Mise en ligne le 19 février 2014 - retouches en juillet 2018

Contacts : sylvainkerspern@gmail.com
Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue - Florence, oeuvres datables de 1620-1621

Catalogue : Florence, mosaïque ; Ensemble
Table Stella - Table générale
La Passion (« éventail »), dessin La vocation de saint Mathieu, dessin Concert nocturne, dessin Adoration des mages et Tentation de saint Antoine, dessins Judith et Holopherne, peinture
La diseuse de bonne aventure (?), dessin Décollation de saint Jean, dessin Saint Georges, dessin
Clairs-obscurs toscans

Pour Daniel Ternois

En complément du petit rassemblement florentin daté explicitement de 1620-1621, voici de quoi témoigner de la seconde partie du séjour florentin de Stella, qui le conduit à une émulation plus ouverte encore avec Callot, et à une confrontation au caravagisme qui, tout en lui demeurant étranger, ne sera pas sans conséquence sur son approche du rôle dramatique de la lumière. C’est une période d’expérimentation intense des différentes techniques du dessin, notamment, et dont on connaît surtout des témoignages très enlevés et rarement finis; d’où une impression de confusion mais dont la cohérence tient au travail du trait, nerveux et allusif et aux recherches lumineuses auxquelles contribuent tout autant la pointe que les lavis. Les effets de « réalisme » familier, déjà, contaminent jusqu’aux sujets fantastiques (comme la Tentation de saint Antoine).

Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
La passion en « éventail »; au verso, plan.
Plume et encre brune, lavis brun et indigo, sanguine.
Londres, Courtauld Institute (D.1952.RW.1526.r-v )

Historique : legs de sir Robert Clement Witt, 1952

Bibliographie : cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 62, cat. 8; Kerspern 2008, p. 124.
Le dessin est annoté "J. Stella" au verso d’une main moderne. Attribution parfaitement juste et qui situe encore Stella dans le contexte florentin de Callot. Sylvain Laveissière a noté les liens avec l’Éventail de Callot, que celui-ci grave en 1619, ce qui nous fournit un repère important. Cela passe notamment par le vocabulaire ornemental grotesque. Il faut toutefois noter que le type de cadre qui en découle se trouve déjà employé dans les dessins du Lorrain évoquant la pastorale de Cicognini sur Persée et Andromède, donné un an plus tôt voire le frontispice des fameux Caprices situés encore avant, sans doute en 1617.
Pour autant, les recherches très picturales auxquelles Stella se livre en recourant à la sanguine et aux lavis, et la complexité de la composition centrale, autre hommage à Callot, supposent une première maturation de style encore embryonnaire dans les dessins de 1618-1619 et plus en rapport avec les gravures de 1620-1621, en particulier le Songe de Jacob. On peut donc situer cette feuille (pour la gravure, en raison de l’écu sans armes au bas) en 1620.

S.K., Melun, février 2014

La vocation de saint Mathieu
Plume, encre brune et lavis brun. 18,3 x 15,7 cm.


Historique : Firenze, Uffizzi, Gabinetto Nazionale dei disegni e stampe; Inv. 689E.

Bibliographie : Pacht Bassani (Paola), Claude Vignon 1992, p. 527-528, n° R 103; cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 82, sous n°30, n. 1; Kerspern 2008, p. 124.

Ce dessin, rapproché de Vignon, a fait l’objet d’une proposition en faveur de Stella par Paola Pacht Bassani, par affinité avec ce que j’avais rassemblé sur les années italiennes du peintre en vue de la publication dans la Gazette des Beaux-Arts en 1994. Le style graphique très griffonné, zig-zagant et hachuré, elliptique, est celui du dessin de genre et du Saint Antoine du Louvre et du Joyeux buveur et rappelle le travail apparent dans les gravures florentines, et jusqu’aux gravures sur bois de 1624-1625, à Rome. La schématisation des types physiques est celle, par exemple, de la Danse des enfants nus.

