Contacts : sylvainkerspern@gmail.com
Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Jacques Stella - Catalogue
France, oeuvres datées de 1652-3

Tables du catalogue : Dernières grandes commandes (1652-1654) - Ensemble
- Table Stella - Table générale
Mise en ligne le 12 janvier 2017 - retouches en août 2019; mars 2022
Dernières grandes commandes. Oeuvres datées de 1652-3.


Frontispice pour La dévotion aisée du père Lemoyne (1652). Repos de la Sainte Famille, 1652. Dessins et peinture Ouvrages pour les Carmélites du Faubourg St-Jacques, 1652. Dessins et peintures
Frontispice pour
La dévotion aisé
de Pierre Le Moyne, jésuite, publié en 1652
chez Antoine de Sommaville

Jesus-Christ mesurant ses recompenses pour ceux qui se sont chargés du joug de sa croix, gravé au burin par Jean Couvay d'après Jacques Stella (Mariette éd. 1996, p. 214)

Dessin perdu.

Gravure par Jean Couvay (v. 1605 - 1663). 14,5 x 10 cm. In-8°.

Lettre : LA/ DEVOTION/ AISEE/ PAR/ le Pere PIERRE LE MOINE/ De la Compagnie de/ IESUS (sur le piedestal); Stella In I. Couvay fe. (au sol, en bas à gauche); Mariette Excu cum Privil (dans la marge)

Exemplaire : Paris, BnF...

Bibliographie :
- Mariette éd. 1996 : Mandroux-França, Marie-Thérèse et Préaud, Maxime, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996 (t. II); (ci-dessous cité en Mariette éd. 1996)
- Henry Keazor, « “Sentences, pressées aux pieds nombreux de la poësie”? Pierre Le Moyne's Poussin Sonnet of 1643 and its context », in Poetry on art : Renaissance to Romanticism, Donington, 2003, p. 147, 176
- Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 38, 41
- Jacques Thuillier 2006, p. 168
Pierre Le Moyne (1602-1671) est une importante personnalité parmi les Jésuites en France, et comme eux, il accorde une grande importance au recours à l'image. Presque dix ans plus tôt, il avait contribué à la brochure glorifiant leur noviciat parisien en y publiant un sonnet en français en l'honneur du tableau de Poussin (Louvre), voisinant avec le texte de Gabriel Cossart dédié au Christ retrouvé dans le Temple de Stella (Les Andelys). Ses Peintures morales (1640) sont ornées d'un frontispice et d'illustrations de Grégoire Huret; sa Gallerie des Femmes Fortes (1647), d'un frontispice de Karl Audran d'après Cortone et d'illustrations de Bosse, Couvay et Rousselet d'après Claude Vignon; il fera encore appel à François Chauveau pour illustrer son Saint Louis, ou la Sainte couronne reconquise (1658).

L'ouvrage dont Stella donne ici le frontispice obtient privilège du roi le 13 juin 1651, permission du Provincial des Jésuites le 3 novembre, et est achevé d'imprimer le 1er mars 1652. Il valut à son auteur les foudres des Jansénistes, et notamment de Pascal, fustigeant l'idée que foi et mondanité soient conciliables. Le Moyne s'inscrit dans la lignée de l'humanisme dévot, soucieux d'ouvrir la spiritualité au Siècle, infléchissant celle de son ordre vers les préoccupations françaises d'un Bérulle.

Le drapé du manteau est identique, à quelques menus détails près, à celui du Christ dans le tableau pour le Carmel du faubourg Saint-Jacques : un même dessin, pour l'un ou pour l'autre, aura servi aux deux. Il participe de l'ampleur monumentale que Stella pousse alors toujours plus loin.

Jesus-Christ mesurant ses recompenses pour ceux qui se sont chargés du joug de sa croix, gravé au burin par Jean Couvay d'après Jacques Stella (Mariette éd. 1996, p. 214); cette lecture est-elle juste? S'agit-il de mesurer les récompenses ou d'opposer insignes temporels (couronne et épée de justice?) et symbole spirituel (crucifix), les premiers, plus lourds, empêchant l'élévation et, au final, le salut? En fait, le seul principe d'un possible équilibre source de salut devait scandaliser les Jansénistes : Le Moyne soutient que la dévotion, symbolisée par la croix, peut contrebalancer dans la perspective du salut les honneurs et les richesses nées du pouvoir et des responsabilités que l'on peut avoir à la Cour. C'est ce que semble suggèrer l'invention de Stella : dans la pesée à laquelle il procède, le Christ indique le rôle que peut jouer la croix, symbole d'une pratique de la foi, en faveur du courtisan.

