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Sylvain Kerspern - «D’histoire & d’@rt»

Défi html#10, octobre 2015


L'adoration des bergers

de Condé-en-Brie,

oeuvre de jeunesse

de Charles Le Brun


Mise en ligne le 12 octobre 2015


« Cercle de Simon Vouet » Adoration des bergers. Huile sur toile.
Condé-en-Brie, église
Celles et ceux qui me suivent se rappellent peut-être que j'ai entamé, en début d'année, un petit défi autour de la mise en ligne, en langage html, d'une étude mensuelle attribuant une œuvre à un artiste sur dix mois, pour célébrer les dix ans du passage de l'administration du site dhistoire-et-dart sous cette forme. Ils se souviennent peut-être aussi que la défaillance informatique m'a conduit à changer d'application pour ce faire, ce qui fut tout à la fois plus difficile durant une période, mais aussi l'occasion d'en découvrir d'autres fonctionnalités. Ce défi s'achève ce mois-ci.
Jusqu'ici, quelque soit la qualité des œuvres présentées – certaines très spectaculaires, comme le Varin, d'autres très finies, comme le Dubois -, il n'y avait guère de témoignages d'artiste dépassant le cadre strict des connaisseurs pour toucher un large public. Il faut dire que « s'attaquer » à un grand nom ne va pas sans risque, et qu'il faut généralement avoir pu s'armer d'un argumentaire imparable pour envisager de retoucher, en quelque sorte, la « statue du commandeur ». L'histoire de l'art illustre volontiers le flux et reflux de l'expression « On ne prête qu'aux riches » : un Poussin aura ainsi siphonné les œuvres de Jacques Stella, Charles Mellin ou Charles-Alphonse Dufresnoy, entre autres, dont il aura fallu, progressivement, le détacher au prix de la sévérité. En sorte qu'aujourd'hui, donner un tel nom à une peinture voire un dessin peut relever de l'exploit.

Il fallut la certitude des archives, l'existence d'une oeuvre préparatoire à la composition très proche, le croquis de Gabriel de Saint-Aubin en marge de la Description (...) de l'église de Paris de Gueffier et une fine analyse de l'oeuvre, pour que Pierre-Yves Kairis parvienne à la restitution convaincante de la Mort de la Vierge de Sterrebeeck, aujourd'hui acceptée par tous. Elle ne le doit pas à son état, que la restauration n'a pas réussi à rendre vraiment satisfaisant - le pouvait-elle? -, mais bien avant tout à des détails concernant le contexte de l'oeuvre à travers le temps : la présence du commanditaire reconnaissable à son costume épiscopal ; l'exceptionnelle aquarelle britannique, œuvre de présentation ou mémorielle, qui en donne les grandes lignes ; la mention régulière jusqu'à la Révolution à Notre-Dame de Paris ; la précision du dépôt en Belgique ; et pour finir la connaissance par son découvreur du patrimoine qui y est conservé grâce à sa contribution à la base de données qui le concerne (Kikirpa).

Nicolas Poussin La mort de la Vierge, 1623. Sterrebeeck, église.
Je ne m'hasarderai pas ici à augmenter l'oeuvre de Poussin, non par manque de courage, mais parce que l'objet de cette étude concerne un autre grand nom de son temps, un de ses principaux héritiers revendiqués : Charles Le Brun. Et pour qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit pas d'une question de courage, je le ferai pour une œuvre pour laquelle je ne dispose certes pas d'autant d'éléments la documentant.
1. Découverte d'un satellite de la galaxie Vouet.
Cette Nativité, ou Adoration des bergers, qui orne l'église de Condé-en-Brie est en bon état. Le tableau est inscrit au titre de l'inventaire supplémentaires des Monuments Historiques depuis 1975.
La fiche « Mistral » qui la concerne la date correctement du XVIIè siècle, et qui connaît un peu cette époque la situera volontiers dans la mouvance de Simon Vouet : son goût pour la peinture claire, « blonde », les carnations huileuses, le souffle lyrique et l'art de l'arabesque peuvent aisément s'y rapporter. Mais le nom du maître lui-même ne peut être invoqué : la composition n'a pas le rythme ample élaboré en Italie, apportant fluidité et respiration, ponctué par une gestuelle souple aux extrémités délicatement animées.

L'examen des versions attestées que l'artiste a pu donner de ce sujet ou de celui, voisin, de la Nativité – où les anges remplacent les bergers – montre à la fois ces différences décisives et le fait que notre artiste se soit fortement inspiré du maître : on peut parler de plagiat, que l'époque aurait plutôt qualifier de « pillage ». Les originaux de Vouet ont disparu mais sont connus par la gravure (ci-dessous).

La plus ancienne version française connue du thème est une Adoration des bergers gravée par François Perrier en 1631 ; vient ensuite la Nativité de Rueil, datable autour de 1632-1633, traduite en 1638 par Michel Dorigny ; puis celle des Carmélites de la rue Chapon, gravée en 1639 par Pierre Daret. Pour ces deux dernières des études de personnages au Louvre permettent de penser que les originaux reproduits étaient en sens inverse (respectivement RF 28190 et RF 28287).

François Perrier d'après Simon Vouet,
Adoration des bergers
Gravure, 1631

Il existe d'autres versions préparées par le dessin mais elles n'ont pas la caution apportée, à la demande du maître, par la traduction en gravure et peuvent avoir été déléguées à des élèves. Celles mentionnées suffisent à localiser fermement notre artiste dans l'orbite proche de Vouet.


Nativités de Simon Vouet gravées par

Dorigny (Rueil pour Richelieu, 1638)

et Daret (Carmelites, 1639).

Exemplaires de Harvard inversés selon les indications des dessins du Louvre
1 234
Le cadre, tout d'abord, est identique : ruines antiques largement ouvertes, nuées abondantes dans le ciel. Il en va de même pour le point de vue, en légère contre-plongée, comme si le spectateur était lui aussi agenouillé, en adoration. Ensuite, l'artiste dispose sa Sainte Famille comme Vouet sur une diagonale, Joseph apparaissant dans le dos de la Vierge qui admire l'Enfant, posé sur la crèche. La position de Jésus, sur un plan parallèle à celui de la surface de la toile, rappelle les choix des sujets gravés par Perrier en 1632(1) et par Dorigny en 1638(2), qui renvoient tous les deux à des compositions des premières années après son retour en France ; pour les Carmélites(3), Vouet rompt avec cette option en l'installant un peu plus dans la profondeur.

Notre saint Joseph dérive le plus directement de la version de Rueil, pour le cardinal de Richelieu(2), sa principale source puisqu'elle doit avoir également suggéré une forte présence faisant pendant à Marie à l'autre bout de la composition, et le même choix de placer les adorateurs sur notre droite. De la version connue par Perrier(1), notre artiste reprend le motif du grand berger qui s'incline derrière la vieille femme déjà agenouillée – en sens inverse de la gravure, donc peut-être celui de la peinture originale. De celle pour les Carmélites(3), on retiendra comme motif apparemment direct l'ange qui tourne la tête vers Joseph, inspirateur de celui regardant le berger.