Le lien avec la fameuse composition de Caravage (Rome, Saint-Louis des Français, ci-contre) est indiscutable, et se pose la question : le dessin ne pourrait-il pas être romain, devant le motif? Depuis longtemps, le rapprochement a été fait avec le bref séjour à Florence en 1619-1620 de Honthorst sur le chemin du retour en Flandres, qui aura pu focaliser l’attention des artistes de la cour des Médicis n’ayant pas encore vu Rome sur le Caravage, conservant peut-être quelque témoignage de la composition : ce qui n’impose pas, pour ce dessin, la présence à Rome.

Stella cite en fait avec une certaine licence le groupe du futur évangéliste, en sorte que la feuille ne constitue pas, à proprement parler une étude attentive mais le souvenir relevé rapidement d’une composition remarquable : il aura voulu conserver les attitudes, frappantes, de Mathieu, du jeune homme de dos et de celui qui compte l’argent, plus ou moins dans son contexte exact. Le rapport supposé avec Honthorst, que le Concert nocturne du Rijksmuseum conforte, correspond avec la facture florentine de la feuille, et nous donne un ancrage ferme en 1620.

S.K., Melun, février 2014

Concert nocturne; au verso Etude de mains pour la joueuse de luth
Crayon noir (?), plume et encre brune, lavis (recto); crayon noir (verso). 6,9 x 11 cm. Annoté J. Stella en bas au centre du recto.


Historique : Coll. P. Eeeckhout; galerie Bernard Houtthaker, Amsterdam, 1973; acquis par le Rijksmuseum en 1974. Amsterdam, Rijksmuseum, Inv. RP-T-1974-57.

Bibliographie : Kerspern 1994, p. 135 n. 10 (vers 1620) ; cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 83. cat. 9 (dans la section Rome, 1623-1634); Kerspern 2008, p. 124-125 (à Florence? et erratum 2013).





Songe de Jacob gravé en 1620
Impossible, devant ce dessin, de ne pas songer à Honthorst, dont le Grand-Duc Cosme II avait acquis des peintures avant même que le peintre passe par la Toscane sur le chemin du retour de Rome dans sa patrie (1619-1620). L’éclairage à la bougie d’un concert musical, autour d’une table, renvoie aux différents registres de ce qui faisait déjà sa gloire. Le recours au lavis est un autre rapprochement possible, confirmant ce que le compagnonnage avec Callot avait pu encourager auparavant (voir La passion en éventail). Les liens avec les autres témoignages de Stella sont nets : visages ovales finissant en pointe vers le menton, contours incurvés, traits discontinus allusifs des formes, schématisme des mains se retrouvent à divers degrés dans tout ou presque de la production graphique du moment, et en particulier dans le Songe de Jacob gravé en 1620 (ci-contre en bas).

Stella a retourné sa feuille pour des recherches de position de la main de la jeune femme pinçant les cordes du luth, qui se devinent sous la version en haut à dextre (selon le sens restitué des mains). Il semble donc que nous soyons devant une étude préparatoire, non une copie, par exemple, sur un modèle de « Gherardo delle notti ». Au demeurant, l’esprit en est très différent et évacue toute approche caricaturale ou burlesque.

Le sujet se rapproche de la Vanité en évoquant les Cinq sens : la vue par les recherches lumineuses, l’ouïe par la musique, le toucher par les doigts effleurant les cordes et le goût et l’odorat par le vin apporté par le jeune homme. Stella en développera l’idée bien plus tard, une fois en France, dans une composition plus ambitieuse qui fit partie des collections Hacquin et Papin (gravé alors par Reveil et mademoiselle Fromentin) avant de reparaître dans différentes ventes autour de 1990. Parmi les points de rapprochement, on notera la présence du luth et surtout celle du jeune homme apportant des rafraîchissements. Le ton y est plus explicitement à la sensualité - et la vue, incarnée par un vieillard épiant la scène.