L'âge donné à Jésus place les enjeux aux débuts de l'exercice de la responsabilité, et plus généralement de tout cheminement dévôt. Il correspond pleinement, de fait, au seuil de l'ouvrage du père Le Moyne.

S.K., Melun, janvier 2017

Frontispice inversé, confronté au Christ de La samaritaine, 1652 (voir ci-dessus)
Repos pendant la fuite en Égypte
1652, peinture et dessin
Huile sur toile. Signé et daté sur le tronc 1652 STELLA 74 x 99 cm.
Historique : coll. de Philippe V, inventorié à la Granja de San Ildefonso en 1727, 1746 et 1774; à Aranjuez en 1794 et 1818; au Prado en 1849 et 1857; dépôt au musée provincial de Burgos de 1862 à 1964.

Possible copie de mêmes dimensions dans l'inventaire de Claudine (Vierge dans un paysage, un enfant puyse de l'eau copie après M. Stella, toile de 2 pieds sur 3, n°140 de son Testament et inventaire de 1693-1697).
Pierre noire, plume et encre brune, lavis gris, rehauts de blanc. 28 x 33,5 cm. Localisation inconnue
Historique :
Coll. T. Blayds (L.416a). Coll. A.T. Loyd; vente Sotheby's Londres, 28 décembre 1945, lot 47. John Holden. Vente Christie's Londres, OMD, 10 juillet 2014, lot 149 (qui donne cet historique et signale l'acquisition de Holden en 1962 via Christopher Gibb; invendu).
Pierre noire, plume et encre brune, lavis gris, rehauts de blanc. 28,5 x 37 cm. Galerie Éric Coatalem
Historique :
Vente Boulogne-Billancourt 21 décembre 2017.
Bibliographie :
- Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 194
- Jacques Thuillier 2006, p. 166-167
La reproduction du tableau est un peu coupée dans le bas : le format est identique à celui du dessin, qui ne diffère que par l'arrangement du lourd rideau autour du gros tronc latéral, derrière la Vierge. Le sujet, une étape de repos pendant la fuite en Égypte, que ce soit sur le trajet ou à destination, est sans doute celui que Stella a le plus abondamment traité, et pour ainsi dire, remâché. J'ai pu tenir un feuilleton autour de versions sur pierre faites au cours du seul séjour romain au gré de leurs réapparitions, qui montre le souci de renouvellement tenant parfois sur d'infimes mais significatives variations.

La toile du Prado s'inscrit dans ce fonctionnement puisqu'elle dérive d'un précédent, sur marbre noir, conservé au Hunterian Museum de Glasgow, qui pourrait avoir servi pour la gravure de François de Poilly, édité par Alexandre Boudan (1600-1671) et dédié à Michel Le Tellier de Chaville (1603-1685) : elle propose, notons-le, des variantes dans le développement du thème angélique, auxquelles la toile du Prado donne encore plus d'ampleur.
Le tableau de Madrid figure dans les collections royales espagnoles depuis le XVIIIè siècle. On peut se demander s'il ne faut pas en faire l'un des tableaux pour la couronne destinés à Madrid (qui ne serait donc pas le château du bois de Boulogne) mentionnés par Félibien, commande directe ou cadeau diplomatique de la couronne de France.

