Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com | |
Simon Vouet : Les années italiennes Autre épisode : 2/2. Chronologie Table de la rubrique Fortune critique - Table générale Contacts : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr |
À propos du |
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Lexposition coorganisée par les musées de Nantes et de Besançon sur les années italiennes de Simon Vouet (1613-1627) constitue assurément un évènement dans le domaine de lhistoire de lart français et italien du XVIIè siècle. Elle appelle des commentaires et, déjà, le site de La tribune de lart sest fait lécho de débats contradictoires à son propos. Voici ma contribution. Il ne sagira pas, pour moi, den reprendre dans le détail les propositions, mais de mattacher à certains points sur lesquels jai pu mener une réflexion. Il faut dire dabord le mérite davoir réuni un ensemble aussi important douvrages aux statuts certes variables mais tous effectivement rattachés à la problématique. Ce rassemblement, et la possibilité ainsi offerte de voir confrontées des peintures éparpillées aide assurément à une meilleure compréhension du cheminement du peintre. Après lexposition Champaigne (sur laquelle jespère pouvoir revenir assez vite), après celle consacrée à Stella (objet de diverses mises au point de ma part sur ce site comme sur celui de La tribune de lart), celle-ci vient confirmer la difficulté de tenir la chronologie dun artiste. Certaines mises en présence, à mon sens, permettent den clarifier le cours. Je voudrais commencer par le cas des portraits de lartiste. |
Les portraits de Simon Vouet : dire la ressemblance. |
Sept effigies sont montrées dans lexposition. Une seule est indiscutable (la gravure de Leoni), une autre est unanimenent reconnue (celle de Lyon), manifestement copiée dans une troisième (le dessin annoté comme de Mignard) que je naborderai pas ici. Les autres posent deux questions : est-ce Vouet? en est-il lauteur (en dehors de la sanguine de Mellan)? |
À quoi ressemblait Vouet? |
Ottavio Leoni, Portrait de Simon Vouet, dessin de Karlsruhe, 1625. La pièce de référence sur cette question pour le séjour romain est donc le portrait dOttavio Leoni. La feuille du cabinet des dessins de Karlsruhe, datée davril 1625, comme la gravure quil en a tirée la même année justifient la description psychologique de Jacques Thuillier : Ces paupières lourdes sur de gros yeux saillants, la bouche petite et gourmande, le nez long aux narines frémissantes, livrent et dissimulent un tempérament sensuel en toutes choses et sensible jusquà la passion, actif et entreprenant, égoïste et dominateur, mais souvent inquiet et susceptible, fidèle dans ses affections et réfléchi dans sa conduite. Il faut à mon avis compléter la caractérisation du visage : les yeux sont écartés et plus ou moins tombants; surtout, Leoni laisse deviner une disgrâce ponctuée de verrues sur la tempe gauche. Ce dernier détail peut être déterminant dans la mesure où le portraitiste ne cherche pas à le dissimuler par des artifices de point de vue ou de lumière : il faut justement noter quaucune des autres images présentées à Nantes ne la montre clairement. Elle est pourtant confirmée par les effigies plus tardives connues par les gravures de Perrier (1632) et daprès van Dyck (entre 1632 et 1636). On peut penser que les boucles encadrant le visage de même que celle qui descend jusquaux épaules soient un autre moyen den distraire lattention. Le portrait de Lyon, qui reprend lessentiel de la caractérisation faite à linstant, est éclairant sur ce point : une examen attentif retrouve une verrue au coin de loeil droit, dans lombre. Trait dexpression? Lartiste a encore retouché légèrement son modèle en diminuant la plongée des orbites vers les tempes. Lidentification ne fait pourtant aucune doute, tout comme le fait que Vouet en soit lui-même lauteur, lune et lautre étant reconnus unanimement. Les relations plus nettes avec leffigie de Leoni quavec celles de Perrier et van Dyck ainsi que le constat matériel avancé par Jacques Thuillier (1990) et confirmé par Isabelle Dubois (2008) situent cet autoportrait à la toute fin du séjour italien avec beaucoup de vraisemblance (1626-1627). De fait, nous sommes confrontés à un homme aux yeux embués dans un rêve intérieur (Jacques Thuillier) comme pour évoquer le champs des possibles quouvre à lui linvitation de Louis XIII. Voici donc une image assurée produite sous le contrôle le plus complet de Vouet - tandis que celle de Leoni, intégrant une série, obligeait à se conformer à un type de représentation nécartant pas ce que le modèle semble avoir lui-même perçu comme un défaut embarrassant. Leur complémentarité est essentielle pour discuter des autres représentations exposées. Simon Vouet, Autoportrait, Lyon, Musée des Beaux-Arts. |
