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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue
Paris, oeuvres datables de 1636-1638


Tables du catalogue : À Paris au temps de Louis XIII - Ensemble
Table Stella - Table générale
Début de mise en ligne en janvier 2021 - retouche : septembre 2021; mars 2022 - septembre 2022
La Vierge à l'Enfant, saint Jean et saint François, peinture Repos pendant la fuite en Égypte,
peinture
Vierge à l'Enfant à la pomme, peinture Sainte Cécile, peintures Sainte famille, sainte Élisabeth et saint Jean, peinture (Toulouse)
La Vierge à l'Enfant, saint Jean et l'agneau aux fruits, peinture perdue La Vierge à l'Enfant, sainte Anne tenant une rose, peinture Un jeune homme dans un hôpital, peinture Sainte Famille, saint Jean et l'agneau, peinture perdue (gravure Rousselet) La Vierge à l'Enfant, saint Jean et l'agneau, peinture (Montréal) L'adoration des bergers, peinture (Montargis)
La Sainte famille au lys, peinture perdue? (gravure de F. de Poilly) La sybille tiburtine, peinture Le mariage de la Vierge, peinture (Toulouse) Saint Joseph tenant l'enfant Jésus, peinture (gravure de Gilles Rousselet)
La Vierge adorant l'Enfant endormi Anne d'Autriche,
peinture.
Sainte Anne et la Vierge Saint Louis donnant l'aumône, retables de Saint-Germain (Rouen et Bazas) La Sainte Famille et le petit saint Jean parant l'agneau,
peinture.
Le détail de certaines références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver dans la Bibliographie.
La Vierge à l'Enfant, saint Jean et saint François, peinture
Huile sur ardoise (ou sur marbre?).
38,1 x 42,6 cm.

Historique : vente à Paris le 15 novembre 1791 (Nicolas Lejeune, commissaire-prieur; Joseph-Alexandre Lebrun, expert : « Saint François aux pieds de J.-C.; composition de quatre figures : les caractères sont beaux, remplis d'expression et de vérité; ce Tableau peint sur marbre est bien conservé », de 15 pouces de haut sur 17 de large). Vente Christie's New York, 21 octobre 1997, lot 13; vente Sotheby's New York, 28 janvier 1999, lot 403; coll. part. (C A New England Collection); vente Doyle, New York, 18 mai 2016; galerie Didier Aaron (Tefaf/salon Fine Art Paris, 2017).

Bibliographie : Didier Rykner, « Une foire de Maastricht riche d'enseignements », La tribune de l'art, 11 mars 2017 (dernière consultation, 24 janvier 2021).
Récemment réapparue, cette huile sur pierre peut toutefois être rapprochée d'une mention remontant à la période révolutionnaire, malgré une petite différence de support - marbre plutôt qu'ardoise. Je ne me prononcerai pas sur ce point dans la mesure où la confusion n'est pas rare, d'autant que l'ardoise est volontiers employée pour consolider au revers une peinture sur marbre. Pour le reste, description et format correspondent parfaitement, et l'attribution ne fait aucun doute.

Le style un peu affecté, un semblant de raideur dans les attitudes, des types physiques masculins encore marqué par le réalisme carrachesque joints à un coloris et un drapé étudiés, enfin la recherche idéalisante des figures de la Vierge et de l'Enfant, se combinent pour placer l'œuvre dans la phase de transition entre les dernières années italiennes et les premières de son retour en France. Les rapprochements avec des compositions contemporaines, font pencher la balance du côté de ces dernières. Pour s'en tenir à celles datées, on retrouvera ces éléments dans la Nativité (1635) de Lyon (ci-dessous) et, ajouté au parti d'un cadrage serré en largeur, la Bérénice/Semiramis (1637) du même musée (ci-contre).

On notera, en outre, le motif qui semble propre à ces années, de l'Enfant se déhanchant en soulevant un pied. Dans la Vierge à l'Enfant au petit saint Jean et l'agneau, dans lequel celui-ci porte des fruits, traduite par Gilles Rousselet et copié peu après par Pieter Overadt (ci-contre), il cherche ainsi à tendre le bras vers son cousin; dans le tableau de Toulouse, il y assure sa position en s'accrochant à sa mère. Ici, le pied est présenté à François qui s'en saisit pour l'embrasser, tandis que de la main droite, l'Enfant le bénit.

Il ne s'agit pas tant d'un geste d'humilité que de faire allusion aux plaies de la crucifixion qui attend Jésus au terme de son parcours, et qui s'imprimeront ensuite dans les stigmates du Poverello, comme autant de signes de son identification au modèle christique. On reconnaît d'ailleurs François par ses habits rapiécés ou la tonsure mais surtout par la main transpercée. Derrière lui se tient Jean-Baptiste adulte, tenant la petite croix autour de laquelle s'enroule le phylactère de son message, Ecce agnus dei, Voici l'agneau de Dieu - l'agneau du sacrifice.

L'image n'a évidemment aucune intention historique. C'est une image de dévotion dans l'esprit, particulièrement italien, peut-être, des sacra conversazione, saintes conversations rassemblant autour de la Vierge et de l'Enfant, différents saints de différentes époques. Daniel Arasse, dans un ouvrage magistral (L'homme en perspective, Genève, 1978), a mis au jour les processus iconographiques et esthétiques dont elles sont l'aboutissement. L'unification progressive de l'espace pictural à partir de polyptiques rassemblant des images de saints comme autant de statues tutélaires, propres au lieu, aux reliques et, de plus en plus, aux mécènes culminent dans les grands retables de Piero della Francesca, Bellini, Raphaël, Giorgione, Titien ou Corrège, entre autres.

L'enracinement probable de notre peinture dans cette tradition et la situation chronologique proposée plus haut suggère une identification pour le commanditaire. L'association des deux saints vénérant l'Enfant rappelle les propos de Félibien sur les circonstances l'installation à Paris : « Mre Jean-François de Gondy, alors Archevêque de Paris, lui ayant donné de l’emploi ». Jusqu'alors, rien n'avait pu être mis au compte de ce mécénat; peut-être parce que l'ouvrage en question était justement un tableau de dévotion. Le fait que le biographe en donne, comme incidemment, l'indication pour situer l'ordre donné par Richelieu à Stella de demeurer à Paris, oblige à souligner que les deux protecteurs de l'artiste se profilent derrière la tenture de la Vie de la Vierge à laquelle Stella contribuera par le Mariage de la Vierge de Toulouse.

S.K., Melun, janvier 2020

Bérénice/Semiramis, 1637. Lyon, Musée des Beaux-Arts.
Vierge à l'Enfant, saint Jean et l'agneau portant des fruits, gravé par Peter Overadt. 38, 4 x 28, 9 cm. Abbaye bénédictine de Goettweig. Repos de la Sainte Famille, le petit saint Jean et sainte Elisabeth.
Huile toile. 90 x 80 cm.
Toulouse, Musée des Augustins
La fuite en Égypte, peinture
Huile sur lapis-lazuli et ardoise. 11 x 9,5 cm.
Signé et daté au dos : Jac. (...)/Stella/Lugdunensis/(...?)1636 (?)

Localisation actuelle inconnue.

Historique : marché d'art italien en 2013.

Bibliographie :

* Catalogue de la galerie Alessandra di Castro, Lapis-Lazuli - Alberto e Alessandra di Castro, 2013, p. 32-33.

* Sylvain Kerspern, « De pierre et d'art III : Jacques Stella, tradition et innovation, répétition et variante en points de Fuite, site dhistoire-et-dart.com., mise en ligne le 10 janvier 2016



Voir la notice consacrée à cette peinture dans la section Rome-Lyon-Paris et sa retouche. Ci-contre la guirlande d'angelots de la Nativité du Musée des Beaux-Arts de Lyon, en renfort d'une lecture de la date au dos comme 1636.

S. K., août 2020

La Vierge à l'Enfant, qui l'embrasse en tenant une pomme, peinture.
Huile sur marbre (?). Dimensions inconnues.

Localisation actuelle inconnue.

Historique : collection Claude Vignon (inventaire après décès du 30 mai 1670, Arch. Nat., MC/ET/CV/836, p. 22)? Collection Mme X en 1926 selon une photographie noir et blanc à la BNF. Localisation actuelle inconnue.

Bibliographie :


* Charles Le Blanc, Manuel de l'amateur d'estampe, II, Paris, 1856, p. 61, Couvay n°10.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. III, 1954, p. 201.
* Marianne Grivel, Le commerce de l'estampe à Paris au XVIIè siècle, Paris, 1986, p. 409.
* Paola Pacht Bassani, Claude Vignon 1593-1670, Paris, 1992, p. 103, 110.
* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 128, fig. 17.
* Véronique Meyer, «Bosse, Rousselet et Vignon», Actes du colloque Claude Vignon en son temps, Paris, 1998, p. 190, 200 n°30.
La composition est connue par une gravure de Jean Couvay (vers 1605/1610? - avant 1678?) éditée par Claude Vignon (1593-1670), vraisemblablement dans le cadre du privilège accordé le 31 décembre 1638 ou de celui du 17 juin suivant, dont le cuivre figure dans l'inventaire après décès de Charlotte de Leu, première épouse du Tourangeau, en 1643. Elle doit correspondre à la peinture sur marbre mentionnée dans le même document et qui figure toujours dans les biens du peintre à sa mort en 1670. Cet historique peut expliquer pourquoi Geneviève Ballard, sa second épouse et Claude-François Vignon, fils de la première, se la disputent alors. L'original peut être identifié avec la peinture sur pierre en sens inverse connue par une photographie en noir-et-blanc aux Cabinet des Estampes de la BnF datée de 1926. On y devine les traces effacées (?) du rideau visible, qui était peut-être rehaussé d'or. On en connait par ailleurs plusieurs copies plus ou moins anciennes passées sur le marché d'art. Le marbre conservé par Vignon au long de sa vie et la gravure qu'il en a voulu tirer via Couvay témoigne d'une relation privilégiée au sein de la « clique » autour de leur ami commun, François Langlois, dit Chartres, qui aura facilité l'accès de Jacques aux artistes de l'édition; Couvay, donc, mais aussi Rousselet ou Bosse, pour des Vierges et autres Saintes familles par lesquelles il semble vouloir se faire connaître en France, alors que nous en avons assez peu d'exemples en Italie.

Ce marbre fut-il peint pour Vignon? Lorsque Stella le retrouve en France après l'avoir sans doute rencontré à Rome vers 1622-1623, Claude a déjà au moins huit enfants. La composition est stabilisée non seulement par la table mais aussi et surtout par la figure triangulaire dans laquelle sont inscrits la mère et le fils. Le dispositif avec rideau se place dans la thématique du « Dieu caché », à nous seul révélé, particulièrement pertinent pour l'enfance du Christ. Elle rencontre la pratique du collectionneur du temps, qui peut recourir, pour ses pièces insignes, à cet artifice pour n'en dévoiler les beautés qu'à la demande. Mariette voit dans la gravure « La Ste Vierge en demie figure recevant les caresses de son divin fils qu'elle porte entre ses bras », insistant sur la démarche de l'enfant et sur la tendresse ainsi exprimée. Elle gomme un peu de la gravité de l'embrassade visible sur la photographie. Marie est assise de trois-quarts et en répondant à la sollicitation de Jésus, tournant légèrement la tête, nous présente son lourd profil; ses lèvres, comme celles de Jésus, semblent tomber par l'inquiétude. Le ton moins enjoué - remarquons-le - est motivé par la pomme tenue de la main droite, qui renvoie au péché dont la Vierge fut exempte et que son fils vient racheter, mais par son sacrifice. Ainsi, au cœur même de ce qui pourrait caractériser l'insouciance, le poids de son destin se manifeste et nous est ainsi rappelé, par le symbole mais surtout par la psychologie.

Sylvain Kerspern, août 2020

La Vierge à l'Enfant à la pomme. Gravure de Jean Couvay.
BnF.
Sainte Cécile jouant de l'orgue, peinture (cuivre du Louvre).
Huile sur cuivre octogonal. 34,6 x 33 cm.

Louvre (Inv. 7968).



Historique (pour le détail, voir S. Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006) : Saisie chez l'émigré Quentin Crawford en 1797; passage au dépot de Nesle, puis par le ministère des Finances.

Bibliographie récente :

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 136, note 23.

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 127, cat. 64

* Thuillier 2006, p. 96
Le petit cuivre du Louvre est déjà la quatrième occasion, au moins, pour Stella de représenter la sainte patronne des musiciens, après l'image insérée dans les camayeux et la peinture, également sur cuivre, de Rennes (1626) puis dans la version de la galerie Aaron au clavecin. Par rapport à cette dernière, l'artiste développe le concours des angelots, dévoilé par un rideau relevé. Comme dans les premières versions, c'est un orgue portatif dont un angelot anime la soufflerie tandis que les deux autres accompagnent Cécile au chant.

Le lourd profil de la jeune femme m'avait incité, il y a vingt-six ans, à une datation tardive sur laquelle je suis revenu très vite, à l'occasion d'un catalogue tapuscrit remis à Gilles Chomer en avril 1996. L'émergence de la version sur ardoise au clavecin, qui propose l'essentiel des dispositions et dont le style permet une datation sans ambiguïté à Rome, en 1629 ou 1630, permet d'envisager une situation en effet bien plus haute. De plus, en comparaison avec les ouvrages de 1645-1650, le traitement du drapé, complexe et opulent, les mains fines, une certaine délicatesse du sentiment plus proche de Guido Reni que des modèles classiques de Raphaël, Giulio Romano ou de l'Antique, incitent à placer notre cuivre dans les premiers temps de l'installation à Paris. On en rapprochera notamment la Semiramis/Bérénice datée de 1637 (Lyon, Musée des Beaux-Arts) par le canon et le drapé opulent, la Vierge à l'Enfant à la pomme Vignon (gravée par Couvay) et la Sainte famille au mouton gravée par Rousselet, pour le visage féminin rond et lourd, notamment, et les types des angelots, œuvres cataloguées dans cette section.

