Stella peint ici une halte de la Sainte Famille lors de la fuite en Égypte. En témoignent les détails iconographiques de lâne servant pour le voyage, lâge de Jésus suggéré par les langes, et les cavaliers au loin, supposés poursuivre lEnfant pour accomplir la volonté dHérode de tuer tous les premiers nés dIsraël. Le motif des soldats, ici dans un lointain traité comme celui du Songe de Jacob de Los Angeles (ci-dessous à droite), nest pas si fréquent, alors que notre artiste lemploie volontiers dans ses versions du thème, comme le dessin tardif faisant partie de la suite en 22 sujets sur la Vie de la Vierge (New York, Metropolitan Museum of Art) (ci-dessous à gauche). Il inscrit déjà le destin de lEnfant tout à la fois dans linquiétude de sa perspective funeste, et sous la protection de Joseph et des anges qui lassistent et le nourrissent. Lun et lautre se cristallisent dans les fruits tendus, des dattes tirées dun palmier évoquant, par son feuillage, le martyre.
Jacques Stella, Fuite en Égypte, dessin (1655-1657). New York, Metropolitan Museum.
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Jacques Stella, Songe de Jacob. Huile sur onyx, 22,4 x 32,5 cm (vers 1622-1625). Los Angeles County Museum of Art.
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Stella reprend certainement un modèle célèbre peint par Corrège dans sa Madone de lécuelle (Parma, Galleria Nazionale) : chez lItalien, larabesque appuyant le geste du père nourricier, cueillant quelques dattes pour les proposer à Jésus en se penchant, sinscrit dans une circulation ovale inaugurée par les anges dans le ciel, les arbres, et prolongé par lEnfant; la forme ne se referme pas complètement, venant buter sur lécuelle qui donne son surnom à la composition.
Chez Stella, pas de rupture : le relais est pris par lâne, les anges au sol et le branchage dun autre arbre. Plutôt quun appel à méditer sur le devenir historique de Jésus, notre peintre propose une réflexion sur sa portée éternelle; comme souvent, deux personnages en retrait, sur un bord du tableau, semblent sinterroger et nous inviter à le faire.
Le Français admirait lItalien, dont il avait une peinture, un dessin et des gravures dans sa collection, et certains types physiques ainsi que limpact de la lumière pour les volumes, plus tard dans sa carrière, semblent en témoigner encore. Dans son Panthéon suggéré par sa collection (suivant linventaire de celle de sa nièce, qui en avait très largement hérité), Corrège nest dépassé que par Poussin, Raphaël et Carrache. Néanmoins, il ne sagit dans cette oeuvre que de références factuelles, leur traitement étant caractéristique de Stella à une étape précise de son évolution : dans les premières années de son séjour à Rome.
Ci-contre, la peinture de Stella grandeur nature.
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On peut déjà rapprocher les anges installés au bord de la composition, discutant, lun deux nous tournant le dos, de ceux accompagnant le Songe de Jacob dans la gravure datée de 1620, donc faite à Florence. Le motif deviendra un fréquent moyen, pour Stella, de relais mis à disposition du spectateur. Le délicat mouvement du drapé, flottant autour des jambes, est également typique du peintre. Il est encore ici naturel, quoiquun peu raide.
J. Stella, Songe de Jacob gravure, 1620. Détail inversé des anges (à g.)
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La tête de Joseph, à larcade sourcillière accusée, au large front circulaire (plus proche de celles de Vénitiens comme Tintoretto, Bassano ou Palma que de Corrège), se retrouve dans un petit panneau que jai mis en rapport avec les peintures faites à Rome à loccasion des fêtes de canonisations de 1622, montrant la rencontre de Felix Cantalice et de saint Philippe de Neri (Rome, Galleria Nazionale). La facture montre un métier pareillement économe et efficace, attentifs aux accents lumineux, au drapé généralement sobre. Dautres physionomies semblables se voient dans les gravures sur bois de 1624-1625, notamment dans le Lavement des pieds.
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Elles montrent également un traitement asymétrique du visage comme celui, ici, de la Vierge, déjà vu dans certaines gravures florentines et propre aux débuts du peintre, qui lui préfère ensuite, assez vite, la régularité du classicisme inspiré de Raphaël. Dès 1626 dans la Sainte Cécile de Rennes, Stella cherche à sen passer. Cette peinture sur cuivre, par ailleurs, donne des éléments intéressants pour notre Repos : ainsi, notamment des angelots assis dans la gloire, chantant, fort proches de ceux saccrochant au palmier; ou des grands anges visibles ici et là. La gamme chromatique, encore très maniériste par ses combinaisons de roses, de violine, de jaune, de verts et dorangé, est un autre point de rapprochement.
Il ne fait donc guère de doute quil faille rendre à Jacques Stella, vers 1622-1625, ce ravissant tableau, qui est aussi un savant arrangement. Les propositions fournies par le support et la référence à Corrège se combinent à merveille pour construire une image toute personnelle, propre à la poésie que le peintre déploiera tout au long de sa carrière. Elle témoigne déjà, avant ses trente ans, dune virtuosité secrète, tant il veut là mettre au service dun langage clair et dune méditation profonde. Cest assurément lun de ses chefs-doeuvre sur ce support.
Sylvain Kerspern, novembre 2012
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Retouche, janvier 2015 :
La découverte dune autre peinture sur un sujet et un support semblables ma permis de revoir liconographie, et de préciser notamment le sens de la scène au fond de ce Repos pendant la fuite en Égypte, avec les soldats et les moissonneurs. Elle reprend une péripétie apocryphe qui veut que dans sa fuite, la Sainte famille aurait rencontré un paysan labourant son champ, dont le Christ aurait miraculeusement fait surgir un blé mûr, prêt pour la moisson. Aux soldats qui linterrogent, le moissonneur aurait dit, conformément à ce qui lui avait été demandé, quil avait bien vu des voyageurs au moment des semailles; les poursuivants pensant que cela remontait à plusieurs mois auraient abandonné cette piste.
Voyez donc : II et III.
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Bibliographie additionnelle :
- Joseph Vendryes, «Le miracle de la moisson en Galles», Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1948, t. 92, 1, p. 64-76;
- Michel Thomas, Trésors de l'art sacré dans les hautes vallées de Maurienne, Montmélian, 2004;
- Jacques Poucet, "La Fuite de la Sainte-Famille en Égypte chez Jean dOutremeuse. Un épisode de lÉvangile vu par un chroniqueur liégeois du XIVe siècle", Folio Electronica Classica, 28, juillet-décembre 2014.
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