Tant de convergences laissent peu de doutes sur le fait que nous soyons en présence d'un artiste « sous influence », une influence sensible, je l'ai dit, jusque dans le travail de la matière et du coloris, ce qui va au-delà de l'usage de compositions diffusées par l'estampe. Il figure assurément parmi les élèves et collaborateurs, encore dans l'atelier ou fraîchement sortis. De ceux suffisamment connus désormais pour la carrière française, on peut écarter Eustache Le Sueur plus délicat, Michel Corneille, Charles Poerson et Jean Senelle, plus rustiques chacun à leur manière, Michel Dorigny, plus rond et fluide, Jacques Sarrazin, plus sculpturalement terrien, Charles Dauphin, plus aérien, et Nicolas Chaperon, plus sanguin. Il reste des énigmes dans l'entourage de Vouet, tel François Tortebat, mais à mon sens, tout conduit vers Charles Le Brun. Cependant, nous allons le voir, le rapport que celui-ci a entretenu avec le maître ne fut pas simple.
2. Le Brun avant Le Brun : une formation contradictoire.
Charles Le Brun est né en 1619 mais sa grande précocité et sa forte personnalité lui font débuter sa carrière très jeune : dès 1640, il prend un apprenti. On sait que par deux fois, il a fréquenté l'atelier de Vouet, après celui de Perrier – lequel était l'un des principaux collaborateurs du maître entre ses deux séjours à Rome, de 1630 à 1634. La situation de ces passages, encouragés par son protecteur, le chancelier Séguier, mais qu'on nous dit peu satisfaisants, n'est pas facile à établir. Comme Bénédicte Gady, je pense qu'il ne faut pas inverser le point de vue et tenter la chronologie en fonction des maîtres qu'il fréquente, ou d'influences possibles. A cette époque, il peut fort bien avoir conduit simultanément plusieurs manières, autant par l'appétit de la jeunesse, la nature des demandes que par l'appartenance à un milieu artistique sur lequel il me semble nécessaire d'insister.
a. Le contexte « précieux ».
Avant de rencontrer les premiers succès en peinture, Charles a beaucoup travaillé pour l'édition, en fournissant des dessins autant à des frontispices d'ouvrages que pour l'imagerie populaire et morale – un des apports majeurs de l'ouvrage de Bénédicte Gady. Il y rencontre l'univers « précieux », autant littéraire qu'artistique. Il collabore notamment avec les graveurs Jean Couvay, Jérôme David, Gilles Rousselet, Pierre Daret, l'éditeur François Langlois, et nombre d'ouvrages font songer à Abraham Bosse, Jean de Saint-Igny, Pierre Brebiette ou Claude Vignon. A des degrés divers, la plupart de ces noms d'artistes font partie de la « clique » rapportée par Mariette à l'entourage de Vignon et de l'éditeur François Langlois, dit Ciartres (ou Chartres). Avec Paola Bassani Pacht, et après Jacques Thuillier, nous avons mis en évidence la licence picturale – telle celle poétique – que ces artistes aimaient pratiquer lors de l'exposition Jean Senelle (Meaux 1997), et plus récemment pour celle sur le château de Richelieu (2011).

Elle peut amener des variations stylistiques que le triomphe de l'Académie, une trentaine d'années plus tard, sous le même Le Brun devenu doctrinaire pour son nouveau patron, Louis XIV, a rendu difficile à comprendre. Vignon peut passer du registre caravagesque aux effets de matières ruisselants - auxquels certaines peintures scintillantes du jeune Le Brun semblent faire écho (B. Gady 2010, fig. 28-30) -, puis au ténébrisme pathétique, d'un tableau à l'autre, d'un jour à l'autre ; ou les combiner dans un seul . En 1636, Jean Senelle peut préparer une composition au coloris clair, aux formes sages et rondes, à la Blanchard, dans son bozzetto, et au moment de passer à la réalisation du grand format, refroidir et assombrir les tons, allonger les canons, maçonner les chairs à la Lallemand… Le même, pour le Saint François d'Orléans (1639?), semble avoir d'abord peint une jambe « correctement » disposée au regard de l'autre, suivant le repentir aujourd'hui visible… avant d'en retoucher le détail pour retrouver, dans la joie de peindre, ce qui constitue un de ses effets de style outranciers.


Jean Senelle, du projet (Paris, coll. part.)...

...au retable final (1636, Meaux, cathédrale)
On peut aussi évoquer Laurent de La Hyre, autre peintre que nous avons inscrit, pour ses débuts, dans le cercle des artistes « précieux », et dont Rousselet est l'un des traducteurs attitrés. Bénédicte Gady n'a pas manqué de le nommer parmi les artistes regardés par Le Brun : le type d'enfant au visage très rond, front bombé, aux jambes raides et fuselées de la Charité de Stockholm - par ailleurs exercice dans le registre de Jacques Blanchard -, me semble un hommage discret à ceux de La Hyre durant ces années, de même que le paysage à la branche brisée.


Laurent de La Hyre, Apparition de la croix à l'Enfant tenue par la Vierge
Pierre noire, lavis brun, rehauts blancs. 25,7 x 21,1 cm. Vienne, Albertina

Le violent raccourci des angelots voletant autour de la croix de la petite Crucifixion du Musée Pouchkine (1637) relève de cette géométrisation maniérisante, peut-être à rattacher à la fréquentation de Bosse et Desargues connue pour La Hyre; de même la rupture d'échelle avec les Saintes Femmes participe d'une esthétique montrant une figure isolée et une péripétie la concernant dans le fond, comme il s'en voit beaucoup à l'époque, par Vignon, Brebiette, La Hyre, Bosse ou d'autres. Invoquer une vraisemblance sur les critères de l'Académie à ce propos est une erreur historique, ce contre quoi s'élève d'ailleurs Bénédicte Gady.


Laurent de La Hyre, La Madeleine aux pieds du Christ en croix.
Toile. Saint-Denis, Musée.

Ceci enrichit considérablement l'iconographie apparemment traditionnelle du sujet : selon ce schéma visuel alors répandu, les saintes femmes deviennent en quelque sorte les attributs du Christ mourant sur la croix. Elles n'ont pourtant pas nécessité à expliciter le premier plan, comme le ferait tel épisode de martyre permettant d'identifier la figure principale : chacun, alors, y reconnaît Jésus supplicié. En revanche, le dispositif suggère d'instaurer le même type de relation entre les deux plans, dont la distance, ordinairement, sert à signifier le triomphe sur la mort à vénérer. Ce qui fait de la crucifixion le moment même de ce triomphe. Toute la spiritualité du temps et les peintures de dévotions qui en découlent font de la Passion, plus que la Résurrection, l'accomplissement de la destinée du Christ, ce que Le Brun restitue par ce procédé de composition, selon une culture visuelle propre à ce milieu.

