandes Chroniques de France, Tours, vers 1455-1460; Paris BnF département des Manuscrits, Français 6465, fol. 166v. (Livre de Robert le Pieux); détail.
Empreinte de Robert le Pieux.
Robert le Pieux, selon toute apparence, a fait en sorte de reconstruire Melun après le siège et den faire lune des villes où il séjourne régulièrement, une ville royale, y installant par exemple, un atelier monétaire : dans le domaine royal, le seul autre atelier alors était à Paris. Pendant plusieurs siècles, la monarchie française paraît avoir souhaité garder la main sur la ville, naccordant pas de lettres de franchises pour un pouvoir communal, au contraire de ce qui peut se constater ailleurs. Lintérêt stratégique du site en est sans doute responsable; les sièges de 1358, 1421, le passage même de Jeanne dArc en 1429, répèteront celui de 991 dans la tentative de déstabilisation du royaume, jusquà celui par Henri IV en 1594, dans sa reconquête par les armes.
Lempreinte de Robert le Pieux se ressent pour un autre édifice de la ville, voisin car installé également sur lîle : le prieuré Saint-Sauveur. Jusquà récemment, il passait pour son fondateur, ce que paraissait soutenir, notamment, une tête de roi supposée le représenter et qui en provenait. Les fouilles menées à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci ont remis en cause cette tradition, les éléments les plus anciens, dans la crypte, datant du dernier tiers du Xè siècle. Elles suggèrent un changement de statut, suivant les indications archéologiques du massif occidental, de collégiale par fondation comtale à priorale sous limpulsion du roi, soit le cheminement inverse à celui de Notre-Dame, au même moment.
Nul doute que le roi ait eu un rôle prépondérant dans la réfection des édifices religieux de lîle. Dès septembre 991, Hugues et Robert saccordent avec larchevêque Sevin de Sens pour le relèvement de labbaye de Saint-Pierre ou de Saint-Père et de léglise Saint-Étienne, après le siège, ce qui dit bien que les destructions avaient frappé jusquau coeur de la ville. Lacte ne mentionne pas Notre-Dame, dissociée pour la première fois dans les textes de léglise paroissiale de lîle. Il revenait peut-être au comte Bourchard de sen charger. Yves Gallet (1998, p. 250 n. 21) rappelle la mention non référencée par de la Fortelle du refus en 989 de concéder à Seguin, archevêque de Sens, le bénéfice de Notre-Dame, que confirmerait cette distinction, en en faisant une prérogative royale. Quoiquil en soit, Helgaud, le biographe de Robert, fait du roi le responsable de la reconstruction de léglise dédiée à la Vierge.
Tête de roi, fragment de statue provenant du prieuré Saint-Sauveur. fin XIIIè - début XIVè s. (Robert le Pieux?). Melun, musée muncipal.
Robert, Bourchard, Elisande et Renaud.
Le fit-il après la mort du comte, à partir de 1007? Ou de celle de son fils Renaud, en 1016 (voire 1020, selon les sources)? Cest de cette dernière hypothèse que lon tire, dordinaire, un terme pour lanniversaire. Mais attendit-il réellement cette disparition? Robert le Pieux meurt à Melun en 1031, ce qui soutient, avec les actes quil y passe, quon lui attribue linitiative de faire de Melun une ville royale. Autant dire que si Bouchard et son fils ont pu se prévaloir du titre de comte de Melun, ils nen avaient certainement plus lexercice ni les prérogatives. De plus, cest bien au roi quon attribue le nouvel édifice dédié à Marie, ainsi quune autre église qui reste à déterminer (apparemment pas Saint-Étienne, donc Saint-Sauveur?), fondations qui sinscrivent dans la volonté dimposer sur Melun la marque de sa souveraineté directe.
Sil faut, comme il est vraisemblable, voir dans ce choix politique la conséquence du siège de 991, révélateur de lemplacement stratégique de Melun (autant par rapport à Paris, la capitale, que face à la Champagne et à la Bourgogne), et puisquil semble bien que cela soit le fait non dHugues mais de son fils, tout porte à croire que très vite après la mort de son père (996), Robert ait pris les dispositions pour ce faire, par-delà la faveur jadis accordée à Bourchard : construction dun château et fondations spirituelles, notamment. Celles-ci traduisent la réaffirmation de la faveur royale pour Notre-Dame, comme collégiale impliquant personnellement la personne du roi, au détriment de Saint-Sauveur, quil a peut-être, tout de même, contribué à achever, reprendre, en tout cas maintenir, mais comme prieuré. 1013, 1016 ou 1020, pour Notre-Dame, cest sans doute déjà tard...
Sylvain Kerspern, Melun, le lundi 30 septembre 2013
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? Cest gratuit! Abonnez-vous! Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce nest pas payant... Désabonnez-vous....