La tentation est grande de mettre en regard la toile du Prado avec les compositions contemporaines de Poussin du Getty partagé avec le Norton Museum de Pasadena, d'une part, et du Fogg Art Museum de Cambridge, de l'autre, qui présentent une petite troupe d'angelots au service de l'enfant, dans son quotidien. Ainsi exprimée, cette inflexion ne saurait apparaître comme une conversion ni même une émulation avec Poussin tant cette approche traverse l'art de Stella depuis ses premiers ouvrages. Si un tel rapprochement souligne des préoccupations voisines, en l'occurrence, le Normand explore ici un terrain coutumier à son ami. Il est donc plus utile de souligner qu'ils puissent aboutir à une remarquable proximité, sans que l'un ou l'autre n'y perde sa singularité. Et si Sylvain Laveissière y consent en 2006, de fait, il n'inclue pas pour autant le tableau dans sa section sur un possible « effet Poussin »...
Nicolas Poussin, Sainte famille à la baignoire,
toile. 98 x 129,5 cm
Cambridge (Mass.), Fogg Art Museum
Nicolas Poussin, Sainte famille “Créquy”, 1651,
toile. 100,6 x 132,4 cm
Pasadena, Norton Museum et Getty Museum
Il y a plus. Vouloir maintenir la comparaison susciterait volontiers la remarque souvent faite à propos de Stella qu'il se plaisait aux sujets aimables : la solennité chez Poussin laisse la place à un regard plus familier, les angelots se désintéressant pour la plupart du motif principal - Joseph qui offre du raisin à Jésus - pour vaquer à leurs occupations au service de la Sainte Famille. N'y voir qu'un sujet plaisant serait alors passer complètement à côté des enjeux de la peinture et de ce qui fait l'approche particulière de notre artiste : sous couvert d'un quotidien souriant, auquel tout spectateur peut immédiatement s'identifier, le sens profond du destin du Christ est délivré au regard attentif et savant, capable de décrypter l'image. Le rideau que les angelots s'évertuent à tendre doit protéger l'Enfant de la colère d'Hérode, tout en évoquant le thème du « Dieu caché ». L'eau que puise un autre angelot et les fruits, dont le raisin, et les fleurs, proposés par ses congénères, renvoient pareillement à la figure christique et à son sacrifice. L'image n'est donc pas moins profonde, ni moins grave, finalement, que celles de son ami Poussin. Elle justifie décidément l'estime de ce dernier pour Stella, qui semble avoir voulu garder le souvenir de la composition, et peut-être même l'avoir soumis au pinceau de Claudine ou d'Antoine dans la copie mentionnée en 1693-1697 parmi les biens de la nièce.

S.K., Melun, janvier 2017
Retouche (août 2019)
Depuis la mise en ligne initiale est apparu en vente un nouveau dessin (ci-contre en bas) indiscutablement autographe et en rapport avec le tableau de Madrid. Son développement en largeur correspond totalement à ce dernier alors que l'autre dessin (ci-contre en haut), de format très proche, doit avoir été légèrement coupé sur les côtés, notamment à gauche. Les variantes tiennent dans quelques infimes détails et dans la technique et le traitement qui pourraient nous éclairer sur le statut respectif des témoignages graphiques.

La nouvelle feuille laisse au seul lavis le soin de déterminer les ombres, avec un soin dans la gradation et dans la précision nettement plus poussé. Les physionomies, en particulier celle de la Vierge, plus lourde, et de Joseph, plus marquée, sont plus proches de la toile, en sorte qu'y voir un ricordo plutôt qu'une préparation - statut envisageable pour l'autre dessin - me semble préférable. Possible commande royale diplomatique pour l'Espagne, Stella envisageait peut-être de prolonger le souvenir en donnant un modèle à graver par ses nièces.

S.K.

Peintures pour
le Carmel du Faubourg Saint-Jacques

Jésus et la Samaritaine
1652
* La Samaritaine.

Huile sur toile. 335 x 224 cm. Signé d'une étoile en bas à droite selon le restaurateur Krysztof Krzyzinski.

Historique : commandé en 1652 pour les Carmélites du faubourg Saint-Jacques de Paris, selon Félibien (1688) par l'abbé Édouard Le Camus (1604-1674), avec un Miracle des cinq pains et d'autres peintures de Le Brun et La Hyre; saisie révolutionnaire; attribué à Notre-Dame-de-Bercy en 1873 (historique plus détaillé in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 196).

Bibliographie sommaire :
- Inventaire général des richesses artistiques de la France. Archives des Musées des Monuments Français, II, 1886, p. 269, 321, 356, 421.
- Yveline Cantarel Besson Musée du Louvre (janvier 1797-juin 1798). Procès-verbaux d'administration du “Musée central des arts ”, Paris, 1992
- Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 190, 195-196
- Jacques Thuillier 2006, p. 174-177
- Sylvain Kerspern, Le jeune Philippe de Champaigne... Au Carmel, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 10 octobre 2011
- Francesca Mariano, «A drawing by Jacques Stella from the Dezallier d'Argenville and Barbiano di Belgioioso Collections », Master drawings,vol. 59, n. 4 (winter 2021), pp. 453-460.


Plume et lavis d'encre. 22,3 x 15,9 cm. Vienne, Graphische Sammlung Albertina (11459), provenant de la coll. du duc Albert de Saxe-Teschen (1738-1822). Plume et lavis. 31,3 x 19,5 cm. Dresde, Kupferstichkabinett (C 1881-13) Dessin, plume et lavis mis au carreau, Berlin, S.M. Kupferstichkabinett; gravé par Mathieu Oesterreich (1716-1178) pour le Recueil de quelques Dessins de plusieurs habiles maitres (1752) de la coll. du comte de Brül (ci-dessus). Plume et lavis d'encre. 23 x 17,3 cm. Louvre (Inv. 32893).
Historique : coll. P.-J. Mariette, vente Paris 15 novembre 1775 (partie du n°1364), acquis par Basan. Apparemment saisi avec les collections royales.
Peintures pour le mur nord de la nef du Carmel, de l'entrée au choeur
Jacques Stella,
Miracle des cinq pains, toile perdue.

