Accueil
- Lettres d'information
Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Table de rubrique : Table générale

Contact : sylvainkerspern@gmail.com

Attribuer
Sylvain Kerspern

À propos de deux peintures franciscaines à Provins.

Un dessin pour le Miracle de saint Antoine



Mise en ligne le 2 juin 2024

Précédemment

Errard à Provins
(2020)

Un dessin pour Sainte Claire

(2023)

Une découverte en favorise souvent une autre. Après la réapparition sur le marché d'art d'une feuille préparant le Miracle de sainte Claire de Provins, un second dessin en rapport avec les tableaux de Provins a été publié dans le catalogue de l'exposition consacrée à Noël Coypel par les musées de Versailles et de Rennes, sans que le rapprochement ne soit fait, toutefois. L'obligeance de Guillaume Kazerouni, qui a pallié mon impossibilité de venir admirer l'accrochage breton en me procurant le catalogue, m'a permis son identification, que lui-même, entre-temps, avait pu faire et qu'il publiera dans les actes du colloque ayant accompagné la manifestation, à paraître (comm. écrite). Son apport permet de voir l'artiste au travail, étant entendu que, pour moi, décidément, il s'agit de Charles Errard, ce qui motive cette étude.

Ici attribué à Charles Errard
Miracle de saint Antoine de Padoue.
Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc. 30 x 23,2 cm.
Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), musée du Grand Siècle, donation Pierre Rosenberg

Le dessin comme préparation : iconographie et composition

Le lien entre le dessin et le tableau se voit dans la mise en place d'un podium, du saint au premier plan et des attitudes comme celles de l'homme accusé ou de ceux en hauteur. Le caractère d'étude, lui, apparaît dans les multiples variantes. Antoine passe d'un côté à l'autre de la composition, le mort suit le chemin inverse et n'est pas dressé pour témoigner mais allongé au sol; l'édicule où se tient le juge n'est pas parallèle au plan du tableau, mais en oblique fuyant vers la gauche. L'homme assis au pied, citation de Raphaël, n'a pas les attributs d'un greffier, table et outils pour consigner les évènements. Fait remarquable, ces modifications n'empêchent pas les grandes lignes de la composition instaurées par la gestuelle de se maintenir : le sens décoratif de l'artiste prime sur l'expression des Passions.

Ceci étant, ici comme là, cette gestuelle triangulaire met en présence Antoine, le mort venant témoigner de l'innocence du père du saint et le juge. Le dessin, le cadavre au sol et l'estrade en oblique, suggère des dispositions en arc de cercle sur la gauche. La composition était moins convenue mais rejetait sans doute trop nettement vers le fond l'instrument de la justice. Il se peut aussi que placer le saint padouan devant l'arcade ouvrant vers l'extérieur alors que l'homme sorti de sa tombe est à l'opposé ait paru invraisemblable. Quoiqu'il en soit, la feuille vient rompre la tentation de faire de la composition finale une forte imitation des exemples de Le Sueur (1646) ou de Le Brun (1646-1647), accusation dont Charles Errard a pu souffrir pour son May que l'on a dit inspiré par Cortone. Elle signale simplement un dispositif dans l'air du temps déjà abordé.

Eustache Le Sueur (1616-1655),
Miracles de saint Paul, 1646.
Toile. 175 x 137,5 cm.
Vente Leclère en 2018.
Charles Le Brun Le supplice de Mézence
Vers 1646
Toile. 54 x 43,5 cm.
Coll. part.

Je ne peux que me réjouir de voir mon intuition concernant les tableaux de Provins confirmée par la réapparition des deux dessins dont l'un a été indépendamment rapproché de Coypel. Néanmoins, cette dernière attribution m'oblige à reprendre la question du partage entre les deux artistes, qu'Errard a naïvement cru secondaire dans le fonctionnement de son atelier et son étroite et longue collaboration avec son élève préféré. Je dois le redire ici : Noël n'a guère été reconnaissant envers son maître, revendiquant volontiers pour lui seul ses collaborations comme exécutant avec Errard dans les documents fournis au roi (ou ses représentants) ou à Guillet de Saint-Georges lorsque ce dernier entreprit la vie du Nantais. Le catalogue de l'exposition me semble en témoigner au travers du Mémoire des ouvrages de peintures faits par Coipel pintre ordinaire du Roy. Rédigé en 1695, plusieurs années après la mort d'Errard, il s'attribue la responsabilité des décorations de l'opéra d'Orphée et d'Euridice en 1647 - donc à 19 ans - avant de l'enlever du mémoire à Colbert de Villacerf. Ce scrupule, il ne l'eut pas pour les entreprises menées avec son maître au Louvre (en 1655 et en 1660), aux Tuileries ou au premier Versailles dans ce même mémoire comme chez Guillet.

