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Jean Senelle, peintre mousquetaire. Vingt ans après. Mise en ligne le 14 mai 2019 |
Il y a maintenant un peu plus de vingt ans se tenait à Meaux, sa ville natale, une exposition rendant sa place au peintre Jean Senelle, dont j'avais eu le plaisir de tenir le commissariat grâce à Laurence Lecieux et à toute l'équipe du musée Bossuet. Sa préparation et sa tenue comptent parmi mes plus beaux souvenirs d'historien de l'art. L'artiste m'est toujours cher et j'ai continué à engranger oeuvres et informations depuis, que je souhaite partager ici et sur une page dédiée à la transcription de nouveaux documents. |
L'enseignement des documents |
L'article de 1991, cosigné avec Patrick Poupel qui m'a fait découvrir le peintre, puis l'exposition de 1997-1998, avaient déjà passablement transformé la biographie de Jean Senelle, que l'on faisait jusqu'alors, entre autres, peintre local de Meaux, proche de Valentin de Boulogne, de Coulommiers, et de Nicolas Poussin par confusion avec un « pauvre monsieur Snell », ou encore rival malheureux de Le Sueur, son camarade d'école chez Vouet. Nous l'avons rajeuni de deux ans en lui restituant son père, Gédéon, peintre vitrier, établi son cousinage éloigné avec Valentin par sa femme, Marguerite, effectivement originaire de Coulommiers. Par dessus tout, nous l'avons replacé dans le contexte foisonnant du foyer parisien, entre Lallemant, Vignon et Vouet, en cherchant à souligner ce qui faisait sa personnalité, ses délices autant que les nôtres.
La principale lacune de sa biographie demeure la date de sa disparition entre avril voire juin 1654 et mai 1671. En novembre 1653, paroisse Saint-Roch, avait été baptisé le dernier enfant du couple, que je croyais le onzième mais qui se trouve être le douzième puisque vient s'intercaler un troisième Jean(-Baptiste), baptisé à Meaux, paroisse de Chaage, le 24 août 1650, que m'a généreusement signalé Jean-François Viel. Cette naissance dans sa ville natale confirme un séjour prolongé motivé non par la concurence d'Eustache Le Sueur mais plutôt par les débouchés ouverts par le mécénat de Dominique Séguier suivi par le personnel ecclésiastique de la ville épiscopale, d'autant que la capitale était en ébullition. |
Cela n'en fait pas pour autant un artiste « local » ou provincial. Les deux actes encore inédits du Minutier central des notaires des Archives Nationales témoignent de son activité à Paris. L'un s'incrit dans le fonctionnement d'un atelier par la prise d'un apprenti et j'avoue avoir été surpris de découvrir son identité, puisqu'il s'agit d'Antoine Paillet, fils d'un brodeur du roi qui deviendra académicien en 1659, travaillera à Versailles, réputé élève avant tout de Sébastien Bourdon.
En règle générale, c'est cette deuxième phase de la formation, qui permet de collaborer aux ouvrages du maître, qui a le plus de retentissement sur le style de l'élève. Pourtant, certaines illustrations gravées par Guillaume Vallet pour le livre me semblent garder quelque chose du jeu de figurines cher à Senelle, contre lequel l'art de Bourdon n'allait au demeurant pas forcément. Nous allons voir que les années de formation de Paillet auprès de Senelle n'auront pas manqué d'ouvrages à exécuter pour l'atelier ou, à tout le moins, à méditer pour son apprenti. |
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G. Vallet d'après A. Paillet, illustration du Traité du Sublime de Longin traduit par Nicolas Boileau dans ses Œuvres diverses..., gravure, 1675. | Jean Senelle, Le sacre de saint Martin. Huile sur bois, vers 1645-1647. Meaux, Musée Bossuet |
L'autre document des Archives Nationales est un nouveau marché, s'ajoutant au plafond du Reposoir de la Place Royale en 1654, cette fois pour un tableau d'autel pour la confrérie Notre-Dame de la Carole, destiné à la chapelle derrière le choeur dans l'église du prieuré parisien de Saint-Martin-des-Champs. Il est passé en avril 1641. L'étude du marché, détaillée ici, conduit à privilégier, parmi les miracles attribués aux deux Vierges qui ont occupé le lieu, l'identification avec un épisode survenu en 1393, reproduit dans le détail de la gravure anonyme de 1743 ci-contre.
Sébastien de Saint-Aignan, témoins sur lequel je vais revenir, confirme la réalisation du tableau, qu'il qualifie d'excellent. Piganiol de la Force permet de penser qu'il existait encore en 1742, puisqu'il y mentionne une peinture représentant ce sujet. La répétition de l'information dans un autre ouvrage du même auteur en 1765 doit être prise avec précaution, d'autant que les termes en sont fort proches : les auteurs reprennent volontiers leurs textes sans forcément vérifier si l'information est toujours exacte. Le prix est moyen, à la mesure du budget des commanditaires qui ne semblent pas très fortunés. |
L'information la plus importante provient assurément de la consultation du manuscrit du frère carme Sébastien de Saint-Aignan, du couvent d'Orléans, sur L'art de peinture (folio 34r°). Le texte n'était pas tout à fait inconnu, puisqu'il a été utilisé par Henri Herluison et Paul-Antoine Leroy dans une publication qu'ils lui ont consacrée en 1896. Au moment de l'exposition Senelle, les travaux d'Éric Moinet, conservateur en chef du Musée des Beaux-Arts d'Orléans, avaient de nouveau attiré l'attention sur ses manuscrits. Toutefois, je n'ai eu la possibilité de l'examiner plus en détail que récemment à l'Institut National d'Histoire de l'Art, dans le fonds de la Bibliothèque Doucet, et ce qu'il dit de Senelle a de quoi surprendre et demande quelques explications. |
Il faut d'abord rappeler le contexte de cette citation. Après une longue liste consacrée aux grands noms de la peinture à travers les siècles, il en vient à évoquer certains des peintres actifs à Paris lors de son séjour pour réaliser le retable des Carmes des Billettes en 1642-1644. Certaines mentions sont datées, certaines rectifiées, ainsi de l'arrivée des peintures de Déruet pour Richelieu en 1642 (et non 1643), confirmant la situation tardive de l'ornement par le peintre lorrain du cabinet de la Reine de ce château; suggérant peut-être aussi qu'il fit l'objet d'une présentation à Paris qui fit quelque bruit.