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Simon Vouet, Autoportrait, Lyon, Musée des Beaux-Arts - Portrait présumé de Vouet Koelliker En premier lieu, il apparaît que la sanguine de Mellan ne montre certainement pas Vouet, encore moins en Italie. Le visage est plus empâté que dans le tableau de Lyon et surtout, on ne retrouve guère ce qui a été avancé plus haut pour caractériser ses traits : pas dyeux globuleux et profondément cernés sous des arcades prononcées, pas de narines frémissantes, en particulier. Mariette, responsable dun montage proposant cette identification, est rarement pris en défaut mais il faut croire quil nest pas physionomiste. Les trois effigies restantes ne sont pas imédiatement compatibles avec celles consacrées, voire entre elles. On ne reconnaît pas spontanément, en effet, dans le couple toscano-picard ce que lon voit dans le tableau Koelliker, et tous trois montrent un visage plus maigre, accentuant certaines particularités, comme la dépression formant ride et fossette entre les pommettes et la machoire - laquelle réapparaît, les traits saffaissant avec lâge, dans le portrait présenté par François Tortebat pour sa réception. Pour les accepter, il faut songer à des moments franchement antérieurs aux portraits sûrs de 1625-1627. Mais que peut vouloir dire franchement? Car imputer lempâtement de la figure aux effets de la réussite ne permet pas den déterminer lécart, qui put être court si le triomphe fut soudain. Portraits de Vouet dAmiens et des Offices. |
Un mousquetaire à la rescousse : lapport de Claude Vignon. |
À ce stade, il convient de sintéresser à un autre portrait évoqué dans la notice (n°1) du tableau suisse : réalisé par Vignon, il avait été proposé par Paola Bassani-Pacht comme représentant son auteur, alors que Dominique Jacquot y reconnaît son ami Vouet. En effet, confronté aux témoignages de Leoni et au tableau de Lyon, lidée semble à prendre sérieusement en compte. On croit même deviner la tâche embarrassante sur la tempe - mais il faut reconnaître que la facture libre, largement brossée du Tourangeau peut prêter à confusion. Il est en tout cas sûr que lhomme ici peint ressemble plus à Vouet quà ce que lon peut connaître du visage de Vignon. Comme Dominique Jacquot, je crois identifier ce dernier dans le jeune homme enchapeauté derrière lun des docteurs de la Loi, à lextrémité du Christ parmi les docteurs de Grenoble. Les traits plus réguliers, laspect général triangulaire marqué par des pommettes saillantes et un menton volontaire, correspondent à lautoportrait inséré trente ans plus tard dans le décor de Thorigny-sur-Vire, perdu mais connu par des photographies suffisamment lisibles sur ce point. Le tableau de Grenoble, daté de 1623, est une des premières réalisations de Vignon à Paris, où il semble sinstaller à la fin de 1622 et où il épouse Charlotte de Leu en janvier de lannée suivante. Cest donc un témoignage précieux du bagage qui est le sien au début de sa longue carrière française. Or il est stylistiquement très proche du portrait présumé de Vouet, notamment par laspect pelucheux de certaines parties brossées avec une autorité également sensible dans la force des larges traits posés dans le vêtement. La variété des effets de matière donne à lensemble un relief dont les moyens et la nature vont rapidement changer, suite à léloignement du caravagisme et par sa contribution à lart revendiquant lhéritage du maniérisme (aux côtés de Lallemand, Brebiette...). Au demeurant, si on tient compte des données biographiques concernant les deux artistes, il ne semble possible denvisager pour ce portrait présumé de Vouet par Vignon que la courte période qui va de 1617 à 1622. Cette dernière année semble la plus évidente, et pourrait conduire à lenvisager comme un témoignage damitié au moment de se séparer : le style du peintre et la physionomie déjà épanouie de son modèle concourent à une telle situation. |
Claude Vignon Portrait de Vouet? |
Claude Vignon Portrait de Vouet? Localisation inconnue - Peintre actif à Rome vers 1615? Portrait présumé de Vouet, collection Koelliker On serait tenté daccorder plus de crédit à la représentation en mains privées où lon voit nettement les yeux globuleux et cernés, alors que les deux autres en minimisent laspect par le plissement des paupières. Mais dans la mesure où la confrontation avec les portraits assurés semble moins convaincante que pour le tableau de Vignon discuté à linstant, on peut sinterroger. Une chose est sûre : la toile Koelliker ne peut manifestement pas être de Vignon. Rien du carnaval qui accompagne ce qui semble bien montrer le visage de Vouet, ni de ce qui se voit dordinaire dans les portraits du Tourangeau. On peut dailleurs sen convaincre dans lexposition grâce au portrait du jeune homme arrogant (n°85), moins haut en couleurs mais non moins virtuose dans les camaïeux - au point que dans ses mains, on en vient à penser que le genre du portrait se retourne pour nous livrer lesprit de celui qui peint, non de celui qui est peint... Je souhaite ajouter une pièce au dossier de ce tableau qui semble avoir échappé aux spécialistes qui se sont penchés sur son cas. Dézallier dArgenville paraît sen être servi pour la gravure qui illustre la notice biographique quil consacre en 1745 à Domenico Fetti dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres (et que signale léditeur dans son avertissement au tome second). Lorsque le tableau est réapparu au début du XIXè siècle, on pensait justement quil représentait lartiste italien peint par lui-même. Dézallier névoque pas déventuel autoportrait dans sa vie : il sagissait apparemment, dans son esprit, dun portrait de la main dun confrère. Il doit faire état dune tradition quon ne peut écarter trop rapidement. On imagine la connivence quil put y avoir entre Fetti et Vignon et au fond, qui mieux que le second pouvait représenter le premier? Claude Vignon, Portrait dhomme, ici identifié avec Domenico Fetti, Caen, Musée des Beaux-Arts - Gravure anonyme en tête de la Vie de Fetti par Dézallier dArgenville (1745). |