Charles Le Brun, La Charité
Pierre noire. 34,2 x 27 cm. Stockholm, NationalMuseum

Charles Le Brun, Christ en croix, 1637.
Toile. 52 x 41 cm. Moscou, Musée Pouchkine

Laurent de La Hyre, La conversion de saint Paul, 1637.
Toile. Paris, Notre-Dame. Détail.
Situer la fin de cette veine n'est pas simple. Bénédicte Gady mentionne (p. 106) la page-titre de L'année chrestienne du père Suffren. Le premier voume (du tome 1), avec les parties 1 et 2, est publié en avril 1640 avec un gravure de Michel Lasne, pas vraiment à son avantage, d'après Le Brun (ci-contre); image complexe d'aspect presque archaïsant, réutilisée ensuite (d'où deux états distincts pour la gravure, le second avec la date de 1641). Les grandes figures rappellent celles de dévotion gravées notamment par Rousselet ou Humbelot, « précieuses »; les anges tenant le livre et soutenant la Madeleine sont, eux, dans le goût de Vouet mais l'économie générale de l'image suscite le rapprochement avec la mise en page du Triomphe de saint Ignace peint par Vignon (ci-dessous) pour le couvent d'Orléans - ce qui pourrait avoir été demandé par l'auteur, qui appartient à cet ordre.

Puis paraît un second volume, toujours du tome 1 avec les parties 3 à 6, avec achevé d'imprimer au 10 novembre 1640. Une seconde image anonyme en frontispice (que Bénédicte Gady semble ignorer) doit lui correspondre, portant la date de 1641 sur le volume dont j'ai connaissance, publié cette année-là. Le style de l'invention est tout à fait comparable aux mêmes figures de saints par Rousselet ou Humbelot, comme le Saint Laurent dont le panneau préparatoire se trouve au Suermont-Ludwig Museum d'Aix-la-Chapelle (ci-dessous), en sorte que l'attribution à Le Brun ne semble faire aucun doute.



Michel Lasne d'après Charles Le Brun,
frontispice du volume 1 du tome 1 de L'année chrestiene,
gravure, 1640.

Ici attribué à Charles Le Brun,
frontispice du second volume du tome 1 de L'année chrestiene,
gravure anonyme, 1641.

Charles Le Brun
Saint Laurent
Huile sur bois. 34 x 35cm.
Aix-la-Chapelle, Suermont-Ludwig Museum

N'étaient le traitement du drapé ou le type de Jésus adolescent, notamment, on pourrait la prendre pour une image de Vignon. Ces gravures semblent donc témoigner d'une certaine permanence du style « précieux » mais on ignore quand elles furent demandées, alors que la publication de l'ouvrage ne semble pas avoir été bien préparée. On voit par ailleurs que la date peut être retouchée, laissant un flou certain pour la situation chronologique, d'autant plus en cas de qualité médiocre de gravure, comme pour l'image de Michel Lasne datée de 1640. Les utiliser pour situer la phase « précieuse » de Le Brun serait sans doute imprudent.

b. Circonscrire l'impact de Vouet.
Il peut paraître étonnant aujourd'hui de considérer que Le Brun ait pu se complaire à pratiquer ce style. C'est pourtant peut-être un des motifs des relations difficiles avec Vouet, dont l'atelier servait à diffuser un style assez uniforme, générique, à partir de la pratique du dessin. Bénédicte Gady propose de situer son passage chez le maître vers 1634-1635 puis vers 1637-1638 : force est de constater que le jeune homme aura résisté farouchement avant de s'abandonner à son emprise, alors qu'elle fut par ailleurs si prégnante pour des personnalités aussi différentes et marquées que Michel Corneille (1601-1664) (ci-contre), qui entre dans son atelier passé trente ans, ou Eustache Le Sueur (1616-1655) (ci-dessous), intégré beaucoup plus jeune et qui en est l'un de ses piliers vers ses 25 ans. Il faudra s'interroger sur les raisons qui l'ont ainsi conduit à capituler, quitte à envisager de décaler un peu la situation des deux passages de Le Brun mais quoiqu'il en soit, l'impact n'en fut certes pas immédiat : ce n'est que vers 1640, apparemment, que son art s'en ressent.

Un certain nombre d'ouvrages marquent une rupture avec le style « précieux », romanesque et haut en couleurs – y compris au sens propre -, aux petites figurines, au profit d'une veine héroïque marquée par un canon plus imposant, une attention aux anatomies et à la gestuelle développée, et ample, aux drapés retravaillés à l'antique, multipliant ses plis et ses facettes. Elle éclate particulièrement dans l'exercice de l'illustration de thèse, sous le burin de Gilles Rousselet, ce qui nous procure souvent l'avantage d'une datation fine : l'essentiel prend place en 1640-1642, et rend gloire à Pierre Séguier, Richelieu, Cinq-Mars ou Sublet de Noyers ; soit des personnages politiques de premier plan de la fin du règne de Louis XIII. Il faut y ajouter au moins deux tableaux capitaux : Hercule et les chevaux de Diomède (Nottingham, Castle museum ; bozzetto à Bayonne) et Le martyre de saint Jean l'évangéliste (Paris, Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; bozzetto à Carnavalet).

Michel Corneille (le père ou l'Ancien) (1601-1664)
La Vierge présentant l'Enfant à saint François-Xavier.
Toile. Orléans, Musée des Beaux-Arts.

Eustache Le Sueur (1616-1655) (dans l'atelier de Vouet)
La résurrection du fils de la veuve de Naïm, vers 1640.
Toile, 210 x 135 cm. Paris, église Saint-Roch.


Charles Le Brun, Le martyre de saint Jean l'évangéliste, 1642.
Toile, 282 x 224 cm. Paris, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Au même contexte, mais moins clairement daté, appartient un ensemble de compositions plus ou moins mythologiques cherchant à rivaliser avec un artiste qui va s'en faire une spécialité l'orientant vers le goût d'un Poussin : Nicolas Chaperon. Or ce dernier sortait de l'atelier de Vouet. Les corps aux chairs pittoresques de ces personnifications des moments du jour par les habitants mythiques des bois dérivent manifestement des exemples en la matière de Chaperon.


Nicolas Chaperon, Nymphes et satyres. Gravure.
Nancy, Musée des Beaux-Arts
(en rapport avec un tableau et un dessin sur le marché d'art)


Charles Le Brun, Le midi. Gravure. British Museum

Charles Le Brun, L'aurore. Gravure. British Museum
La gravure évoquant L'aurore a pu être rapprochée d'un dessin de la Bibliothèque Nationale de France préparant la figure du satyre, même si la tête n'est pas tournée vers nous; il faut dire que Le Brun a particulièrement soigné son visage dans la gravure. Le dessin, pour sa part, est tout à fait dans la manière de Vouet.


