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Deux Pastorales retrouvent des couleurs. Post-scriptum : ... et de trois! Table générale Contacts : dhistoire_et_dart@yahoo.fr - sylvainkerspern@hotmail.fr |
Pour Jacques Thuillier, un goûter danniversaire1 Deux Pastorales retrouvent des couleurs. S. K. |
Jacques Stella, La collation champêtre, huile sur toile, 50,5 x 60 cm; détail - Collection particulière |
1 . Il y a quarante ans étaient publiées les pages très fouillées et denses, stimulantes, qui remettaient à lhonneur lami de Poussin dans le cadre du colloque consacré à ce dernier. Elles ont été décisives dans sa réhabilitation actuelle et figurent parmi les premières des remarquables études que Jacques Thuillier a consacré à lart de cette époque. |
Durant lhyver, lorsque les soirées sont longues, il sappliquoit ordinairement à faire des suites de Desseins, tels que ceux de la vie de la Vierge, qui sont fort finis, & dont les figures sont assez considérables : il y en a vingt-deux. On voit cinquante estampes gravées daprès lui où sont représentés différents jeux denfants. Il a dessiné plus de soixante vases de différentes sortes; plusieurs ouvrages dorfèvrerie; un recueil dornements darchitecture; toute la passion de Notre Seigneur quil a peinte depuis, en trente petits tableaux : cest le dernier ouvrage quil a achevé.Vers la fin du texte quil consacre à Jacques Stella, Félibien énumère ainsi tout un pan de sa création basée sur la pratique du dessin et concernant les arts. La quasi-totalité a été gravée par les Bouzonnet Stella, ses nièces et neveux, auprès de qui le biographe a certainement recueilli ses informations sur loncle. Tout concourt à faire de cet ensemble une opération concertée dans le cadre de leur formation, et pour leur assurer la subsistance après sa mort, que ce soit par un héritage ordonné et prisé (Claudine édictera dans son testament des recommandations sur leurs Poussin qui doivent sen faire lécho) ou par une production dimages à graver et à vendre. |
Le point de départ de cette campagne est certainement le recueil des Jeux denfants dont il aura confié le commencement de traduction à Jean Couvay et François de Poilly, vers 1645-1647 : lessentiel sera terminé par la nièce Claudine. Cest précisément alors que sest organisée le début de la formation des Bouzonnet. Laînée est âgée de 10 ans ou environ, Antoine est un peu plus jeune, mais tous deux pourraient déjà être sur Paris : Claudine est capable de peindre dès 1653, année de ses 17 ans, et grave une composition de loncle en 1654. Ces Jeux auront pu être conçus comme exemple donné aux jeunes élèves, ce que je suis enclin à croire; ou bien, cela aura été le déclencheur de cette campagne concertée qui aura occupé les dix ou douze dernières années de lexistence de Stella. Lévocation de lenfance était en tout cas parfaitement adaptée aux débuts de la formation des Bouzonnet. La publication du recueil par Claudine lannée même de la mort de loncle, en 1657, inaugure les publications de leur atelier. Ont suivi des livres de portraiture, de vases, dornements darchitectures, de têtes ornées de coiffures élaborées. Félibien suggère quil y devait aussi y avoir des cycles de sujets dhistoire au style homogène sur la vie de la Vierge et sur la Passion, peut-être aussi sur Vénus et lAmour (en douze tableaux, disparu mais que Claudine inventorie), sujets de paysages et de genre à travers ces Pastorales que le biographe désigne comme seize petits tableaux de plaisirs champêtres. Avec les Jeux, ce sera le seul ensemble narratif de Jacques finalement publié par les Bouzonnet. |
Claudine Bouzonnet Stella daprès Jacques Stella La collation champêtre... et La danse, des Pastorales |
À sa mort, Claudine en conservait à peu près tout mais précisément pas les peintures de ce dernier ensemble : elle nen avait plus que les cuivres et des épreuves imprimées. Devant le long silence à leur propos, Sylvain Laveissière (2006) et Jacques Thuillier (2006) envisagent même que les compositions originales naient pas été peintes mais seulement dessinées, malgré Félibien et la mention de la lettre des estampes : J. Stella p.2. Coup sur coup, deux peintures en rapport sont réapparues qui méritent lattention. Si des tableaux, repérés ici ou là, ont été mis en rapport avec cet ensemble, aucun na encore été reconnu comme en ayant fait partie. Quest-ce qui plaide en faveur de ceux-ci? |
2 . Cf. en bibliographie le catalogue et la monographie incontournables parus la même année. |
