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De pierres et d’art : Le Repos pendant la fuite en Egypte


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Sylvain Kerspern

De pierres et d’art :

Le Repos pendant la fuite en Egypte,

peinture inédite de Jacques Stella



Huile sur ardoise et lapis-lazuli, 18 x 12 cm.

Mise en ligne le 10 décembre 2012 - retouche le 13 janvier 2015)



L’art de la peinture sur pierre s’est particulièrement développé en Italie au XVIè siècle, à partir du foyer vénitien puis se répandant bien au-delà, notamment à Vérone, Florence ou Rome, et jusqu’en France ou en Flandres, dans la première moitié du XVIIè siècle. Les créations les plus passionnantes sont celles qui partent des propositions de la pierre. Dans ce domaine, Jacques Stella, qui se forma sans doute à cette technique lors de son séjour en Toscane (1616-1621), excellait. Un nouvel exemple vient en donner une preuve magistrale, soutenant à merveille la réputation acquise auprès des plus grands mécènes.

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À gauche, la portion sur lapis-lazuli - À droite, celle sur ardoise.
Cette peinture associe deux pierres : un lapis-lazuli au bleu intense, propice aux grands ciels; et de l’ardoise qui l’encadre pour lui donner un format régulier et rectangulaire, dont la tonalité sombre sert de base à un effet de contre-jour. Là sont cantonnés principalement les personnages. Seuls la Vierge - reine du ciel - et l’Enfant débordent largement dans l’océan bleuté du centre de la peinture, où se distinguent aussi, dans le lointain, les silhouettes de paysans dans un champ de blé, apparemment interrogés par des cavaliers.


Stella peint ici une halte de la Sainte Famille lors de la fuite en Égypte. En témoignent les détails iconographiques de l’âne servant pour le voyage, l’âge de Jésus suggéré par les langes, et les cavaliers au loin, supposés poursuivre l’Enfant pour accomplir la volonté d’Hérode de tuer tous les premiers nés d’Israël. Le motif des soldats, ici dans un lointain traité comme celui du Songe de Jacob de Los Angeles (ci-dessous à droite), n’est pas si fréquent, alors que notre artiste l’emploie volontiers dans ses versions du thème, comme le dessin tardif faisant partie de la suite en 22 sujets sur la Vie de la Vierge (New York, Metropolitan Museum of Art) (ci-dessous à gauche). Il inscrit déjà le destin de l’Enfant tout à la fois dans l’inquiétude de sa perspective funeste, et sous la protection de Joseph et des anges qui l’assistent et le nourrissent. L’un et l’autre se cristallisent dans les fruits tendus, des dattes tirées d’un palmier évoquant, par son feuillage, le martyre.


Jacques Stella, Fuite en Égypte, dessin (1655-1657).
New York, Metropolitan Museum.


Jacques Stella, Songe de Jacob.
Huile sur onyx, 22,4 x 32,5 cm (vers 1622-1625).
Los Angeles County Museum of Art.

Stella reprend certainement un modèle célèbre peint par Corrège dans sa Madone de l’écuelle (Parma, Galleria Nazionale) : chez l’Italien, l’arabesque appuyant le geste du père nourricier, cueillant quelques dattes pour les proposer à Jésus en se penchant, s’inscrit dans une circulation ovale inaugurée par les anges dans le ciel, les arbres, et prolongé par l’Enfant; la forme ne se referme pas complètement, venant buter sur l’écuelle qui donne son surnom à la composition.

Chez Stella, pas de rupture : le relais est pris par l’âne, les anges au sol et le branchage d’un autre arbre. Plutôt qu’un appel à méditer sur le devenir historique de Jésus, notre peintre propose une réflexion sur sa portée éternelle; comme souvent, deux personnages en retrait, sur un bord du tableau, semblent s’interroger et nous inviter à le faire.

Le Français admirait l’Italien, dont il avait une peinture, un dessin et des gravures dans sa collection, et certains types physiques ainsi que l’impact de la lumière pour les volumes, plus tard dans sa carrière, semblent en témoigner encore. Dans son Panthéon suggéré par sa collection (suivant l’inventaire de celle de sa nièce, qui en avait très largement hérité), Corrège n’est dépassé que par Poussin, Raphaël et Carrache. Néanmoins, il ne s’agit dans cette oeuvre que de références factuelles, leur traitement étant caractéristique de Stella à une étape précise de son évolution : dans les premières années de son séjour à Rome.