Charles Le Brun, étude pour le satyre de L'aurore.
Sanguine et rehauts blancs. 34,7 x 29 cm.
Paris, Bibliothèque Nationale de France.
Venons-en au Martyre de saint Jean l'évangéliste peint en 1642. Il s'inspire manifestement de l'un des chefs-d'oeuvre de Vouet, Le martyre de saint Eustache (Paris, église Saint-Eustache).


Simon Vouet, Saint Eustache et sa famille refusant de sacrifier aux idoles. Toile. 300 x 260 cm.
Paris, Saint-Eustache


Charles Le Brun, Le martyre de saint Jean l'évangéliste, 1642.
Toile, 282 x 224 cm. Paris, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Les deux tableaux sont construits sur les diagonales du format, en sorte que le refus de sacrifier aux idoles vient s'inscrire sur l'une d'elles chez le maître tandis que chez l'élève, la tête manifestant l'assurance du triomphe céleste est placée à l'intersection des deux. Le cintrage de la partie supérieure suggère à Vouet le cercle des spectateurs comme un écran focalisant sur la scène principale ; le rectangle de la toile de Le Brun ne l'empêche pas de reprendre cette forme pour installer le cheval, incliner son cavalier, déterminer les poses d'un des angelots et des bourreaux ou la place du treuil devant lever le corps. Sur cette trame géométrique, l'un et l'autre articulent courbes et contre-courbes en un ensemble d'arabesques qui rythment la composition et participent du lyrisme de leurs œuvres.

Bozzetto. Toile, 64,5 x 52,5 cm. Paris, Musée Carnavalet    -     Toile, 282 x 224 cm. Paris, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Le passage du bozzetto au retable est l'occasion pour Le Brun de rééquilibrer l'occupation de l'espace : initialement, un seul des neuf personnages, l'homme versant l'huile, se trouvait sur la droite. Il est au final rejoint par les angelots, orientés dans cette direction et légèrement décalés comme le bourreau s'occupant du feu, auxquels s'ajoutent l'homme de dos tenant le faisceau de licteur et un chien ; une draperie jetée sur la base de l'instrument de levage achève d'harmoniser le tout. Dans la transformation, si la statue devient plus présente, le grand prêtre le sommant d'honorer l'idole païenne ne se distingue guère mieux : il faut s'interroger sur une possible maladresse qui deviendrait, de fait, insistante. Il me semble que Le Brun ne voulait pas renoncer à la confrontation de son visage avec celui de saint Jean. Il retravaille d'ailleurs l'expression de ce dernier : son intériorisation extatique dans la peinture préparatoire, qui ne suggère pas d'échange avec les angelots, laisse place à une contemplation souriante des promesses que les envoyés célestes lui laissent entrevoir.
Convoquer à nouveau le précédent de Vouet permet de comprendre une autre évolution. Dans son projet, le jeune Charles dispose des zones d'ombre en bas à gauche et pour la statue drapée, reprenant un des outils de mise en scène de son maître qui dispose un écran à contre-jour pour donner plus d'éclat encore au lieu où se joue l'histoire. Si la lumière garde, dans le tableau final, un aspect spectaculaire – soulignant notamment l'une des diagonales et venant frapper le supplicié et son entourage -, il renonce à cet artifice pour en harmoniser l'impact. Ce faisant, il chemine vers un art moins pittoresque, plus « classique ». Les points communs avec le Martyre de saint Erasme peint à Rome en 1629 par Poussin, marquant le départ d'avec Vouet, ne manquent pas : geste du cavalier, pose de l'idole, expressions brutales... Or Le Brun peint son ouvrage alors que ce dernier séjourne à Paris depuis 1640.

Il faudra tout de même le séjour en Italie pour que s'accomplisse la conversion aux choix du peintre Normand, qui n'a pas, à cette date, convaincu le jeune Charles, comme nous allons le voir. Car au fond, à une vingtaine d'années de distance, l'élève se trouve confronté au même défi que Vouet à Rome : remettre en cause une formule qui apporte certes quelques succès mais dont l'application reste limitée au point de brider de grandes amibitions. Simon Vouet, comme je l'ai souligné dans mon étude sur ses années italiennes, abandonne progressivement, à partir de 1621-1622, son accent caravagesque pour développer des recherches décoratives le préparant aux grandes commandes telle que celle du retable de Saint-Pierre de Rome. Charles Le Brun s'amuse certainement aux petits formats précieux, romanesques, religieux ou moraux, pour la gravure ou pour une clientèle d'amateurs - les « curieux », selon l'expression du temps -; mais, comme il le fera à Rome au point d'en partir plus tôt que prévu et sans l'accord de son protecteur, il doit s'impatienter de ne pas accéder aux ambitions du grand décor. Prendre un apprenti en août 1640 suppose d'autres intentions que cette production ciblée.

Nicolas Poussin, Martyre de saint Erasme.
Toile, 320 x 186 cm. Vatican.

Charles Le Brun, Hercule et les chevaux de Diomède, vers 1640.
Toile, 290 x 188 cm. Nottingham Castle (Royaume-Uni).

Il le fallait bien pour répondre à la sollicitation d'un Richelieu. L'Hercule qu'il peint pour le Palais Cardinal flotte dans l'espace à peu près autant que celui que Vignon a peint pour le château du Poitou en 1634 ; mais il dégage une autre puissance, et propose une présence décorative plus héroïque, à la mesure de la tension dramatique, impressionnante au sens propre, du sujet; se rapprochant à nouveau d'un Poussin - entre autres.


Claude Vignon, Triomphe d'Hercule, 1634(?).
Toile. 162 x 217 cm.
C.N.M.H.S.

Avec Paola Bassani Pacht, nous avons démontré dans l'ouvrage consacré au château de Richelieu que si le cardinal avait sans doute plus d'affinités, par tempérament, avec le goût « précieux », ses ambitions et son programme politiques l'ont amené à encourager les recherches « classiques » de Poussin (dès 1635 environ), de Stella ou de Champaigne. Ce qu'incarne particulièrement Sublet de Noyers, à qui est dédiée, notamment, la gravure de Rousselet d'après Le Brun durant ces années 1639-1642, qui, dans le drapé de la Religion, me semble citer la Vierge du Mariage de la Vierge pour Notre-Dame, ou la Sainte Anne du musée des Beaux-Arts de Rouen, autrefois à Saint-Germain, de Stella - deux oeuvres que je situe en 1638-1640. On trouvera aisément d'autres éléments de curiosité du jeune artiste envers son aîné alors dans la section « Louis XIII » (1636-1643) de ma chronologie de ce dernier.