Ces remarques incitent à la prudence dans le partage entre les deux, et à résister à une trop grande générosité à l'égard du mieux connu, aujourd'hui, des deux. Le parti de Guillaume Kazerouni maintenant l'alternative à propos de trois dessins, dont le Concert d'anges (reproduit ci-dessous), me semble ainsi justifié mais j'y souscris d'abord parce que cela préserve les chances de voir émerger un jour une figure d'artiste pour Errard alors qu'il n'est encore, pour l'heure, considéré avant tout que comme un antiquaire et un entrepreneur spécialisé dans l'ornement. Reprendre les noms d'artistes associés aux feuilles rattachées au chantier du Parlement de Rennes dans le catalogue dit assez le profond oubli qui fut le sien, mais dont ne profita pas vraiment Coypel, soit dit en passant : Blanchard (cat. 17, 23), D'Huez (cat. 22) et Poussin (cat. 26). Parce qu'une telle annotation en faveur d'Errard est rare (évidemment!), je suis enclin à suivre celle ancienne portée à la plume sur le dessin de la BnF qui le lui le donne. Pour s'en assurer, il faut se tourner encore vers la gravure.

L'invention pour l'estampe au secours de l'écriture du dessin
D'après Charles Errard, Cazal.
Gravure in Triomphes de Louis le Juste, 1649
BnF
Ici confirmé à Charles Errard,
Concert d'anges.
Plume et lavis, rehauts de blanc.
Diamètre : 18 cm. BnF
Nicolas de Poilly d'après Errard,
Les évangélistes,
frontispice de l'Office de la sainte Messe. 1655.
Gravure. 12 x 7 cm. BnF.
Michel Mosin d'après Charles Errard,
Jésus enseignant ses parents sous l'inspiration de l'Esprit Saint /La double trinité. 1657.
Gravure. 74,5 x 59,5 cm. BnF.
René Lochon (et Charles Errard?)
d'après Nicolas Poussin et Charles Errard,
Illustration du Trattato de Léonard, 1651.
Gravure. Inha.
Nicolas de Poilly d'après Charles Errard,
L'eucharistie, illustration de l'Office de la sainte Messe. 1655.
Gravure. BnF.

Ci-dessus sont confrontés ledit Concert d'anges et quatre gravures dont l'invention est, sans conteste, de Charles Errard, et une cinquième, son intervention attestée. Chacun des types physiques et leur mode de présentation - profil schématique, face en raccourci ou au front unifiant en une barre les arcades sourcillières -, les chevelures bouclées ou envolées, les jambes à la musculature nerveuse et filiforme sont autant de points de rapprochement qui constituent le répertoire de son langage personnel. On trouverait difficilement chez Coypel autant de coïncidences, et s'il peut y avoir, ici ou là, des points de contact, ils se situent dans les premières années de sa prise d'indépendance, au cours desquelles ils peuvent être compris comme autant de traces de son apprentissage et sa collaboration auprès d'Errard. Tout ce qui fait la singularité d'un style énergique, presque brutal dans sa sculpturalité appartient en propre au maître. Doit-on alors persister à mettre en doute l'annotation? Selon ces rapprochements, plus nets qu'avec les ouvrages de la décennie précédente, le dessin doit se situer dans la première moitié des années 1650.

La mise en évidence de l'écriture d'un artiste passe par l'évaluation de la trace laissée par la main, qui varie selon l'intention du dessin, de la peinture (d'une sculpture...). Ainsi, le projet pour un plafond aux armes de Mazarin de la BnF propose une facture très propre, maîtrisée parce qu'il s'agit certainement d'une feuille de présentation, mise au propre précédée d'essais et de recherches sans doute moins sages. Le traitement des personnages, leur typologie, leur poses, ne laissent guère de doute sur l'identification de la main, qui est celle que l'on peut trouver dans un certain nombre de vignettes pour l'édition d'après Errard : ainsi des angelots dans le ciel de Cazal (1649, repr. plus haut) ou des putti du bandeau-titre des Divers ornements publiés en 1651, année au cours de laquelle Coypel prend ses 23 ans; sans parler des illustrations pour le Breviarium romanum (1647). Tout porte à croire, soit dit en passant, que le dessin de la BnF prépare partie des « ouvrages en l'appartement de Monseigneur le cardinal Mazarin au Louvre » revendiqués en 1695 par l'élève...

