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Sylvain Kerspern Les facettes de Nicolas Baullery 2. Le peintre de van Mander
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Généalogie et biographies des Baullery | Baullery au Louvre | Baullery selon les sources | Baullery et Brueghel à la noce! | Baullery et Brueghel en conférence | Baullery, parcours d'un grand seigneur |
«Il y a encore un certain Bolery, qui fait de beaux effets de nuit, des mascarades et autres fêtes semblables, ainsi que des troupeaux à la manière de Bassano. Il se comporte en grand seigneur et se promène à cheval suivi dun laquais.» |
Van Mander évoque Baullery dès 1604 parmi les artistes contemporains en France : il le mentionne après Fréminet et Dubreuil et avant François Stellaert/Stella, le père de Jacques, mort en 1605. Il en parle au présent, comme du premier et du troisième alors quil emploie le passé pour le second, qui vient de mourir en 1602. Cela nous permet d'abord daffirmer quil sagit bien de Nicolas, non de Jérôme déjà mort en 1599. On est par ailleurs tenté de rapprocher le comportement public de Baullery du document publié en 2010 par Marie-Antoinette Fleury et Martine Constant à propos dun peintre dénommé... Pierre Baullery, jusquici inconnu et au prénom une fois encore sans doute fautif : il y fait quittance en janvier 1603, avec un clerc, « pour les dépens, dommages et intérêts pour un cheval fourni ». Cest un artiste établi, sans doute un peu fantasque mais prétendant à une reconnaissance la plus haute pour son art, que le peintre et biographe flamand nous présente, en indiquant quelques unes de ses spécialités. Elles le rapprochent de toute une production maniériste de lEurope du Nord, des Flandres à Prague en passant par lEcole de Frankenthal, mais aussi des foyers lorrain et parisien. Cest sans doute ce qui favorise sa mention par van Mander, qui s'inscrit, lui aussi, dans le large mouvement européen du "maniérisme international". Des propositions faites à partir de cette citation, y compris par moi en 1988-1989, à propos de Mascarades ou de peintures de lentourage de Caron, aucune, à ce jour, ne semble tout à fait recevable : toutes, au fond, relève de cette culture maniériste largement répandue dans toute lEurope (particulièrement du Nord, Fontainebleau, la Lorraine...), et qui demanderait à être étudiée sur le plan stylistique, afin den déterminer les racines précises en fonction des développements locaux. Pour identifier des éléments de la production de Baullery de cette époque, il convient de s'appuyer sur les témoignages sûrs, en particulier les gravures, donc pour cette phase, celles éditées par Le Clerc l'année même de la mort de van Mander, en 1606. |
Artiste de cour |
Parce qu'ils portent une inscription ancienne - que je crois signature - les donnant à un "Baullery", il faut aborder en premier lieu les dessins du Tournois de Sandricourt, en huit épisodes, conservés au Louvre. Larchaïsme qui a pu y être décelé au point quon a songé à Jérôme plutôt quà Nicolas, son fils, sexplique sans doute par le recours à des modèles dépoque et le souci dapprocher la vérité historique, revendication explicite dans les longs intitulés développés sous chaque image. Ceux-ci pourraient être postérieurs mais doivent traduire des indications précises, même si l'une d'elles se trompe, comme l'ont noté Pierre Marcel et Jean Guiffrey en 1907. Il faut ajouter quil est possible, si on se réfère au manuscrit de lArsenal retraçant les évènements, que le numéro 2 soit en fait le premier en date. Marcel et Guiffrey commentent "son" château de Sandricourt, qu'ils trouvent très différent de celui apparaissant dans les miniatures antérieures. Je trouve au contraire qu'il s'en inspire d'assez près, compte tenu du fait que ce genre de représentation est généralement assez fantaisiste : il reprend le vocabulaire architectural, les proportions et l'impression de fabrique, d'un élément de décor, qui en découle, et reproduit la perspective qui l'associe à une motte castrale dans le lointain de la première enluminure du manuscrit de l'Arsenal (ci-dessous). Certains drapés ou des dispositions, suscitent, par ailleurs, le rapprochement avec les tapisseries pastorales commandées vers 1500 par Bohier, ancien chambellan de Charles VIII (Louvre, un