En revenant au dessin et en le rapprochant du Joyeux buveur mais aussi de la lettre à Langlois, de 1633, qui évoque les verres bus en son honneur et sa pratique de la cornemuse, force est de constater que Stella, au moins durant ses années italiennes, est loin de correspondre au profil de peintre sage et dévôt qui a fini par le poursuivre. La feuille du Rijskmuseum pourrait aussi réunir certains des plaisirs caressés alors - musique, joyeuse compagnie... -, trahissant un appétit de la vie que les vieux jours verront sublimé dans une activité redoublée du dessin et de la peinture, pour partie au service de la gravure.

S.K., Melun, février 2014

Tentation de saint Antoine (recto) - Adoration des mages (verso)
Plume et encre noire, lavis brun. Annoté « J. Stella » 19,3 x 24,4 cm.


Historique : collection Saint-Morys, saisie révolutionnaire; Louvre, Département des Arts Graphiques, Cabinet des dessins, Inv. 32905 (recto-verso).

Bibliographie : Kerspern 1994, p. 120-121 (repr.), 13; cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 94, cat. 41 (dans la section Rome, 1623-1634, « plus proche de 1630 »); Kerspern 2006, sous la fig. 17(contexte florentin); Kerspern 2008, p. 124 (Florence).

Songe de Jacob, eau-forte, 1620

Depuis longtemps, cette feuille recto-verso me semble précoce. J’hésitais encore entre la phase toscane et les débuts romains mais les apports de l’exposition de 2006 (la gravure du Songe de Jacob ci-contre, entre autres, et plus généralement les gravures et dessins de toute la période italienne de Stella) ont conforté mon intuition en faveur de Florence. La facture est bien celle maintes fois décrite ailleurs, notamment pour le recto, et le lien entre les chats du Vendeur de tripes et celui voulant perturber saint Antoine implique une forte proximité dans le temps.

Le traitement de la scène, exceptionnel, est aux antipodes tout à la fois de la version macrocosmique de Callot, par le renfermement du sujet dans un espace clos et étouffant, et du Concert (ci-dessus) par son accent, cette fois, burlesque, plus flamand (comme le Joyeux buveur) que toscan ou lorrain, plus proche de Bosch ou Breughel que de Callot. Ce qui demeure en commun tient à l’utilisation de la lumière pour insister sur l’intériorité des personnages. Sa version du thème de l’adoration des mages, dont les artistes florentins ont donné de fameux exemples, choisit également de s’appuyer sur une lumière significative. Stella y place en évidence un détail révélateur de préoccupations qu’il entretiendra tout au long de son existence : le personnage qui se penche pour déposer un coffre, étude « de genre » de la vie familière.

S.K., Melun, février 2014

Judith et Holopherne, peinture
Huile sur ardoise (ou pierre de parangon?). 38,5 x 38,5 cm. Localisation actuelle inconnue

Historique : vente Piasa Paris, 15 novembre 2013, lot 109 (attr. à Pasquale Ottino; invendu); vente Sotheby's Londres, 27 octobre 2015, lot 430 (entourage de Stella; invendu).

Copie (?) de même format et sur support comparable passée en vente Dorotheum, Vienne le 21 avril 2010 (lot 315), puis le 14 deécembre 2010 (lot 56) comme de Claudio Ridolfi, peintre de Vérone (1560/1570-1644)

Bibliographie : inédit.
Lors de sa réapparition récente, peu après la mise en ligne initiale de cette page, le support pourrait avoir suggéré une piste véronaise, avec Pasquale Ottino (1578-1630), avant d'orienter vers Stella et son cercle. Une autre version dont les variantes me semblent plus tenir aux approximations d'un copiste qu'à un statut de réplique autographe est passé en vente par deux fois en 2010 sous une attribution à un autre artiste de ce foyer, Claudio Ridolfi (1560/1570-1644). Grâce au rassemblement fait sur ce site, on peut soutenir désormais une pleine attribution à Jacques lui-même, et en faire l'une des rares peintures de sa main faites en Toscane qui nous soient parvenues.