Une étude de détail d'un élément décoratif tel que celui de l'ENSBA (ci-contre) n'a pas un caractère aussi officiel. L'artiste griffonne plus volontiers, place hâtivement les ombres, indiquant les nuances de la peinture « de coloris » à venir. La ligne peut se faire approximative mais elle est autoritaire et énergique. La mention des tons suggère la préparation pour un collaborateur spécialisé dans cette technique tout à fait particulière. La mise au carreau tend à montrer une phase tardive dans la préparation : il n'était pas nécessaire au chef du chantier d'aller plus loin dans la précision des formes.

Un troisième exemple présenté ci-contre montre sa technique obsessionnelle au crayon, en l'occurrence la sanguine. L'attribution que je propose ici ne devrait pas faire l'objet de discussion tant la typologie féminine ou des enfants, aux profils caractéristiques, ou le drapé lui sont personnels. Le soin apporté, différent de celui plus libre dans le décor de la sanguine consacrée à Apollon, pourrait préparer une illustration de livre. L'autorité et l'énergie de la main s'y manifeste tout autant, quoique différemment, à un degré que Coypel ne me semble avoir jamais vraiment atteint, parfois jusqu'à la rudesse - ce qu'Emmanuel Coquery appelle sa rusticité.

Charles Errard, Projet de plafond aux armes de Mazarin.
Plume et encre brune. 22 x 27,4 cm.
BnF, Estampes.
René Lochon (?) d'après Charles Errard.
Bandeau-titre du livre des Divers ornements dédié à la reine de Suède, 1651.
Gravure. Albertina.
Charles Errard. Étude pour un compartiment en camaïeu.
Plume et encre brune, pinceau et lavis de bistre. L.: 18,7 cm.
ENSBA (Mas. 1125)
Charles Errard. Suicide (?) d'une femme forte
Sanguine. 14,5 x 26 cm.
Vente en 2023 (comme « école française vers 1800 »)

Il me paraît encore incertain de s'appuyer sur le dessin de Noël Coypel préparant son May de 1661, sans doute commandé durant l'été 1660, pour juger d'un style qui lui serait entièrement personnel. Certes, il a alors dépassé la trentaine. Au même âge, Le Sueur (1616-1655) a déjà peint, outre le Saint Paul guérissant un possédé évoqué plus haut, l'histoire de saint Bruno, cycle qui lui permet de cheminer vers le classicisme qui s'affirme dans son propre May, en 1649; mais il est sorti de l'atelier de Vouet depuis un lustre, et après une petite dizaine d'années d'apprentissage et de collaboration (vers 1636-1644). Coypel semble entrer dans celui d'Errard dès 1647 (et le susdit décor d'opéra), à 19 ans. Il travaille encore pour lui sur les chantiers des Tuileries, de Fontainebleau et du premier Versailles, sans parler du Parlement de Rennes et autres commandes privées au moment de la sollicitation des orfèvres pour Notre-Dame, et le fera encore quelques années; au total, une quinzaine d'années de proximité.

Poussons la comparaison. Dès sa participation à l'atelier de Vouet, Le Sueur développe un style si personnel qu'Alain Mérot, dans sa remarquable monographie, a été en mesure de lui affecter des ouvrages commandés au maître. Peut-on en dire autant pour Coypel? C'est toute l'importance des quelques gravures de 1645 à 1657 portant l'invenit d'Errard que de jalonner l'évolution du maître auprès de ses contemporains, Jacques Stella - une influence majeure pour lui en France -, Philippe de Champaigne, Laurent de La Hyre, Eustache Le Sueur ou Charles Le Brun.

Noël Coypel,
Saint Jacques conduit au supplice, 1660/1.
Plume et encre brune, rehauts blancs.
39,7 x 34 cm.
Rennes, musée des Beaux-Arts.