Cet aspect de témoignage direct donne un crédit certain à ses informations, celles collectées dans la capitale autant qu'en Val-de-Loire, où il signale notamment la crise de goutte de Pierre Mosnier vers la Toussaint 1644. Ce n'est pas le cas, par le fait, pour certaines œuvres qu'il donne à Blanchard, qu'il a pu rencontrer lorsqu'il a séjourné à Orléans mais qui était mort depuis 4 ans lorsqu'il vient à Paris : ainsi du Martyre de saint Eustache, qui est de Vouet, et vraisemblablement du Martyre de saint Jean, pour lequel il hésite entre Saint-Sauveur et Saint-Sépulcre, dans la chapelle des peintres, qui est le chef-d'oeuvre de Charles Le Brun peint juste avant qu'il ne se rende à Rome fin 1642. Dans le cas de Senelle, il n'a pu qu'entendre parler de lui à Orléans, où il a travaillé pour les Récollets (Saint François remettant le cordon du Tiers-Ordre à saint Louis, Orléans, Musée des Beaux-Arts) et, selon son témoignage, pour des particuliers et à la voûte de la chapelle Notre-Dame dans la cathédrale Sainte-Croix. On peut envisager d'identifier le dénommé Rousseau avec Gabriel Rouzeau, chirurgien, qui lui commanda l'Esculape, daté de 1639, en lequel j'ai identifié la main du Meldois parmi les effigies du collège de chirurgie de la ville. Quant au décor de la première église du diocèse, il s'agissait sans doute d'un parti voisin de celui de l'abside de la chapelle de l'évéché de Meaux, surplombant les peintures de Létin conservées (en partie?) dans l'église et le monument sculpté par Michel Bourdin consacré au fils défunt de la duchesse de Fronsac. La contribution des peintres doit se situer vers la même date et celle de Senelle imposant de se rendre dans la ville ligérienne pourrait avoir suscité les autres commandes. Lorsque le frère carme arrive à Paris, il retrouve le Meldois apparemment très actif. Il remarque le tableau de Saint-Martin-des-Champs, pour la chapelle de la Carole (marché de 1641 susmentionné), et surtout les deux immenses toiles pour la Confrérie du Saint Sacrement de Toulouse. Voilà qui confirme mon intuition voyant en Senelle le responsable de l'achèvement des compositions ébauchées par Aubin Vouet et laissées inachevées à sa mort, en mai 1641. De plus, leur réalisation peut être située très rapidement après la disparition de celui-ci, puisque le carme doit les avoir vus avant de retourner à Orléans. J'incline donc à croire que le frère a rendu visite au peintre. On ne s'arrêtera pas à l'orthographe qu'il donne à son nom, remplaçant le premier e par un i. Il écrit volontiers les noms comme il les entend, nommant Mosnier Meunier ou Monier, Poerson Person, Stella Stela, par exemple. Comme le parler briard tend à éluder les voyelles lorsqu'elles sont en début de mot, on peut comprendre l'erreur. On mesure la place qu'il lui accorde puisqu'il le cite après Stella, Vouet, Champaigne, Laurent de La Hyre, ce dernier étant le héros manifeste de Saint-Aignan qui le dit « le plus accompli en toutes les parties de la peinture qui eut été & soit du temps présent, faisant les figures à ravir, l'architecture & perspective en perfection, les paysages, animaux, les fleurs, les fruits en imitant si parfaitement les naturels que ne peut rien désirer de mieux fait, il a la conversation fort douce »; puis « le célèbre et grand peintre Claude Vignon »; enfin, il le cite avant Corneille, Baugin, Létin, Poerson, Bourdon, Lemaire... Plusieurs facteurs peuvent être invoqués pour expliquer l'importance, un peu surprenante tout de même, qu'il lui accorde. En premier lieu, il est clair qu'il privilégie les artistes réputés dans l'art sacré. Il y a ensuite une possible relation amicale nouée à Orléans retrouvée à Paris, comme pour Corneille; peut-être aussi une certaine vanité à promouvoir un proche. Enfin, il a pu être impressionné par l'ampleur décorative des compositions pour Toulouse. Il faut d'ailleurs noter que s'il cite Lallemant ou Blanchard, il ne dit mot d'Aubin Vouet... Du moins cette mention devrait-elle conduire à enterrer définitivement l'idée d'un Senelle « peintre provincial ». Elle explique, en tout cas, ce qui, pour moi, restait un mystère lors de l'exposition de Meaux : qu'au XVIIIè siècle encore, l'artiste conserve une certaine gloire à Orléans. |
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Claude Déruet, Le feu. Toile, 114 x 286 cm. Orléans, Musée des Beaux-Arts. Un des Éléments peint pour le château de Richelieu en Poitou apparemment vu à Paris par Saint-Aignan en 1642. |
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Simon Vouet, Martyre de saint Eustache. Toile, 300 x 260 cm. Paris, Saint-Eustache. Attribué par erreur à Jacques Blanchard par Saint-Aignan. | Charles Le Brun, Le martyre de saint Jean l'évangéliste. Toile, 282 x 224 cm. Paris, Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Attribué par erreur à Jacques Blanchard par Saint-Aignan. | |
Jacques de Létin, Le Christ au Jardin des Oliviers. Toile, 337 x 221 cm. Orléans, Cathédrale. Peinture originellement placée sous la voûte peinte par Senelle citée par Saint-Aignan. | Jacques de Létin, La montée au Calvaire. Toile, 341 x 221 cm. Orléans, Cathédrale. Peinture originellement placée sous la voûte peinte par Senelle citée par Saint-Aignan. | |
Jean Senelle, Esculape, 1639. Toile, 94 x 62 cm. Commandé par Gabriel Rouzeau. | Jean Senelle, Saint François remettant le cordon du Tiers-Ordre à saint Louis. Toile, 290 x 195 cm. Peint pour les Récollets. | |
(Aubin Vouet et )Jean Senelle, L'invention de la Vraie Croix par sainte Hélène. Toile, « 16 pieds de large, 10 pieds de haut » (environ 300 x 490 cm; en réalité 283 x 662 cm). Toulouse, Musée des Augustins. | ||
(Aubin Vouet et )Jean Senelle, Le serpent d'airain. Toile, « 16 pieds de large, 10 pieds de haut » (environ 300 x 490 cm; en réalité 283 x 629 cm). Toulouse, Musée des Augustins. |
L'apport de nouvelles oeuvres |
Le rassemblement d'œuvres que constitue une exposition monographique consacrée à un artiste, mettant en lumière la cohérence d'un style, est souvent suivi de la découverte de nouveaux exemples de sa main. Du petit groupe que je souhaite présenter ici selon l'ordre chronologique et qui ne figurait pas dans le catalogue de 1997, deux sont complètement inédits. Je commencerai par quelques espoirs déçus.