exemple ci-dessous). Les coiffures au tressage complexe renvoient à coup sûr à des exemples de lépoque, notamment de Léonard (« Léda - et non Leïa - vieille », Louvre, ci-dessous), contrairement à ce que croient Marcel et Guiffrey, par ailleurs indulgents quant à la restitution de la perspective. Une fois passé l'écueil archaïsant, il ne peut plus faire de doute, aujourdhui, que le nom apposé sur certaines feuilles comme lui-même lorthographie, probable signature, est bien celui du fils. Les feuilles combinent les visages « chargés » (surtout pour les hommes) et ceux lisses, souvenirs dAntoine Caron, les personnages en figurines et le travail sur les ombres et les lumières visibles dans les épisodes de la reddition de Paris, gravés et publiés par Le Clerc en 1606 (détails ci-dessous). Sylvie Béguin avait souligné l'aspect très flamand de la "forêt dévoïable" et lorsque nous en avions discuté, au moment de préparer ma communication à la Société de l'art français, elle avait trouvé ma proposition convaincante. Au surplus, la clarification sur la biographie de son père, Jérôme, suggère désormais une culture formée dans un cadre tout différent, dans la suite de Primatice et Penni, auprès de Rochetel. |
Nicolas Baullery, Pas darmes de Sandricourt, 8 dessins; 35 x 53. Louvre. 1. Combat de la barrière perilleuse à la lance 2. Combat de la barrière perilleuse à la lance devant le château 3. Combat de lances au champs de lEspine 4. Combat ` la foule au Carrefour ténébreux 5. Combat de deux cavaliers dans la forêt dévoïable 6. Aventures dans la forêt dévoïable 7. Retour de la forêt dévoïable 8. Banquet |
Ce premier ensemble qui me semble incontestable présente dès l'abord un aspect important de lart de Baullery : le traitement lumineux soulignant les volumes, volontiers simplifiés pour rendre plus évident lalternance de lombre et de la lumière. La réussite en est particulièrement éclatante dans le siège nocturne de Paris (ci-contre), où lon voit que ce travail passe également par les rehauts, plus ou moins empâtés, dessinant les profils. Une telle irrigation lumineuse existe aussi dans la bataille diurne, dans laquelle elle dessine le tissu urbain du paysage. Nicolas Baullery, Martin Fréminet, |
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Revenons à Baullery. Il faut ajouter encore une autre peinture que le sujet savant suggère de placer aussi dans un contexte courtisan : La mort de la fille de Sestos (localisation inconnue). Pline lAncien raconte lhistoire de cette jeune fille liée à un aigle au point que lorsque son corps mort est exposé aux flammes, lanimal sy précipite. Le thème sert volontiers dillustration pour la fidélité amoureuse, et figurait, à ce titre, dans le décor de la galerie dUlysse du château de Fontainebleau (emblème XX), parmi les aménagements dHenri IV selon la description de Guilbert (1731); ce que ne précise pas, en 1642, Pierre Dan qui dit simplement que cette partie du décor continue la description de la galerie. Il faut noter sa relative fortune en France, notamment par des ouvrages rapprochés de lart dAntoine Caron (par exemple, à Saumur), alors que son traitement demeure rarissime. Notre peinture (ci-contre) entre en résonnance avec nombre des ouvrages étudiés jusquici. Les personnages « à la Caron », dont la forme-amphore (comme pour la femme de dos à droite) peut accentuer encore la petitesse des têtes, dont les traits sont indiqués sommairement mais avec autorité, comme le décor de fond, ou encore les vases pansus aux bases miniatures font songer particulièrement aux dessins du tournoi de Sandricourt. Le jeune homme qui se penche, son port de tête et son raccourci nous renvoient au Siège de Paris comme au tableau pour Saint-Germain, par exemple, ainsi quaux gravures de la Reddition de Paris. Le rapprochement le plus frappant est sans doute celui entre les corps de la jeune fille de Sestos et des allégories féminines du frontispice du livre de portraiture publié en 1610 par Le Clerc, leur allongement, leur déploiement comme leur déhanchement « en contrapposto » (ci-dessous). Par rapport aux ouvrages se rapportant aux faits et gestes du roi Henri IV, cette peinture montre une densification du style, des personnages plus présents, notamment par lamorce dune géométrisation sculpturale qui