Gilles Rousselet d'après Charles Le Brun
La fidélité distinguant la Religion et la Justice Royale.
Gravure

Deux comparaisons éloquentes d'oeuvres de Charles Le Brun fournies par la riche iconographie de l'ouvrage de Bénédicte Gady illustreront de l'intérieur cette croisée des chemins.



Jacques Stella
Le mariage de la Vierge.
Huile sur toile. 450 x 360 cm. Toulouse, Musée des Augustins.

J. Stella. Salomé, 1637. Richmond, Ham House - Sainte Anne, Rouen
c. Dater l'impact de Vouet : comparaisons démonstratives.

Frontispices de Pierre Daret d'après Charles Le Brun.
Didon (achevé d'imprimé mai 1637) - Eudoxe (achevé d'imprimé 2 janvier 1641)
La confrontation (ci-dessus) des frontispices gravés d'après lui par Daret pour les pièces de théâtre de Scudéry Didon (mai 1637) et Eudoxe (janvier 1641) témoigne, certes, d'une continuité dans l'usage de petits personnages aux attitudes dansantes, ce qui peut être rattaché au genre spécifique de l'illustration d'histoires romanesques. En revanche, on voit nettement Le Brun passer d'un vocabulaire fantaisiste et échevelé, dans un décor architectural accumulant les signes sans grande cohérence spatiale, « précieux en diable », à une mise en scène recherchant l'unité de lieu, servi par des costumes plus « à l'antique », un souci anatomique sensible dans un cadre d'esprit classique. S'il conserve les codes – canon et gestuelle appuyée -, il affine son style dans le sens de ce qui vient d'être mis en évidence. La référence à Vouet éclate notamment dans le soldat de dos à droite, dans l'attitude comme dans la construction du corps. Cette empreinte n'apparaît pas dans le fronspice pour L'amour tyrannique achevé d'imprimer en février 1639, malgré la plus grande cohérence de l'image.

Nous avons là, précisément, l'illustration de la subtilité qu'il y a à apprécier ce qui joue dans l'évolution d'un artiste, surtout dans sa jeunesse, et dans la multitude de contextes qui est déjà, pour Le Brun, le sien. S'en tenir aux canons, que ce soit celui du genre ou celui des personnages, ferait manquer l'enjeu de son travail. On peut, par exemple, remarquer que les deux personnages isolés vers le centre de chacun des deux frontispices de 1639 et 1641 proposent, en fait, deux variations de poses inversées de l'un à l'autre : le genre favorise de telles facilités. L'important tient au dynamisme nouveau qui les anime en 1641. Et c'est par une analyse semblable pour le personnage de dos, en figure repoussoir, des deux images que l'impact de Vouet devient évident.

Pierre Daret d'après Charles Le Brun,
frontispice de L'amour tyrannique de Scudéry,
achevé d'imprimé en février 1639.
Gravure.
Dans le même ordre d'idée, il faut rappeler un travail d'édition auquel Vignon et Le Brun ont contribué à quelques mois de distance. Le premier a fourni une suite de compositions, traduites en gravure par Jérôme David, pour le Bréviaire de Meaux, publié en 1640 ; le Missel de Meaux, édité en 1642, lui, est orné en frontispice d'une image de Rousselet d'après Le Brun : le titulaire de l'évêché est Dominique Séguier, frère du chancelier. Un tel contexte artistique et de patronage, et le cadre plus strict et conventionnel du frontispice d'un ouvrage de doctrine religieuse auront conduit à une sorte de compromis perceptible dans la structure traditionnelle tripartite de l'image mais aussi par le style : la partie haute montre une Trinité flottant dans l'espace « à la Vignon », tandis que les saints patrons des Églises de Meaux (Étienne) et de Paris (Denis), ont suscité des comparaisons justifiées avec Stella et Poussin.

Le dessin conservé à l'Albertina pour la figure de saint Étienne (ci-contre) montre, par son canon, une forme de simplification anatomique, une continuité avec les gravures précédentes et la production « précieuse ». C'est par le travail formel, le drapé, l'incidence de la lumière issue du travail sur le motif qu'apparaît l'assmilation de Vouet, poussée vers la sculpturalité de Stella. Pour notre propos, ce qui compte est de savoir à partir de quand Le Brun accepte l'ascendant de Vouet, qu'il s'en serve, comme ici vers 1641-1642, encore « localement » ou plus globalement dans le Martyre de saint Jean l'évangéliste.


Charles Le Brun,
étude pour le frontispice du Missale Meldense
gravé par Gilles Rousselet.
Crayon noir, rehauts de craie blanche. 38,5 x 23 cm.
Vienne, Albertina.
Les images liées à la naissance du Dauphin, plus circonstanciées, vont nous permettre d'en affiner la chronologie. L'oblation faite à Dieu par la reyne… éditée par Boudan (C. Le Brun delineavit) est une pièce de circonstance dans laquelle est clairement désigné l'officiant, « M. de Lizieux », c'est-à-dire Philippe Cospeau (1571-1646). Ce dernier est un personnage lié aux Précieux, à Madame de Rambouillet, mais aussi à Anne d'Autriche dont il était aumônier. Peut-être en est-il le commanditaire ou le destinataire.

Quoiqu'il en soit, le dessin comme la gravure n'ont de raison d'être que dans les semaines qui ont suivi la naissance de Louis, le 8 septembre 1638. On notera que le graveur simplifie le fond, pour lequel Le Brun suggère le motif d'une scène avec chevaux (une tapisserie?). Il le fait sans doute pour la clarté de l'image mais il faudra questionner la raison de sa présence dans la proposition initiale.


Jérôme David d'après Charles Le Brun, Oblation faite à Dieu..., fin 1638.
Louvre

Le même esprit préside à L'espoir de la France, gravé par Jean Humbelot dont l'invention, conservée à la Bibliothèque Nationale de France, a été rendue justement à Le Brun par Maxime Préaud : si elle ne se rattache pas à un évènement précis, sa vocation tient à la naissance tant attendue d'un héritier au trône pour Louis XIII. Elle participe d'une émulation avec Bosse, une référence majeure alors pour lui, qui donne également une image sur ce thème, vraisemblablement pour un Almanach de l'année 1639. Les rapprochements montrent assez la communauté d'esprit et, en comparaison, il faut bien le dire, l'aspect un peu emprunté, raide ici, répétitif là, des images du cadet ; il est vrai qu'il n'a que 19 ans quand Bosse en a 36. C'est particulièrement vrai pour L'oblation, dont les délais furent sans doute plus courts.