Deux petits tableaux de plaisirs champêtres. Le premier, La danse, renvoie à la gravure du sujet dans le même sens par Claudine, numérotée 6. Le second est une Scène champêtre réapparue avec une attibution à un peintre italien en effet réputé dans le genre. Les personnages, fermement dessinés et présents, sont disposés avec noblesse et simplicité : dès lors quon envisageait la France au XVIIè siècle, il était assez facile de faire le rapprochement avec les Pastorales de Jacques Stella. De fait, il sagit de la pièce n°3 présentant une collation champêtre que Claudine a également traduite dans le même sens (voyez lexemplaire du musée de Boston). Point technique notable, la Danse serait apparemment un panneau transposé sur toile; lautre tableau présente des soulèvements qui pourraient provenir de pareille péripétie. |
Jacques Stella La collation champêtre; huile sur toile, 50,5 x 60 cm... et La danse, huile sur toile, 50,5 x 62 cm Pastorales 3 et 6. Collection Particulière |
Il faut demblée souligner leur haute qualité, que ce soit dans la restitution du paysage, la distribution de la lumière, le volume des drapés. Les types physiques se démarquent de ceux que Claudine leur a conférés dans ses traductions pour se conformer à ce qui se voit dans les créations de loncle. Leur coloris commun - cest souvent déterminant - est tout à fait celui pratiqué par lartiste dans ses dernières années, en particulier les accords trouvés de jaune, de vert et de mauve juxtaposés, qui rappellent lart maniériste florentin ou la palette dun Giulio Romano. Cest celui, par exemple, de la Mise au tombeau de Montréal, du Tarquin et Lucrèce ou de la Vierge à la bouillie de Blois Il donne aux tableaux, particulièrement le Repas, un effet général qui gomme laspect un peu systématique et contraint des dispositions des estampes, graduant dombres et de lumières les couleurs suivant leur intelligence pour installer de façon cohérente personnages et décors dans la profondeur. |
Jacques Stella La danse, huile sur toile, 50,5 x 62 cm La collation champêtre; huile sur toile, 50,5 x 60 cm Pastorales 3 et 6 (détails). Collection Particulière |
Le sens identique ne pose pas plus de problème que pour les trois dessins passés en vente Christies le 24 août 1995, et non en juillet, comme dit par erreur dans le catalogue de lexposition de 2006 dans lequel leur caractère autographe est affirmé par Sylvain Laveissière alors quils respectent pareillement lorientation des estampes. En comparaison, le dessin que jai signalé dans ma recension pour La tribune de lart, conservé à Worms, est moins convaincant que la toile, et fait de la feuille allemande une probable bonne copie en rapport avec la gravure. On note des variantes mineures entre peintures et traductions. Dans la Collation, le partage des nuées et certains détails dans le drapé, par exemple pour la femme au centre, en bleu, qui nous tourne le dos, montrent des différences avec le dessin, respecté par Claudine. Pour le Branle, le ciel comme certaines parties de lécran végétal du bosquet, à droite, offrent aussi des alternatives. Ceci viendrait confirmer un parti pour ces ensembles supposant des dessins spécifiquement pour la gravure. |
La collation champêtre gravure de Claudine peinture de Jacques Ci-contre : dessin de Jacques |
La comparaison entre dessin (à g.), tableau (au centre) et gravure (à dr.) pour ce détail montre que les deux premiers portent un style ferme et sculptural, celui de Jacques, que Claudine assouplit sinon ramollit dans la troisième, avec une légère modification de la tête qui correspond aux types qui lui sont propres. Certains autres détails (le rabat jaune du tablier passant sous le bras gauche, les plis bouffants de la robe, entre autres) sécartent du modèle peint pour suivre le dessin, clairement destiné à la gravure. ** |
Ambition des Pastorales : Stella paysagiste. Jai précisé en introduction le contexte de la création de cette suite. Cela néclaire pas pour autant son ambition propre, ni les contours de sa génèse. Passion et Vie de la Vierge ne posent pas la question de linvention du sujet, alors quelle est capitale pour les Pastorales. Cest sans doute ce qui motive lopinion de Jacques Thuillier suggérant une maturation lente à son propos. On ne peut en décider quen sintéressant à la logique interne qui gouverne lensemble. Les gravures étant numérotées, laccord recherché entre Nature et Culture, suivant la remarque de Sylvain Laveissière, me semble explicité par larticulation des sujets. |