La riche étoffe du manteau est un ornement dont Stella va progressivement se passer, en favorisant les tissus unis à l'antique. Elle vient accompagner la représentation d'un art aristocratique, de longue date libéral. On peut penser que ce cuivre ait été peint pour un noble commanditaire parisien, d'autant que son format et son support relève de la dévotion privée. Il affirme un goût raffiné dans le decorum comme par le coloris, et un soin dans la facture qui forme signature pour l'artiste. Il ira ensuite toujours plus loin dans l'épure et l'élégance : c'est le cas de la réplique passé sur le marché de l'art en 2014, notamment, sur marbre noir octogone, qui doit être située un peu plus tard et semble avoir perdu son rideau d'or, comme tant d'autre sur support minéral. En revanche celle sur toile, conservée au musée Granet est trop étroitement en rapport avec le cuivre du Louvre pour en être éloignée en date. À défaut d'avoir pu encore la voir, je remercie Mélanie Bernuz, documentaliste du musée, de la reproduction et des informations qu'elle m'a communiquées : les notes de l'ancien conservateur Louis Malbos font de Peter Fraser, autour de 1970, le responsable de l'attribution, partagée en 2006 par Sylvain Laveissière, deux avis que l'examen sur photographie en haute définition soutient.

S.K., Melun, septembre 2020

Toile. 37 x 31 cm. Aix-en-Provence, Musée Granet.

Historique : Vente 6 février 1786, Catalogue de tableaux des trois écoles..., collection Charles Paul Jean-Baptiste Bourgevin de Vialart comte de Saint-Morys, p. 18 lot 38 (toile, 15 x 11,5 pouces); acquis par De Champgrand (Charles-Jean Goury de Champgrand?, 1732-1799) pour 72 livres. Donation Jean-Baptiste Bourguignon de Fabregoules au musée Granet, 1860.
Historique : Honoré Gibert, Catalogue du musée, IIè partie, Aix, 1867, p. 135, n°352

Marbre noir. 36 x 30,5 cm. Coll. part. en 2006. Marché d'art en 2014
La Sainte Famille, sainte Élisabeth, saint Jean et un mouton dans un paysage, peinture.
Huile sur toile. 90 x 79,5 cm.



Toulouse, Musée des Augustins.



Historique (historique détaillé in cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006) : saisie révolutionnaire chez le duc de Penthièvre, Louis Jean-Marie de Bourbon, Grand Amiral de France au château de Chateauneuf-sur-Loire; envoi au musée de Toulouse en 1820.



Bibliographie :

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 135, note 18.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 131, cat. 67 BR>
* Thuillier 2006, p. 178-179 (après La Samaritaine pour le Carmel, de 1652)
Stella transpose ici en extérieur la composition de Montpellier, à ce jour prototype de ses variations sur l'enfance du Christ au mouton. L'ovale parfait du visage de la Vierge, idéal géométrique autant que sculptural, prolonge les recherches des dernières années romaines; l'Enfant propose une variation à partir de celle visible dans la gravure de Rousselet. Le mouton a vu son cou s'allonger. La palette chromatique est celle, entre autres, du Mariage de la Vierge que conserve le même musée, l'un des arguments qui m'avaient fait situer l'un et l'autre ensemble dans les premières années de la carrière parisienne en 1994, ce que je crois toujours vrai.

Sylvain Laveissière (2006) en rapproche, comme modèle influent, la Petite Sainte Famille de Raphaël, en France depuis au moins 1622 dans la collection de Loménie de Brienne (père du futur détenteur du Jugement de Pâris de 1650) et qui entrera dans les collections royales un peu plus tard (Louvre). Si le titre conventionnel est impropre (Joseph est absent), et si la critique s'accorde aujourd'hui à y voir l'exécution de Giulio Romano, on peut croire que la représentation d'Élisabeth, sa pose comme son costume, notamment le turban serré, y trouve sa source.

Semblable référence n'est pas pour étonner de la part de Stella. La combinaison de la stricte construction géométrique et de préoccupations psychologiques de la Vierge à l'Enfant à la pomme cataloguée plus haut sur cette page renvoie aux Vierges que l'Urbinate multiplie dans les dernières années à Florence avant de gagner Rome, comme autant d'exercices pour la mise en place d'un vocabulaire classique efficace. Le coloris, qui s'éclaire par rapport au tableau de Montpellier pour tendre vers un coloris laiteux, suit une évolution comparable à celle de Vouet au moment de son retour en France. En revanche, la recherche de formes plus denses, sinon plantureuses, pourrait découler de la découverte des œuvres de Jacques Blanchard (1600-1638), qui va bientôt disparaître en pleine gloire. Il multiplie les Vierge et les Charité propices à autant de représentations de maternités.

Ajouté au calme de la composition, peut-être aussi au format presque carré, cette inflexion donne à une toile de taille relativement modeste un aspect monumental. Joseph, tout à son rôle protecteur, est aussi impliqué dans son action - installer le rideau pour cacher au monde l'enfance du Christ - que le mouton. Les échanges sont ailleurs. Élisabeth présente son fils, avançant mains jointes avec humilité; Jésus s'accroche au foulard de sa mère pour tendre sa main droite vers son cousin, en guise de bénédiction. Si le sujet n'a pas de justification historique, la tension que manifeste son action est celle de l'histoire à venir, du passage du giron de sa mère à la prédication puis la Passion. L'agneau tenu à l'écart donne à la scène tout à la fois une saveur naturaliste et une plus grande gravité que ce que l'on voit à Montpellier ou dans la gravure de Rousselet, ouvrages dans lesquels on peut s'amuser du rôle de conducteur du Baptiste.

S.K., Melun, août 2020

(ci-contre) Atelier de Raphaël
Petite Sainte famille.
Bois, 38 x 32 cm.
La Vierge à l'Enfant, le petit saint Jean et un mouton (qui porte un sac de fleurs), peinture
Tableau perdu.

Gravé par Gilles Rousselet(1610-1686). Trois états connus signalés par Véronique Meyer (2004, n°24) :
1. édité par Rousselet lui-même;
2/3. édités par Jean Le Blond (1590/1594-1666); avec la lettre dans la marge : Proprias oves vocat nominatim, et educit eas/ Joan cap. 10; au dessous : Ægid. RousSelet Sculpsit cum Privilegio Regis. Le Blond excud. J. Stella pinxit.

Gravure copiée en contre-partie éditée par Peter Overadt, graveur allemand installé à Cologne (actif de 1590 ca. à 1652) (exemplaire Abbaye de Göttweig, Autriche; 38,4 x28,9 cm).



Bibliographie
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 220.

* Véronique Meyer, L'œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle, Paris, 2004, n°24.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 106.
La composition gravée par Rousselet au plus tard en 1651 (puisque copiée par Overadt l'année suivante) reprend certains éléments de la Sainte famille du Musée Fabre de Montpellier (de 1632 ou 1633). Elle en soustrait Joseph et l'ange volant, fait se lever l'Enfant sur les genoux de sa mère mais ne modifie guère son cousin et le mouton qu'il conduit, portant un bât rempli de fleurs. On peut en rapprocher encore le Repos de la Sainte Famille avec sainte Élisabeth et le petit saint Jean du musée des Augustins de Toulouse (catalogué ci-dessus), en particulier pour la pose de l'Enfant et le drapé de sa mère. Si la composition garde une certaine raideur, les formes gagnent en densité, comparable en cela à cette Sainte famille. Il est donc vraisemblable que Rousselet traduise ici une des premières compositions peintes par Stella dans la capitale.

Le mouton est perçu comme l'animal soumis au sacrifice pour faire allusion à celui à venir de Jésus sur la croix. La citation de l'Évangile de Jean (tirée du chapitre 10, verset 3) mise en commentaire renvoie plutôt au thème du Bon pasteur. Le geste de la main figurerait alors l'appel de ses brebis que constitue sa venue sur Terre, secondé ou, pour mieux dire, préparé par le Baptiste. Ainsi, plutôt que la simple restitution d'un épisode de l'enfance du Christ, Stella suggère en réalité tout un apparat théologique propre à la spiritualité du temps.

S. K., août 2020

La Vierge à l'Enfant à qui sainte Anne montre une rose qu'elle tient, peinture.
Huile sur toile. 50,2 x 43,3 cm.



Localisation actuelle inconnue.



Historique : Langton R. Douglas, London; William Randolph Hearst collection; don au Los Angeles County Museum of Art in 1951, inv. no. 51.16.1; vente Sotheby's New York, 30 janvier 2014, lot 253.



Bibliographie :
* Wescher P., A Catalogue of Italian, French and Spanish Paintings, XIV - XVIII Century, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles 1954, p. 60, cat. ° 59, repr. fig. 59 (comme Sebastien Bourdon)
* Pierre Rosenberg, cat. expo. La peinture française du XVIIè siècle dans les collections américaines, Paris - New York - Chicago, 1982, p. 376, repr. (anonyme)
* Schaefer S., et al., European Painting and Sculpture in the Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles 1987, p. 58, repr.
* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires» (après la figure 28), site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006
Une méprise peut parfois aboutir à une juste identification. L'examen de la vignette de quelques centimètres d'une peinture anonyme publiée par Pierre Rosenberg en 1982 en annexe du catalogue de l'exposition sur la peinture française du XVIIè siècle dans les collections américaines m'avait fait voir un chat guettant un oiseau que la vieille femme tiendrait dans sa main, à mettre en relation avec une peinture passée dans la vente Chiquet de Champ Renard le 14 mars 1768 (n°73). Une meilleure photo me fit réaliser que le chat était en fait une sculpture de lion couché et l'oiseau, une fleur.

Le paysage à palmier enchâssant les formes géométriques comme l'humeur du ciel d'apparence « romantique », auront vraisemblablement suscité le nom de Sébastien Bourdon (1616-1671) mais la typologie des personnages n'a guère à voir avec la sienne. Le nom plus obscur de Licherie de Beurie (1642-1689) préféré ensuite doit plus tenir à une culture classique commune à son maître, Charles Le Brun (1619-1690). La connaissance du tableau de Cherbourg (ci-contre) l'aura peut-être favorisé mais les rapprochements ne vont pas au-delà de cette culture issue de Raphaël, en particulier du modèle du Louvre déjà cité pour la Sainte famille de Toulouse; Licherie fut ami d'Antoine Bouzonnet Stella et Claude Audran, qui partagèrent avec lui une importante commande pour la Chartreuse de Bourg-Fontaine dans les années 1680. L'exposition programmée au musée normand pour cette année apportera certainement des éclaircissements sur l'artiste. Le seul drapé, plus raide et cassé à Cherbourg, suffit à lui enlever le tableau naguère au Los Angeles County Museum of Art. L'approche stylistique favorable à Stella me semblant toujours pertinente, il fallait encore lui trouver une place dans son parcours.

Le drapé comme les physionomies relèvent de la période faisant suite au retour en France du Lyonnais par l'alliance entre la discipline antique, dans l'arrangement des étoffes comme dans l'aspect de masque, lisse, de certains visages, et des notations encore « réalistes ». Le coloris joue alors notamment d'associations de tons secondaires adoucis, rouge-orangé, rose, bleu laiteux, mais aussi d'ombres encore prononcées. De ce qui en témoigne, la Sémiramis/Bérénice de 1637, les retables de Saint-Germain et le carton pour la tapisserie de Notre-Dame de Toulouse offrent les points de comparaison les plus nets. D'autres peintures, comme celles pour le Carmel de Pontoise et la Nativité de Barnard Castle (1639), montrent semblables fond d'architecture à coulisses complexes, « cubistes ».

Point d'enfant pour accompagner la vieille femme; il s'agit non d'Elisabeth, mère de Jean-Baptiste, mais d'Anne, mère de Marie. La rose qu'elle tient désigne autant la Vierge, dont elle est un des symboles, que la Passion à venir. L'élan de l'Enfant atteste de l'acceptation spontanée de son funeste destin, le possible retrait de la main de sa grand'mère, de la conscience qu'elle peut en avoir, ainsi que sa fille, songeuse. Le paysage crépusculaire vient participer à cette grave méditation, comme un commentaire naturel à l'histoire humaine.

S.K., Melun, mars 2022

Sébastien Bourdon
Sainte famille avec saint Jean et sainte Elisabeth.
Toile. 64 x 80 cm.
Dijon, musée Magnin
Louis Licherie
Sainte famille, sainte Elisabeth et saint Jean.
Toile. 85 x 111 cm.
Cherbourg, Musée Thomas-Henry
Atelier de Raphaël
« Petite Sainte famille », Vierge à l'Enfant, saint Elisabeth et saint Jean.
Bois, 38 x 32 cm. Louvre
Stella
La Sainte famille, sainte Elisabeth et saint Jean.
Huile sur toile. 90 x 79,5 cm.
Toulouse, Musée des Augustins.
Jacques Stella, retables de Saint-Germain
(Rouen, Musée des beaux-Arts -Bazas, cathédrale).
(à droite) Semiramis/Bérénice, 1637.
Lyon, Musée des Beaux-Arts.

(à droite) Le Mariage de la Vierge.
Toulouse, Musée des Augustins
Un jeune homme dans un hôpital, peinture.
Huile sur bois. 40 x 52 cm.

Localisation actuelle inconnue.



Historique : Galerie Canesso en 2001.

Bibliographie :

* Jean-Claude Boyer, «Richelieu et la « curiosité » : quelques remarques, Actes du colloque Richelieu, Patron des arts, Paris, 2009, p. 381 (planche VII).
L'attribution de ce petit panneau peint revient à Jean-Claude Boyer (2009). J'avoue avoir d'abord été dubitatif, puis la mise en ligne du catalogue de la période italienne jusqu'au passage par Lyon de Stella m'a progressivement amené à reconsidérer son statut : elle tendait à donner du crédit à une situation au retour de Rome, au tout début de la carrière française. Durant ces années, Jacques a volontiers incliné la tête de certains de ses personnages, suivant un goût sentimental emprunté à Guido Reni. Le poncif persiste encore dans les premiers temps de son installation en France, par exemple pour la Vierge de l'Adoration des anges de Lyon (1635) ou celle du Mariage de Toulouse, et c'est sans doute lui qui nous vaut la position un peu curieuse de la tête de Joseph dans les gravures de Rousselet et Smith de la Sainte Famille au mouton. Ici, il sert à exprimer la faiblesse du malade. Le drapé et les mains menues sont pareillement ceux que l'on peut voir dans cette période de transition; quant au type physique du malade , il est proche du saint Joseph de la Sainte famille au berceau de 1637.

