Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com | |
Jacques Stella par Jacques Thuillier. Autres épisodes : I. Biographie - II. Catalogue. Autour des camaïeux romains. - Autour du Mariage de la Vierge. - Minerve et les muses et Clélie. Table de la rubrique Fortune critique - Table généraleContacts : sylvainkerspern@gmail.fr - sylvainkerspern@hotmail.fr |
II. Livre en main : le catalogue des oeuvres De Rome en France. Mises en ligne les 26 juin 2008 et 24 janvier 2009 |
Le jugement de Salomon, Vienne, Kunsthistorisches Museum (p. 115-117) : Paris ou Rome? Mis en ligne le 24 janvier 2009 |
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Voilà une pièce capitale qui témoigne bien de la fortune cahotique et souvent négative de Jacques Stella, significative de la méprise sur la nature des liens avec Poussin, et de lusage qui a pu en être fait. Le tableau est acheté pour les collections impériales comme Poussin en 1795. Deux ans plus tard arrive dans la capitale autrichienne Karl Agricola (Säckingen, Bade,1779- Vienne,1852), qui le grave sous ce nom avec la mention se vend à Vienne. En 1837, le catalogue du musée le mentionne comme de Stella, nom repris par Louis Dussieux en 1852. Ces péripéties intriguent. Il semble que sétant aperçu de la supercherie, le musée ait cherché à se débarrasser de loeuvre en répétant la fraude par le biais dAgricola. Lidée en fut peut-être abandonnée avec une attribution jugée acceptable à Stella, alors considéré comme disciple fidèle du Normand. On ignore comment est venu ce nom. Il aura fallu attendre encore près dun siècle et demi pour quil simpose réellement. Sylvain Laveissière comme Jacques Thuillier placent cette peinture dans le contexte encore flou de la transition entre les dernières années italiennes et le début de la carrière française. Étant donné lambition expressive et stylistique du tableau, cest demblée accorder une importance capitale - enfin - à lartiste dans la constitution du langage classique en France, même si une situation vers 1640 semblerait un consensus entre les deux publications de 2006. Jai déjà suggéré une datation plus haute sur ce site. Je ne souhaite pas en reprendre largumentaire, mais apporter, reproductions à lappui, des éléments qui me semblent décisifs et concordants. Il me faut aussi discuter sa place dans les deux ouvrages monographiques. |
Les avis de Sylvain Laveissière et Jacques Thuillier. |
Cadre chronologique italien du Jugement de Salomon Assomption, 1627, Nantes, Musée des Beaux-Arts * Détails de deux sujets de la vie de Filippo Neri (Yale University, USA), 1629-1630 * Suzanne et les Vieillards, 1631, Coll.part. - Olympe, 1633, Paris, Ensba. |
Sylvain Laveissière laborde dans un chapitre explicite : De Rome à Paris. Il lintègre encore dans un petit ensemble de peintures où les architectures classicisantes jouent un rôle essentiel et signifiant, avec David et Bethsabée, La libéralité de Titus, La lapidation de saint Étienne. Lexamen du premier a, depuis lexposition, conduit à revenir sur la lecture dun 3 pour la décennie, que Jacques Thuillier réfute dailleurs dans son catalogue. La confrontation avec le second amène à constater une typologie raffinée, recherchant la pureté antique, quand le tableau de Vienne multiplie les effets naturalistes en héritier toujours fidèle aux solutions bolonaises des Carrache, voire du Dominiquin. Ces effets subsistent, atténués, dans le Mariage de la Vierge, ouvrage réalisé assurément en France que Jacques Thuillier rapproche judicieusement de la peinture de Vienne. Jai dit et répété ici pourquoi il fallait placer cette pièce maîtresse de loeuvre de Stella vers 1636-1638. Est-ce à dire quil faut en faire de même pour le Jugement de Salomon? La comparaison, à nouveau, montre que dans ce dernier, Stella avait pu aller jusquà la caricature à laquelle il renonce désormais alors quelle aurait pu sappliquer, par exemple, au prétendant furieux du carton de tapisserie toulousain. De même peut-on souligner la solennité et la volonté de monumentalité, que traduisent, entre autres, lallongement du canon et lampleur des étoffes, et que le tableau de Vienne ne confère encore quà quelques détails, comme le groupe dans langle inférieur gauche. Ce naturalisme accusé se perçoit peut-être le plus franchement dans lAssomption de Nantes (1627) : limpact de lart bolonais découvert à Rome y renforce ce que sa formation lyonnaise, dans un milieu flamand, puis le séjour florentin pouvaient lui avoir apporté en ce sens. Son association, comme dans le tableau de Vienne, à un style à la fois trapu et précieux dans un souci classicisant, se retrouve pleinement dans les années qui suivent et singulièrement vers 1630-1633, dans la suite sur la vie de saint Philippe Néri (1629-1630) (ci-contre), les différents dessins de 1631-1633, en particulier, de cette dernière année, lallégorie Borghese du Louvre et Olympe abandonnée par Birène de lÉcole des Beaux-Arts (ci-contre), lAnnonciation de Pavie (1631) ou la Sainte famille, le petit saint Jean et lagneau de Montpellier (1633). |