ira croissant, par la suite. Le point de repère du frontispice, comme aussi les deux gravures du Couronnement de Marie de Médicis, par Gaultier et du Sacre de Louis XIII, traduit par Haalbeck anonymement mais dont linvention a été justement rendue par Paola Pacht Bassani à Baullery en 2003, autres jalons sur ce chemin, conduit à placer le tableau vers 1610, voire un peu avant. Il montre Nicolas efficace dans un domaine aux antipodes de ce qui pouvait faire sa réputation - nétait leffet de lumière. | Nicolas Baullery, Premier Siège de Paris par Henri IV, Pau, Château-musée (détail) Bois. 41,2 x 52 cm. Ici attribué à Nicolas Baullery, La mort de la jeune fille de Sestos. Bois (?), 76,5 x 95,5 cm. Coll. part. (selon un cliché de la Caisse nationale des monuments et des sites de 1986) Nicolas Baullery, Aventures..., dessin du Tournoi de Sandricourt. Louvre. Nicolas Baullery, Sacre de Louis XIII, gravure de J. v. Halbeeck. BNF. |
Peintre de genre |
En effet, la citation de van Mander vante le talent de Baullery dans un registre particulier, auquel un Flamand était peut-être plus sensible, le genre et en particulier le travestissement : celui que requièrent fêtes et autres carnavals mais aussi celui dont on peut recouvrir, comme Bassano, un sujet d'histoire de l'Ancien ou du Nouveau Testament. Si nous savons déjà en quoi l'art de Baullery pouvait répondre aux commentaires sur les "beaux effets de nuit" ou l'influence de Bassano, il faut répéter qu'aucune peinture de mascarade ou de troupeaux ne peut lui être, à ce jour, attribué avec certitude. En revanche, il est possible de lui proposer des peintures de genre de cette époque. Ainsi, un tableau, présenté en vente en 2009, 2013 et 2014 comme de ... Caullery, passablement énigmatique mais qui doit représenter, sous couvert de scène de genre « à la flamande » , lélément du feu (Ignis), porte des caractéristiques très semblables au siège nocturne de Pau. Il a subi des usures qui nuisent, comme souvent avec semblable technique de peinture, à la perception des détails. La qualité de ce qui devait être subtilement agencé en souffre mais la palette chromatique est identique, comme lattention aux effets de lumière et dombre et le recours aux visages résumés en des figures géométriques simples. Les coiffures féminines en mitres et les chapeaux à haute calotte, ainsi que les grandes collerettes nous situent à lépoque dHenri IV, vers 1600. On peut ainsi mettre en regard le portrait de la famille royale gravé par Gaultier datant précisément de 1602. | Ici attribué à Nicolas Baullery, Le feu. Toile, 46x62,5 cm. Coll. part. (détail) |
Ces quelques ouvrages témoignent de ce que l'on peut savoir de la production de Baullery avant 40 ans environ. Une production sans doute perturbée par les troubles des Guerres de Religion, qui ont jeté beaucoup d'artistes sur les routes, notamment vers l'Italie, mais couronnée pour notre homme de premiers succès qui augurent de belles promesses, notamment auprès de la couronne. Elle montre un artiste brillant dans sa facture, négligent dans sa restitution de l'espace, dont l'excentricité de caractère, soulignée par van Mander, rejoignait celle du style, "maniériste". Les dernières années du règne d'Henri IV et la régence de Marie de Médicis vont lui donner l'occasion de nouveaux développements, et d'autres succès. C'est sans doute alors que ceux-ci s'internationalisent et touchent l'un des héritiers de la dynastie des Brueghel : cette production mérite un chapitre à part entière... voire une conférence. (à suivre) |
Sylvain Kerspern, Melun, le lundi 23 juin 2014 |
Bibliographie : van Mander 1604 : Karel van Mander, Het Schilder-Boeck (Le livre des peintres), Harlem. Félibien 1679 : André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres ..., Paris, t. III, 1679. Perrault 1696-1700 : Charles Perrault, Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle. Avec leurs portraits au naturel, Paris, 2 vol., II, p. 93. Sauval 1724 : Henri Sauval, Histoire et antiquités de la ville de Paris, Paris, II, p. 34. Bérard 1872 : André Bérard, Dictionnaire biographique des artistes français du XIIè au XVIIè siècle, Paris, p. 51 (Jérôme) et 89 (pour Jérôme et « Jean » ) (louvrage sarrête, en fait, au XVIè siècle). 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