Le panneau représente un scène d'hôpital. Un second lit, qui se profile au fond, rappelle l'image donnée par Abraham Bosse de l'infirmerie de l'hôpital de la Charité à Paris, desservi par les frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu (exemplaire de Carnavalet ci-contre), fondation du cardinal de Richelieu et possible destinataire justifiant ses armes qui apparaissent suspendues au pied du lit, plus vraisemblable que la commanderie de Bicêtre, entreprise plus tardive. Il ne s'agirait pas nécessairement, pour autant, d'un élément de son décor mais plutôt d'orner un lieu à la gloire du cardinal, sans doute une de ses demeures. Malheureusement, elles sont assez mal connues, en particulier celles parisiennes, rapidement passées en d'autres mains qui n'ont pas manqué d'imprimer leur marque en supprimant la sienne. Ainsi pourrait s'expliquer le peu de peintures de Stella conservées pour le cardinal contraire au témoignage de Félibien.

Ce ne peut être qu'un élément de lambris parmi d'autres, ce qui rend son appréciation difficile. Je répugne à envisager un atelier de Jacques Stella avant l'apprentissage des Bouzonnet, et même alors, selon ce que peut recouvrir l'expression. La contribution du frère cadet, François, n'est pas impossible entre 1636 et 1643, année au cours de laquelle il se marie et doit prendre son indépendance. Mais dès 1639, Stella le jeune semble travailler pour son compte au service du roi, à Saint-Germain. Au demeurant, c'est bien le style de l'aîné qui se perçoit dans notre panneau. Aussi modeste soit-il, il témoigne donc de sa pratique en grand décor pour un compartiment secondaire. Il y montre cette association de rigueur dans la composition et de recherches psychologiques dans l'animation du sujet qui fonde ses recherches jusque dans les moindres détails.

S.K., Melun, septembre 2020

Sainte famille au lys et au berceau, 1637.
Cuivre. 29,9 x 42,5 cm.
Localisation inconnue
Abraham Bosse, L'infirmerie saint Louis de l'hôpital de la Charité de Paris, vers 1635-1640.
Gravure. 26,2 x 32,5 cm.
Carnavalet
La Vierge à l'Enfant chevauchant un mouton conduit par le petit saint Jean,
peinture perdue
(connue par la gravure de Gilles Rousselet)
Tableau perdu.

Gravé par Gilles Rousselet(1610-1686). Trois états connus signalés par Véronique Meyer (2004, n°35), le troisième édité par Jean Le Blond (1590/1594-1666); avec la lettre dans la marge : Cum leonibus lusit quasi cum agnis, et in Vrsis Similiter fecit / In agnis ovium, in Juventute Sua. Ecclesiasticj Cap. 47; au dessous : J. Stella pinxit Ægid. RouSselet fecit et excudit Cum Privil. Regis. Le Blond excud.; état avec l'excudit de Pierre Mariette (v. 1603-1658) à l'Espérance, apparemment inconu de l'historienne d'art à l'Albertina; l'excudit initial de Rousselet semble gratté (état 1 bis?).

Ci-contre, exemplaire de la Harvard University, Harvard Art Museums/Fogg Museum, Gift of Belinda L. Randall from the collection of John Witt Randall (état 2 avec contretaille et excudit de Rousselet mais sans l'adresse de Le Blond)

Gravé en manière noire par John Raphael Smith (1751-1812) avec attribution à Guido Reni et datation du 7 avril 1777. 50 x 35 cm. Exemplaire annoté au British Museum (voir plus bas).


Bibliographie

* The Marriage, Baptismal, and Burial Registers of the Collegiate Church Or Abbey of St. Peter, Westminster, éd. The Harleian Society, vol. X, London, 1876, p. 454.

* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 220, n° 61.

* Véronique Meyer, L'œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle, Paris, 2004, n°35.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 122.

* Thuillier 2006, p. 110 (gravure de Rousselet rapprochée du tableau de Cherbourg)
La composition n'est plus connue aujourd'hui que par la gravure de Gilles Rousselet (1610-1686) et par d'assez nombreuses copies, notamment dans les églises de France, qu'elle a dû susciter. La lettre cite l'Ecclésiaste, et plus précisément l'éloge du roi David qui, dans sa jeunesse, s'était joué des lions comme d'avec des agneaux, et avait traité les ours comme les petits de brebis. Elle place le Christ enfant comme héritier de David non seulement par descendance mais aussi par son comportement, sa capacité à monter un agneau en étant l'illustration littérale, à affronter la Passion, celle symbolique.

Le tableau perdu pourrait être passé en Angleterre dès le XVIIIè siècle : John Raphael Smith (1751-1812) le grave en 1777, en donnant significativement - mais fautivement - la paternité de l'invention à Guido Reni. L'exemplaire au British Museum porte le projet de lettre suivant : Guide Pinxit (sous l'image à gauche) J.R. Smith fecit (idem à droite) To the R. Hon.e L. Waltham Person of Phillipstown in the Kingdom of Ireland, this print engraved from on original picture / in the possession of the Rev.d D.r Morgan Confessor of his Majestys Household, is humbly inscribed by his Lordships obedient serv.t / John Raphael Smith (plus bas). Le propriétaire nommé est David Walter Morgan (1734-1795), confesseur de George III.

L'invention est le prototype d'une composition sur lequel Stella reviendra au moins deux fois : une première fois, quelques mois plus tard, dans l'ardoise de Cherbourg, puis une petite quinzaine d'années plus tard, dans la toile de Dijon (1651). Il propose une alternative à la scène montrant l'agneau conduit par le petit saint Jean vers son cousin, que Stella avait peint à Rome et qui est aujourd'hui à Montpellier. Notons au passage le drapé, mou et rond, des habits de Joseph, que l'on sent proche de celui de la Vierge tel que gravé par Rousselet, quoique plus complexe, ce qui place cette composition, sans doute française puisque traduite par ce dernier, dans les premiers temps de l'installation parisienne.

Le « moment » est un peu différent : Joseph faisait apparemment la lecture à Marie, qui a quitté sa chaise pour installer l'Enfant sur l'agneau, et l'accompagner sur le chemin que lui propose son cousin en attirant l'animal par quelques brins d'herbe. Stella n'a pas encore mis en place une de ses trouvailles personnelles qui apparaît dans la peinture de Cherbourg : le Baptiste tient encore son bâton comme une canne alors qu'il s'en servira ensuite comme un enfant jouant au Dada - l'un de ses Jeux et plaisirs à venir.

Le patronage supposé de Guido Reni confirme, d'une certaine façon, une situation proche du séjour italien; j'ai pu souligner, à plusieurs reprises, pour certaines œuvres de cette période, le regard manifeste de Stella sur son homologue bolonais. Pour autant, une autre émulation a pu jouer, celle de la découverte du style plantureux de Jacques Blanchard (1600-1638), l'incitant à donner plus de consistance et de profondeur à ses ouvrages, par le drapé comme par les types physiques, comme le suggère la comparaison avec la Sainte famille de Montpellier. Son exemple put aussi stimuler le Lyonnais dans son intérêt pour l'enfance, sa psychologie et leurs représentations.

S. K., septembre 2020

L'adoration des bergers, peinture.
Huile sur toile. 187 x 241 cm.

Montargis, Musée Girodet.


Historique : acquisition du musée en 1867 (Levain et Ballot 1874)

Bibliographie :

* A. Levain et Dr Ballot, Catalogue des tableaux, dessins, gravures, objets d'art et de curiosité appartenant au musée de Montargis, Montargis, 1874, n°28, p. 20 ( Ec. fr. fin XVIIIè s.; 182 x 236 cm).

* (Paul Lemariée) Catalogue des tableaux, dessins, gravures, objets d'art et de curiosité appartenant au musée de Montargis, Montargis, 1885, n°108, p. 16 (Idem).

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 127, fig. 19, et 128.

Nota : Je remercie Sidonie Lemeux-Fraitot, conservateur du musée, d'avoir confirmé l'identification avec les mentions des catalogues ci-dessus, ainsi que Patricia Clément. Le tableau est actuellement (janvier 2020) en cours de restauration.
Le motif du saint Joseph plongé dans la lecture, accoudé au piédestal de l'architecture, qui se retrouve dans une gravure de François de Poilly d'après Stella m'a suggéré l'attribution proposée dans mon étude pour la Gazette des Beaux-Arts en 1994. En travaillant sur le tableau de Condé et son attribution à Le Brun, j'ai relevé le détail de l'ange mains jointes se penchant sur l'enfant Jésus de la gravure de Daret d'après Vouet, et sa composition pour Rueil, une des demeures du cardinal de Richelieu, datable vers 1633, dans le sens de la gravure, de 1638. Il y a là de quoi interroger sur le statut du tableau, dont l'état fatigué perturbe l'examen.
François de Poilly d'après Stella,
Sainte famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau.
Gravure. 39 x 49 cm.
BnF
Pierre Daret d'après Simon Vouet, Nativité.
Gravure, 1638.
Harvard
D'ordinaire, constater une reprise dans le sens de la gravure - des gravures, en l'occurence - jette le doute sur le caractère original : nous serions alors confronté à un montage, certes de qualité, mais d'une autre main habile dans le pastiche à la manière de Senelle dans son usage des gravures de Pietro Testa. Ce que l'on sait des pratiques de Stella peut aller à l'encontre de cet a priori négatif : il joue volontiers de l'inversion d'une interprétation à l'autre d'un sujet, et dans la préparation même d'une seule œuvre. L'emprunt à Vouet ou, pour mieux dire, sa citation, désigne une peinture que Stella, retenu par Richelieu pour le roi, eut le loisir d'admirer, puisqu'elle ornait la chapelle de son château de Rueil. C'est de cette demeure, non loin de Saint-Germain, que Sublet écrit la lettre invitant Poussin au nom du roi en janvier 1639. La mise en page, en particulier le bâtiment associant maçonnerie et poutre brisée en perspective, conforte l'idée d'une variation partant des propositions de Vouet.
Le sujet du tableau de Rueil, une Adoration des anges, avait été traité par Stella dans une version majestueuse incluant Dieu le père pour les Cordeliers de Lyon en 1635. Celui de Montargis pourait avoir été conçu comme une transposition pour une Adoration des bergers, thème pour lequel nous disposons d'un double précédent de 1631-1632, un dessin au Louvre et la gravure pour le Breviarium romanum. S'y trouvent des éléments présents à Montargis, en particulier dans l'estampe : l'arc brisé au fond, mangé par le lierre, le berger au long bâton (houlette devenue crosse), celui agenouillé de dos à contre-jour de la lumière émise par l'Enfant en 1632, par l'apparition céleste d'un ange dans notre toile, ou encore les visages rapprochés dans l'ombre; la pose de la Vierge combine les deux propositions romaines, la plaçant derrière son fils tenant le drap pour le dévoiler. Ce ne sont pas seulement des points de détail mais bien, pour certains, des partis de composition propres à Stella, en sorte qu'il semble difficile de considérer qu'il s'agisse d'un artiste en dehors de son cercle. Envisager le frère cadet serait pure conjecture et certains indices permettent de conserver l'œuvre à Jacques, en espérant bénéficier quelque jour d'arguments supplémentaires permettant de trancher.
L'adoration des bergers, 1631.
Dessin. 28,5 x 18 cm.
Louvre
Charles Audran d'après Stella.
L'adoration des bergers.
Gravure, 1632.
BnF
On trouvera sur cette page comme dans celles consacrées à la période (réunies dans ce sommaire) de quoi en conforter l'idée. Ainsi du traitement des mains (Sainte Cécile du Louvre, Repos de la Sainte famille et Mariage de la Vierge de Toulouse... ), des ports de tête rapprochés en frise (Saint Louis de Bazas, mais aussi Bérénice de 1637...), coloris « blond », autant dans la chevelure de la Vierge que dans la tendresse du rouge de sa robe (à nouveau les peintures de Toulouse) tout en jouant du clair-obscur qui témoignent d'une persistance de l'expérience italienne, également sensible dans le naturalisme du berger de dos, avalisé par la confrontation avec Blanchard. Cette inscription naturelle dans un cadre chronologique précis - les débuts de la carrière parisienne - m'incite donc à confirmer ici la proposition faite en 1994, et jusqu'à sa situation approximative lors de l'installation au service du roi et de son principal ministre, vers 1636.
Malgré un état, répétons-le, fatigué, cette toile montre l'artiste se confrontant à ce qu'il découvre en France, et singulièrement chez l'un de ses protecteurs et commanditaires. On peut se demander si la citation très directe ne s'inscrirait pas dans la logique du patronage, en envisageant pour client un des personnages gravitant autour du cardinal. Il ne s'agirait, au demeurant, que d'intégrer l'invention d'un confrère, comme il le fait avec Cortone pour la Bérénice de Lyon (1637), à une conception ébauchée quelques années plus tôt. Comme pour son Adoration des anges de Lyon (1635), il associe encore un semblant de spectaculaire - les apparitions célestes - au souci grandissant d'intériorisation, privilégiant les dialogues rapprochés sinon un certain repli sur soi. De ce point de vue, Joseph, à part, perdu dans sa lecture, donne le ton de ce que d'aucuns taxeront de froideur mais qui appelle le spectateur à percevoir l'histoire comme objet de méditation. Le père, sorti de son rôle protecteur, semble chercher dans son ouvrage quelque explication; la scène qui se déroule derrière lui en dénoue le mystère en associant reconnaissance des bergers, appel de l'ange et révélation par Marie. L'état d'enfance, jusque là considéré comme vil, nourrit désormais le thème du Dieu caché aussi bien que les dévotions d'un Bérulle, et Stella, qui produira bientôt ses Jeux et plaisirs de l'enfance, était assurément des mieux placés pour en illustrer le propos. De fait, son enfant Jésus est assurément, dans le naturel de sa pose, dans la sensibilité des carnations, le point d'orgue de son ouvrage.

S.K., Melun, janvier 2021

Retouche, septembre 2022.