Certaines peintures n'ont pu être présentées, la Sainte famille passée chez Lasson et l'Artémise/Sophonisbe inspirée de Vouet, ne connaissant pas leur propriétaires. Elles n'ont pas reparues alors que chacune d'elles proposait un aspect singulier de l'artiste - une Sainte famille pour l'une, la veine profane pour l'autre. De même, la part dessinée de sa production n'a pas évolué alors que la pratique régulière du dessin est attestée par le marché présenté ci-dessus, qui suppose une préparation d'ensemble dans cette technique, et que la reprise de figures d'une composition à l'autre suppose qu'il en ait conservé un fonds au long de sa carrière. |
Saint Jean-Baptiste, 1628 | ||
La première oeuvre se trouve être aussi le tout premier témoignage désormais conservé de sa main. Aujourd'hui en collection particulière, ce Saint Jean-Baptiste sur bois est réapparu en vente publique en 2014 sans attribution proposée, avant de passer dans une galerie belge qui l'a rapproché de Claude Vignon. Nul n'avait su lire les initiales et la date au dos du panneau (I.S./1628, ci-dessous), même après un tel rapprochement, à la différence du propriétaire actuel. Il a été publié par Guillaume Kazerouni en 2017 comme image en rapport de la Présentation de la Vierge au Temple que le Musée des Beaux-Arts de Rennes a acquise, sur laquelle je vais revenir.
Le style bosselé, la façon de casser le poignet gauche, « impossible », mais que Senelle répète volontiers et qui s'apparente à ce que l'on peut voir chez le jeune La Hyre (Hercule et Omphale, Heidelberg), le paysage franco-flamand sont parfaitement cohérents avec La prédication de saint Jean-Baptiste du Musée Bossuet peint l'année suivante et provenant vraisemblablement de la chapelle du Cantuaire de la cathédrale. Le format n'est pas très grand et pourrait correspondre à une oratoire. Les premiers ouvrages étant tous meldois, la tentation est grande d'en faire un nouvel élément, en le rapprochant, pourquoi pas? d'un des mécènes locaux du jeune artiste, tel le chanoine Jean de Bourdelles dont le Baptiste est le saint patron et qui fait appel à lui pour décorer l'autel de la chapelle de la cathédrale qu'il desservait de la Descente de croix de 1630. Comme la Prédication, et au regard du reste de sa production, ce panneau de dévotion montre un artiste encore imparfaitement formé, ce qu'il dut faire à Paris, auprès d'un Georges Lallemant, me semble-t-il, dans son cas. On ne peut donc pas exclure qu'il ait commencé à travailler pour quelque commanditaire parisien. |
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Jean Senelle, Saint Jean-Baptiste, 1628.
Panneau, 80 x 80 cm. Coll. part. |
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Jean Senelle, La prédication de saint Jean-Baptiste, 1629. Panneau, 131 x 214 cm (détail). Meaux, Musée Bossuet. |
La présentation de Jésus au Temple. | ||
Déniché par la Galerie Terrades (Paris), cette belle découverte a été acquise par le Musée des Beaux-Arts de Rennes en 2016. L'attribution ne fait pas de doute devant le travail des carnations, la typologie des personnages, le drapé ou le fond architectural brumeux. Le format est à peine plus grand que le Saint Jean et pourrait correspondre, une fois de plus, à une peinture d'oratoire. L'idée est plus vraisemblable que d'y voir tableau d'autel de la chapelle de la Présentation et de l'Annonciation de la cathédrale de Meaux, décorée par le chanoine Jean de Vitry au temps de Dominique Séguier, pour lequel, d'ailleurs, aucun nom d'auteur n'est donné.
On peut placer la toile dans le processus de conversion au style de Vouet, assez tôt dans sa carrière au regard de certains drapés encore peu disciplinés et de visages un peu sommaires, mais après l'Adoration des mages jadis à la Chapelle-Gauthier et aujourd'hui dans la cathérale de Meaux, de 1636, moins nettement sensible à l'exemple du principal peintre de Louis XIII. Il réédite l'effort d'une grande machine architecturale, conférant à une œuvre de dimensions modestes une indéniable monumentalité. Si l'exemple d'un La Hyre, dont il peut également être proche alors, a pu l'y inciter, on ne lui demandera pas autant de correction. Senelle garde une fantaisie nonchalante qui donne aux bases de ses colonnes une mollesse encore accrue, pour l'une d'elles, par une certaine usure de la couche picturale. Le passage du temps a également remis en lumière certains repentirs notables, comme l'assise de la troisième colonne, au tout premier plan, initialement parallèle au plan du tableau et depuis alignée selon la fuite qui affecte le reste du bâtiment. On remarquera aussi la reprise de l'arabesque du bras tendu du personnage au premier plan, d'abord plus puissant, l'une des références les plus évidentes à Vouet mais déjà présente dans le Saint Fiacre de Marcilly. Le charme de son art tient au plaisir des empâtements pour les ornements du vêtement du Grand Prêtre; à la façon de ciseler de façon sculpturale le drapé par un rehaut clair sinon blanc; la savoureuse expression de l'Enfant, affectueusement caricaturale; ou encore le méchage « à la bohémienne ». Toutes choses qui témoignent, par-delà la susdite conversion à Vouet, du souci entretenu par Senelle de garder une singularité qu'on aurait tort de prendre pour une naïveté provinciale. |
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Jean Senelle, La présentation de Jésus au Temple Toile, 102 x 90 cm. Rennes, Musée des Beaux-Arts. |
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La charité romaine. | ||
D'un format de nouveau moyen sinon réduit, une Charité romaine est passée en vente en 1999 sous une attribution au cercle de Vouet. N'en ayant eu connaissance qu'ensuite, je n'en ai pas de meilleure reproduction que celle ci-contre. Malgré cela, et sous cette réserve, la rendre à Jean Senelle me semble s'imposer.