Ici, dessin, Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco.
Charles Le Brun,
Le repas chez Simon, toile.
400 x 333 cm.
Venise, Accademia.
Laurent de La Hyre,
Entrée du Christ à Jérusalem, toile.
Ca. 400 x 308 cm.
Paris, Saint-Germain-des-Prés.
Jacques Stella,
Le Christ et la Samaritaine, toile.
335 x 224 cm.
Paris, Notre-Dame-de-Bercy.
Charles Le Brun,
Christ au désert servi par les anges, toile.
390 x 251 cm.
Louvre
Laurent de La Hyre,
Le Christ apparaissant aux trois Marie, toile.
398 x 251 cm.
Louvre.
Des artistes de la commande de Le Camus pour le mur nord de la nef du Carmel du faubourg Saint-Jacques, Stella fut le plus maltraité par l'histoire, en particulier à la Révolution : on conserve les contributions de ses collègues, dont l'une d'elles, pour chacun d'eux, est même entrée au Louvre. Pour Jacques, une composition a disparu depuis, de même que son esquisse provenant du fond d'atelier mais qui passe encore dans des ventes vers le même temps; quant à celle qui subsiste, elle est manifestement mutilée sur les côtés comme dans la hauteur. La confrontation avec les dessins d'ensemble confirme cette réduction, et montre que l'architecture se développait un peu plus en hauteur. Elle conduit aussi au constat d'une modification du canon des personnages, au final moins important, comme le puits, pour l'harmonie de la commande.
Plume et lavis d'encre.
22,3 x 15,9 cm.
Vienne, Albertina (11459).
Toile.
335 x 224 cm.
Paris, Notre-Dame-de-Bercy.
Plume et lavis d'encre.
23 x 17,3 cm.
Louvre (Inv. 32893).
Les feuilles mises en rapport ne proposent pas une lecture fluide de la mise en place de la composition. Le dessin de la seule Samaritaine, de Dresde, la fait s'appuyer sur une construction angulaire que les études d'ensemble remplacent par un puits circulaire. Il ne s'agit peut-être pas d'un ouvrage ayant cette fonction mais il faut bien rappeler que dans la version du sujet gravé parmi les « camayeux » de 1624-1625, sa forme est justement rectangulaire. Il en va de même dans le tableau de Pontoise, que je crois de Stella, et qui aurait été donné par le chancelier Séguier en 1639. Je suis donc enclin à voir dans le dessin allemand une étude de détail partant d'une première pensée, antérieure aux feuilles du Louvre ou de l'Albertina. Pourtant, la gestuelle de la jeune femme ressemble fort à celle donnée au Christ dans le seul tableau final...

Un autre élément figuré doit être versé au dossier : le dessin du drapé du Christ est presque intégralement celui donné à son effigie adolescente au frontispice de La dévotion aisée du père Le Moyne, dont le privilège du roi est obtenu le 13 juin 1651, l'achevé d'imprimer datant du 1er mars 1652. Il est difficile d'établir la priorité dans l'utilisation de l'étude de drapé préparatoire, même si l'actualité politique incite à placer la commande Le Camus en fin d'année. Néanmoins, cet indice vient confirmer, en l'absence de toute inscription ou de marché, la date donnée par Félibien.

Le dessin de l'Albertina (que Jacques Thuillier rejetait) distribue les personnages tels qu'ils apparaîtront au final : le Christ à gauche, la Samaritaine à droite. Leur inversion au Louvre relève certes d'un procédé qui lui est cher mais qui, ici, peut avoir des conséquences sur le cheminement des personnages, puisque le décor architectural ne change guère. À Vienne, les apôtres franchissent l'arc en perspective, sur la gauche; dans la feuille parisienne, ils viennent de la ville dont on aperçoit les remparts à droite. Or dans l'évangile (Jean 4, 6-27), Jésus s'est installé sur le puits pendant que ses disciples se rendent à la ville : au Louvre, tout le groupe serait arrivé en passant l'arc, les apôtres s'en seraient allé à la ville par celui brisé, au fond, pour en revenir par le même chemin, conférant plus de vraisemblance à leur parcours. L'inversion de la place des deux principaux personnages aura conduit à y renoncer dans le tableau pour préserver leur visibilité.