Suite aux inondations qui ont affecté le musée, le tableau a fait l'objet d'une restauration. Nous avons eu l'occasion de le voir cet été, grâce à l'extrême disponibilité de Sidonie Lemeux-Fraitot, ainsi que de l'équipe du musée, qui nous ont permis de prendre connaissance, par surcroît, du dossier le documentant.

J'ai ainsi appris que le tableau avait été acheté au XIXè siècle probablement à Paris, et qu'il avait été rapproché, sur photographie, de Stella dès 1987 par Pierre Rosenberg, à cette réserve qu'il n'y voyait pas une peinture autographe mais une copie ou une œuvre de l'atelier. On peut le comprendre au regard de l'état du tableau que la restauration de 1961 (Atelier Moras) et celle toute récente (Mélanie Curdy avec la collaboration de Patricia Vergez, Pauline Lascourreges et Chantal Burereau) n'ont pu tout à fait rétablir - fort heureusement, dois-je dire, car il était difficile de faire plus sans repeindre. Est-ce à dire qu'il n'est plus possible de trancher? Je ne le crois pas et le dossier de restauration donne d'intéressants éléments d'appréciation pour ce faire.

La double préparation, rouge sombre puis grise, « qui offre une assise colorée claire et froide à la peinture » correspond bien à ce que l'on peut savoir pour Stella. Il en va de même de la constitution de la couche picturale, très fine, « constituée de glacis superposés avec beaucoup de raffinement. Les couleurs tel le bleu du manteau de la Vierge (lapis lazuli?), le rouge de sa robe, sont d'une grande richesse ».

Le détail ci-contre en haut met en évidence le contraste entre le groupe central de la Vierge, à la matière dense, au coloris éclatant et la figure de Joseph dans l'ombre, presque fantômatique. La qualité de l'Enfant et du berger, sur le détail suivant, confirme cette distinction, qui vaut aussi par rapport à la partie avec les bergers debout. Elle pourrait être la conséquence d'une phase au cours de laquelle la toile aurait été pliée en sorte que la partie centrale souffre moins de conditions de conservation difficiles. À moins que la seule usure globale ait eu raison de la subtilité des glacis : leur disparition alors qu'ils jouent un rôle capital dans la restitution du clair-obscur est évidemment plus sensible dans les parties gagnées par l'ombre, ce qui explique le côté informe du manteau de Joseph, la réapparition de repentirs, notamment pour son bras le rendant ainsi moins lisible et convaincant au contraire de celui du berger agenouillé, des carnations fatiguées, l'aspect presque schématique des physionomies des bergers debout et les transparences laissant filtrer une couche colorée inférieure.

Ceci étant, pour spectrale que semble la tête du père de Jésus, elle est esquissée avec une maîtrise, une économie de moyens qui restent impressionnantes, ce que la reproduction ci-contre ne restitue pas pleinement. Les trois têtes à l'autre bout de la toile combinent profil ou trois-quarts « classiques » et face plus pittoresque, qui correspondent bien à cette phase d'acclimation du bagage italien au contexte parisien. En conséquence, que ce soit par la consultation des éléments techniques du dossier de restauration ou par l'examen direct, je ne peux que confirmer le caractère autographe de ce tableau, certes fatigué, mais qui montre encore de très beaux passages autour de son groupe central, en pleine lumière.

S. (et Raphaëlle) K., Melun, 15 septembre 2022.

Sainte famille au Lys, l'enfant debout sur une table; peinture
(gravée par Nicolas de Poilly)


Gravure par Nicolas de Poilly (1627-1696). 34,6 x 35,4 cm (avec la marge) / 30,2 x 35,4 (image seule). BnF.
- 1er état sans les armes et pour seule inscription N. Poilly f. sur la table à l'Albertina (selon Lothe 1994).
- 2è état, dans la marge inférieure, au centre, armes d'un chevalier non identifiées; au bas à gauche : Poilly scu.; à droite : a paris Chez pierre Mariette Le fils Rue St / Jacques aux Colonnes dherculle.

Bibliographie :

* José Lothe, L'œuvre gravé de François et de Nicolas Poilly d'Abbeville graveurs parisiens du XVIIè siècle, Paris, 1994, cat. NdP 58.

* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 220.

* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 108.

Une peinture sur bois en sens inverse de la gravure de Poilly (avec quelques variantes dans le rideau et dans le voile de l'enfant) est passé sur le marché de l'art dans les années 1990. Il porte un nombre peint qui rappelle une pratique propre à l'Ermitage. Si le coloris - avec la note violette - et certains passages pourraient convaincre, l'ensemble est décevant mais il est difficile de trancher entre une copie ancienne et une œuvre originale ayant subi un nettoyage trop énergique, faisant, par exemple, resurgir le rouge de la robe sous le beige du foulard. Ceci étant, la gravure suggère pour ce dernier un motif imprimé qui n'apparaît pas dans la peinture.

Le style aux formes massives, encore marquées par les exemples italiens, impose une situation dans les premières années parisiennes. On rapprochera notamment le dessin bouffant au niveau des hanches de la silhouette dessinée par la robe sur laquelle revient le manteau bleu de celui de l'héroïne de l'ardoise de Lyon, de 1637 (ci-contre), qui montre, il faut le noter une note violine comparable à la tunique de Joseph du panneau Aaron. Une telle situation est d'autant plus probable qu'on ne peut manquer de voir dans le format, en largeur, et la composition, avec cadrage serré sur des personnages plus ou moins à mi-corps, une réaction aux propositions similaires d'un artiste que Stella doit plus largement découvrir en arrivant à Paris, Jacques Blanchard. La référence tient du vivant de l'artiste ou peu après sa disparition, qui survient pour le « Titien français », en 1638.

Jacques Thuillier (2006) avait noté que les sujets au lys avaient fleuri dans les premiers temps de son installation à Paris, suggérant un lien avec la question de la succession de la monarchie française, résolue par la naissance en septembre 1638 du dauphin Louis. On ne saurait trop lier ces variations à ce dernier évènement puisqu'au moins une des peintures - la Sainte famille passée en vente en Suède - semble bien datée de 1637. Il est en revanche vraisemblable que ces ouvrages marquent l'allégeance au roi, et témoignent du fait que celui qui venait d'être retenu pour l'un de ses peintres se sera rapidement gagné une clientèle de courtisans. Il produit ici un des nombreux exemples de scènes familières dans lesquelles il faisait merveille, par les subtiles relations tissées entre l'enfant et ses parents, autour du lys et du rôle paternel, toutes d'intériorité.

S. K., décembre 2020

Huile sur bois. 50 x 65,5 cm.
Historique : vente Philips Londres 2 juillet 1991,l ot 64. Chez Didier Aaron en 1995. Vente Christie's New York, 23 mai 1997, lot 67. Vente Maigret Drouot 12 juin2009, lot 36. Localisation actuelle inconnue (remerciements à Jérôme Montcouquiol).
Bérénice/Semiramis, 1637. Lyon, Musée des Beaux-Arts.
Jacques Blanchard, La Sainte famille, sainte Élisabeth et saint Jean
Huile sur toile. 76 x 109 cm. Louvre
La Vierge à l'Enfant et saint Jean ornant l'agneau de fleurs, peinture.
Huile sur ardoise. 30,5 x 23 cm.

Montréal, Musée des Beaux-Arts.



Historique : Vente Vincent Donjeux, marchand Paris 29 avril 1793, p.90, n°316 (10,5 pouces x 9; acquis 300 livres par « P. » (Paillet) selon le catalogue de l'Inha)? Collection Hamilton Palace; vente Christie's 24 juin 1882, acquis par H. Nathan. Don de Lord Strathcona en 1927.

Bibliographie :

* Pierre Rosenberg, « France in the Golden Age : a postcript », Metropolitan Museum Journal, vol. 17 (1982), p. 23-46

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 132, cat. 68
Cette peinture, découverte par Pierre Rosenberg, est généralement située plus ou moins tard dans la période française. L'époque charnière de l'installation en France me semble la plus vraisemblable. Dans la gravure pour l'Accademia Partenia, forcément romaine, nos deux enfants trouvent des cousins, autant dans les types que dans la psychologie et la gestuelle; l'un qui agit avec détermination et l'autre qui le suit non sans être interloqué, d'où une datation assez haute. La matière nourrie dans la touche est aussi visible dans les deux marbres montrant Joseph et la femme de Potiphar et Suzanne et les vieillards (1631), dans L'adoration des anges de Lyon (1635) et perdure dans Semiramis/Bérénice, du même musée et de 1637. Quant au type plus « terrien », j'ai suggéré ailleurs qu'il soit une possible réaction aux exemples de Blanchard, d'actualité alors et qui s'estompe nécessairement après la disparition de ce collègue.

Stella emploie ici un motif répété dans ces années (exemplaires des Uffizzi et naguère à la Galerie Éric Coatalem). L'Enfant sur les genoux de la Vierge pare de fleurs l'agneau que le petit saint Jean lui apporte. À la différence de la version toscane mais comme dans deux Saintes familles du même temps ou peu s'en faut (voir plus bas), la Vierge participe en fournissant son fils en fleurs. Le schéma insistant sur l'oblique de Marie à Jean est plus nettement dominée par la jeune femme, plus au centre, et les échanges de regard tissent plusieurs dialogues muets. Pas réellement d'inquiétude sur le visage de Marie, privilégiant le jeu alors que le profil du Baptiste semble interrogateur. La gestuelle, plus encore que l'expression, souligne avec quelle autorité Jésus s'applique à son occupation, alors que ses yeux semblent se diriger vers son cousin; comme si le peintre venait de capter le moment où le symbolisme prophétique de la scène, présageant des Rameaux et de la Passion, venait d'être suggéré par Jean.

S.K., Melun, janvier 2021

La Vierge, l'Enfant, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 22,5 x 18,2 cm.
Offices.
La Vierge, l'Enfant, saint Jean et l'agneau
Huile sur marbre. 30,5 x 22,8 cm.
Galerie Éric Coatalem en 2012.
La Sainte Famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 42 x 40 cm Coll. part.
La Sybille tiburtine, peinture.
Huile et or sur marbre. 29,8 x 26,5 cm.

Localisation actuelle inconnue



Historique : Galerie Didier Aaron en 1995. Localisation actuelle inconnue.

Bibliographie : apparemment inédit hors publications de la galerie.

On peut identifier cette figure par l'inscription portée sur le rouleau qu'elle déplie : « O FELIX / ILLA MATER / SIBILLA TIBURTINA ». Texte, coupelle et palme se retrouvent dans la version que Stella en avait donnée dans la suite de sibylles des « camayeux » au début de son séjour romain (ci-contre). La source iconographique, pour l'ensemble comme pour celle-ci, est commune à celle de la suite éditée par Justus Sadeler (1583-1620?), actif principalement à Venise au début du XVIIè siècle. Le choix des attributs est donc sans doute conforme à l'usage italien. La Tiburtine se distingue des autres, dans l'art, par le sujet qui la met en présence de l'empereur d'Auguste, qui lui aurait demandé s'il pouvait être divinisé; à quoi elle aurait répondu en provoquant l'apparition de la Vierge à l'Enfant dans le ciel.

De fait, on pourrait se demander si semblable peinture ne pourrait s'inscrire dans le cadre de l'attente d'un héritier pour le trône de France, comblée par la naissance du dauphin Louis en septembre 1638. N'en présumons pas pour autant un élément de datation, que le style seul doit justifier en l'absence d'inscription ou de document. Le canon resserré, le drapé complexe, la manche bouffante, voire mousseuse, appartiennent aux premières années à Paris. La coiffure, dont frange et serpenteaux ou simples boucles couvrant les oreilles suivent la mode des années 1630, documentée par les exemples contemporains des pastels de Vouet ou de Daniel Dumonstier, et qui diffère de celles plus conventionnelles de ses Vierges au même moment, semble bien désigner le portrait d'une toute jeune femme dont l'identification resterait à faire, car la caractérisation de ses traits ne saute pas aux yeux. On pourrait imaginer qu'il s'agisse d'une effigie de promise adressée au futur époux.

Quoiqu'il en soit, Stella donne ici une image très directe, et discrètement souriante, de son personnage. Seuls ses yeux fixant le spectateur - se démarquant des exemples du musée capitolin de Rome de Dominiquin ou de Guerchin, notamment, et nouvel argument pour y voir un portrait - trahissent un semblant de gravité, pour accompagner le geste indiquant la prophétie. La facture, à la matière nourrie, laisse encore passer un certain appétit, d'inspiration italienne, pour la sensualité des textures, en contraste avec les sculpturales carnations, particulièrement comparables à ce que montre la Sémiramis/Bérénice de Lyon, de 1637.

S.K., Melun, décembre 2020

Semiramis / Bérénice, 1637
Lyon, Musée des Beaux-Arts.
Salomé portant la tête de saint Jean, 1637
Ham House.
Le mariage de la Vierge, tableau.
Toile.

364 x 454 cm.

Toulouse, Musée des Augustins (Ro. 267).

Historique :

* Carton de tapisserie pour une tenture de la Vie de la Vierge voulue par le cardinal de Richelieu pour Notre-Dame de Paris, tapisserie rélisée dans les ateliers de Bruxelles au plus tard le 9 décembre 1650, selon la quittance de Charles de La Fontaine, qui mentionne le convoi du retour du carton (desseing) à Paris (Sainte-Fare-Garnot 1996-1997); carton installé dans la salle capitulaire de Notre-Dame; saisie révolutionnaire; envoyé au Louvre (1797) puis au musée des Augustins de Toulouse en 1811.

** Modello ou réduction sur toile (?), collection Michel Le Masle, réclamé et obtenu par son secrétaire La Poissonière lors de l'inventaire après décès, en 1662?
Bibliographie :

* Antoine Nicolas Dezallier d’Argenville, Voyage pittoresque de Paris, ou Indication de tout ce qu'il y a de plus beau dans cette grande ville en peinture, sculpture et architecture, Paris, 1749, p. 19 (comme de Champaigne).

* Charles-Paul Landon, Annales du Musée et de l'École des Beaux-Arts, Paris, t. XII, p. 89.

* Archives du Musée des Monuments Français, Paris, t. 1, 1883, p. 125; II, 1886, p. 321, 331, 403; III, 1897, p. 225.