Parmi les principaux indices, il faut citer l'expression de la jeune femme, dont la forme des yeux dérive d'une culture franco-nordique étendue jusqu'à l'École de Prague, plus sensible dans les débuts de l'artiste mais qui ne fait que s'estomper par la suite : on la comparera, par exemple, avec la femme témoin de la résurrection miraculeuse de L'invention de la vraie croix de Toulouse, ou encore de la Madeleine de la Résurrection de Lazare de Villenoy. Le profil du vieux père à la longue barbe s'éfilochant, aux petits yeux à la prunelle noire en coin est non moins caractéristique de l'artiste, qu'il s'agisse de tel ou tel Mage des ses différentes Adorations, du Saint Marc d'Orléans ou de certains témoins de ladite Résurrection. Le travail des rehauts lumineux comme celui du drapé est tout autant cohérent avec sa production, l'arrangement des plis supposant un travail raisonné encore absent des toutes premières oeuvres. On peut donc envisager une situation voisine de la Présentation, dans la seconde moitié des années 1630, en remarquant toutefois que toute la période entre 1630 et 1636 manque de repères datés, et en tenant compte du fait qu'un examen direct n'en a pas encore été possible. Le sujet relève de l'histoire profane. La présentation comme Charité romaine résulte de la moralisation chrétienne d'un exemple de piété filiale. L'anecdote est rapportée par l'auteur romain Valère Maxime (Faits et dits mémorables, Livre V, ch. 4, VIII) parmi les exemples étrangers de cette vertu. Il souligne l'amour de Pero pour son père Cimon, condamné à mourir de faim en prison, venant le visiter pour lui donner le sein et ainsi le maintenir en vie, suscitant l'admiration et, implicitement, l'amnistie : « Les yeux s'arrêtent et demeurent immobiles de ravissement à la vue de cette action représentée dans un tableau; l'admiration du spectacle dont ils sont frappés, renouvelle, ranime une scène antique : dans ces figures muettes et insensibles, ils croient voir des corps agir et respirer... », écrit cet auteur. Étant donné le succès du sujet à l'époque moderne, il n'est pas sûr que l'aspect moral de cet exemplum virtutis ait été seul en cause dans le regard du commanditaire. La comparaison avec la version de Simon Vouet (ci-contre) de Bayonne par delà les ressemblances de format (d'ailleurs modifié pour celle du Parisien) ou de cadrage, montre l'originalité foncière de Senelle, qui ne s'attache guère à la rhétorique du geste (chez Vouet, la main gauche de la jeune femme pressant le dos de son père, la main levée de surprise de celui-ci) pour privilégier une approche d'abandon quasi-animal de Cimon et un ton globalement pathétique. Les deux femmes se détournent pour s'assurer qu'elles ne sont pas surveillées - attitude classique qui joue avec notre regard de spectateur/voyeur - mais chez l'aîné, le regard qui s'élève christianise sa piété quand chez son cadet, pâmé, il traduit une inquiétude intériorisée. |
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Attribué ici à Jean Senelle, La Charité romaine Toile, 26,3 x 26,3 cm. Localisation actuelle inconnue. |
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Jean Senelle, Saint Jean-Baptiste, 1628.
Panneau, 80 x 80 cm. Coll. part. Détail. |
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Attribué ici à Jean Senelle, La Charité romaine Toile, 26,3 x 26,3 cm. Localisation actuelle inconnue. |
Simon Vouet, La Charité romaine Toile, 132 x 125 cm. Bayonne, Musée Bonnat-Helleu. |
Saint Pierre, Orléans, Musée des Beaux-Arts. | |||
Cette peinture est réapparue par les soins d'Éric Moinet, qui n'était pas pleinement convaincu par l'attribution à Senelle, pas plus que pour les deux Évangélistes, d'où la réserve affichée lors de leur publication dans le catalogue Les maîtres retrouvés (2002, n°34-36). Je n'en ai, pour ma part, jamais douté, mais on peut le comprendre tant le style de Senelle est difficilement réductible à une évolution réglée et raisonnée. On ne peut entrer dans l'art du peintre qu'en s'attachant à sa facture, le goût des empâtements, des volutes pileuses ou capilaires, le travail de la lumière, le bosselage des chairs, entre autres plaisirs du peintre. Au même titre que Claude Vignon ou Pierre Brebiette, il place le prestige dans la conduite du pinceau, ici virtuose, là lent sinon pesant, capable de revenir par pure fantaisie sur une mise au point faite pour chercher le naturel ou le respect de conventions.