C'est progressivement que Stella met en place le dialogue principal dans sa lumineuse expression. Si le dessin de Dresde en propose bien une idée de départ, il donne à la Samaritaine un rôle actif; celui de l'Albertina la montre à l'écoute, tandis que le Christ l'interpelle; la feuille du Louvre, enfin, introduit le motif génial qui la fait verser l'eau d'une jarre dans une autre, richement ornée, « “ l'eau vive ”, en une métaphore éloquente de la Grâce qui illustre physiquement la puissance du Verbe divin » (Sylvain Laveissière). Il lui restait à donner à Jésus la gestuelle de la Samaritaine dans le dessin de Dresde - montrant de l'index gauche le filet d'eau, portant l'autre main sur sa poitrine - pour donner une lecture particulièrement simple et sensible de ses propos : « Toute personne qui boit de cette eau-ci aura encore soif. En revanche, celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ».
Jacques Stella, Le Christ et la Samaritaine,
gravure sur bois.
Exemplaires de la BnF (Da20b, fol)
- avec cadre et titre lavé d'indigo sur papier blanc;
- sans cadre avec rehauts blancs sur papier bleu.
Plume et lavis.
31,3 x 19,5 cm.
Dresde, Kupferstichkabinett (C1881-13)
Ici attribué à Jacques Stella, Le Christ et la Samaritaine, toile.
1,90 x 3,30 cm.
Pontoise, cathédrale Saint-Maclou.
Plume et lavis.
31,3 x 19,5 cm.
Dresde, Kupferstichkabinett (C1881-13)
Toile.
335 x 224 cm.
Paris, Notre-Dame-de-Bercy
Jean Couvay d'après Stella.
Frontispice pour La dévotion aisée, 1652.
Bnf (inversé)
Plume et lavis d'encre.
22,3 x 15,9 cm.
Vienne, Albertina (11459).
Toile.
335 x 224 cm.
Paris, Notre-Dame-de-Bercy.
Plume et lavis d'encre.
23 x 17,3 cm.
Louvre (Inv. 32893).
La présentation ci-contre donne une idée des conditions de la commande globale. Le canon, le choix des couleurs pour les vêtements attestaient déjà de son aspect concerté (différent de ce que j'ai pu relever pour le chantier de l'oratoire de la reine au Palais-Royal). Chacun des trois artistes devait peindre un tableau large et un autre plus étroit; un avec architecture, l'autre en paysage. Il s'agissait sans doute, dans ce dernier genre, d'évoquer le désir de retraite, de désert, ce qui ne signifie pas l'absence de toute vie mais bien d'une vie entièrement consacrée à la transformation intérieure par la foi; tel pourrait s'expliquer le paradoxe de la Multiplication des pains - une foule nombreuse au désert. Cela suppose néanmoins, à l'inverse, d'accepter une spiritualité d'aspect mondain, touchant jusque dans les activités du siècle, jusque dans le quotidien. La Samaritaine et son dialogue autour de l'eau témoigne, une fois encore, du génie propre à Stella en la matière. Génie incompris au temps de la Révolution, laissé à la porte du Louvre...

S.K., Melun, janvier 2017
Stella,
Miracle des cinq pains, perdu.
Ci-dessus, copie de Saint-Bris-le-Vineux (Yonne, France) dans le bon sens.
Le Brun,
Repas chez Simon
La Hyre,
Entrée du Christ à Jérusalem
Stella,
La Samaritaine. Toile.
335 x 224 cm.
Le Brun,
Christ servi parles anges
390 x 251 cm. Louvre
La Hyre,
Christ apparaissant aux trois Marie
398 x 251 cm. Louvre
tableau perdu Peintures pour
le Carmel du Faubourg Saint-Jacques

Miracle des cinq pains
1652
* Le miracle des cinq pains, dit aussi La multiplication des pains.
- Huile sur toile. Ca. 400 x 290/327 (largeur proportionnée à la hauteur prédéterminée selon les dimensions de l'esquisse) ou 333 (selon les proportions du dessin de Milan) cm?
Historique :
idem jusqu'aux saisies révolutionnaires; 25 juin 1797, mis en réserve (Cantarel-Besson 1992, p. 97), alors que La samaritaine est destinée à Versailles; remis par Lenoir à Naigeon, maison de Nesle rue de Beaune pour y être vendu, trois jours avant La Samaritaine au même motif; disparu depuis.