Les éléments les plus évidents tiennent peut-être aux détails. La coiffe emplumée de Judith se retrouve notamment dans le Concert (Rijksmuseum) ou La décollation de saint Jean-Baptiste (coll. part.) (ci-contre), et relève de la culture florentine, au même titre que le costume de l'héroïne, s'écartant, me semble-t-il, des habitudes veronaise d'Ottino, Ridolfi ou Turchi. La communauté d'inspiration avec ces deux feuille est évidente. Le profil osseux de la servante âgée semble la première apparition d'un type que l'on retrouvera, par exemple, dans la feuille qui montre Girolamo Maini instruisant les enfants, et jusqu'à la toute fin de sa vie, dans les Vierge et autres Sainte famille gravées par les Bouzonnet. Celui de Judith, lui, front bombé et petit menton, est propre aux débuts italiens, visible notamment dans les dessins cités.

Le cadrage resserré sur le drame, que notre homme pratique peut-être plus particulièrement dans ces années, sert une psychologie toute en économie, censée réunir les protagonistes en un colloque sans parole. Le dessin interprété comme une Diseuse de bonne aventure en donne un équivalent formel net et, si cette lecture est bonne, presque paradoxal, mais c'est l'esprit qui règne sur l'ensemble de la production toscane, peut-être contaminée par le goût du spectacle médicéen sublimé par Callot. Il y a, il faut bien le dire, une certaine communauté avec le Caravage, en ce sens que cela se manifeste plus par le geste que par l'indication de la parole. C'est peut-être d'autant plus sensible dans un tel sujet, traité en clair-obscur à partir de la suggestion chromatique du support, et devant une sauvagerie dont Stella fera rarement usage, sans toutefois s'en priver totalement. Le compagnonnage d'avec Artemisia Gentileschi peut expliquer ce qui n'est pas une tentation mais un ressort pour trouver la voie d'une expression rhétorique directe, encore une fois économique.

Un détail, plus que tous les autres sans doute, impose de situer cette peinture à Florence et permet d'en affiner la datation : le traitement des mains. Dans certaines compositions de cette phase, Stella s'en tient à une restitution schématique d'ensemble, détaillant éventuellement les doigts comme autant de griffes - telles celles au verso du Concert nocturne, reprenant la main droite de la luthiste. Dans d'autres sujets, comme le Saint Jérôme gravé ou le Joyeux buveur (1619, Ensba), il opte pour une restitution rustique, massive que l'on retrouve ici; l'ondoiement de la main qui écrase le visage d'Holopherne peut aussi faire songer à ce que l'on voit dans le tout premier dessin à ce jour conservé de Stella (1618, Ensba). Toutefois, on sent ici, peut-être pour la première fois, la recherche d'une approche classique, combinant crédibilité dans le réalisme et travail sur une norme idéale. Il faut, à mon sens, en rapprocher l'étude isolée de main au dos de La décolllation de saint Jean qui témoigne concrètement de cette intention.

C'est donc vraisemblablement un artiste qui se cherche encore beaucoup, y compris pour des éléments qui pourraient passer pour « académiques » que révèle cette peinture; mais aussi une inspiration déjà en place au point d'oser une image forte, violente, sans grand effet de mise en scène. C'est, si j'ose dire, une première pierre pour un sujet que Stella reprendra plusieurs fois en Italie (notamment pour le cardinal Borghese), avec une maîtrise toute autre.

S.K., Melun, juillet 2018

Ci-contre :
Pasquale Ottino, Madone de san Lorenzo Giminiano.
Huile sur marbre noir. 49,5 x 26 cm.
Londres, Dulwich Gallery
La décollation de saint Jean.
Dessin. Coll. part.
Concert nocturne.
Dessin. Rijksmuseum.
La diseuse de bonne aventure (?).
Dessin. Paris, coll. part.
Le joyeux buveur, 1619.
Dessin. Ensba.

Étude de main. Rijksmuseum

La diseuse de bonne aventure (?)
Plume et encre noire. 13 x 19 cm.

Historique : ancienne collection van Parijs, sa marque (L. 2531) en bas à gauche; en bas à droite, fausse marque de Mariette? (L. 2097). Vente Tajan Paris, 16 mai 2013, n°47 (attribué à Claude Vignon); localisation inconnue.