Parce que l'artiste renonce, par le fait, au primat de l'invention dans la conduite de sa manière, on ne peut que constater l'instabilité dans ses choix de composition sur la séquence de la seconde moitié des années 1630, passant de l'Adoration des mages de la Chapelle-Gauthier (1636) à l'Esculape (1639) et Saint François remettant le cordon du Tiers-Ordre à Saint Louis du même musée d'Orléans. La première montre une composition toute en retenue quand les deux autres optent pour des dispositions rayonnantes déployées dans une gestuelle extravertie. Classicisme circonstanciel ou précoce en 1636? Senelle cherchera plus tard une plus grande mesure dans son langage mais le recours à certains poncifs, à des tics de facture est de nature à entraver une démarche concertée en la matière. Quoiqu'il en soit, il faut comprendre que le Saint Pierre, qui semble s'inscrire dans la production pour Orléans (don Charlotte-Thérèse Deloynes d'Autroche Desmarest en 1825), se distingue bien, chronologiquement, des Évangélistes, dont les puissantes figures participent du compagnonnage avec Vouet alors que lui se place dans la veine « précieuse » partagée avec Lallemand ou Vignon. Les premiers doivent se placer après la mention du peintre par Saint-Aignan (1642-1644), qui n'en dit rien; le Saint Pierre, à nouveau vers la fin des années 1630. Si l'apôtre est désigné par le coq, il est présenté comme une figure spirituelle sinon intellectuelle, comme s'il annotait quelque ouvrage - la Bible? une première rédaction d'un Évangile? L'image est toute emblématique et assez rare. Le format suggère un oratoire ou un tableau pour amateur. Il s'agissait peut-être de représenter le saint patron du commanditaire. |
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Jean Senelle, Saint Pierre écrivant Toile, 79 x 64 cm. Orléans, Musée des Beaux-Arts. |
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Jean Senelle, L'adoration des Mages, 1636 Toile, 335 x 250 cm. Meaux, cathédrale. |
Jean Senelle, Esculape, 1639 Toile, 94 x 62 cm. Orléans, Hôpital. |
Jean Senelle, Esculape, 1639 Toile, 290 x 195 cm. Orléans, Musée des Beaux-Arts. |
La mort de saint François d'Assise, Québec, Saint-Michel-de-Sillery. | ||
La mort de saint François est l'une des plus évidentes justifications de l'exposition de 1997-1998, puisque de son rassemblement faisant resurgir la cohérence d'un style a découlé son attribution à Senelle. Elle a ainsi pu être présentée dans la remarquable exposition de Rennes (2017) consacrée à la collection amassée par Desjardins au bénéfice de la Belle Province à partir des dépouillements de la Révolution Française, au début du XIXè siècle.
L'iconographie conduit à rappeler le fonctionnement en réseau du mécénat monastique que j'ai pu constater dans le cadre de ma thèse de doctorat. Guillaume Kazerouni rappelle à juste titre que Senelle a peint le Saint François remettant le cordon du Tiers-Ordre à saint Louis pour les Récollets d'Orléans, un établissement d'une branche franciscaine du clergé régulier. Rappelant les attaches de Desjardins avec la ville ligérienne, il envisage une provenance commune, qui n'est pas franchement contredite par les mentions anciennes. Charles Cuissard (p. 39) rapporte la mention de l'inventaire révolutionnaire, juste après le retable de la chapelle du Tiers-Ordre par Senelle, de « deux autres du même, h.(auteur) 8 (pieds), l.(argeur) 6, représentant divers miracles de saint François ». Les dimensions ne sont pas incompatibles, rajoutant une vingtaine de centimètres sur tous les côtés. Pour autant, le sujet n'a rien d'un miracle. De fait, il faut tout de même envisager une autre piste franciscaine. À Paris, aux Capucins du Marais, en plus des peintures de Laurent de La Hyre, Henri Stein (1890) publie le procès-verbal d'inventaire révolutionnaire de 1790 mentionnant (p. 70) une Mort de saint François, suivie d'un Saint François « dans le goût de Vouët ». Quoiqu'il en soit, l'accent volontiers pathétique du style de Senelle pouvait être apprécié par la spiritualité franciscaine, dont le fondateur s'est identifié au Christ au point d'avoir les stigmates de sa crucifixion. Pour dater le tableau, en dehors des robes de bure, on ne distingue qu'un surplis, ce qui ne facilite pas l'appréciation du drapé, témoins utile. À ce titre, Senelle s'écarte de sa pratique dans La présentation de Jésus au Temple pour le grand-prêtre, située plus haut dans les années 1630, pour se rapprocher de ce qui se voit pour saint Rémy en 1644, ou pour la Vie de saint Martin et jusqu'à la Déploration de saint Éloi par sainte Bathilde (1649, Meaux, cathédrale), dans le souci de plis discplinés et minéraux. Tout cela concourt à envisager que cette peinture ait été réalisée durant les premières années de la régence d'Anne d'Autriche, sans doute avant la Fronde et l'appel de commandes dans sa ville natale, où son séjour en 1649-1650 avec sa femme est désormais établi. L'œuvre atteste une culture pleinement parisienne. Le motif du franciscain au premier plan nous tournant le dos en figure repoussoir peut passer pour un hommage à La Hyre, qui utilise le procédé, par exemple, dans le tableau de Montluçon (ci-contre, plus bas) situé dans le milieu des années 1630. Ceci dit, Senelle l'emploie encore à Saint-Rémy-de-la-Vanne (Baptême de Clovis, 1644) et dans le lambris de la Vie de saint Martin (1646-1647). Un détail intriguant pourrait être déterminant. Comment expliquer les deux marches sur lesquelles la couche mortuaire semble installée? On trouve le motif dans un certain nombre de tableaux contemporains par Aubin et Simon Vouet, Laurent de La Hyre ou Jacques Stella, mais il s'agit à chaque fois d'évoquer la porte du Temple. Ici, la fenêtre du fond situe la scène dans la cellule du couvent de Notre-Dame des Anges dans laquelle semblable dispositif maçonné étonne. Peut-on le comprendre autrement que comme la volonté de citation de la proposition d'un collègue, procécédé qui vient d'être signalé à partir de La Hyre? Le modèle pourrait être alors à trouver dans l'une des compositions les plus en vue du temps, Le Christ enfant retrouvé par ses parents dans le Temples de Jacques Stella pour le Noviciat des Jésuites (Les Andelys, Notre-Dame, 1641-1642). Si j'ai pu souligner que le Lyonnais avait sans doute souhaité