Abraham Bosse,
La joie de la France,
fin 1638.
Gravure.
Paris, BnF


Charles Le Brun, Oblation faite à Dieu..., fin 1638.
Pierre noire, plume et encre grise. 25,5 x 26,8 cm. Paris, BnF

Charles Le Brun, L'espoir de la France, fin 1638.
Pierre noire, plume et encre grise. 20,6 x 40,8 cm. Paris, BnF
L'impression est très différente devant une image dont le graveur n'est pas connu représentant les personnifications des planètes pour évoquer le ciel de naissance du Dauphin, certaines préparées par le dessin de Nancy. L'éditeur est encore Boudan mais sa destination relève moins de l'urgence : il s'agit sans doute d'accompagner un texte, peut-être plus ou moins astrologique. Michel Huber mentionne un état de cette gravure dans lequel la carte du ciel, au centre, ne figurait pas : « Au milieu un grand écusson vuide », écrit-il.

Situer dès cette époque son invention la positionnerait parmi les tout premiers témoignages de l'impact enfin accepté de Vouet, par le recours à l'arabesque, à la plasticité des chairs, la subtilité des ombres et des lumières. Les affinités avec la gravure montrant Séguier au Parnasse, pour une thèse soutenue en juillet 1641, sont à mon sens suffisamment fortes pour inciter à détacher l'image du strict contexte de la naissance du dauphin Louis, et à en décaler légèrement la date, à fixer en 1639, sans exclure 1640.


Gilles Rousselet d'après Charles Le Brun,
Allégorie en l'honneur de Pierre Séguier
pour une thèse soutenue en juillet 1641. Gravure.

Charles Le Brun,
étude pour Les planètes
à la naissance du dauphin Louis
.
Pierre noire. 22,5 x 14,5 cm.
Nancy, Musée des Beaux-Arts


D'après Charles Le Brun, Les planètes à la naissance du dauphin Louis.
Gravure. Paris, BnF
Il faut un élément déclencheur à cette conversion : sans doute que Vouet l'ait enfin pris au sérieux au point de lui confier la réalisation d'un tableau en étroite collaboration, sur le mode de ce que l'on sait pour la Résurrection du fils de la veuve de Naïm de Le Sueur déjà citée, pour laquelle on possède au moins un dessin fini pour une figure par le maître lui-même. Le chantier de l'hôtel Séguier est généralement mis en avant pour expliquer l'influence sensible du maître sur le jeune Le Brun mais sans que l'on puisse préciser sa contribution. L'exposition Autour de Simon Vouet, visitée à Coutances en 1996, m'avait confirmé dans l'idée que le Christ à la colonne, rattaché, lui, au château royal de Saint-Germain devait, par ses personnages hypertrophiés, lui revenir, attribution depuis publiée par Lorenzo Pericolo mais qui n'a pas convaincu Bénédicte Gady (selon sa note 560).

Envisager cette peinture comme le fruit d'une collaboration comparable à celles connues pour Le Sueur demande de faire abstraction de certains aspects comme l'organisation de l'espace et des architectures ou le rapport des figures au fond, que Vouet aura réglé. Dans la Résurrection du fils de la veuve de Naïm, les personnages semblent « trop » massifs pour l'élève, qui se révèle par une facture délicate raffinant la lumière, la finesse idéale des traits, bref une tendance à l'abstraction qui le conduira vers un classicisme épuré. Dans notre Christ à la colonne, la puissance des formes, des musculatures, le schématisme des figures, qui tranchent par rapport au maître et aux autres élèves identifiés me semblent bien renvoyer au jeune Le Brun. Le dessin de Nancy pour la gravure du ciel de naissance du Dauphin est venu conforter, selon moi, cette impression.


Charles Le Brun, étude pour Les planètes à la naissance du dauphin Louis.
Pierre noire. 22,5 x 14,5 cm. Nancy, Musée des Beaux-Arts

Ce pourrait donc être à cette occasion, pour le décor de l'oratoire du roi à Saint-Germain situé en 1637-1639, que Le Brun a pu s'immerger dans le style générique de Vouet. De ce dernier, on connaît un dessin préparatoire pour le bourreau agenouillé qui suppose, en effet, une étroite collaboration. Nous aurions ainsi un faisceau d'indices qui situent la collaboration féconde entre les deux artistes - et le second séjour de Charles chez Vouet? - à la fin de 1638 ou au début de 1639.

Ici attribué à Charles Le Brun (dans l'atelier de Vouet), Christ à la colonne.
Toile. 128 x 66 cm. Louvre

Simon Vouet, étude pour un bourreau du Christ à la colonne du Louvre.
Pierre noire et rehauts blancs.26,6 x 29,8 cm.
Besançon, Musée des Beaux-Arts Inv. D.1803.
Il faut encore aborder une gravure de Michel Lasne qu'Heinecken (Dictionnaire des artistes dont nous avons des estampes, Leipzig, 1787-1790) mentionne en 1789 (t. III, p. 396) comme d'après Le Brun : « Portrait du cardinal de Richelieu sur un bouclier ». Bénédicte Gady la mentionne en note (351), dubitativement. Il y a de quoi.

Son statut, selon la lettre, ne devrait pas permettre une telle proposition d'inventeur, puisque le graveur, qui en est aussi éditeur, prétend avoir dessiné lui-même l'image. On peut néanmoins affirmer qu'il n'en est rien : elle reprend en sens inverse l'essentiel du cortège de l'Assomption de Charles Mellin, aujourd'hui au Musée Ponce de Porto Rico. Même l'ange tenant le chapeau cardinalice paraît s'inspirer de celui soutenant le pan de manteau de la Vierge qui s'envole derrière elle. La composition apparemment romaine qu'elle prépare ou dont elle garde souvenir fut célèbre et a suscité nombre de feuilles la copiant, cataloguées par Philippe Malgouyres.


Charles Mellin L'assomption.
Toile. 22,5 x 14,5 cm. Ponce, Porto Rico


Michel Lasne
Anges portant le portrait de Richelieu sur un bouclier, gravure. BnF
Ici inversée pour rendre plus clair le lien avec le tableau de Mellin.
Seuls les deux angelots volant au dessus du médaillon, dont l'un tient l'ancre marine, pourraient prétendre à l'invention : stylistiquement, rien, dans l'oeuvre de Lasne ne permet de penser qu'il ait pu les produire de son propre chef. Là résiderait peut-être un complément justifiant le nom de Le Brun : leur visage au menton rond, aux yeux gonflés, à la chevelure courte et frisée, peut en effet être rapproché de l'enfant derrière la jeune femme de La Charité de Stockholm, ou de ceux de la thèse dédiée à Effiat (1642).

Ce serait un apport éventuel mineur qui ne justifie décidément pas qu'on en vienne à attribuer l'invention de l'image à Le Brun à moins de penser qu'il ait fourni un dessin d'ensemble : or Lasne revendique la paternité d'un tel travail, sans doute au nom de l'assemblage d'éléments disparates. Il reste une petite période de quelques semaines durant laquelle Le Brun a quitté Paris pour se rendre à Rome, tandis que Richelieu, honoré par l'estampe, est toujours vivant, permettant au graveur de s'accorder la paternité du dessin. Malgré tout, la proposition de Heinecken semble finalement excessive, sinon fautive. Voilà en tout cas de quoi faire réfléchir sur la notion d'invention alors.