Bibliographie sommaire :
- Inventaire général des richesses artistiques de la France. Archives des Musées des Monuments Français, II, 1886, p. 269, 321, 355, 412.
- Yveline Cantarel Besson Musée du Louvre (janvier 1797-juin 1798). Procès-verbaux d'administration du “Musée central des arts ”, Paris, 1992
- Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 190, 195-196
- Jacques Thuillier 2006, p. 174-177
- Sylvain Kerspern, Le jeune Philippe de Champaigne... Au Carmel, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 10 octobre 2011
- Francesca Mariano, «A drawing by Jacques Stella from the Dezallier d'Argenville and Barbiano di Belgioioso Collections », Master drawings,vol. 59, n. 4 (winter 2021), pp. 453-460.
tableau perdu - Esquisse.

Historique :
fonds d'atelier; collection Bouzonnet Stella, inventaire 1697, n°35 (toile, 2 pieds x 1,5 - ca. 65 x 49 cm). Vente à Paris le 31 mars 1795 (Lugt number 5291), hôtel de Bullion (expert Léonard-André Clisorius), lot 143. Vente Luigi Ventenati dei Pomposi à Paris le 14 juillet 1819, lot 24 (à Frédéric Boudin; acquis par Lacoste; 22 pouces x 18 - ca. 60 x 49 cm). Localisation actuelle inconnue.
- Dessin.
Sanguine et lavis de sanguine, rehauts de blanc (en partie oxydé) sur papier légérement gris; traces de mise au carreau. 53,1 x 44,2 cm.

Au verso, selon les indications de F. Mariano (2021) : signé et daté , au centre vers le bas Stella f. 1652; inscrit plus bas à l'encre brune à gauche 10'; et plus bas à gauche au crayon noir Aux Carmelites f. s. Jacques; filigrane : un phœnix dans un cartouche (11,6 x 11,2 cm).
Au recto, annoté (?) sur le montage en bas à gauche à la plume probablement par l'expert de la vente Dezallier d'Argenville (1779) (Remy?) : Jacobus Stella invenit et pinxit ParisiiS/N°341. ♡(?)Doit#; et tout à droite numéro d'inventaire de Dezallier d'Argenville 2608 (et non 2607 comme lu par F. Mariano) suivi de son paraphe.
Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco.

Historique :
Fonds d'atelier? Collection Bouzonnet Stella? Collection Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville (son paraphe et n° 2608 au bas à droite); sa vente à Paris le 18 janvier 1779, n°341 (Un sujet allégorique dessiné à la plume & lavé par Mignard, & un autre grand & beau dessin à la sanguine, estompé et rehaussé de blanc, par Jacques Stella.; lot vendu 7 livres). Collection Alberico XII Barbiano di Belgioioso d'Este (1725-1813), inventaire de 1814 par Giuseppe Bossi (1777-1815), n° 1 (F. Mariano 2021, p. 457-458 et 460 n.38 et 45); entré par le mariage de Giulia Amalia Belgioioso d'Este (1844-1923) avec le Marquis Gian Giacomo Trivulzio (1839-1902) dans la famille Trivulzio; acquis par la ville de Milan en 1935 et entré au Castello Sforzesco en 1943 (F. Mariano 2021, p. 460 n.41).
dessin perdu? Historique :
Plume et lavis de bistre? Vente 6 février 1786, Catalogue de tableaux des trois écoles..., collection Charles Paul Jean-Baptiste Bourgevin de Vialart comte de Saint-Morys, p. 171-172 lot 613 (Six dessins, par Poussin, Stella, La Monce et autres. Un sujet allégorique. L'Adoration des Bergers. La multiplication des pains et des poissons, & autres différens sujets d'Histoire, dessinés à la plume et lavés de bistre; acquis par Payen pour 13 l. 4 s.)
Francesca Mariano (2021) a découvert dans les collections du cabinet des dessins du Castello Sforzeco, à Milan, un dessin à la sanguine préparant une composition dont jusqu'alors il n'y avait aucun autre témoignage qu'écrit depuis des décennies. Le tableau final a disparu au cours de la Révolution après avoir été confié au peintre Jean Naigeon, en 1798, pour être vendu; l'esquisse jadis restée dans le fonds d'atelier et mentionnée par Claudine dans son testament et inventaire (1693-1695), puis après son décès par Bon Boullogne en 1697, semble réapparaître sur le marché d'art en 1795 et en 1819 après un passage en Italie, avant de s'évaporer à nouveau. La publication de la feuille italienne favorisera peut-être leur réapparition; peut-être aussi celle d'un autre dessin à la plume et au bistre dont la mention lors de la vente du grand collectionneur le comte de Saint-Morys en 1786 n'est pas claire puisqu'elle ne rattache pas indiscutablement le nom de Stella au sujet de La multiplication des pains et des poissons.