répondre au précédent de La présentation de Jésus au Temple peint pour les Jésuites du Faubourg Saint-Antoine (Louvre) par Simon Vouet, plus volontiers rapproché de Senelle, le rapport est bien plus étroit avec le chef-d'oeuvre de Stella. Prendre en compte cet indice obligerait à placer La mort de saint François après 1642, confirmant la datation susdite. Si le motif peut sembler incongru, il n'a pas été discuté par les commanditaires. Quelle signification pouvait-il avoir, dès lors? L'analogie avec les gradins sur lesquels repose l'autel de tout sanctuaire entrait en résonnance avec la spiritualité franciscaine et, à nouveau, avec l'assimilation des souffrances fatales de François avec celle de Jésus. Ainsi, la couche mortuaire du Poverello pouvait être assimilée au Sépulcre. L'image redoublait ainsi le sanctuaire dans lequel elle prenait place de façon très claire et didactique. Le cadre minéral de la pièce se complète de la forêt de robes de bures, comme un écrin pour l'homme en surplis, peut-être Frère Ange appelé pour noter les dernières volontées du saint, à moins qu'il ne s'agisse, plus vraisemblablement, de la lecture de l'Évangile réclamée alors qu'il se sentait passer. Tout cela place la mort de François dans un contexte de simplicité et de communion avec l'exemple du Christ, selon une lisibilité qui a certainement fait le succès de Senelle à Meaux, Orléans, Paris ou ailleurs. |
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Jean Senelle, La mort de saint François d'Assise Toile, 225 x 160 cm. Québec, Saint-Michel-de-Sillery. |
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Jean Senelle, Le sacre de saint Martin. Huile sur bois, vers 1645-1647. Meaux, Musée Bossuet |
Jean Senelle, La déploration de saint Éloi par sainte Bathilde, 1649. Huile sur toile, 210 x 165 cm. Meaux, Musée Bossuet |
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Laurent de La Hyre, Panthée devant Cyrus Toile, 143 x 120 cm. Montluçon, Musée Municipal. |
Jacques Stella, L'enfant Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple, hiver 1641-1642. Toile, 323 x 200 cm. Les Andelys, Notre-Dame. |
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Simon VouetLa présentation au Temple. Toile, 393 x 250 cm. Louvre |
La nuit de noces de Tobie et Sara, Nantes, Musée des Beaux-Arts. |
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Autour d'une cheminée, un ange invite deux jeunes personnes à invoquer le ciel pour leur protection. Le poisson devant les genoux du jeune homme désigne Tobie, l'ange est Raphaël, qui l'accompagne dans ses pérégrinations, et la femme Sara, chez qui ils viennent d'arriver et qu'il vient d'épouser. Leur inquiétude provient de ce qui semble une malédiction frappant la mariée, ses sept précédents maris étant morts lors de la nuit de noces. Leurs prières, associées au fait de brûler le foie et le cœur du poisson pour faire fuir le démon Asmodée, atteindront leur but, et la nuit se terminera sans encombre.
Le sujet n'est pas des plus fréquents, mais l'histoire de Tobie n'est pas pour autant rare au XVIIè siècle, en tant que sujet historique malgré son appartenance à la tradition biblique. Cet épisode prenait facilement place sur le manteau de cheminée d'un cabinet dédié au personnage. Il a été abordé par Eustache Le Sueur pour Gaspard de Fieubet, dans une composition aujourd'hui au Louvre, et dans d'autres versions aujourd'hui perdues. Le musée des Beaux-Arts de Rennes a acquis il y a peu une version à nouveau très différente mais sans doute contemporaine par Nicolas Prévost. Quand Le Sueur insiste sur l'aspect théatral de la combustion des entrailles du poisson suivant la rhétorique des Passions, le peintre de Richelieu figure le combat de l'ange avec Asmodée, incarnant l'effet de l'odeur pestilentielle. De ce point de vue, notre artiste est plus proche du « Raphaël français », lui donnant une saveur plus pathétique. Son tableau provient de la collection Cacault, fonds capital de la collection du Musée des Beaux-Arts de Nantes. Le catalogue de 1837 le mentionne comme de l'école d'Italie sous le n°696 sans nom d'auteur. Le plus récent travail de Béatrice Sarrazin (Catalogue raisonné des peintures italiennes du Musée des Beaux-Arts de Nantes, Paris, 1994, n°334) le classe comme anonyme italien du XVIIè siècle. Le travail du drapé, les types physiques et leurs expressions ou encore les mains, notamment, sont parfaitement cohérents avec ce que l'on connaît de Senelle; entre autres exemples, il faut citer les panneaux la vie de saint Martin, en sorte que l'attribution ne saurait faire de doute. La situation tard dans la carrière de l'artiste est la plus vraisemblable, la facture témoignant d'un soin plus franchement classicisant encore, dans une plus ample respiration de la composition. Dans la collection Cacault - et singulièrement dans le catalogue de 1837 -, le tableau est rapproché d'un autre traitant de l'histoire de Tobie, lorsque il pêche le fameux poisson. Support et dimensions sont voisins, dans les deux toiles, Raphaël porte une robe blanche, certes attendue pour un ange mais aussi une écharpe jaune tirant sur l'orange, tandis que la tunique de Tobie y est pareillement rouge. Tous deux étaient réputés de l'École italienne, jusqu'à ce que le paysage soit rapproché de l'École de Vouet, voire d'Aubin Vouet (Sarrazin 1994, p. 383, n°12). Le type de paysage dans une gamme éteinte, ciel aux tons froids, végétation traitée en masse ponctuée d'arbres tel le bouleau, correspond en effet à ce qui peut se voir dans les fonds de tableau de Simon. Voilà qui pourrait conduire à Senelle mais le style plus rond, sensible notamment dans les drapés, me paraît désigner une autre main. Aucun des collaborateurs ou élèves suffisamment connus de Vouet ne semble correspondre. Un certain maniérisme persistant dans la facture permet d'écarter les artistes formés jeunes par Vouet, tels Le Sueur, Dorigny voire Le Brun. L'hypothèse qui me semble la plus probable est qu'il s'agit d'un collaborateur spécialisé dans le paysage, genre dans lequel la figure peut porter une certaine désinvolture sensible ici. Nous aurions donc deux éléments subsistant d'un petit cabinet dédié à l'une des incarnations de la Divine Providence au service de la foi, conçu dans la nébuleuse de Vouet et de son atelier. Imaginer que le Parisien en ait été responsable paraît peu probable, y compris via une large délégation à partir de dessins. Les dispositions de la toile de Senelle lui appartiennent en propre, aussi bien que le goût de l'oblique dans l'ensemble de la composition. Le format en rond, différent du paysage avec la pêche de Tobie, doit signaler un point d'orgue tel que celui d'un dessus-de-cheminée, ce que le sujet, comme dit plus haut, pouvait suggérer. Il n'est donc pas impensable que le Meldois ait agi en toute indépendance, et sollicité pour lui-même. La provenance Cacault associée au contexte vouétien fait de Paris l'origine probable de sa contribution. |