Bibliographie : inédit.

Joyeux buveur, dessin, 1619

Je ne connais cette feuille que par son passage en vente en 2013, et après coup. Le nom de Vignon sous lequel il y est passé vient peut-être du ton supposé caravagesque de cette confrontation comme surprise par l’artiste, qui doit avoir également suggéré le titre. Conversation interrompue ou plutôt deux études de têtes simplement confrontées sur le papier? Le fait que toutes deux soient placées sur un même plan doit traduire un véritable échange mais rien ne permet d’affirmer que la jeune femme, malgré une coiffure peu ordonnée, dise la bonne aventure au jeune homme.

Quoiqu’il en soit, ces deux « têtes d’expression » se placent assez naturellement dans le goût caravagesque. Associé aux effets de la plume, jouant des hachures et de la réserve, avec une saisissante virtuosité, voilà qui impose le rapprochement avec Stella, et particulièrement sa brève phase du séjour florentin au cours de laquelle il se montre sensible au caravagisme. La maîtrise affichée du trait comme du clair-obscur montre une nette évolution depuis le Joyeux buveur de 1619, et des affinités franches avec les gravures de 1621, en particulier le Vendeur de tripes pour chat. Il faut donc sans doute situer cette feuille, inédite, dans les derniers instants du séjour en Toscane.

Il faut souligner, au final, la capacité de Stella a suggérer, que ce soit par la technique de la plume ou par le travail des expressions, un colloque dont on ne peut dire s’il peut avoir été sentimental, source de conspiration ou de duperie mais qui traduit parfaitement l’ambiguïté de semblables rapports humains dans l’imagerie populaire.

Le vendeur de tripes pour chat, eau-forte, 1621

S.K., Melun, février 2014


La décollation de saint Jean-Baptiste. Au recto, étude de main.
Crayon noir, plume et encre noire, lavis brun et blanc; au recto, crayon noir et rehauts de craie blanche. 20 x 30,3 cm.

Historique : Vente Boisgirard Paris, 5 avril 2006, n°8 (École française caravagesque du XVIIè siècle); coll. part.

Bibliographie : cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 82, cat. 30 (dans la section Rome, 1623-1634); Kerspern 2006, sous la fig. 16 (Florence).

Sylvain Laveissière fait une judicieux rapprochement de ce dessin avec une composition toscane, la Salomé de Caracciolo, avec qui il partage le cadrage et l’effet de clair-obscur. Il place la feuille au tout début de la section romaine, signe d’une hésitation de sa part voire de la tentation d’y voir une production florentine, finalement abandonnée. Le rassemblement fait ici devrait apporter la preuve que la phase « caravagesque » de Stella, fort brève, reste circonscrite au séjour dans la ville des Médicis. Le catalogue des ouvrages romains achèvera de démontrer que le peintre s’en détourne résolument ensuite.

Le thème s’inscrit dans la veine caravagesque depuis le modèle fameux du maître (Malte) et Stella le traite dans son esprit, par le cadrage et la puissance dramatique. Il représente la scène sur une partie, seulement, de la largeur. Ce n’est pourtant pas le relevé d’une composition dont il veut garder le souvenir : dans la partie laissée en réserve, où, semble-t-il, il a apposé sa signature, on distingue aussi, à la pierre noire, le dessin d’un autre personnage nous tournant le dos. On peut croire qu’il souhaitait ainsi préparer un tableau consacré au saint patron de Florence.

Les traits allusifs, discontinus, la typologie aux ovales finissant en pointe vers le menton, aux longs nez, est celle des premières années italiennes. La consistance nouvelle des personnages, beaucoup plus denses, doit provenir de la brève fascination pour les caravagesques. Elle transparaît dans les gravures et dessins de 1621, pourtant encore placés sous les auspices de Callot, et doit traduire aussi la prise en compte des exemples du foyer des peintres florentins, notamment Alessandro Allori, Santi di Tito, Jacopo da Empoli, Matteo Rosselli ou Passignano, qui ont proposé une alternative moins crue mais tout autant attachée que celle de Caravage à revenir sur les options conceptuelles du « maniérisme ».