* Henri Stein, « État des objets d'art placés dans les monuments religieu et civils de Paris au début de la Révolution Française », Bulletin de la société de l'histoire de l'art français, 1890, p. 32.

* Jeanne Lejeaux, «La tenture de la vie de la Vierge de la cathédrale de Strasbourg», Bulletin de la Société des amis de la cathédrale de Strasbourg, 1951, p. 53-68.

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 127-128, fig. 18.

* Nicolas Sainte-Fare-Garnot in cat. expo. La Vierge, le Roi, le Ministre. Le décor du chœur de Notre-Dame de Paris au XVIIè siècle, Arras, 1996-1997, notamment p. 71-72, n°6.

* Nicole de Reyniès in Charles Poerson, 1609-1667, Paris, 1997, notamment p. 142-145.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 , p. 178-179, cat. 105

* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006

* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 114.

* Sylvain Kerspern, «À PROPOS DE NICOLAS PRÉVOST ET JACQUES STELLA : L’APPORT DE LA MORT DE CLÉOPÂTRE», , site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 29 février 2008; retouche en août 2012.

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella par Jacques Thuillier. II. Livre en main : le catalogue des oeuvres. Autour du Mariage de la Vierge», , site dhistoire-et-dart.com, 30 juillet 2008.

* Guillaume Kazerouni, Les couleurs du ciel. Peintures des églises de Paris au XVIIè siècle, Paris, Carnavalet, 2012, cat. 101, p. 250.
Par son format, sa destination et plus encore par son ambition, le Mariage de la Vierge des Augustins est certainement une des œuvres majeures de Jacques Stella à Paris. Il a fait l'objet de discussions sur la place qu'il prend dans sa chronologie, significative d'abord d'une reconnaissance tardive du rôle qu'il a pu tenir dans l'évolution de l'art français du temps. De fait, les commentaires ont bien plus souvent fait appel aux éléments du contexte qu'à l'analyse du style dans leurs tentatives de datation. Il me faut encore y revenir.

En premier lieu, ce que je n'ai peut-être pas suffisamment souligné, il est nécessaire de faire la part entre la commande de la tenture et ce qu'il est convenu d'appeler le Vœu de Louis XIII dédiant le royaume et sa personne à la Vierge Marie et qui concerne la première église du royame, Notre-Dame de Paris. Ils sont si peu concourant que la réalisation matérielle de ce souhait sous Louis XIV, avec le réaménagement du choeur, obligera au déplacement des tapisseries, avant que la désaffection parisienne pour la tapisserie et le coût de l'entretien conduisent à leur mise en vente et qu'elles se retrouvent ainsi à Strasbourg en 1739. Les éléments de chronologie historique données par Nicolas Sainte-Fare-Garnot (1996-1997) situent en 1636, au moment du retournement de Corbie, le projet initial du roi, secondé par le cardinal de Richelieu, du Vœu de Louis XIII. Il est proclamé le 10 février 1638. Le 3 avril suivant, le souhait de Michel le Masle, chanoine et chantre de Notre-Dame de Paris, d'orner le chœur de la cathédrale de quatre tapisseries sur la vie de la Vierge est inscrit dans les délibérations du chapitre.

Les armes et le monogramme de Richelieu installés dans les bordures, qui semblent avoir échappé à Sylvain Laveissière (2006), lui assignent une certaine responsabilité. Jeanne Lejeaux (1951) signalait l'obit à la mémoire du cardinal du 14 octobre 1650 faisant allusion aux tapisseries. Il dut au moins en donner l'impulsion, relayée par le chanoine, une des créatures du cardinal. Au demeurant, si Le Masle proclame seul en avril 1638 une telle intention, on sait que la seconde pièce montre le blason de Denis Charpentier, un autre fidèle du ministre. Pour autant, la volonté supposée de Richelieu ne peut s'étendre qu'aux quatre premières pièces annoncées par le chantre, même si ses armes figurent sur les dix autres réalisées bien après la mort du cardinal survenue en 1642, répétant la bordure pour la Naissance de la Vierge de Champaigne, au prix d'une éventuelle inversion (suivant le métier en haute ou basse lisse?) et de variantes pour les cartouches latéraux selon les tapisseries.
Atelier bruxellois de Charles de La Fontaine d'après Jacques Stella,
Mariage de la Vierge,
Stasbourg, cathédrale.
Angle de la tapisserie de
la Naissance de la Vierge,
aux armes de Michel le Masle
Stasbourg, cathédrale.
Angle de la tapisserie de
la Présentation de la Vierge au Temple,
aux armes de Denis Charpentier
Stasbourg, cathédrale.
Angle de la tapisserie du
Mariage de la Vierge,
aux armes de Michel le Masle
Stasbourg, cathédrale.
Atelier de Pierre Damour d'après Charles Poerson, angle de la tapisserie de
l'Annonciation,
aux armes de Michel le Masle.

Les motifs de la bordure sont comparables à ceux de la Naissance de la Vierge
Stasbourg, cathédrale.

En effet, dans un deuxième temps, Michel le Masle amplifie la suite initiale. Il ne le peut, au fond, que parce que tout projet de réaménagement du chœur pour témoigner du vœu de 1638 est sinon abandonné, du moins suspendu, après la mort du ministre puis celles du roi survenues en 1642-1643. Entre-temps, seules les deux premières tapisseries ont été livrées en novembre 1640 et la succession de Louis XIII conduit à une situation politique difficile par le déploiement des ambitions, en particulier pour les fidèles de Richelieu, écartés. Survient la Fronde. Le chantre n'a pas pour autant renoncé à l'accomplissement de sa promesse de 1638. Celle-ci semble avoir été retardée par le défaut du tapissier parisien, qui reste inconnu, puisqu'il recourt à un atelier bruxellois pour notre sujet, le troisième de la suite. La quittance du 9 décembre 1650 suppose que la tapisserie a été réalisée et le desseing réexpédié. Nicolas Sainte-Fare-Garnot en rapproche, à juste titre, le souhait de voir la tenture achevée exprimé le 14 octobre précédent dans l'obit fondant messe perpétuelle à la mémoire de Richelieu. La quittance pour le Mariage de la Vierge moins de deux mois après assure que le Masle s'appuyait sur une réalité concrète. Supposer un même état d'esprit lors de la promesse de 1638 implique qu'en avril de cette année, les cartons sinon une ou plusieurs tapisseries étaient en bonne voie.

Si Guillet de Saint-Georges, biographe de l'académicien, place la commande de Le Masle dans un passage daté de 1636 mais qui pourrait regrouper des entreprises plus ou moins de cette année, Félibien, lui, est formel, consacrant à cette commande un paragraphe qu'il ouvre en la datant d'alors, quand bien même, d'ailleurs, l'une des tapisseries ne serait pas due au mécénat du chantre mais du secrétaire du cardinal. La concordance avec les événements de cette année évoqués plus haut pourrait faire de l'initiative d'une tenture sur la Vie de la Vierge le pendant souhaité par Richelieu du vœu du roi, encore ébauché alors et officiel deux ans plus tard. Si tel est bien le cas, il faudrait envisager un délai de quatre ans entre la réalisation des cartons et leur transposition en tapisserie, ce qui aurait pu inciter le commanditaire à changer d'entrepreneur pour la troisième. Quoiqu'il en soit, le document de décembre 1650 est d'une utilité limitée pour la peinture faite par Stella. Il la situe certes avant cette date, au plus tard en 1649, mais pas nécessairement alors, onze ans après la promesse de Michel Le Masle.

Pour résumer, voici comment il me semble que la commande de cette tenture peut s'être déroulée. Richelieu demande à deux de ses fidèles de prendre en charge une suite de quatre sujets sur la vie de la Vierge, depuis sa naissance jusqu'à l'annonciation pour le chœur de Notre-Dame de Paris, en parallèle au projet de voeu de Louis XIII et compatible avec lui par le nombre limité de pièces. Michel le Masle l'officialise auprès du chapitre dont il fait partie en tant que chantre en avril 1638, prenant ou ayant pris en charge trois des quatre sujets. Parmi les artistes protégés par le cardinal, Philippe de Champaigne contribue pour deux cartons, Jacques Stella pour un. L'Annonciation est demandée (dès lors? plus tard?) à Charles Poerson, qui avait collaboré avec le Bruxellois dans la Galerie des Hommes illustres pour les sujets de leurs cadres. Ce n'est qu'ensuite que le chantre décide d'amplifier le projet en ajoutant dix sujets pour compléter le cycle jusqu'au triomphe de Marie. Jusque là, le premier sujet concernait Anne, sainte patronne de la reine; le dernier montrait la scène par laquelle la Vierge apprenait qu'elle allait enfanter et donner naissance au Christ; épisode d'une certaine résonance pour le ministre d'un roi encore sans descendance, et qui peut donc sonner comme une invocation.


La comparaison avec les tapisseries montre que les cartons de Champaigne ont vu leur format modifié à une date indéterminée. Celui de Stella, intègre, montre dans sa partie supérieure un bout de la bordure telle qu'elle apparaît dans la tapisserie. Aucune des autres peintures ne montre pareil débordement, et pour cause : les tapisseries qui en sont tirées reprennent, je l'ai dit, la bordure de La naissance de la Vierge.

Jeanne Lejeaux (1951) en déduit que ces éléments, incongrus pour toute autre destination, « suffiraient à prouver, s'il était nécessaire, que Stella a exécuté la peinture pour la traduction en tapisserie et qu'il a tenu compte du dessin de la bordure établi peut-être antérieurement et par un autre artiste ». Elle ne semble pas avoir examiné plus attentivement les bordures : constatant l'existence de trois versions, elle n'aurait pas manqué de relever le caractère original de celle de la tapisserie du Lyonnais, qui tient avant tout à son animation par les angelots.
L'art de la tapisserie dissocie volontiers sujet central et bordures. Il n'est pas rare de voir un peintre fournir un carton pour le premier et laisser le tapissier gérer son encadrement à partir des poncifs dont il peut disposer dans son atelier. Pour la tenture de la Vie de la Vierge, les bordures sont toutes basées sur un schéma commun : en haut l'alternance d'angelot assis et de cuirs découpées avec monogramme et inscription, reliés par un ruban portant trophées de fruits; de part et d'autre, la superposition d'angelots volants et d'un cartouche avec figure en camayeu, auquel est suspendue une grappe végétale; et en bas, deux couples d'angelots jouant avec des guirlandes végétales, de part et d'autre d'un panneau de cuir découpé, modifié en 1739 lors de l'acquisition pour la cathédrale de Strasbourg.
Sur cette trame, trois versions différentes se succèdent, une pour La présentation de la Vierge au Temple, une autre pour notre Mariage, et une autre commune au sujet inaugural, La naissance de la Vierge, et à tous les autres. Les deux premières sont indiscutablement de l'auteur de la scène principale, respectivement Champaigne et Stella, la troisième est plus difficile à juger. J'ai envisagé en 2008 une alternative selon laquelle elle serait soit de Poerson, collaborateur du Bruxellois dans la Galerie des Hommes illustres, soit de Champaigne, la différence de consistance avec l'autre version tenant à l'évolution de l'artiste, qui se perçoit d'ailleurs entre les deux scènes principales. Je penchais alors pour la seconde hypothèse, j'avoue n'avoir toujours pas tranché, la chronologie de Charles Poerson restant largement à établir. Il n'aurait pas trente ans, agirait peut-être encore en collaborateur.

Quoiqu'il en soit, le projet initial accordait un soin peu ordinaire aux bordures en demandant, sur une trame commune, d'imprimer une marque propre à chaque pièce. L'abandon de cette préoccupation me semble faire la part entre la volonté du cardinal et le souhait de son affidé. Un tel souci, pour juger du style de Stella, nous est précieux, comme je l'ai démontré en 2008.
Philippe de Champaigne?
Angelots de la tapisserie de
la Naissance de la Vierge,
aux armes de Michel le Masle
Stasbourg, cathédrale.
Philippe de Champaigne
Angelots de la tapisserie de
la Présentation de la Vierge au Temple,
aux armes de Denis Charpentier
Stasbourg, cathédrale.
Philippe de Champaigne
Angelots de la voûte de
chapelle sud du transept de
l'église de Pont-sur-Seine, vers 1636?
J'avais alors envisagé, devant la différence de qualité entre bordure et sujet central, moins convaincant sinon décevant, une réalisation en deux temps, justifiant, le retard dans la livraison. La guirlance peinte est inversée dans la tapisserie, ce qui n'est pas le cas de la composition principale, qui devait respecter le passage de l'anneau avec les mains droites pour l'union maritale sur le modèle antique. La dissociation entre les deux, bordure réalisée en basse-lisse, sujet principal en haute-lisse, peut justifier le délai suite à un probable abandon en cours de confection. Elle impose décidément de ne pas accorder trop d'importance à la quittance du tapissier en 1650.
Je n'avais pas manqué de rapprocher la bordure d'éléments datés de l'œuvre de Jacques Stella. Le corps des angelots suivent une sinuosité allongée visible dans l'Adoration des anges de Lyon (1635) et jusque dans le profil de l'un des enfants du fronstipice pour les Œuvres de saint Bernard (1639). Leur type, sorte de fusion de Raphaël, des Carrache et du Dominiquin, s'inscrit bien dans les premiers temps de la carrière française. On peut aller jusqu'à trouver des analogies avec les putti des vignettes pour l'Imprimerie royale, mais pas au-delà. Voilà qui donne une fourchette correspondant au temps du mécénat de Richelieu, qui meurt en 1642, avançant considérablement la date tirée de ladite quittance.
Nativité, 1635, détail. Huile sur toile. Lyon, Musée des Beaux-Arts. Dessin pour Divi Bernardi opera, 1639.
Rome, Istituto di Archeologia e Storia dell’Arte.
Le sujet principal n'est pas moins en résonnance avec les premières années de la période parisienne. Le rapprochement des suivantes avec celles de la Semiramis/Bérénice de Lyon (1637) tient non seulement aux motifs - jeune femme de dos regardant vers l'arrière, profil à petite bouche entr'ouverte - mais aussi et surtout au drapé et au coloris aux couleurs tendres, encore marqué par l'Italie, comme le naturalisme des types physiques dans le goût des Bolonais. Des caractéristiques semblables se retrouvent dans les deux tableaux en pendants pour la chapelle du château de Saint-Germain, unanimement situés à la fin des années 1630.