Au travers des activités pastorales et des champs autant que des loisirs qui peuvent sy dérouler se tisse lhistoire simple des femmes et des hommes de la campagne, traitée avec précision, ironie, non sans malice, parfois, mais toujours avec tendresse et compassion. Les derniers sujets délaissent la campagne pour les habitations; là est consommé le fruit de la Nature en deux scènes conviviales, là encore, en deux autres, est présenté ce qui ritualise la fécondité humaine : les fiançailles et le cortège de la mariée. Virgile nest certes pas loin, ainsi que la tradition picturale européenne, italienne comme flamande, Lucas de Leyde, Bassano, Carrache, Poussin... Stella, grand collectionneur de tableaux et de dessins, amateur destampes, peintre savant, était en mesure de connaître ces précédents. Il me semble que sa singularité se fonde sur la suggestion dune communion possible entre lHomme et son environnement, efficace dès lors que la vie du premier demeure simple, alternant efforts et loisirs. Certes, il sagit dune Nature domestiquée, tel ce chien quun berger lance aux trousses du loup - seul drame de toute la série. Mais ailleurs, le chien chipe dans le panier du pique-nique tandis quhommes et femmes jouent au Frappe-main. Est-ce conscient, voire volontaire? Il semble que soit ainsi pointé une limite à la maîtrise de la Nature par lHumanité. Dans le champ artistique, il sagit de paysages composés : un sous-bois sauvage sert de contexte à la chasse au loup; une forteresse surplombe une scène de danse, suggérant que le sentiment de sécurité quelle inspire assure la tranquillité des esprits et les manifestations joyeuses; ici ou là, lenvironnement se plie aux jeux humains, aussi bien en fournissant des éléments naturels propices à installer une balançoire ou une escarpolette quen équilibrant répartition des masses dans les fonds et dispositions au premier plan. Lartiste confirme plastiquement la recherche dharmonie entre lHomme et son environnement. |
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Stella a contribué à laffirmation du paysage composé en France, comme en témoigne, exemple parmi bien dautres, Minerve et les muses, au Louvre (vers 1643-1644?). Il existe un précédent plus direct aux cadres de nos deux peintures : le tableau gravé par Claude Goyrand à Rome récemment réapparu, un Retour dÉgypte qui peut être daté du séjour de Stella dans la Ville éternelle. On y retrouve le bosquet servant décran et ménageant une échappée latérale vers le lointain, surplombé dune forteresse installée sur une hauteur. Cette similitude de parti a suggéré à Jacques Thuillier (2006, p. 162) de situer en France et tard dans la carrière de Stella la composition gravée par Goyrand. La comparaison avec la suite des Plaisirs champêtres montre pourtant une évolution franche sur une même trame, qui se perçoit notamment dans la transformation du style des bâtiments. Le Retour dÉgypte emploie larchitecture vernaculaire italienne aux petites ouvertures et à la tour élancée. Les Pastorales sont loccasion, malgré la rusticité du propos, de développements archéologiques déjà manifestes dans le dessin du Repos de la Sainte famille, par exemple, ou la peinture représentant Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix, tous deux datés de 1646. Le Repos propose dailleurs un repère intéressant, dans la mesure où son paysage recèle des activités champêtres qui rappellent le thème des Pastorales. Comparer à nouveau au Retour dÉgypte, requérant un cadre naturel voisin, permet de mesurer lévolution du peintre, et une transformation dabord spirituelle de son art. La peinture propose un cadre naturel sauvage, presquopressant, pouvant suggérer lhostilité du monde au diapason du destin tragique vers lequel le Christ enfant chemine et auquel plusieurs détails font allusion. Le dessin de 1646 place la Sainte Famille dans un contexte franchement humanisé, porteur dune culture que Jésus est amené à transcender. Son iconographie complexe est parfois allusive : la vigne senroulant autour des arbres encadrant la Vierge évoque les motifs classiques de la colonne du Temple salomonique tels quils apparaissent dans le Christ retrouvé par ses parents des Andelys, par exemple : et précisément, on voit dans ce tableau le motif sculpté denfants grimpant sur la colonne comme pour y cueillir le raisin. La transposition au dessin suggère que la sainte Famille soit installée à la porte dun temple matérialisé par la Nature. Le tableau quil préparait et qui demeurait vraisemblablement dans latelier du peintre à sa mort, inscrit cet épisode dans une relation apaisée avec lenvironnement, qui prodigue sa nourriture à lEnfant. Au loin cheminent, en un lieu déjà humanisé, des bergers apparemment indifférents. Les deux péripéties reflètent un ordre immuable des choses, atemporel pour lun, cyclique pour lautre. Les rapprochements avec le Retour dEgypte italien montrent que lartiste sest très vite intéressé au paysage et à la place que lhomme peut y trouver. Les différences soulignent lévolution profonde de son approche en la matière, et les affinités entre le Repos de 1646 et les Pastorales suggèrent que les préoccupations qui apparaissent dans ces dernières sont le fruit dune maturité spirituelle qui relève des dernières années de lartiste. |
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Post-scriptum Et de trois! Réapparition du Frappe-main
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