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Et de trois! Réapparition du Frappe-main

Post-scriptum de Deux Pastorales de Jacques Stella retrouvent des couleurs.

Table générale


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Sylvain Kerspern



Et de trois!

Réapparition du Frappe-main,

Pastorale de Jacques Stella



Mise en ligne le 14 juillet 2012

Jacques Stella, Le frappe-main (Pastorale 4),
vente Ferri, Paris, 3 décembre 2010.
Toile, 49 x 58 cm. Coll. part. (détail).


Une troisième “pastorale” de Jacques Stella est apparue en vente, et a rejoint les deux précédentes dans la collection qui les conserve. Les dimensions sont identiques (environ 50 x 60 cm), et elle est dotée d’un cadre datant du début du XIXè siècle en tout point semblable à celui de la Danse, signe d’un destin comparable depuis deux siècles, puisqu’elle provient de la même collection. Cette particularité contribue, en quelque manière, à la cohérence du petit ensemble qui se reconstitue, marqué par la même qualité de touche et sa correspondance avec le coloris de Stella dans ses dernières années.

Au demeurant, son acquéreur a remarqué que le Repas champêtre (ou Collation) présente un certain nombre de variantes entre la gravure, d’une part, et le dessin et le tableau de l’autre : ainsi, la place du bâtiment à la couverture sombre, installé au centre de l’aile du fort circulaire chez Claudine, est décalée dans les deux autres; la houlette du personnage à la cornemuse au second plan, derrière lui chez la nièce, passe devant dans la feuille et la toile; le chapeau au bord large est nettement restreint dans la seule estampe... Il s’agit certainement d’une part d’interprétation de Claudine gravant après la mort de l’oncle : l’ensemble ne relève pas de la toute première campagne de gravures des nièces en 1657-1658 (Jeux d’enfants, Manière facile et aisée de dessiner le corps humain, Divers ornements d’architecture), sous l’impulsion certaine et le regard de Jacques; et c’est un argument de plus pour le caractère autographe de la peinture et du dessin, cohérents entre eux sur tous ces points.

Variantes notées ci-dessus. Ci-contre, la peinture

Le dessin (à gauche) - La gravure (à droite). - Mon cadrage aux proportions souligne un plus net rapprochement entre les versions graphiques, qui laisse penser que Claudine occulte le tableau dans son travail.
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Il se trouve que la troisième peinture retrouvée est aussi l’un des sujets évoqués précédemment pour éclairer le sens à rechercher, celui-là même où apparaît un chien chapardeur. Sylvain Laveissière et Jacques Thuillier ont posé la question de la cohérence iconographique de l’ensemble, soulignant ce qu’elle pouvait devoir à la tradition (notamment flamande) et ce qui marquait son originalité. L’un et l’autre s’interrogent sur l’existence réelle des peintures, pourtant affirmées par Félibien et la lettre de Claudine, et il semble que ce doute soit encouragé par l’existence de dessins dans le genre, également très finis, et qui furent longtemps considérés (y compris par moi) comme du Lyonnais. On sait aujourd’hui que l’essentiel revient à Claude Simpol sur une commande de Jean Mariette, sans doute inspiré par le précédent de Stella. Débarrassé de ses variations périphériques, le propos de Stella, l’intention et son articulation, pour ses Pastorales n’en sont peut-être que plus claires.

Les sujets ne sont pas exclusivement pastoraux, au sens strict : il y a bien quelques troupeaux, mais aussi d’autres activités agricoles, comme le bouturage des arbres, les vendanges, la moisson, la fenaison...; le second volet concerne les “plaisirs champêtres” - et il se trouve que nos trois peintures en relèvent, en montrant une danse, un jeu, et une collation -, mêlant attentivement hommes et femmes, non sans intention; le troisième débouche sur la constitution d’une famille, avec les fiançailles, le cortège des noces et la veillée d’un soir d’hiver montrant un enfant langé devant la cheminée. Ce sont ces épisodes qui referment le cycle, en sorte qu’il semble bien que l’artiste ait soigneusement réfléchi à son ensemble, l’un de ceux qu’il fit au soir de sa vie comme élément de son testament artistique au bénéfice de ses neveux et nièces.

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Le frappe-main, qu’on appelle aussi la main chaude (à force d’être frappée, si le joueur agenouillé n’identifie pas le responsable), se trouve au carrefour de ces entreprises, puisque le sujet se retrouve dans les Jeux d’enfants. Dans ce livre gravé dès 1657, et conçu vraisemblablement autour de 1645, l’innocence prime. La transposition dans le monde des adultes, et de femmes et d’hommes aux champs, change évidemment la donne, en sorte que les différentes activités de loisirs que laissent les travaux agricoles intégrés à la suite apparaissent comme les supports du jeu de l’amour, préludes à la constitution d’une famille. S’il n’est pas sans arrière-pensée, le regard de Stella est bienveillant et moral, supposant un ordre cyclique et fécond par la relation simple de l’homme à la nature. Ce n’est pas une leçon littérale mais une méditation générale, destinée à des héritiers urbains, parisiens, comme pour les ramener à un état des choses que la ville pourrait masquer. Peut-être aussi la transmission de ce que leur “mère-grand”, qui survivra à son fils, pouvait avoir connu dans sa propre jeunesse, dans la Bresse.

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Dessin (détruit, autrefois Metz, Bibliothèque) - Gravure (exemplaire de la Bibliothèque de Lyon)

L’autre aspect, matériel, de cet héritage, Claudine l’a assumé en gravant assez vite l’ensemble. Il ne faisait plus partie de ses collections dès avant sa mort (selon son inventaire de 1693) sinon sous la forme gravée, par les cuivres et les livres - signe d’une destination commerciale concertée - et estampes qui en furent tirés. Les remarques faites à propos des variantes pour le Repas champêtre incitent à croire que le tableau, dès avant 1667, pouvait lui faire défaut parce que vendu. Sous l’aspect gravé, les sujets connurent une belle fortune, jusque dans l’entreprise de Mariette mettant Simpol à contribution, en pleine vogue des scènes champêtres de Lancret ou de Watteau. La réapparition des peintures participe de la revalorisation de leur auteur, qu’elle place assurément, désormais, parmi les créateurs les plus féconds, les plus divers et l’un des plus originaux de son temps.

Sylvain Kerspern, Melun, lundi 9 juillet 2012

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