Confrontation d'un détail inversé du Mariage de la Vierge avec deux de la Semiramis/Bérénice (Lyon, Musée des Beaux-Arts; 1637) sur pierre.
Lyon, Musée des Beaux-Arts.
Confrontation avec deux détails de la Sainte Anne (Rouen, Musée des Beaux-Arts) et le Saint Louis (Bazas) pour le château de Saint-Germain de Louis XIII.
Salomé apportant la tête de saint Jean-Baptiste, 1637. Ardoise. 42,5 x 33,5 cm.
Ham House
Frontispice pour Prolusiones ethicae d'Agostino Mascardi,
gravure de Jean Picart d'après Stella, 1639
Deux autres témoignages datés portent un style à l'animation pareillement délicate, mêlant pause dynamique et mouvement figé, regards latéraux et expression intériorisée, architecture rejetant le point de fuite sur un côté, drapé alourdissant les silhouettes ou figures naturalistes : la Salomé de Ham House (1637) et le frontispice pour Prolusiones ethicae, de 1638-1639. L'impressionnante architecture qui forme le fond du tableau propose une voûte en berceau à lunettes dont le raccourci spectaculaire a dérouté Jeanne Lejeaux, qui y voyait une faute dans les proportions des personnages. L'effet est commun à celui de la Sainte Anne pour Saint-Germain (Rouen, Musée des Beaux-Arts), qui place la Vierge enfant et sa mère au premier plan et dans le lointain, la scène de la présentation de Marie en rupture d'échelle; semblable encore au dispositif du Jugement de Salomon de Vienne, aux figurines dans le lointain pour creuser l'espace derrière la frise des personnages de la scène principale installée au premier plan.

Que l'on compare avec la Sainte Hélène aujourd'hui non localisée (1646) : si le parti en est voisin, on remarque sans peine un considérable enrichissement dans l'attention archéologique au décor que le sujet seul ne suffit pas à expliquer et qui entre en résonnance avec le raffinement antiquisant des types physiques comme des drapés, combiné à une expressivité, une tension des visages et des corps qui s'éloigne de la délicatesse du sentiment prévalant encore dans notre Mariage. Distance avec certains ouvrages et familiarité avec d'autres doivent, au bout du compte, asseoir définitivement la datation du grand carton de Toulouse entre 1636 et 1639, vraisemblablement vers 1638, au moment choisi par le chantre pour annoncer la réalisation d'une tenture dont elle devait être la troisième pièce.
Saint Hélène faisant embmarquer la Sainte Croix, 1646. Toile.
Localisation inconnue
Il faut dire deux mots de la mention de l'inventaire du chantre, qui signale douze sujets de la vie de la Vierge ayant servi de modèles pour la tenture de Notre-Dame. Tout d'abord, si l'hypothèse qu'il s'agisse des douze derniers sujets est la plus vraisemblable, d'autant que la deuxième (La naissance) fut apparemment prise en charge par un autre secrétaire du cardinal, elle ne constitue pour autant pas une certitude.

Une peinture récemment réapparue (et passée en vente à Paris en avril 1793) a été rapprochée de cette commande. Il faut d'abord, avec Guillaume Kazerouni, noter la différence de dimensions avec les réductions de Charles Poerson entrées à Carnavalet (Annonciation, 50 x 63 cm.; Nativité, 57 x 64 cm.), qui rend difficile l'assimilation avec les toiles de l'inventaire du chantre. Surtout, par-delà les similitudes dans les dispositions, un procédé récurrent dans son œuvre, les différences dans le parti architectectural, les types ou le drapé, notamment, ne permettent pas de situer les deux versions au même moment, suivant les remarques faites à propos de la Sainte Hélène de 1646, que cette répétition doit précéder de peu.

Le carton de Toulouse illustre bien la fortune de Stella. Il ne semble pas qu'il lui soit attribué formellement avant la saisie révolutionnaire. Auparavant, il est soit contaminé par l'attribution des deux premiers sujets donnés à Champaigne, soit supposé d'une autre main non précisée. C'est lorsqu'il est remis à l'administration centrale des arts, puis destiné au Louvre, en juillet 1797, que l'attribution est faite, sans réserve; ce qui justifie qu'il soit gravé par Landon en 1806; mais il est envoyé en 1811 à Toulouse, ce qui ne permet pas à Guiffrey de faire le lien avec la tapisserie, lorsqu'il s'intéresse à la tenture. Stella est reconnu dans la Ville rose, ignoré à Paris. La paternité retrouvée ensuite n'empêche pas des débats sur la datation sur une fourchette d'une douzaine d'années, du temps de Jacques Blanchard à celui de la création de l'Académie et du triomphe de l'atticisme dont notre tableau pourrait être, selon la situation, un élément moteur pour son émergence ou une forme de couronnement : d'où la nécessité de bien la circonscrire.
Le mariage de la Vierge. Huile sur toile. 83,5 x 103 cm.
Vente Sotheby’s Milan 20 octobre 2007 (lot 42).
Paris, coll. part.
Le choix d'une frise de personnages au premier plan devant une architecture monumentale spectaculaire a pour source vraisemblable le Sposalizio de Raphaël (1504; Milan, Brera), lui-même réélaborant la version de son maître le Pérugin (Caen, Musée des Beaux-Arts). Si la scène est censée se passer effectivement devant le Temple de Jérusalem, c'était, particulièrement pour l'élève, instaurer un dialogue entre une scène sacrée et une forme de perfection mathématique incarnée, en art, par l'architecture à plan centré et la perspective géométrique inventée par Brunelleschi, quitte à instaurer une distance. Stella se veut plus proche du texte tout en faisant certainement allusion, par son aspect grandiose, au monument destinataire, Notre-Dame, manifestant l'identification théologique entre l'Église et Marie.

Comme Raphaël, il peint la péripétie du prétendant déçu qui brise la baguette, Joseph arborant la sienne fleurie. Pour autant, il rompt avec la stricte symétrie, installant le point de fuite sur un côté - il désigne l'autel que l'on aperçoit tout au fond - et décalant les trois personnages principaux vers l'autre. Plus remarquable encore, c'est Joseph qu'il place au milieu de la composition, avec une attitude suggérant qu'il s'avance. Il ne s'agit sans doute pas de lui accorder une plus grande importance mais plutôt d'honorer dans sa démarche la femme qu'il épouse malgré sa situation.

Son avancée est d'autant plus sensible qu'il s'écarte ainsi tout à la fois du point de fuite et du prétendant déçu. Celui-ci participe d'un jeu des regards suivant une circulation latérale pour commenter la scène principale, support de l'expression des passions dans un registre mesuré qui lui est propre. À l'agacement de Landon à propos du détail de l'enfant jouant avec un chien, « inutile et même ridicule », Sylvain Laveissière oppose que le Dominiquin avait fait usage de semblable ornement; plus encore, qu'en faire le reproche, c'est ne pas vouloir comprendre ce qui caractérise Stella - et le différencie peut-être d'un Poussin, puisque telle est la toile de fond de ce genre de critique.
Le Pérugin, Le mariage de la Vierge.
Huile sur bois. 236 x 186 cm.
Caen, Musée des Beaux-Arts.
Raphaël, Le mariage de la Vierge, 1504.
Huile sur bois. 170 x 117 cm.
Milan, Brera.
Or cette référence au plus rigoureux des élèves des Carrache, avec un accent encore naturaliste se manifeste bien dans ces années de transition, depuis la fin des années vingt et jusqu'aux premiers travaux pour l'Imprimerie Royale. Jacques Thuillier avait noté chez Stella un intérêt propre, et distinct de celui de Poussin à l'égard d'Annibal, pour l' « abstraction » des Carrache, selon son expression (« L'influence des Carrache en France : pour un premier bilan » in Les Carrache et les décors profanes, Actes du colloque de Rome (2-4 octobre 1986), Rome : École Française de Rome, 1988; pp. 421-455; notamment p. 438, n. 25 et 440). Cet attrait le conduit ensuite vers toujours plus de retenue, gommant rapidement tout ce qui peut dénoter une étude trop directe de la Nature. Face aux élans lyriques de Vouet, aux frémissantes symphonies de Blanchard ou aux élégances précieuses de La Hyre, une telle composition, monumentale par son esprit comme par ses dimensions, dût fortement marquer les esprits et compte, assurément parmi les jalons qui ont favorisé l'émergence du classicisme français, avant même le séjour parisien de Poussin.

S.K., Melun, septembre 2020

Saint Joseph et l'Enfant Jésus,
peinture (gravure par Gilles Rousselet)

Peinture perdue (voir ci-dessous)?

Copies dans le sens de la gravure dans l'église Saint-Denis de Verneil-le-Chétif (72) (87 x 71 cm) (voir le repentir plus bas), dans celle d'Arceau (21) (en pendant à une copie de la Vierge à l'Enfant qui l'embrasse de Stella gravée par Couvay)

Gravure par Gilles Rousselet. Lettre dans la marge : Fidelis Seruus et prudens quen conStituit Dominis Suae matris Solatium / Suae Carnis nutritiam Solum denique in terris magni conSilij coadvitorem fideliSSimi; au dessous Stella pinxit (à gauche) Ægid. RousSelet Sculp. (au centre) Firens excud. avec Privilege du Roy (à droite). 37,5 x 27 cm. 2e état édité par Boudan, et 3è par Pierre Mariette fils. L'éditeur Pierre Firens est mort en 1649.

Bibliographie :
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 225.

* Véronique Meyer, L'œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle, Paris, 2004, n°97.

* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 108.

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella par Jacques Thuillier. II. Livre en main : le catalogue des oeuvres. Autour du Mariage de la Vierge», , site dhistoire-et-dart.com, 30 juillet 2008.
Véronique Meyer signale que la composition a également servie pour une gravure anonyme illustrant une thèse soutenue en 1667. Ellle pourrait correspondre à celle éditée par Étienne Gantrel mentionnée par Mariette (1996, p. 222; Saint Joseph en demie-figure ayant entre ses bras l'enfant Jésus qui se jette à son col pour l'embrasser). Antoinette a repris l'attitude pour une figure du père putatif en pied dans une série de vignettes d'environ 5 cm de haut sur 4 à encadrement floral (ci-dessus). Le sujet est volontiers mis en pendant avec le thème de la Vierge à l'Enfant. Jacques en donnera une autre image pour les Heures de Tristan, gravée par Abraham Bosse, et son neveu fournira à son tour sa version au burin de son ami Guillaume Vallet. Les trois images, qui témoignent d'un culte promu par la Réforme catholique issue du Concile de Trente et particulièrement cher aux Carmes et aux Jésuites, optent pour une représentation en homme jeune et beau, suivant un usage plus français qu'italien - pour se limiter aux seuls exemples de Jacques lui-même, qui supposent qu'il n'en soit pas nécessairement responsable.

C'est le type employé dans le Mariage de la Vierge de la tenture pour Notre-Dame, d'ailleurs repris dans les autres sujets de cette tenture. La confrontation (ci-contre, inversant le détail avec Joseph) souligne, d'autre part, la communauté de drapé, à larges pans - possible écho de Vouet ? -, et dans le dessin du profil, de la chevelure, ou dans le traitement des mains, qui incite à une datation voisine. Le lys que le père et l'enfant tiennent renvoie aussi bien à l'épisode du bâton fleuri qui distingua Joseph de ses prétendants, selon les évangiles apocryphes, que celui d'une virginité qu'on lui prêtait et qui rappelait la chasteté du Joseph de l'Ancien Testament.
Abraham Bosse d'après Jacques Stella, pour Tristan, 1645. Guillaume Vallet d'après Antoine Stella. Gravure. 48,4 x 39,4 cm.
Rijksmuseum (comme Jacques Stella).
C'est autour de l'attribut du saint que Stella articule son image, que Jacques Thuillier associe à la naissance du Dauphin le 5 septembre 1638, assurant une descendance à la royauté française que symbolise le lys. Le précédent de la Sainte famille vendue en Suède, datée de 1637, impose de ne pas trop généraliser ce qui ne serait que circonstanciel.

Nos deux personnages tiennent la fleur mais l'Enfant, sur les genoux de son père, semble s'en détourner pour saisir Joseph au cou. Dans la glorification de ce dernier, notre artiste glisse ainsi de l'identification par le lys à la reconnaissance par l'élan psychologique de Jésus. Il s'inscrit dans la suite d'un Guido Reni insistant sur la sensibilité condamnée par Émile Mâle (L'art religieux après le Concile de Trente, Paris, 1932, p. 322) alors qu'elle témoigne d'un mouvement général considérant l'histoire comme un processus pour construire par le travail psychologique le support d'une méditation. Plus que dans la version pour Tristan, on y trouve la simplicité du geste qui n'a pu passer que par une observation aiguë du monde qui l'entoure tout au long de sa vie.

S.K., Melun, septembre 2020

Repentir, septembre 2021

Huile sur toile. 85 x 70 cm. Classé M.H. le 5 septembre 1984. Verneil-le-Chetif, église Saint-Denis

Bibliographie :
* Catalogue de l'exposition Trésors d'art sacré. 30 ans de restauration par le Département de la Sarthe, Abbaye Royale de L'Épau, 2020-2021, p. 21, n°6.

Je connaissais le tableau de Verneil-le-Chétif par une médiocre reproduction en noir-et-blanc, trahissant au mieux le chancis rongeant une large portion de la surface (ci-dessus). J'ai cru pouvoir la considérer comme une copie dans le sens de la gravure de Rousselet. Le tableau a été restauré tout récemment, lui redonnant une plus grande lisibilité. Je crois en avoir sous-estimé sa qualité et il me semble nécessaire de la réhabiliter désormais, avec cette réserve que je n'ai pas eu l'occasion de le voir directement.