Outre le Mariage de la Vierge, et avec les mêmes réserves, quelques peintures françaises conservent des traces de ce goût réaliste, mais déjà tempéré : lAdoration de lEnfant (1635) et la Sémiramis (1637) de Lyon, et les peintures pour Saint-Germain, surtout le Saint Louis. Ce qui tend à confirmer une datation dans les années qui suivent le retour en France pour ces derniers comme pour le carton de tapisserie. Je renvoie à la description détaillée par Sylvain Laveissière de ce Jugement de Salomon, insistant avec beaucoup de pertinence sur les éléments désignant les enjeux du peintre. La référence à Botticelli et à sa Calomnie dApelle (Florence; Offices), pour étonnante quelle puisse sembler, ne doit pas être négligée de la part dun peintre ayant longuement séjourné à Florence. Le goût de la ligne et des rythmes dansants est une caractéristique de lart de Stella - que Raphaël et lart antique ne pouvaient que confirmer. Celle à Dominiquin est plus évidente et consacre une attirance pour lunivers minéral - que les peintures sur pierre ne pouvaient quencourager, comme dailleurs Botticelli - concourant à un style distant, que daucuns ont qualifié de froid alors que cest un moyen de conférer au moindre geste une grande efficacité, comme je lai déjà souligné en1994 en commentant cette peinture. On peut y ajouter Raphaël : sa version du sujet propose notamment le détail de la mauvais mère désignant lenfant mort devant elle, repris par Stella, et le personnage, de face, nous fixant. Stella le dispose juste au-dessus de lenfant vivant, au coeur de laction. Il est lun des multiples spectateurs disposés dans toute la profondeur, qui en donnent la mesure tout en ramenant notre regard vers la scène principale au premier plan, par le geste ou par leur orientation dans lespace. |
Le thème et son interprétation, clé des rapports avec Poussin. |
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On connaît lhistoire, qui témoigne de la sagesse proverbiale de Salomon. Deux prostituées ayant eu un enfant à peu de temps de distance et vivant sous le même toit, viennent porter leur querelle devant lui : elles ont découvert lun de leurs enfants mort, et chacune revendique le vivant comme étant le sien. Le roi dIsraël ordonne alors de couper lenfant en deux afin que chacune en ait une moitié. Lune des deux femmes, préférant que lenfant vive avec une autre plutôt que de le voir mourir, est ainsi reconnue comme étant la vraie mère. Le geste du personnage principal, dans le tableau de Stella, est celui dun ordre donné. Mais lequel? Celui de trancher la vie de lenfant? En réalité, lattitude du soldat en rouge, entre la mère sessuyant les larmes et le podium, suggère une autre hypothèse. Sa mine rubiconde semble le résultat de lémotion qui vient de le saisir devant la terrible demande royale. Il interpelle manifestement le bourreau sur le point daccomplir le premier ordre et désigne le monarque, qui a tiré les enseignements de lattitude de la bonne mère et veut lui restituer lenfant. Les gestes comparables des hommes interrompant ledit bourreau et indiquant Salomon confirment cette lecture. Poussin, en 1649, choisira dinsister sur la diversité des émotions nées de lapparente cruauté du premier ordre de Salomon, déclinant lexpression des passions au travers des réactions des différents protagonistes et spectateurs. Il en accentue leffet en nous plaçant face au roi, entre les deux mères, comme pour nous interpeller aussi directement. Comme dans nombre de ses oeuvres, ce travail sur les passions, prise de conscience et analyse, est un chemin privilégié pour exprimer une conquête essentielle, celle de lempire sur soi, au service du bien commun. Les résonnances avec les thèmes abordés par Corneille - autre Normand - sont évidentes. Lambition de Stella ne diffère fondamentalement pas mais sa réponse est autre : ici, par exemple, il sagit dexpliciter la sagesse agissante du roi. Sil ne dédaigne pas, de souligner