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Ici attribué à Jean Senelle, La nuit de noces de Tobie et Sara. Toile. 69 x 64 cm. Nantes, Musée des Beaux-Arts. |
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Eustache Le Sueur, La nuit de noces de Tobie et Sara. Toile. 89 x 116 cm. Paris, Banque Paribas. |
Nicolas Prévost, La nuit de noces de Tobie et Sara. Toile. Diamètre 125 cm (selon la vente de 2004) ou 140 cm (selon la RMN). Rennes, Musée des Beaux-Arts. |
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Jean Senelle, Le sacre de saint Martin. Huile sur bois, vers 1645-1647. Meaux, Musée Bossuet |
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École de Vouet, Tobie et l'ange Toile. 55 x 66,1 cm. Nantes, Musée des Beaux-Arts. |
Ici attribué à Jean Senelle, La nuit de noces de Tobie et Sara. Toile. 69 x 64 cm. Nantes, Musée des Beaux-Arts. |
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Angelot répandant des fleurs (ancien Hôtel Raoul de La Faye, Paris). | ||
C'est sous toute réserve que je publie ici cette (médiocre) reproduction d'un occulus plafonnant de l'ancien Hôtel Raoul de La Faye (5 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, Paris), dans le cabinet de l'aile sud donnant sur le jardin, n'ayant pu encore voir directement le décor. La typologie de l'ange, l'articulation de son corps, la façon de faire voler l'écharpe me semblent proches des usages de Senelle, qui s'en était fait une sorte de spécialité. Je reconnais qu'il est, pour l'heure, difficile d'en dire plus, mais l'indication servira peut-être à éclaircir son statut. | ||
Ici attribué à Jean Senelle, Angelot répandant des fleurs Ancien Hôtel Raoul de La Faye (5 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie), Paris. |
La déploration du Christ (Bourbon L'Archambault). |
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J'ai déjà publié ce tableau découvert par Paola Bassani Pacht sur ce site. L'absence d'examen direct m'incitait à la prudence. Je n'ai malheureusement pu encore pallier à cet inconvénient. Il y a pour autant peu de doute sur le rapprochement avec le peintre de Meaux. La typologie, la culture, la gestuelle, le goût pour les éclairages contrastés jouant avec les chairs et les drapés sont bien dans sa manière (confrontés, par exemple, avec La Résurrection de Lazare de Villenoy, ci-contre à gauche).
Comme je l'ai écrit naguère, le lien avec le tableau de Bazoches-Vauban (ci-contre à droite) est sans doute le plus net. On comparera notamment les mains puissantes de la Madeleine et le drapé, autant dans la complexité de l'arrangement pour le manteau de celle-ci que pour les plis raides, plus « classiques » que ceux, plus souples et ronds, proches de ceux d'un Vouet et qu'il a pratiqués pendant un assez long temps depuis le milieu des années 1630. De fait, la peinture doit appartenir à la phase la plus tardive de ce que l'on connaît de Senelle. L'iconographie n'est pas vraiment traditionnelle. Il faut remarquer l'absence de la Vierge et de saint Jean et s'interroger sur l'identité des trois hommes barbus, quand on n'attend généralement que Nicoldème et Joseph d'Arimathie, ce dernier ayant pris en charge le corps du Christ pour l'inhumer au Sépulcre. S'y ajoute des anges aux attitudes étudiées. Que penser du plus grand, tenant apparemment une trompe? Point de renommée à attendre ici, mais plutôt une allusion au Jugement dernier? Pourquoi l'angelot en vol semble-t-il apporter le voile de Véronique, par lequel celle-ci aura imprimé le visage du Christ en le lui essuyant sur le chemin de son calvaire? Quant à celui au sol, il semble absorbé par la contemplation des blessures faites aux mains par les clous de la crucifixion. Plus qu'une évocation d'un moment précis, nous sommes sans doute en présence d'un image dogmatique dont les détails auront été soigneusement arrangés, sinon dictés. C'est peut-être ce qui donne cet impression de montage favorisée par un état nuisant à la perception de la profondeur et des volumes. Un élément au moins s'inscrit dans ce type de travail : l'ange volant cite une gravure de Michel Lasne de 1642 d'après Charles Le Brun, pour une thèse dédiée à Effiat.
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Attribué à Jean Senelle, La déploration du Christ Toile, 150 x 200 cm. Bourbon-L'Archambault, église Saint-Georges. |
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Jean Senelle, La résurrection de Lazare Toile, 239 x 155 cm. Villenoy, église Sainte-Aldegonde. |
Jean Senelle, La Vierge et l'Enfant adorés par les anges Toile, 160 x 109 cm. Bazoches-Vauban, château. |
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Il me faut répéter que ce type de pratique n'est pas un aveu d'impuissance à inventer mais la résultante d'une conception de l'art qui place dans le faire, la maniera manifestée d'abord dans la facture, son prestige. Le tableau de Bazoches assemblant deux gravures de Pietro Testa (ci-contre) montre, grâce à un état bien meilleur, qu'un tel travail pouvait aboutir à une image convaincante s'appuyant sur ce qui constitue ses plaisirs de peintre. Si même on voulait convoquer le parallèle avec l'Académie contemporaine, il suffirait de souligner, comme je l'ai fait naguère, que Le Brun lui-même dans cette gravure de 1642, procède à une redistribution de figures empruntées sans grand changement à Rubens... y compris pour la figure que reprend notre artiste. Du moins pour Senelle ces deux exemples attestés de citations d'estampe doivent-ils conduire à se demander s'il ne cultivait pas dans son atelier un fond de gravures utiles à sa création.