S.K., Melun, février 2014

Saint Georges terrassant le dragon.
Crayon noir, plume et encre noire, lavis brun et rehauts de gouache blanche. 21,1 x 28,4 cm.

Historique : Firenze, Uffizzi, Gabinetto Disegni e Stampe (12003 F).

Bibliographie : cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 68, cat. 12 (dans la section Rome, 1623-1634).


La réattribution faite de ce dessin par Maria Rosaria Nappi dès 1984 est un apport essentiel à la compréhension de la charnière entre le séjour florentin et celui romain. Confronté à la Décollation de saint Jean (ci-contre, et catalogué ci-dessus) en 2006, il montre le recours aux mêmes media techniques, simplement plus appliqués sans doute dans la perspective de la traduction en gravure, et avec le retour des hachures vives. Cette destination est confirmée par la reprise, au verso, des grandes lignes de la composition au crayon. Le nom de Filippo Napoletano y est apposé, soulignant le contexte florentin : il semble que le dessin soit dans les collections médicéennes depuis longtemps. Le rapprochement fait avec la gravure signée, localisée et datée de Rome en 1623, donnait la clé pour retrouver le véritable auteur mais il n’est pas sans poser question.

Les variantes sont nombreuses mais un certain nombre de points appuient, de façon décisive, la restitution à Stella et la mise en regard de la gravure romaine. L’artiste a déjà mis en place son espace, une trouée diagonale scandée par une alternance de zones claires et obscures, partant du marais rocailleux et arboré pour s’enfuir vers une campagne paisible agrémenté d’une architecture monumentale. Cette dernière, une rotonde aux pilastres classiques, deviendra une tour fortifiée plus en phase avec la restitution du contexte médiéval. En revanche, il modifie la progression du saint, l’installation du dragon et les péripéties du drame en cours. Celui-ci se trouvait dans le prolongement de la trouée, irruption de l’ordre social et humain dans le désordre (sur)naturel, et la lance, alliée sûre de la victoire annoncée, ne se rompait pas. La gravure rendra le combat plus incertain, insistant sur les oppositions en inversant saint Georges et sa monture et conférant au site un aspect fantastique et poétique par la restitution appuyée de la végétation, notamment des iris.

Stella se sert, pour composer, d’un outil auquel il ne cessera de recourir et que sa formation de graveur lui a certainement inculquée, la pratique de l’inversion partielle, le plus souvent, comme ici, des personnages par rapport au décor. Le passage du dessin à la gravure le confirme et montre un changement d’état d’esprit étonnant. La feuille originelle recherche une forme de grandeur « classique », allant jusqu’à évacuer la princesse, veine « raphaëlesque » qui ouvre la suite de la carrière du peintre; l’estampe semble revenir plus nettement au contexte florentin, aux exemples de Callot et plus encore de Tempesta - il est vrai, également présent à Rome lorsque Stella s’y installe. Étonnant, mais pas contradictoire avec le processus qui peut agir dans le travail d’un artiste qui change de contexte : le dessin, dans les derniers mois de sa phase toscane, cherche encore et toujours à explorer les possibilités locales comme pour s’en échapper et affirmer sa singularité. Le caravagisme aura été un catalyseur, peut-être aussi la confrontation avec la tradition toscane qui se profile derrière la Cérémonie du Tribut, de 1621. En revanche, la gravure renvoie Stella aux acquis florentins, d’autant plus incontournables par le type de travail technique que cela suppose, et dans un contexte créatif très différent : elle tient lieu de bilan et de manifeste de sa virtuosité technique.

Il semble donc très vraisemblable que Stella, partant pour Rome, ait laissé cette feuille en cadeau à quelque ami ou protecteur florentin après en avoir conservé voire déjà retravaillé l’idée générale en vue de l’estampe. Cela explique aussi le laps de temps pour que cette dernière soit finalisée : les premiers mois à Rome furent sans doute accaparés par les impératifs de son installation, les premières opportunités...

S.K., Melun, février 2014

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