La peinture montre une qualité indéniable malgré un état apparemment un peu fatigué ralentissant le travail du pinceau en certains passages, et ramollissant par le fait le drapé. Deux autres arguments me semblent à avancer. Le premier concerne le coloris. L'accord particulier de jaune et de bleu pâle des habits de Joseph est identique à celui qui lui est donné dans le Mariage de la Vierge du Musée des Augustins de Toulouse. D'autre part, il faut relever une variante pour la main du père tenant le lys avec l'estampe de Rousselet : la peinture replie plus franchement trois des quatre doigts. On peut envisager soit une réplique autographe de la version traduite en gravure, ou bien penser que cette dernière reprenne un dessin préparatoire au tableau sarthois dans lequel Stella aura pensé devoir faire tenir plus fermement la tige de la fleur.

S.K., Melun, septembre 2021

La Vierge adorant l'Enfant endormi Anne d'Autriche, peinture.
Huile sur marbre parangon. 32 x 28 cm.
Autrefois signé en bas à gauche sur le montant du berceau Stella... selon G. Biedermann (1983). Inscription sur le liseré de l'oreiller ANNA - D'AUST. REGINA - FRANCI.
Lyon, Musée des Beaux-Arts.



Historique : Collection Guenther et Suzanne Biedermann; don deSuzanne Biedermann en 1996.

Bibliographie :

* Guenther Biedermann, « Jacques Stella (Lyon, 1596-1657) La Vierge se penche sur Anne d'Autriche enfant », L'estampille, n°156, avril 1983
* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 127, cat. 63
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 300 (refusé).
* Sylvain Kerspern, « La Vierge à l'Enfant endormi attribuée à Jacques Stella (...)Autographie, datation, signification », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 31 octobre 2008.
Huile sur ardoise. 25 x 19 cm.

Localisation actuelle inconnue.



Historique : Vente Drouot Paris le 29 mai 1996; Galerie Jacques Leegenhoek en 1996.

Bibliographie :

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 127, cat. 63
Plus d'un détail rendent cette peinture sur marbre singulière. Le plus important (outre la signature apparemment effacée) est l'inscription portée sur l'oreiller telle une broderie, qui désigne la reine Anne d'Autriche. Son propriétaire, en la publiant en 1983, croyait y voir l'identité de l'enfant endormi, et plaçait, fort justement, sa réalisation après son retour en France. A nos yeux contemporains, le collier et le bracelet féminisent peut-être l'enfant mais il existait une tradition associant de tels bijoux de corail à l'enfant Jésus, pour le protéger ou comme allusion à la Passion, illustrée notamment par Piero della Francesca (Brera) ou Andrea Mantegna (Louvre) (ci-contre), il est vrai plus explicites sur le matériau en y ajoutant un rameau en pendentif.

Chez Stella, le motif est tout de même unique, pour autant que l'on sache, et n'apparaît pas dans la réplique sur ardoise sans angelots ni rideau passée naguère chez Jacques Leegenhoek. La comparaison relativise la possibilité d'une caractérisation en portrait de la version Anne d'Autriche mais oblige à insister sur cette singularité iconographique. L'analogie avec le mythe de l'origine du corail - gouttes de sang solidifiées de Méduse lorsque Persée lui trancha la tête - peut renvoyer à la Passion, qui vient racheter le péché originel manifesté par la pomme tenue par Jésus; plus largement, placer l'enfant sous l'invocation du Christ. Que penser alors de l'inscription sur l'oreiller? Elle désigne le linge de maison, associant plus nettement encore la Vierge avec Anne d'Autriche. Guenther Biedermann n'a pas manqué de rappeler la commande par la reine vers 1638 d'une Vierge à l'Enfant la représentant sous les traits de la mère, et le dauphin Louis sous ceux du fils, passée auprès de Simon François, que j'ai évoquée ici. Une telle identification est inenvisageable pour le marbre de Stella mais soutient une commande associée à la naissance de Louis, longuement attendue, quasi-miraculeuse, et qui intervient l'année au cours de laquelle Louis XIII consacre le royaume à la Vierge. Ces indices matériels tendent donc à la situer en 1638.

Le style le confirme. On peut en rapprocher la gravure d'Abraham Bosse sur un sujet fort proche, qui montre un drapé sculptural voire minéral très voisin, et dont l'exécution doit dater des années qui suivent dans le contexte de leur contribution commune à l'Imprimerie Royale. Les ombres encore profondes et le naturalisme des enfants ne permettent pas d'envisager de placer l'œuvre trop tard après l'arrivée à Paris. La réplique sur ardoise, moins préservée par le temps, ne doit guère en être éloignée.

S.K., Melun, août 2020

Piero della Francesca (1412/1420 - 1492), Pala Montefeltro, 1472
Tempera sur bois. 248 x 150 cm.
Brera
Andrea Mantegna (1431-1506), La Madone de la Victoire, 1496
Tempera sur toile. 285 x 168 cm.
Louvre
Abraham Bosse d'après Stella,
La Vierge adorant l'enfant endormi
Gravure. 38,8 x 29 cm.
BnF
La sainte famille, saint Jean-Baptiste et l'agneau, l'Enfant pare de fleurs l'animal présenté par son cousin; peinture.
Huile sur ardoise. 31,4 x 23,7 cm.

Marché d'art en 2021

Historique : vente Louis-Bernard Coclers, Paris, le 9 février 1789, lot 175 (La Sainte-famille, composition de quatre figures, on voit la Vierge assise, tenant sur elle l'enfant Jésus, occupé à mettre une couronne de fleurs sur la tête de l'Agneau, que le petit Saint-Jean lui présente ; on remarque derriere ce grouppe Saint-Joseph assis, tenant de la main gauche un bâton ; ce tableau doit être regardé comme le plus précieux & le plus beau qui soit connu de ce Maître); vente Jean-Baptiste Lebrun, Paris, 15 avril 1791, n° 161, acquis par Le Vacher (Jean-Charles Le Vacher de Charnois, mort en 1792?) (Une Sainte Famille ; riche composition de quatre figures. A gauche, on voit la Vierge, ayant la main gauche dans un panier de fleurs, et soutenant de la droite l'enfant Jésus qui est assis sur elle, et qui couronne de fleurs un mouton que Saint-Jean lui présente ; tandis que Saint-Joseph, assis derrière, regarde cette scène intéressante. Au bas du tableau on lit cette inscription : Ecce Agnus Dei. La gauche du tableau est occupée par une table couverte d'un tapis de velours vert. Ce précieux tableau, qui nous pouvons citer comme le chef-d'oeuvre de ce maître, est d'une noblesse de caractère, d'une finesse de dessin, et d'une vigueur de couleur très-rare à rencontrer. Il est peint sur marbre noir); saisie révolutionnaire, dépôt de Nesle en 1793 (registre aux Archives Nationales, F/17/1192/3); cédé en août 1796 à Antoine-Gabriel Aimé Jourdan (Archives Nationales, F/17/1192/D); sa vente, Paris, 4 avril 1803, lot 51 (sur ardoise). Vente Nicolas Le Rouge, Paris, 16 janvier 1816, lot 28 (Un Tableau de la plus agréable composition, représentant la Vierge assise, tenant l'enfant Jésus sur ses genoux, occupé à couronner de fleurs un petit agneau que lui présente St. Jean. Cet ouvrage est sans contredit l'un des plus précieux qui soit sorti de pinceau de cet habile artiste), acquis par Gaspard selon la mention manuscrite sur un exemplaire du catalogue? Vente Cousin Mawson, Paris, 4 mars 1844, n°38, acquis par le docteur Jean-Jacques-Joseph Leroy d'Etiolles (inscription et date au dos) (1798-1860), sa vente, Paris, 21/22 février 1861, n°114 (acquis par l'antiquaire Warneck). Acquis dans les années 1920 par Henri de Guiringaud (1880-1960) (certaines informations fournies par Jérôme Montcouquiol, cabinet Eric Turquin).

Bibliographie :
Alexandre Lafore, « Un début d'année prometteur pour les ventes de tableaux anciens en France », site La Tribune de l'art (fig. 12), mise en ligne le 18 janvier 2021.
Le long historique ci-dessus reste lacunaire. Il n'est pas sûr non plus que le tableau de la collection de Nicolas Le Rouge vendu en 1816, malgré l'indication du Getty, soit identifiable à celui ayant appartenu à Le Brun puis Jourdan, que les amples descriptions permettent de reconnaître dans notre ardoise malgré une différence de support toujours problématique à clarifier. On trouvera sur Jourdan, fermier de la cristallerie de Muntzthal, et les circonstances dans lesquelles il a pu acquérir l'œuvre, des indications précieuses sur le site du Getty.

Dès le XVIIè siècle - Marolles en témoigne -, Jacques Stella est réputé pour ses Vierges et autres Saintes Familles. Pourtant, ce que l'on sait à ce jour de sa production ne situe qu'assez tard les premiers essais dans ce domaine : le plus ancien serait à Modena (1629), et son autographie a pu être contestée; puis l'ardoise de Montpellier, du début de la décennie suivante. Plus encore que la peinture du musée Fabre, qui en est volontiers rapprochée, notre ardoise doit être mise en regard d'une autre composition sur même support, plus ample par l'ajout de sainte Élisabeth : le trio de la Vierge, de son fils et de son cousin en est fort proche. Saint Joseph, règle en main et qui a pris la place de la cousine de Marie, propose un type physique aigu aux yeux bridés éphémère chez Stella, dont témoigne aussi la traduction par Gilles Rousselet d'une autre composition avec les mêmes protagonistes, voisine en date et cataloguée plus haut. Il apparaît encore dans le Saint Louis de Bazas (catalogué à la suite) et la Nativité de Barnard Castle (1639).

La multiplication manifeste du thème dès l'installation en France devait rivaliser avec les propositions de Simon Vouet, Laurent de la Hyre ou Jacques Blanchard, et sur un support minéral qui faisait sa spécialité. Elle conduit Stella à orchestrer de subtiles variations, tel Raphaël à Florence par émulation avec Léonard; cette peinture, nouvellement apparue, en fait encore une fois la démonstration. L'exercice fait pour la version augmentée de la cousine de Marie peut ici être répété, enrichi des apports de la comparaison.

Le changement de bras pour la Vierge d'une version à l'autre tient au remplacement d'Élisabeth par Joseph. Le panier de fleurs, posé sur la table, s'y substitue au nécessaire à couture. L'essentiel est ailleurs. Le jeu de regards complexe de la version antérieure laisse place à une focalisation sur le Christ enfant, que tous les autres regardent. Pour cela sans doute, Stella lui ôte le semblant d'animalité qu'il avait précédemment pour le faire se redresser avec une certaine dignité, alors même qu'il doit se pencher pour couronner l'agneau. Cette réinterprétation s'inscrit dans l'évolution même de l'artiste vers un art concentrant ses effets, intériorisant son discours. La confrontation avec l'actualité parisienne en aura certainement accéléré le cours, interrogeant plus fortement son approche de l'art. L'éloge de l'expert Le Brun, à une époque où son œuvre souffrait d'une réputation ambiguë, est un peu excessif mais il rend justice à une peinture dans laquelle Stella fait état, en effet, de la pleine maîtrise de son talent.

S.K., Melun, janvier 2021

La sainte famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 42 x 40 cm.
Coll. part.
Gilles Rousselet d'après Stella, La sainte famille, saint Jean et l'agneau
Gravure.
BnF.
La sainte famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 42 x 40 cm.
Coll. part.
Sainte Anne et la Vierge, peinture


Huile sur toile. 136 x 102 cm. Signé sous le pied droit de sainte Anne J. STella
Rouen, Musée des Beaux-Arts.


Historique : peint pour la chapelle du château-neuf de Saint-Germain; inventorié par Jules Hardouin-Mansart, Nicolas et Jacques Bailly en 1706 et 1709 et 1722 (p. 349; environ 1,30 x 0,92 cm.) avec le Saint Louis; saisie révolutionnaire en 1793; envoi de l'État au musée des Beaux-Arts de Rouen en 1803.
Saint Louis donnant l'aumône, peinture


Huile sur toile. 135 x 105 cm. Bazas, musée de l'apothicairerie.


Historique : peint pour la chapelle du château-vieux de Saint-Germain; inventorié par Jules Hardouin-Mansart, Nicolas et Jacques Bailly en 1706 et 1709 et 1722 (p. 349; environ 1,30 x 0,92 cm.) avec la Sainte Anne; saisie révolutionnaire en 1793, dépot au musée spécial de l'école française au château de Versailles; envoi de Charles X à la cathédrale de Bazas en 1811; dépôt au musée-apothicairerie.

Bibliographie :

* Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, 3è édition 1762, IV, p. 41-45.

* Jacques-Antoine Dulaure, Nouvelle description des environs de Paris, Paris, 2è édition 1786, I, p. 231.

* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 40, n.9.

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p.1 125, fig. 24, 126-127, 135 n.14, 136, n.26.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 , p. 140-142, cat. 74-75

* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006

* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 118-121.