Charles Le Brun, Mars et Apollon,
dessin pour le bas de la thèse
de Jean Ruzé d'Effiat
dédiée à Richelieu, 1642.
Pierre noire, estompe, lavis brun et gris.
37,3 x 74,9 cm.
New York, Metropolitan Museum



Quoiqu'il en soit, tout concourt à faire de la toute fin de la décennie 1630 le temps de la reddition au lyrisme vouétien. Abandon de courte durée, on le voit avec le tableau de Saint-Nicolas-du Chardonnet, et plus encore dans les illustrations de thèse de 1641-1642, où il semble vouloir rivaliser avec un Stella. Outre ce dernier, Nicolas Poussin séjournant alors à Paris (1640-1642), Champaigne ou encore La Hyre lui montrent que le maître n'est pas si incontournable, que l'on peut se confronter aux grandes commandes, religieuses ou décoratives, de façon plus élaborée qu'un Lallemand, un Brebiette ou un Vignon, princes mousquetaires, sans recourir pour autant aux grandes ombres et à l'arabesque. Ce n'est pas tout, on va le voir.
3. Condé-en-Brie : les lumières tirées des ombres de Vouet, Rubens et Poussin
Si j'ai fait ce long développement sur les premières années d'activité de Le Brun, c'est parce que le tableau de Condé-en-Brie, par le lien avec Vouet, appartient à cette phase, et qu'il fallait établir les enjeux de ce lien. C'est tout un travail généralement passé sous silence dans la notice d'une œuvre pour un catalogue qui se trouve ainsi mis à jour. Il permet, chemin faisant, de tirer quelques fils documentaires non négligeables. Ainsi, le rôle possible, pour la gravure de L'oblation, de « M. de Lizieux », interlocuteur pas nécessairement docile de Richelieu mais aussi personnalité proche des Condé, pourrait bien suggérer un réseau expliquant aussi la peinture briarde. Il faut maintenant évaluer les affinités de celle-ci avec les témoignages évoqués précédemment, augmentés de quelques autres.

Au fond, c'est par tout un ensemble de petits écarts d'avec Vouet, dont les modèles ont fourni la trame pour la composition, que le nom de Le Brun émerge. Si à l'instar du maître, il confère aux personnages un canon important au regard du format, il en appuie l'effet par une densité et un déploiement musculaire déjà rapproché de Nicolas Chaperon. Ceci est évident dans notre tableau pour le berger s'appuyant sur les éléments de ruines antiques, un chevreau sur l'épaule à confronter à l'Hercule, au Christ et ses bourreaux dans le tableau pour Saint-Germain, à ceux du Martyre de saint Jean l'évangéliste, au satyre de la gravure évoquant l'aurore, préparé par le dessin de la Bibliothèque Nationale de France, et à nombre de personnages des différentes gravures évoquées jusqu'alors, en particulier celle présentant le ciel du dauphin Louis à sa naissance.

Il faut rapprocher cette surenchère de l'influence de Rubens soulignée par Bénédicte Gady (p. 121) à propos du tableau de Saint-Nicolas du Chardonnet - l'irruption du chien en donne gage -, tout en rappelant que Laurent de La Hyre a fait de soigneux relevés dessinés de la Vie de Marie de Médicis peinte au Palais du Luxembourg par le maître flamand. Là se trouve aussi, sans doute, la source du masque grimaçant du satyre de l'Aurore.

Le projet avorté de thèse dédiée à Richelieu par Jean Ruzé d'Effiat en 1642 constitue, pour la partie supérieure, un véritable pastiche de Rubens et de la Vie de Marie de Médicis, tant par la mise en page que par des citations directes, qu'on me permettra de mettre en évidence par les dessins de La Hyre de l'Albertina : la Renommée vue de dessous, préparée par le dessin d'Ottawa, s'inspire directement de celle du peintre flamand dans le Débarquement de Marie à Marseille; l'ange apportant la boule d'or inverse celui tenant le portrait de Marie devant Henri IV; l'attitude de la Force chassant les Vices est identique à celle que Rubens emploie en pareille situation pour La réconciliation de Marie avec son fils. Il se peut, par ailleurs, que les Parques du Palais du Luxembourg ait tissé la trame novatrice, toute en hauteur, du Parnasse pour la thèse dédiée à Séguier, soutenue en juillet 1641.


Dessins de La Hyre d'après Rubens, Albertina

Charles Le Brun, La renommée pour la thèse Effiat, 1641
Pierre noire et rehauts de craie blanche. 25,5 x 40,4 cm.
Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada

Dessins de La Hyre d'après Rubens, Albertina

Un tel degré d'allégeance au grand Flamand peut avoir été suggéré par le commanditaire, fils du maréchal d'Effiat, grand mécène, gendre et beau-frère des Fourcy successivement surintendants des Bâtiments du Roi (Jean et Henri), maillons essentiels de la politique artistique royale au moment où Rubens travaille pour Marie, au même titre que Richelieu. Le détail de la boule d'or orné de fleurs de lys précisé par Nivelon - dont la description est par ailleurs fautive puisqu'elle la situe déjà dans la main du cardinal - peut provenir de la scène évoquant l'accession de Marie à la Régence. Une telle autorité se trouvait ainsi conférée au ministre, à qui l'allusion ne pouvait être que transparente.

Il faut s'interroger sur les circonstances qui ont mis Le Brun en présence d'un décor rendu peu accessible, après 1632, par la fuite de la commanditaire. Les contacts avec Richelieu pourraient l'avoir permis. Je serais enclin à le penser pour La Hyre, qui travaille pour le cardinal en 1639, date que j'affecterais volontiers à ses relevés, dont l'aspect vibrant me semble plus proche de l'Apparition de la croix également à l'Albertina et justement de 1639 (selon la gravure qu'il en fit), que des feuilles de la première moitié des années 1630. L'évidence des relations entre les deux jeunes Français peut avoir fait que Charles ait eu connaissance des copies de Laurent mais l'assimilation de la puissance rubénienne me semble aller au-delà de ce que ces dessins pouvaient suggérer.

Quoiqu'il en soit, on voit bien que cette « tentation rubéniste » ne se cantonne pas à cette seule image : elle ne fait que s'intensifier alors, ce qui ne laisse pas d'étonner au moment où Poussin séjourne à Paris, et même à la veille de l'accompagner lors de son retour à Rome.


Michel Lasne, d'après Charles Le Brun.
Illustration de la thèse de Jean Ruzé d'Effiat.
Gravure, 1642. Partie haute inversée pour retrouver le sens du dessin

Gilles Rousselet d'après Charles Le Brun,
Allégorie en l'honneur de Pierre Séguier
pour une thèse soutenue en juillet 1641. Gravure.
D'autres points de contacts peuvent être établis entre notre tableau et la production de Le Brun alors. Le profil du berger monumental, aux traits tombants, est semblable à celui du satyre du Midi. L'aspect robuste, animal, de l'Enfant rappelle ceux de la Charité, notamment celui tétant. L'ange aux grandes ailes montre un tête à la chevelure bouclée à comparer à nouveau avec ce dessin, pour l'enfant un peu plus âgé derrière la jeune femme.