Le dessin devait respecter les proportions du tableau. Celles-ci, soit dit en passant, ne cadrent pas avec celles de La Samaritaine, moins large alors même que le tableau doit être aussi coupé dans la partie supérieure. J'ai souligné ailleurs que les trois travées proches du chœur étaient vraisemblablement plus étroites que celles les précédant depuis l'entrée, justifiant ces différentes largeurs. En revanche, les hauteurs semblent avoir été communes, autour de quatre mètres. Le dessin et la mention de l'esquisse dans la vente de 1819 incitent à donner pour dimensions approximatives au tableau final : 400 x 330 cm environ.
Francesca Mariano mentionne au dos la signature et la date, 1652, qui viendrait confirmer celle donnée par Félibien. Une reproduction aurait été souhaitable, d'autant que je ne partage pas sa lecture d'un autre chiffre dans le nombre accompagnant le paraphe de Dezallier d'Argenville (2608, non 2607). Quoiqu'il en soit, pour premier effet de sa publication, j'ai pu repérer une probable copie ancienne de la peinture du Carmel remontant vraisemblablement au XVIIIè siècle, dans une église de l'Yonne (reproduction ci-contre, inversée pour la comparaison). La dureté du drapé dans certaines parties, sa mollesse ailleurs, notamment le manteau du Christ, et ce qui transparaît du coloris, tout cela ne permet guère, en effet, d'envisager d'en faire une peinture autographe, sauf si entièrement repeinte.

Pour autant, le tableau doit effectivement copier l'original de Stella dont il reprend l'essentiel de la composition tout en proposant d'importantes variantes. Ainsi, pour les plus évidentes, la femme debout au premier plan dans le dessin est assise dans la peinture; l'homme au-dessus d'elle qui porte des pains dans son manteau ne se dirige plus vers elle mais est orienté vers le Christ. Surtout, si la reproduction de la Base du Ministère de la Culture est dans le bon sens, il aura inversé, comme souvent chez Stella, le sens de sa composition du dessin au tableau.

On retrouve jusque dans la copie le principe de vêtir de rose et de bleu le Christ selon l'accord adopté pour les six peintures du mur nord de l'église du Carmel. La femme debout en figure repoussoir du dessin devait peut-être faire écho à la Samaritaine dans l'esprit de Stella. Il l'asseoit finalement pour rendre plus sensible la frise principale, celle du Christ. De fait, cela concourt à rendre explicite le dispositif adopté par Stella pour ordonner le miracle et ses péripéties par l'articulation de frises dans la hauteur et d'une gradation soignée dans la profondeur. Il met ainsi en avant, au sens propre comme au figuré, la présence maternelle, encore soulignée par le probable portrait inséré de sa propre mère, Claudine de Masso, remarqué par Francesca Mariano.
Jacques Stella,
Le miracle des cinq pains, 1652.
Dessin. 53,1 x 44,2 cm.
Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco.
D'après Jacques Stella,
Le miracle des cinq pains.
Toile.
Saint-Bris-le-Vineux (Yonne, France), église St-Prix-St-Cot
Reproduction ici inversée pour comparaison.
D'après Jacques Stella,
Le miracle des cinq pains.
Toile.
Saint-Bris-le-Vineux (Yonne, France), église St-Prix-St-Cot
La Samaritaine. Toile.
335 x 224 cm.
Paris, Notre-Dame-de-Bercy.
Le thème n'est pas si rare, y compris en France au XVIIè siècle mais Stella ne devait pas pouvoir s'appuyer sur un précédent parisien remarquable. En revanche, son parti proposant une frise maternelle assise bouchant l'avant-plan dût marquer les esprits, même si ses successeurs ne seront pas si prolixes dans la représentation féminine.

Les liens d'amitié entre le neveu Antoine Bouzonnet Stella et Claude II Audran (par ailleurs neveu du graveur Karl Audran, collaborateur de Jacques en Italie comme en France) pouvaient laisser présager que le second propose en 1683, pour la commande destinée aux Chartreux de Paris, une solution voisine de celle visible au Carmel du faubourg Saint-Jacques. La référence est manifeste dans la frise au sol, au premier plan, Audran introduisant ses principales modifications dans les dispositions issues de la rupture d'avec le schéma en frise et l'isocéphalie du groupe du Christ et des apôtres, et son déplacement sur le côté, ouvrant l'horizon pour montrer plus nettement la foule que Jésus indique de la main droite.