Or ces estampes portent un style sans véritable rupture avec le dessin pour le May de Coypel, en particulier les plus tardives évidemment. Le tableau qu'il prépare, que l'on considère volontiers comme ouvrant sa carrière personnelle, est en réalité tout à fait dans la manière d'Errard. L'étude de ses académies, sur lesquelles je vais revenir, montre qu'il ne s'en dégage que progressivement; les autres peintures de ses premiers pas en solitaire montrent une version adoucie de la puissante et solennelle langue d'Errard, repli de confort s'il faut tenir compte des rapprochements faits justement avec Le Sueur, mort depuis plusieurs années.

C'est muni de ces éléments de réflexions que j'envisage tout de même une confrontation entre la feuille préparatoire au May de 1661 et celle de la donation Pierre Rosenberg pour le tableau de Provins (ci-dessous). On peut évidemment remarquer les ressemblances, nombreuses, mais qui n'ont, par le fait, rien d'étonnant. Y-a-t-il des différences significatives propre à instaurer une ligne de partage entre élève et maître? Je le crois.

Nicolas de Poilly d'après Errard,
Les évangélistes,
frontispice de l'Office de la sainte Messe. 1655.
Gravure. 12 x 7 cm. BnF.
Ici attribué à Charles Errard
Miracle de saint Antoine de Padoue.
Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc.
30 x 23,2 cm.
Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), musée du Grand Siècle, donation Pierre Rosenberg
Noël Coypel,
Saint Jacques conduit au supplice, 1660/1.
Plume et encre brune, rehauts blancs.
Détail.
Rennes, musée des Beaux-Arts.

Dans un premier temps, Coypel avait envisagé d'installer le miraculé du May au sol, dans une position qui peut rappeler, en sens inverse, celle du cadavre du dessin pour le miracle du saint franciscain peint pour Provins. Le motif apparaît déjà dans l'une des peintures pour l'Hôtrel de la Ferté-Sennecterre sur l'histoire de la Jérusalem délivrée peint par Charles Errard selon moi dans les premières années de l'installation à Paris et de la Régence (ci-contre). Abstraction faite de l'inversion, le lien est plus net avec le sujet franciscain.

L'examen rapproché amène à constater pour le sujet franciscain une plume appuyée marquant le trait, nettement plus timide et fine pour le May. L'autorité dans l'un cède dans l'autre à l'attention, plus qu'au soin tant les traits ont cet aspect caricaturé du maître, d'autant que l'on peut voir des alternatives suggérées (le pouce droit de l'homme au-dessus du miraculé ici). Coypel cherche tout de même à détailler les visages des principaux personnages, précaution dont ne s'embarrasse pas la main active dans l'autre feuille, s'approchant par le fait de ce que montre les gravures pour l'Office de la sainte Messe par Poilly (1655) où se voit, comme dans le sujet franciscain, un poncif d'Errard différent chez Coypel indépendant : le(s) bras ramassé(s) vers le cou, déjà visible dans le Renaud abandonnant Armide de Bouxwiller.

Charles Errard,
Tancrède et Herminie.
Toile. 240 x 241 cm.
Vente Christie's Londres, 13 décembre 2000

Il subsiste un terrain sur lequel il est possible de confronter maître et élève : les académies (ci-contre). Si les exemples pour Errard sont beaucoup moins nombreux, ce qui demeure est très parlant. Devant le Dieu fleuve de Coypel (à droite), impossible de ne pas penser au maître par le profil perdu tout en creux et la technique de sanguine en hachures systématiques dans les fonds. La feuille n'est pas datée mais montre la dette de l'un envers l'autre. La confrontation avec celle du maître (à gauche) dans une pose pareillement tournée vers le fond, de 1666, soit peu avant son départ pour Rome, montre tout de même des différences notables, qui ne tiennent pas à la seule technique (les rehauts de blanc ici à la craie, là au pinceau posant la gouache).

Le dessin d'Errard est énergique autant dans la restitution de l'anatomie, notamment des muscles, filiformes, que dans la trace du crayon ou du pinceau. L'académie se pose comme synthétique et au service de l'attitude dynamique du personnage. En regard, le travail de Coypel est tout analytique, détaillant des muscles plus étoffés, pour restituer les volumes dans leur plénitude, par un trait minutieux. Le maître déploie une pratique éprouvée - il approche ou atteint la cinquantaine - ; l'élève se plie à une discipline prédagogique nouvelle pour lui, qui le conduit à s'éloigner du travail d'Errard dans la touche comme dans les canons, la typologie.