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Vignon écarté pour le tableau Koelliker, faut-il se tourner exclusivement vers Vouet pour en trouver lauteur? Lautoportrait présumé dHenri Traivoel, également présenté, témoigne dune grande qualité dans le genre. Sans linscription au dos, naurait-on pas conclu - hâtivement, de fait - quil ne pouvait sagir que de Vouet? Lhypothèse que Traivoel soit responsable du tableau Koelliker mériterait peut-être un examen attentif, au demeurant, même si la facture de ce peintre est plus franchement mousseuse - mais nous navons de lui quune seule oeuvre. |
Henri Traivoel, |
Ressemblance, réplique et propos du portrait. |
Au risque de surprendre, je ne considère pas les différences entre cette toile et les jumeaux amieno-florentin comme irréductibles du point de vue du modèle. Il faut noter dans les deux cas les yeux profondément cernés, le long nez frémissant et les joues creusées. Dans la mesure où leffigie dédoublée paraît proche du tableau de Vignon voire légèrement antérieure (vers 1620?), le portrait Koelliker serait donc à situer dans les toutes premières années du séjour romain. Le tableau dAmiens porte linscription suggérant que le modèle soit Mattia Preti tandis que lautre sinscrit dans la fameuse galerie médicéenne des portraits dartistes célèbres, où il est inventorié comme représentant Vouet depuis 1700 et gravé de façon assez libre par Pazzi sur un dessin de Feretti. Cest évidemment la longue tradition concernant ce dernier qui a attiré lattention des spécialistes de lartiste sur eux. Lexposition pourrait bien infirmer les avis antérieurs repris dans la notice du catalogue concernant leurs statuts respectifs. En effet, jai constaté une plus grande vivacité du pinceau comme de coloris dans le tableau dAmiens. Il est construit sur une base bleutée, le modelé étant apporté par la modulation des jaunes et des roses, essentiellement, conservant le rouge pour les lèvres, ainsi mises nettement en valeur. La version médicéenne en normalise leffet, transformant même le semblant dinquiétude en sourire. Le pinceau plus appliqué, malgré une qualité certaine, signale, à mon sens, une répétition. |
Vouet à Amiens et aux Offices : appoints visuels |
Lessentiel est ailleurs. La facture de la peinture dAmiens suggère un métier au service dune intention claire, et qui est au coeur des recherches de Vouet en matière de portrait : on voit là, à loeuvre, la ressemblance parlante dont Anne Sutherland-Harris, en 1990, avait proposé dattribuer linvention à Vouet alors quil était dusage den faire un apport du Bernin. La spontanéité est autant sensible par le pinceau que suggérée par la pose mais se double dune recherche psychologique sur le thème de la mélancolie, si souvent liée à celui de linspiration dans lart. Cest sans doute aussi ce qui explique laudace dune palette claire limitant les bruns alors que Vouet recourt alors encore dans son travail de peintre dhistoire aux grandes ombres caravagesques : il sagit de mettre en évidence les lèvres prêtes à parler, et de soutenir le lieu commun de léloquence muette, tirant lart des bas-fonds manfrediens vers ses conceptions intellectuelles les plus élevées. |
On peut donc croire quune telle peinture sinscrive à un tournant décisif du parcours de Vouet à Rome - et cela explique, dune certaine façon, sa répétition dans lexemplaire médicéen, quand bien même sa radicale nouveauté en aurait été émoussée. Le tableau Koelliker semble pouvoir être conservé parmi les portraits de Vouet. Toutefois, compte tenu de la peinture de Lyon et de celle dAmiens que je crois donc également autoportrait, son auteur serait plutôt un artiste de son entourage. La différence de main et dâge du modèle expliqueraient la relative dissemblance avec celles-ci. Suivant ces remarques, il est possible de proposer une séquence pour ces effigies tenant compte de leur modèle et de leurs auteurs supposés (ci-dessous). Voilà qui mamène tout naturellement au problème de la chronologie du séjour romain, auquel lexposition apporte des éléments de réponse appréciables. Sylvain Kerspern, mars 2009 Suite : Simon Vouet, Les années italiennes : chronologie |
1234 (1) Entourage de Vouet, vers 1615-1620? - (2-3)Simon Vouet, Amiens et répétition datelier, Offices, vers 1620-1621? - (4) ClaudeVignon, vers 1622 567 (5-6) Leoni, dessin et gravure, 1625 - (7) Autoportrait de Lyon, 1626 ou 1627 |
Courriel : sylvainkerspern@gmail.com; sylvainkerspern@gmail.com. |
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