Que François Verdier (1651-1730) s'en inspire à son tour pour un dessin passé en vente en 2013 est peut-être moins attendu, encore que ce fidèle disciple et collaborateur de Charles Le Brun (1619-1690) ait pu avoir connaissance du décor du Carmel puisque son maître y avait pris part. Quoiqu'il en soit, il aura repris le parti assez peu fréquent d'un point de vue frontal de l'ensemble de la composition, quand bien même il serait favorisé par le format en largeur, la frise en avant-plan, asseyant mères et enfants, et mère-grand, ainsi que l'isocéphalie du groupe du Christ. Verdier, si abondant au dessin, se posait là en continuateur du classicisme français dont Stella fut l'un des fondateurs.
Jacques Stella,
Le miracle des cinq pains, 1652.
Dessin. 53,1 x 44,2 cm.
Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco.
Claude II Audran (1641-1684),
Le miracle des cinq pains, 1683.
Toile.
Paris, église des Blancs-Manteaux.
François Verdier (1650-1730), Le miracle des cinq pains.
Dessin. Marché de l'art en 2013.
Parmi les quatre évangélistes qui narrent l'épisode, Stella, comme la plupart des peintres, suit Mathieu (14, 13-21 et 15, 32-39), le seul à ne pas mentionner que des hommes dans l'assistance. L'épisode se produit chez lui par deux fois, alors que Jésus recherchait la solitude après la mort de Jean-Baptiste mais était poursuivi par une foule d'auditeurs désireux de suivre ses enseignements. Le soir venu, après leur avoir longuement parlé, il s'interroge avec ses apôtres sur leur restauration, demande ce dont on peut disposer sur place; sont réunis cinq pains et deux poissons, qu'il bénit avant de demander à les distribuer, parvenant par miracle à subvenir à toutes et tous, et même à recueillir du surplus après que tout le monde fut rassasié.

Comme pour le sujet de La Samaritaine, mais aussi les sujets soumis à Charles Le Brun, ce miracle rapproche nourriture terrestre et spirituelle. L'épisode fait naître la première de la seconde mais la méditation offerte aux fidèles du Carmel les associait dans le geste d'action de grâce du Christ, ce que peignent également, par exemple, Audran, Daniel Hallé (1664; Rouen, abbatiale Saint-Ouen) ou son fils Claude-Gui (1723; Yssingeaux, église Saint-Pierre). L'originalité de l'interprétation de Stella réside dans cette frise si féminine, puisqu'on n'aperçoit qu'un homme entre la femme debout et l'enfant désignant le groupe du Christ. Elle forme, au fond, un écrin à la mère du peintre, Claudine de Masso, même tapie dans l'ombre. On peut la reconnaître tout autant par ses traits osseux, son visage triangulaire au menton marqué, son long nez plongeant, que par la coiffe qui ne recherche pas la couleur locale, comme celle à l'égyptienne de l'une des femmes à laquelle elle indique le miracle, mais à représenter celle, contemporaine, de la matriarche.
Jacques Stella, Le miracle des cinq pains, 1652.
Dessin. 53,1 x 44,2 cm. Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco. Détail
Portrait de Claudine de Masso, 1654.
Pierre noire. 17 x 13,4 cm.
Ashmolean Museum.
Jacques Stella,
Le miracle des cinq pains, 1652.
Dessin. 53,1 x 44,2 cm.
Milano, Gabinetto dei Disegni del Castello Sforzesco.
Cette actualisation si personnelle pourrait renvoyer à la vie du peintre, élevé, nourri et éduqué, avec son frère et ses sœurs, par sa mère seule à partir de ses neuf ans. Cela peut encore justifier la mise en avant de l'allaitement par la jeune femme adossée à la matriarche, pressant naturellement son sein pour nourrir son enfant. L'hommage est encore celui d'un homme qui vit alors avec sa mère mais aussi sa sœur Françoise, le suppléant dans la formation de Claudine et Antoine (peut-être aussi Françoise) Bouzonnet, associant dans l'éducation nourritures du corps et de l'esprit. Si le tableau, par ses variantes, en relativise la portée, le dessin insistant sur cette frise féminine permet de percevoir à quel point, loin de la froideur qui lui est souvent reprochée, Stella pouvait nourrir sa production d'une tendre bienveillance issue de son quotidien, au service d'une foi que put lui transmettre sa mère et qu'il médite, crayon ou pinceau en main.

S.K., Melun, mars 2022
Table générale - Table Stella - Catalogue Jacques Stella : Ensemble - Dernières grandes commandes (1652-1654), mosaïque
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? C’est gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce n’est pas payant... Désabonnez-vous...
.

Site hébergé par Ouvaton