Les deux autres feuilles de sa main dans l'exercice (Apollon et l'homme effrayé par un serpent ci-contre) jalonnent ce parcours de prise de distance qui se traduit, notamment, par des anatomies plus classiques, « naturelles », quand celles d'Errard trahissaient le travail sur la statuaire antique et renaissante italienne. Il traduit aussi le passage d'un modèle à l'autre, de celui de son formateur à celui du nouveau maître de l'Académie, Charles Le Brun. L'homme effrayé par un serpent, de 1670, pose sa pratique dans le genre pour toute sa carrière.

Charles Errard,
Académie à la tablette, 1666.
Sanguine et rehauts de blanc (gouache).
53,5 x 40 cm.
École Nationale Supérieure des Beaux-Arts
Noël Coypel,
Académie en Dieu-fleuve.
Sanguine et rehauts de blanc (craie).
50,5 x 40,8 cm.
École Nationale Supérieure des Beaux-Arts
Noël Coypel,
Académie en Apollon, 1665.
Sanguine et craie.
59,8 x 40,2 cm.
École Nationale Supérieure des Beaux-Arts
Noël Coypel,
Académie effrayée par un serpent, 1670.
Pierre noire et craie.
56,3 x 41 cm.
École Nationale Supérieure des Beaux-Arts

Attribué à Charles Errard,
La Justice démasquant la Fraude, verso/recto.
Plume et lavis, gouache. D. : 28 cm.
Ici attribué à Charles Errard
Sainte Claire mettant en fuite les Sarrasins.
Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc,
mise au carreau au crayon noir.
28 x 22,5 cm.
Galerie Éric Coatalem
Noël Coypel,
Sacrifice à Jupiter, 1679-1680. Pierre noire, lavis d'encre brune, rehauts blancs.
Saint-Cloud, musé du Grand Siécle, donation Pierre Rosenberg.

On peut prolonger la confrontation entre maître et élève pour la technique au service de la composition (ci-dessus) en s'appuyant, pour Coypel, sur un exemple après émancipation. Le constat s'y répète : Errard montre une vigueur quasi-fébrile quand l'élève pose ses crayons avec fermeté mais non sans pesanteur. Les visages de l'un sont finement esquissés, ceux de l'autre plus nettement détaillés; possible différence entre un chef d'atelier déléguant volontiers et un maître s'investissant dans la réalisation de la peinture. Pour autant, envisager qu'Errard ait au bout du compte beaucoup conçu et peu peint est excessif et peu représentatif des conceptions du temps.

En abordant une première fois les peintures de Provins, j'ai envisagé de les situer entre 1655 et 1660, laissant ouverte l'alternative Errard-Coypel à partir d'un dessin préparant un des personnages du podium du Miracle de saint Antoine, pour lequel ma première idée fut pour l'élève; réflexe compréhensible rapprochant de (ce) qui est le mieux connu, et limite de l'attributionnisme, à prendre avec précaution, donc. La découverte du dessin préparant Saint Claire mettant en fuite les Sarrasins m'a incité à affirmer le rôle du maître, en lui assignant fermement la feuille. On aura compris que j'en fais de même pour celle préparant le Miracle de saint Antoine de Padoue, dont les rapprochements avec les gravures du Breviarium romanum publié en 1647 me semblent plus sensibles, en sorte que je remonterais volontiers ma première proposition autour de 1650, avec pour responsable, décidément, Errard, que Coypel y contribue ou non.

En l'état des recherches sur Errard, il est sans doute imprudent d'affiner plus mais il se peut qu'un jour, il soit possible de suivre pas à pas cette longue période française de l'artiste couvrant toute la Régence, au point d'évuentuellement distinguer nos deux peintures et leurs préparations dans le temps. Les confrontations proposées pourraient placer en premier le Miracle de saint Antoine, entraînant ensuite celui de Sainte Claire.