Senelle ne néglige pas l'invention, qu'il mentionne au bas de l'Adoration des mages du Musée Bossuet de Meaux, ce que je crois lié au dispositif intégrant les Saint Nicolas et Saint Jean-Baptiste des mêmes collections, mais il la conçoit comme l'arrangement de motifs qui peuvent éventuellement provenir de la création de confrères. C'est donc dans le travail du pinceau qu'il faut chercher le prix de l'art de Senelle. À partir de quelques détails qui le révèlent, j'aimerais conclure cette mise à jour en cherchant à rendre sensible ses délectations de peintre, en écho aux florilèges déjà proposés en 1991 et 1997. |
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Pietro Testa, Saint Roch et saint Nicolas invoquant la Vierge contre la peste Gravure à l'eau-forte. |
Pietro Testa, Le songe de Joseph Gravure à l'eau-forte. |
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Jean Senelle, reconstitution hypothétique du retable de L'adoration des mages Toiles. Meaux, Musée Bossuet. |
Senelle à la pointe du pinceau |
Les premières oeuvres ont souvent une saveur particulière en ce qu'elles désignent le point de départ et la culture initiale dans laquelle baignait l'artiste. Pour Senelle, et sa Prédication de saint Jean, on peut invoquer le fond franco-nordique - italianisé tel un Floris et sa Déploration du Christ du même musée - pouvant s'appuyer sur la gravure, et son actualisation parisienne notamment conduite par Georges Lallemant ou Ferdinand Elle. Cela concerne avant tout le type de paysage, la composition, certains détails de vêtements ou de typologie, des tics de présentation dans un concert disparate trahissant un artiste qui n'a pas encore trouvé le plein exercice de son art, notamment sensible dans le traitement des mains. Il s'essaie à des effets localisés sans souci de la cohérence globale (par exemple pour le soldat à la lance à droite), soigne certaines physionomies, en schématise d'autres...
Le métier, lui, et l'amour de la touche, est déjà là. Il s'exprime notamment par les rehauts venant indiquer l'impact de la lumière sur une perle, l'arête du nez ou la larme de l'oeil, le caractère saillant d'un muscle ou encore détailler les rides des écorces. Cette attention particulière passe aussi dans la restitution en camayeu des motifs éloignés qu'il conservera longtemps si ce n'est qu'il remplacera la variation sur un ton par la modulation de ton pastels abaissés, telle que cela se voit dans les cortèges du fond de ses Adoration des Mages : celle de 1636 reprend ce qui se voit ici, celles du Musée Bossuet et d'Augnat inscrivent la mutation du procédé dans la conversion à la peinture claire auprès de Vouet. Malgré un drapé informe, il soigne les motifs de la robe de la jeune femme aux trois enfants faisant figure de Charité. L'arrangement complexe du manteau bordeaux du personnage se tenant derrière le grand nu assis au premier plan est tout de même rendu avec la vraisemblance des volumes, pour camper une figure imposante. Ce barbu propose d'ailleurs une synthèse de certaines des promesses de Senelle : l'exotisme du turban, le visage aux chairs bosselées mangé par une longue barbe détaillé dans l'ondulation de sa pilosité, mouvement qui affecte aussi le contour de sa main gauche, entre autres, marquent les attentions qu'il confère à son art, ici en germe. En y ajoutant les expressions pâmées de l'auditoire faisant face au prédicateur ou le souci de détails réalistes sinon crus, comme la veine du cou du nu assis ou les ongles sales, on peut ainsi faire un premier inventaire des constantes qui vont jalonner sa production. |
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La prédication de saint Jean-Baptiste, 1629 Peinture sur bois. 131 x 214 cm. Meaux, Musée Bossuet. |
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L'achèvement de sa formation lui permet un métier plus nettement économe. Le détail ci-contre montre une autorité qui, pour comprendre son art, doit nous faire oublier ce que l'Académie a pu nous délivrer sur l'art de peindre. La main apparaissant à gauche du Grand-Prêtre, la chemise de Joseph, son visage et celui de son voisin montre le parti d'une base monochrome assez sombre sur laquelle l'artiste pose une modulation de tons venant suggérer les reliefs ou les plis, avec plus ou moins d'empâtements.
D'autres passages montrent le goût pour les rehauts clairs linéaires pour tout ce qui accroche la lumière; ainsi du foulard de la Vierge, de l'arête nasale. Ce qui me semble le plus symptomatique est l'ondulation parcourant la partie supérieure du doigt détaché du reste de la main du père de Jésus. Dans la mesure où cela peut se voir dans la Prédication de 1629, on aurait tort d'en faire la conséquence d'une conversion aux arabesques de Vouet. Il faut plutôt en faire une disposition propre entrant en écho avec l'art de ce dernier. On retrouve le motif pour les mains de saint Mathieu, des deux Évangélistes d'Orléans, qui doivent appartenir aux années 1640. Ainsi, l'examen rapproché permet de comprendre le travail du peintre non comme une application besogneuse mais au contraire comme le déploiement délié d'une touche déterminée par l'esprit et soutenue par le geste. C'est assurément ce qui fait le prix de ses ouvrages en ce que cela suggère tout le plaisir de peindre « à la mousquetaire », maniant le pinceau comme une épée, pour en poser les accents toniques. S'il y a dans un travail de composition progressivement plus ferme, une restitution plus solide des volumes une sensibilité certaine aux apports du « classicisme », il n'en abandonne pas pour autant cette facture sensible au brio de la touche, au rebours de l'effacement que recherchent les Stella, La Hyre ou Champaigne. Plaisir constant, évanoui dans certains ouvrages repeints ou ruinés, mais perceptible ailleurs pour qui veut bien suivre de près le parcours fantasque et réjouissant de sa main. Sylvain Kerspern, Melun, mai 2019 |
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Jean Senelle, La présentation de Jésus au Temple, détail. Toile, 102 x 90 cm. Rennes, Musée des Beaux-Arts. |
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Jean Senelle, Saint Mathieu, détail. Toile, 164 x 108 cm. Orléans, Musée des Beaux-Arts. |
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com. |
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