limpact émotionnel, il le fait avec une retenue dont il ne se départira guère. Car cest elle qui permet de donner au moindre geste un grand poids, et de décrypter aisément le sens donné à lhistoire, comme cela vient dêtre fait. Ainsi, il lie indissolublement la recherche de la maîtrise de soi à son expression artistique. Pour cela, il préfère sappuyer sur une simplicité naturelle, familière, que sur une réthorique qui peut être véhémente. La confrontation des peintures commandées aux deux amis par Sublet pour le Noviciat des Jésuites (1641-1642) conduit aux mêmes conclusions. Les critiques formulées contre le tableau de Poussin (l'apparition divine ressemblant à un "Jupiter tonnant"), aujourd'hui au Louvre, confirment que le parti de Stella qui éclate dans son Christ retrouvé par ses parents dans le Temple(ci-contre), parvenu aux Andelys, satisfaisait mieux aux attentes du public parisien constitué principalement de personnages engagés, à la suite de Richelieu, dans la restauration de lÉtat français et de son économie. Lestime du Normand pour le Lyonnais, source dune amitié couronnée par lenseignement au neveu Antoine Bouzonnet après la mort de Jacques, repose sans doute sur le constat de préoccupations communes. Elle naurait pas tenu sans la confrontation respective à des oeuvres stimulantes par lapport déléments originaux voire étrangers. Nul doute quun tableau de cette ambition, peint vers le temps où les amis allaient se séparer, ait contribué à assurer Stella des faveurs de Poussin, consacrées par un ensemble commencé peu après de chefs-doeuvre peints par ce dernier pour lui et sa famille. S.K., Melun, janvier 2009 |
La sainte famille avec une ronde d'angelots (p. 84-85). Mis en ligne le 26 juin 2008 |
Le rapprochement avec la peinture de Montpellier est pertinent mais doit être tempéré pour la chronologie. Le parti général, avec échappée latérale, rappelle la Sémiramis de 1637, les putti, ceux qui volent dans le ciel nocturne de L'adoration des anges de Lyon, de 1635. Une datation dans les premières années de la carrière française me semble donc convenir. S.K. |
Sainte Cécile (p. 96-97). Mis en ligne le 26 juin 2008 |
La place de la version "intime" du Louvre me semble justifiée. Le catalogue de l'exposition avait mentionné trois autres versions du thème pour évoquer son succès, dont celle en collection particulière passée par la galerie Éric Coatalem (reproduite ci-contre), qui a également présenté une version dépouillée sur pierre (le manteau de la sainte ne présente pas les riches broderies des autres versions) difficile à juger (original fatigué? réplique d'atelier?). Les manches lourdes, bouffantes, le canon et l'habit, comprimant une poitrine discrète par une petite ceinture haute dont la libération de l'étoffe sous elle provoque un gonflement ordonné au niveau du ventre, prolongent les modèles italiens (comme dans la Gloria di Viertù du Louvre, de 1633) qui perdurent un temps en France, comme en témoigne la Sainte famille avec un angelot au berceau vendu récemment en Suède (qui serait datée de 1637), la Sémiramis aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts de Lyon (de 1637 également) ou la Sainte Anne pour Saint-Germain. L'approfondissement du style "à l'antique" sensible dès la fin de la décennie (dans la Nativité de Barnard Castle ou les premiers frontispices de l'Imprimerie Royale, de 1639-1640) reviendra sur ces persistances à la fois "maniéristes" et "baroques" en ce qu'elles relèvent de la recherche de l'effet. De fait, la version connue par la gravure de Daret et placée en regard par Jacques Thuillier me semble trop précocément située. Elle reprend les trois personnages qui apparaissent dans la version non localisée mais datée de 1644 (reproduit p. 146). Ce n'est pas tant le motif - Stella est coutumier de la reprise à des années de distance - que le traitement qui lui est conféré, identique dans la façon de draper ferme, sculpturale, alors que celle de la version du thème conservée au Louvre conserve la souplesse et l'effet de réalisme développés en Italie. Les anges et le souffle général de l'oeuvre sont par ailleurs comparables, entre autres, à ceux du Baptême du Christ, de 1645 (préparé notamment par le dessin du Louvre), confirmant un ancrage au milieu des années 1640. S.K. |
Huile sur cuivre; 35,5 x 31 Gravure de Pierre Daret (détail inversé recadrant la composition en fonction du tableau non localisé daté de 1644) |
(Suite) |
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