Ici attribué à Charles Errard
Miracle de saint Antoine de Padoue.
Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc. 30 x 23,2 cm.
Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), musée du Grand Siècle, donation Pierre Rosenberg
Charles Errard (et atelier?)
Miracle de saint Antoine de Padoue.
Toile, 225 x 160 cm. Provins, église Sainte-Croix
(en dépôt à l'église Saint-Quiriace, dans la Ville Haute)
Pierre Daret d'après Charles Errard,
La Pentecôte, 1647.
Gravure. BnF
Nicolas de Poilly d'après Errard,
Les évangélistes,
frontispice de l'Office de la sainte Messe. 1655.
Gravure. 12 x 7 cm. BnF.

Trois articles, autant de discussions de l'ordre de l'appréciation du jeu de la main, est-ce source de conviction? La question aurait pu être réglée par le simple rappel du fonctionnement d'un atelier au XVIIè siècle; mais comme je l'ai incidemment noté, il varie d'un maître à l'autre. Les circonstances font que celui d'Errard s'apparente à celui d'un modèle assumé et incontournable alors, celui de Raphaël : le Nantais travaille sur à peu près tous les chantiers royaux, pour des particuliers puis pour le Parlement de Rennes. On s'accorde aujourd'hui à concéder une importante exécution de Giulio Romano, entre autres, dans les dernières Stanze du Vatican commandées à l'Urbinate. Envisgerait-on pour autant de faire le catalogue raisonné de Raphaël sans les inclure? C'est ce qui a longtemps été fait pour le décor du Parlement de Rennes, au profit de Coypel. Le récent catalogue de l'exposition de Versailles et Rennes, de ce point de vue, revient un peu sur ce point de vue, même s'il me semble encore trop timide; le contexte ne s'y prêtait guère.

Le raisonnement historique sur le seul argument des pratiques du temps ne trouve pas encore suffisamment d'écho ou de poids dans les discussions pour déterminer, plus encore que la paternité, la responsabilité dans la réalisation d'un ouvrage. Cela me semble justifier le temps passé ici à mesurer l'implication mise dans le tracé de la plume, du pinceau ou du crayon ou faire la part de ce qui peut être l'intention de l'inventeur, celle de l'exécutant, puis de l'élève cherchant à s'émanciper d'une forte tutelle. C'est elle qui justifie la prise en compte d'une telle responsabilité. Il ne fait pas de doute que les entreprises conduites par Errard avec participation de Coypel, au moins jusqu'en 1661, relèvent du maître. La situation des peintures provinoises ne sauraient pas plus lui être soustraites, et leurs dessins préparatoires viennent étoffer de manière sensible le corpus graphique permettant de juger de son style et de son évolution.

Sylvain Kerspern, juin 2024

Bibliographie :
- Jacques Thuillier, « Propositions pour : Charles Errard », Revue de l’Art, 61, 1983.
- Sylvain Kerspern, « À propos de l'Énée transportant Anchise du Musée des Beaux-Arts de Dijon : jalons pour l'œuvre de Charles Errard. », La tribune de l'art, mise en ligne le 21 juin 2005 (dernière consultation, 7 novembre 2019)
- Sylvain Kerspern, « Errard et Coypel au Parlement de Rennes. Enseignements d'une exposition. », Dhistoire-et-dart.com, mise en ligne initiale en 2005 (actualisation en 2013)
- Emmanuel Coquery, Charles Errard : la noblesse du décor, Paris 2013.
- Catalogue d'exposition Dessins français du XVIIè siècle. Collection du Département des Estampes et de la Photographie, Paris, BnF, 2014, cat. 44, p.90-91 (notice de Barbara Brejon de Lavergnée; mise en ligne initiale en 2005 (actualisation en 2013)
- Sylvain Kerspern, « Emmanuel Coquery, Charles Errard : la noblesse du décor. Retour sur le partage Errard/Coypel » , Dhistoire-et-dart.com, mise en ligne mars 2020
- Sylvain Kerspern, « À propos de deux peintures franciscaines à Provins. Cadre historique et attribution, de Rémy Vuibert à Noël Coypel », Dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 31 mars 2020
- Guillaume Kazerouni et Béatrice Sarrazin, cat. expo. Noël Coypel Peintre du roi, Versailles-Rennes, 2023-2024.
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com.
Vous souhaitez suivre les nouveautés du site? C’est gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce n’est pas payant... Désabonnez-vous...
.
dhistoire-et-dart.com

Plan du site - Accueil
Site hébergé par Ouvaton