* Sylvain Kerspern notice du dessin de Jacques et de la gravure de Claudine, Saint Louis faisant l'aumône, site dhistoire-et-dart.com, mis en ligne en janvier 2017
On peut se demander si Dulaure, qui donne la Sainte Anne à Stella, aura fait autre chose que lire la signature visible sous le pied de la mère de Marie. J'avoue en avoir douté (avec Jacques Thuillier) jusqu'à la dernière restauration qui l'a confirmée, malgré sa forme peu fréquente pour Stella, en particulier la curieuse combinaison de majuscules et de minuscules. L'examen rapproché laisse croire que le pinceau qui l'a tracée s'est servi de la même teinte que celle ayant dessiné le pavement. On a parfois assigné une date de 1640 qui serait apparue mais qui est aujourd'hui totalement invisible, ce qui reste difficilement compréhensible. L'analyse du style, qui évolue très vite durant les premières années de l'activité parisienne, ne me semble pas confirmer une situation aussi précise sinon tardive, précédant de peu le retour de l'ami Poussin. Il faut reprendre globalement le chantier de décoration de la chapelle.
C'est une des dernières grandes entreprises d'Henri de Fourcy (qui meurt en 1638) comme surintendant des bâtiments du roi que la décoration à neuf de la chapelle du château vieux de Saint-Germain. Le 12 décembre 1634, il passe marché avec Aubin Vouet pour l'ornement de la voûte du chœur de vingt sujets de l'Ancien Testament dans les différents compartiments (Yves Picart, Aubin Vouet, 1595-1641, Lyon, 1982 p. 44-46). Les travaux, suite à un rapport préalable de deux maîtres-peintres, sont reçus le 15 mai 1638. Restait à concevoir le mobilier. Au retable du maître-autel devaient être associés deux autels secondaires dédiés aux saints patrons du roi Louis XIII et de la reine Anne d'Autriche, pour leurs dévotions particulières, qu'il fallait orner chacun d'un tableau. Si la commande put en être faite auparavant à Stella, à Paris depuis une peu plus de deux ans, la fin du décor de la voûte libérait de toute façon alors le lieu.
Que Stella ait déjà été sollicité ou non, le changement de direction de la surintendance des bâtiments, avec l'arrivée de Sublet de Noyers, ne pouvait que le favoriser. Simon Vouet, frère aîné d'Aubin, devait vraisemblablement réaliser les tableaux : une Trinité de sa main doit correspondre à la peinture à l'attique du retable principal mentionné par les inventaires et les guides du XVIIIè siècle; mais lorsque Poussin arrive de Rome à la fin de l'année 1640, il se voit aussitôt confié la réalisation du « grand tableau de (la) chapelle » par le roi, après que ce dernier se soit exclamé : « Voilà Vouet bien attrapé ». La remarque ne peut que laisser filtrer des attentes trop longtemps différées. Vouet a-t-il pu fournir sa contribution pour l'attique sans avoir conçu le tableau au niveau principal, ou ne doit-on pas plutôt penser qu'il ait conçu sa contribution dans la précipitation au moment où on lui préférait Poussin? Pourtant, personne ne semble avoir songé pour ce tableau, à ce jour, à une autre date que 1638 environ.

Dans le cas de Stella, j'ai d'abord avancé (en 1989 et 1994) une date approximative correspondant au moment de l'installation à Paris, soit vers 1635. La prise en compte du chantier d'Aubin Vouet suggère de glisser jusque vers 1638, comme je l'ai fait en 2006; voire en 1640? Je ne le crois toujours pas.
Simon Vouet, La Trinité, vers 1640?
Huile sur toile. 165 x 168 cm.
Saint-Denis, Basilique
Sylvain Laveissière (2006) différencie fort justement les deux peintures, l'une d'une monumentalité à l'antique, Sainte Anne, l'autre d'un goût qu'il rapproche de celui troubadour, Saint Louis. J'invoquerais plutôt le romanesque italien contemporain, qu'il soit toscan ou émilien à la manière d'un Guercino. Pour autant, l'empreinte d'autres modèles classiques, profil de médailles ou groupe « à la Dominiquin » avec la jeune femme agenouillée aux enfants, n'est guère moins sensible. Simplement elle me semble garder encore le souvenir de l'humanisme actualisé par le mécénat d'Urbain VIII, teinté d'un certain naturalisme, qui va rapidement disparaître. Quant à la Sainte Anne, il faut bien noter une forme d'archaïsme dans la mise en regard d'une figure principale au premier plan et d'une histoire qui la concerne au lointain, la présentation de la Vierge au Temple associée à une scène de charité.
Archaïsme tout relatif : il se trouve que l'entourage de son ami François Langlois, Claude Vignon, Pierre Brebiette voire le jeune Charles Le Brun entretenait cette tradition, qui s'appliquait avec pertinence ici, instaurant une figure tutélaire à la manière d'une matrone romaine tout autant sculpturale qu'exemple de vertu. L'artifice n'était pas incompatible avec certains partis romains de Stella, comme pour l'Allégorie sur l'agonie de Scipion Borghese du Louvre (1633). Il permet une circulation sur laquelle j'aurai à revenir et qui prend place dans un cadre architectural monumental, digne, à nouveau, d'un Dominiquin. Ces différentes influences soulignent une continuité maintenue avec le séjour romain entrant en résonnance avec le premier cercle amical rencontré à Paris. D'autres éléments confirment en creux cette situation.
Claude Vignon, La pêche miraculeuse,
« petit May » de 1624
Huile sur bois. 98,5 x 76 cm.
Carnavalet
Jean Couvay d'après Charles Le Brun, La Madeleine pénitente, vers 1637-1638?
Gravure.
Jacques Stella, frontispice pour les Œuvres de saint Bernard, 1639
Dessin. 34,5 x 22,8 cm.
Rome, Istituto Nazionale di Archeologia et Storia dell'Arte
Jacques Stella, frontispice pour De imitatione christi, 1639/1640
Mine de plomb, plume et encre brune, rehauts de gouache blanche. 30,2 x 20,7 cm.
Albertina
Claude Mellan d'après Jacques Stella, frontispice pour les Introduction à la vie dévote, 1641
Gravure. 32 x 21 cm.
Harvard, Art Museum
Les trois dessins ci-dessus marquent le début de la contribution de Stella aux ouvrages de l'Imprimerie royale, que Sylvain Laveissière (2006, p. 142) caractérise fort justement en soulignant leur atticisme élégant. On y sent la rapide évolution d'un style encore un peu terrien, dense, avec des personnages au canon court mais occupant pleinement l'espace à un autre effectivement plus aérien, d'une plus grande respiration, aux figures plus élancées. Les gestes, d'abord efficaces sans afféterie, se font ensuite plus délicats et démonstratifs, participant de cette animation gracieuse qui fait aujourd'hui, plus que tout peut-être, la réputation de l'artiste. Un tel assouplissement pourrait résulter du souci de se confronter à Simon Vouet, maître en arabesque.
Jacques Stella, Semiramis/Bérénice, 1637
Huile sur ardoise. 36,1 x 53,5 cm.
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Jacques Stella, Salomé apportant la tête de saint Jean-Baptiste, 1637
Huile sur ardoise. 42,5 x 33,5 cm.
Ham House
Jacques Stella, Nativité, 1639
Huile sur cuivre. 65,4 x 80,6 cm.
Barnard Castle, The Bowes Museum
Les remarques faites pour les frontispices de l'Imprimerie royale s'appliquent aux trois peintures ci-dessus, qui resserrent l'amplitude entre 1637 et 1639 : même évolution dans le rapport des figures à l'espace, semblable progression démonstrative de la gestuelle. La singularité iconographique soulignée par Sylvain Laveissière à propos de la Sainte Anne que Stella montre cheminant avec la Vierge, est aussi celle du traitement de l'histoire de Salomé de Ham House (1637), d'où une mise en page proche. On rapprochera aussi la frise de visages du Saint Louis de celle de la Bérénice de Lyon (1637). Sans nier certains points de contact (le sens du drapé agenouillé, par exemple) avec les ouvrages de 1639, l'analyse de la dynamique du style installe donc nos deux pendants royaux auparavant. L'enjeu d'une telle commande incitait l'artiste au dépassement, posant alors les jalons pour la suite : l'exemple le plus évident pour Stella est sans doute sa contribution au Noviciat des Jésuites, en 1641, nouveau degré franchi dans la monumentalité.
La confrontation avec Le baptême de Jacques Blanchard (mort en 1638) laisse pressentir de la part de Stella tout autant l'émulation, incontestable, que le souci d'affirmer sa singularité. Le décor discrètement classique, le choix de personnages grandeur nature disposés en frise associé à un petit groupe en figure repoussoir, le calme régnant sont autant de points communs apportant une contribution à l'affermissement de l'art parisien du temps. Par la typologie, le Lyonnais oppose au Parisien la tradition classique, construisant les visages sur les modèles de la statuaire ou de la médaille antique, associé à celle moderne via Dominiquin, pour la jeune femme agenouillée accompagnée d'enfants, qui ne saurait manquer de rappeler la vogue des Charités du même Blanchard. Quant au costume, on perçoit nettement à quel point il est commandé par les différents sujets, le ton « troubadour » du Saint Louis soulignant la recherche de decorum sinon de justesse historique, tandis que les deux autres emploient un drapé à l'antique.
Jacques Blanchard (1600-1638),
Le baptême
Huile sur toile. 127,5 x 87,5 cm.
Rouen, Musée des Beaux-Arts
Rappelons-le, 1638 est l'année au cours de laquelle Sublet de Noyers devient surintendant des Bâtiments du roi. Dans sa lettre à Poussin du 14 janvier 1639, le ministre lui confie avoir, dès sa nomination en septembre 1638, souhaité rétablir les arts en France, et particulièrement la peinture; raison pour laquelle il aurait souhaité le retour en France du Normand, et sollicité l'entremise de ses amis « qui sont de deça » pour l'en convaincre (Jouanny 1911, p. 6). Tout porte à croire que Stella (avec Jean Lemaire) fut de ces amis : il a déjà lié contact avec Sublet puisque dès la création de l'Imprimerie royale par celui-ci, en 1639, il est sollicité pour en dessiner frontispices et autres ornements. On le voit, le ministre, une des « créatures » de Richelieu, n'était pas homme à tergiverser et il est très vraisemblable qu'il ait commandé les retables pour Saint-Germain dès sa nomination; en 1639, des paiements sont faits au frère de Jacques, François Stella pour une Vie de la Vierge dans l'oratoire de la reine du château. De son côté, l'ami de Poussin, à la différence de Vouet privilégiant les commandes des particuliers au détriment du service du roi suivant l'allusion en fin de la lettre déjà citée du surintendant des bâtiments, ne tardait pas à répondre aux commandes : en 1654 encore, malgré une santé déclinante, il date de l'année l'important retable en deux parties des Cordeliers de Provins, dont le marché doit être passé en juillet. Style et données historiques concourent, à mon sens, à situer nos deux pendants dans le courant de l'automne 1638, sans écarter un éventuel débordement sur l'hiver qui suit, donc sur les premiers mois de 1639.
L'association en pendants passe par la communauté du canon, remplissant presque toute la hauteur, par le choix dynamique du cheminement en un parcours ponctué d'une scène de charité, par l'attitude toute intérieure, tête inclinée, du personnage principal, ou encore son installation sur une marche faisant piédestal. Elle peut aussi avoir motivé la circulation en miroir, Anne se dirigeant vers la droite, Louis vers la gauche. Il faut tenir compte de l'installation révélée par le seul Dulaure, à ma connaissance. L'auteur mentionne d'abord « dans la chapelle qui est à gauche » du chœur la Sainte Anne et « en face » le Saint Louis, vraisemblablement dans les renfoncements, ce qui relativise la question de la lumière naturelle. Les éclairages opposés (venant de gauche pour la première, de droite pour la seconde) émanent de derrière les deux saints, les accompagnant, en quelque sorte, vers le chœur.
L'impact de l'éclairage peut aussi avoir conditionné les différences dans le clair-obscur. La lumière diurne de la Sainte Anne, encouragée par le grand ciel de la scène du fond, respectait une situation contre le mur nord; les ombres profondes, mettant en valeur la somptuosité du bleu du manteau royal, correspondent à son emplacement à contre-jour, au sud. Stella en déduit ses principaux effets, la monumentalité minérale du décor du premier, le déploiement de la frise de têtes émergeant plus ou moins du fond, ciselant plus nettement les contours du visage du second. S'il y en a des prémices dans la Bérénice de Lyon (1637), cette opportunité pourrait avoir provoqué un net durcissement qui perdure dans certains ouvrages de 1639 (La nativité de Barnard Castle, Le Christ guérissant le paralytique de Pontoise...) mais qui se radoucit rapidement, ensuite.
On voit par là que le contexte de la commande entrait dans l'économie des œuvres. Il vient appuyer le principe non de figures statiques mais en action, en marche. La sainte patronne de la reine est ici honorée pour avoir conduit sa fille au Temple, pour l'y consacrer, soulignant son statut virginal. Tel est le sens du geste indicateur d'Anne, orienté aussi bien, dans la chapelle, vers le chœur et le maître-autel, que dans la toile vers l'imposante colonnade du sanctuaire. L'exégèse des Écritures - qui ne dit rien de ce moment, soit dit en passant - associe volontiers, justement, Marie avec le Temple sinon l'Église, en sorte que l'on peut suivre les propos de François Bergot rappelés par Sylvain Laveissière en 2006, voyant dans la descente de l'escalier au premier plan la sortie du temps de l'ancienne Loi et dans le doigt pointé l'indication de la nouvelle, mise en scène par la montée de nouveaux degrés, au fond. Par la correspondance manifestement voulue entre l'imposante figure d'Anne et le pilastre derrière elle, on peut penser que l'artiste transpose à la mère ce qui était lieu commun pour la fille. Stella pose ainsi en termes plastiques, de façon remarquablement efficace, une iconographie sans doute inhérente à la commande, encouragé par l'intention de Sublet de « remettre en honneur les arts et les sciences »; ce qu'il fit, avec les frères Fréart, en faveur du goût classique.

L'autre sujet prolonge ce cheminement : on imagine que saint Louis manifeste sa charité au sortir d'une église, parachevant le parcours du Christ d'un message d'abord adressé à ses pairs pour s'ouvrir finalement aux Gentils, ainsi actualisé. Cette mise à jour, je l'ai dit, passe par une recherche de décorum autant que par des références à la grandeur antique. L'insistance sur l'acte charitable, visible dans les deux pendants, reste assez inexpliquée et ne doit provenir que du désir de mettre en avant une des vertus chrétiennes dans l'exercice royal. La naissance du dauphin Louis aura peut-être incité à faire passer sa manifestation au second plan pour glisser vers l'évocation de la part prise par Anne dans l'éducation de son enfant.

Malgré un format modeste, Stella fait ici preuve de sa capacité en matière de grand retable par le choix de la monumentalité, de la densité formelle par un style sobre recherchant le naturel dans les expressions, aux antipodes du style lyrique de Vouet. Cependant, ces tableaux quittèrent Paris pour un château qui perdit de son attrait dès le temps de Louis XIV, quand bien même ce dernier y naquit et y fut baptisé. Ils ne pouvaient donc guère soutenir sa réputation, et le Saint Louis finit par perdre sa paternité. Leur récente réhabilitation contribue à la réévaluation de son rôle dans l'affirmation de l'atticisme parisien dès avant le séjour de son ami Poussin.

S. K., janvier 2021

Catalogue Jacques Stella : Ensemble ; À Paris au temps de Louis XIII, mosaïque - Table Stella - Table générale
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