Ci-contre, la peinture de Stella grandeur nature.


On peut déjà rapprocher les anges installés au bord de la composition, discutant, l’un d’eux nous tournant le dos, de ceux accompagnant le Songe de Jacob dans la gravure datée de 1620, donc faite à Florence. Le motif deviendra un fréquent moyen, pour Stella, de relais mis à disposition du spectateur. Le délicat mouvement du drapé, flottant autour des jambes, est également typique du peintre. Il est encore ici “naturel”, quoiqu’un peu raide.

J. Stella, Songe de Jacob gravure, 1620.
Détail inversé des anges (à g.)



La tête de Joseph, à l’arcade sourcillière accusée, au large front circulaire (plus proche de celles de Vénitiens comme Tintoretto, Bassano ou Palma que de Corrège), se retrouve dans un petit panneau que j’ai mis en rapport avec les peintures faites à Rome à l’occasion des fêtes de canonisations de 1622, montrant la rencontre de Felix Cantalice et de saint Philippe de Neri (Rome, Galleria Nazionale). La facture montre un métier pareillement économe et efficace, attentifs aux accents lumineux, au drapé généralement sobre. D’autres physionomies semblables se voient dans les gravures sur bois de 1624-1625, notamment dans le Lavement des pieds.

Elles montrent également un traitement asymétrique du visage comme celui, ici, de la Vierge, déjà vu dans certaines gravures florentines et propre aux débuts du peintre, qui lui préfère ensuite, assez vite, la régularité du classicisme inspiré de Raphaël. Dès 1626 dans la Sainte Cécile de Rennes, Stella cherche à s’en passer. Cette peinture sur cuivre, par ailleurs, donne des éléments intéressants pour notre Repos : ainsi, notamment des angelots assis dans la gloire, chantant, fort proches de ceux s’accrochant au palmier; ou des grands anges visibles ici et là. La gamme chromatique, encore très “maniériste” par ses combinaisons de roses, de violine, de jaune, de verts et d’orangé, est un autre point de rapprochement.

Il ne fait donc guère de doute qu’il faille rendre à Jacques Stella, vers 1622-1625, ce ravissant tableau, qui est aussi un savant arrangement. Les propositions fournies par le support et la référence à Corrège se combinent à merveille pour construire une image toute personnelle, propre à la poésie que le peintre déploiera tout au long de sa carrière. Elle témoigne déjà, avant ses trente ans, d’une virtuosité secrète, tant il veut là mettre au service d’un langage clair et d’une méditation profonde. C’est assurément l’un de ses chefs-d’oeuvre sur ce support.

Sylvain Kerspern, novembre 2012

BIBLIOGRAPHIE :
Catalogue d’exposition Jacques Stella, Lyon, 2006
Sylvain Kerspern, Jacques Stella sur “D’histoire & d’@rt”, notamment :
- Autour des camaïeux romains;
- Un Retour inattendu;
- Les Pastorales.

Retouche, janvier 2015 :
La découverte d’une autre peinture sur un sujet et un support semblables m’a permis de revoir l’iconographie, et de préciser notamment le sens de la scène au fond de ce Repos pendant la fuite en Égypte, avec les soldats et les moissonneurs. Elle reprend une péripétie apocryphe qui veut que dans sa fuite, la Sainte famille aurait rencontré un paysan labourant son champ, dont le Christ aurait miraculeusement fait surgir un blé mûr, prêt pour la moisson. Aux soldats qui l’interrogent, le moissonneur aurait dit, conformément à ce qui lui avait été demandé, qu’il avait bien vu des voyageurs au moment des semailles; les poursuivants pensant que cela remontait à plusieurs mois auraient abandonné cette piste.

Voyez donc : II et III.

Bibliographie additionnelle :
- Joseph Vendryes, «Le miracle de la moisson en Galles», Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1948, t. 92, 1, p. 64-76;
- Michel Thomas, Trésors de l'art sacré dans les hautes vallées de Maurienne, Montmélian, 2004;
- Jacques Poucet, "La Fuite de la Sainte-Famille en Égypte chez Jean d’Outremeuse. Un épisode de l’Évangile vu par un chroniqueur liégeois du XIVe siècle", Folio Electronica Classica, 28, juillet-décembre 2014.
Courriel : sylvainkerspern@gmail.com.
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