La facture offre des points de comparaisons nets. Le travail de restitution des pelages animaux se retrouvent dans Le martyre de saint Jean l'évangéliste ou pour les chevaux de Diomède et la tunique du lion de Némée portée par Hercule.

Le drapé fouillé, à facettes ou aux arêtes vives, appartient clairement à ces années, en particulier au moment où il cherche à en développer l'arrangement à l'école de Vouet mais aussi sur l'exemple « classicisant » d'un Stella.



Il faut s'arrêter un moment sur le décor. Il permet de dire qu'il ne s'agit pas d'une « simple » Nativité – peu après la naissance - et qu'il faut préférer le titre, plus neutre, d'Adoration des bergers. Le cadre est celui de ruines antiques dont l'artiste fait un certain étalage. Parmi les motifs signifiants, on aperçoit un sphinx, ce qui tendrait à situer la scène en Égypte : nous serions donc plutôt lors d'une halte pendant la fuite de la Sainte Famille, comme le suggère également le fait que Joseph s'appuie sur le bât de l'âne. Ce sphinx n'est-il qu'un signe de ses idoles prêtes à choir sur le chemin du Dieu vivant ? Je ne peux m'empêcher d'en rapprocher la mention de morceaux en cire que le jeune Le Brun, à l'imitation de son père sculpteur, avaient façonnés, notamment pour réaliser des sphinx, rappelés par Bénédicte Gady (p. 83).

Ainsi, notre tableau apparaît comme un révélateur de la multiplicité des recherches du jeune Le Brun, autour de ses vingt ans. Il s'y confronte à Vouet, enfin, mais armé de références qui lui permettent aussitôt d'en dépasser la leçon, en particulier Rubens, grâce à un réseau mêlant la « clique » « précieuse » autour de Vignon et un groupe de jeunes artistes – tous plus âgés que lui mais moins que Vouet – qui ont nom La Hyre, Chaperon, ou Louis Testelin. Le dessin que ce dernier donne pour la thèse de Claude Mandat dédiée à Augustin Potier et soutenue en août 1643 montre clairement la communauté de recherches avec Le Brun, et l'impact assumé des mêmes Rubens et Stella, plus ou moins contre Vouet.
Entre-temps Poussin est là puis repart assez vite pour Rome, accompagné par le jeune Charles. Si le séjour en Italie, auprès du maître normand, transformera profondément son style, le creuset qui aboutira à la fondation de l'Académie royale de peinture et de sculpture indépendamment puis contre Vouet, est déjà sensible au travers des développements qui précèdent, et des enjeux de notre tableau. Il n'est que de rappeler les judicieuses remarques de Jean-Claude Boyer faites lors du colloque Vouet (« Fas et nefas... », Paris, 1992, p. 583-593) à propos d'écrits confrontant Vouet et Rubens – en faveur du Flamand - vers ce temps pour comprendre l'importance des échanges artistiques auquel notre jeune homme participe alors, et ce qui pouvait les motiver : c'était un moyen d'assouplir la mainmise du peintre parisien. Si ces intentions se cristallisent au moment de la fondation de l'institution, vers 1648-1649, on voit que le terrain s'en préparait, crayon ou pinceau en main, dix ans plus tôt.
Ce tableau permet encore de comprendre toute la richesse de la production artistique du temps, qui ne se limite pas à des oppositions reprenant trop souvent des schémas binaires plus faciles qu'efficaces : Vouet  contre Lallemant ; puis Poussin contre Vouet; puis Rubens contre Poussin... Dans les années 1630, il faudrait aussi confronter Vouet à Blanchard, à Champaigne, à Stella, à La Hyre, d'autres encore, comme cela vient d'être fait pour Le Brun.

Ce qui ne doit pas pour autant conduire à négliger la personnalité de ce dernier. Sans avoir l'éclat de ses plus grandes réussites dans le genre – comme le tableau de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, les peintures du Carmel, ou encore celles, ultimes, pour le roi, dont la Nativité du Louvre -, notre Adoration des bergers est déjà suffisamment singulière pour que puisse s'affirmer son nom, son ambition et ses recherches, autour de ses vingt ans.

Sylvain Kerspern, Melun, octobre 2015


(Mai 2016) : pour une esquisse retrouvée depuis, voyez ici. (Octobre 2017) : voyez aussi ce droit de réponse ici.
Agencement chronologique des oeuvres présentées ici.
Cette section a pour but d'offrir un survol complet des oeuvres présentées ici selon une problématique précise - le rapport à Vouet -, pour en esquisser la chronologie et partant, l'évolution du jeune Le Brun, de 1637 à 1642. Elle est donc fortement lacunaire et partielle. N'y figure pas, par exemple, le tableau ci-contre que, comme Dominique Jacquot, j'avais repéré : c'est qu'il n'apporte rien d'essentiel à mon propos.

Il s'agit évidemment de suggestions, non d'un déroulement strict et intangible : une étude plus complète induirait sans doute quelques ajustements. Néanmoins, tel quel, l'enchaînement me semble dans l'ensemble fluide et éclairant, tant pour cette problématique que pour la place que doit prendre notre Adoration des Bergers.

S.K.


Charles Le Brun, L'enfance.
Huile sur bois. 25,8 x 34 cm. Vente Rossini, 17 juin 2009
(« ECOLE FRANCAISE Milieu du XVIIe siècle. »)
Didon (1637) Crucifixion Pouchkine Oblation du Dauphin, dessin (fin 1638) Oblation du Dauphin, gravure (fin 1638)
L'espoir de la France, dessin (fin 1638) L'amour tyrannique (gravure de 1639) Christ à la colonne, Louvre (1639?)
Étude pour Les planètes..., Nancy Les planètes..., gravure La Charité, dessin Adoration des bergers, Condé-en-Brie
Étude pour L'aurore, BnF L'aurore, gravure Le Midi, gravure Hercule Richelieu,
Nottingham (1640?)
Frontispice d'Eudoxe (gravure de 1641) Thèse dédiée à Séguier, gravure
(printemps 1641)
Dessin pour le Missel de Meaux, Albertina Missel de Meaux, gravure (1642)
Allégorie Sublet, gravure Martyre de saint Jean, Carnavalet (1642) Martyre de saint Jean, St-Nicolas-du-Chardonnet (1642)
Étaude pour la thèse Ruzé d'Effiat, Ottawa (1642) Dessin pour le pied de la thèse Ruzé d'Effiat, Metropolitan Museum (1642) Thèse Ruzé d'Effiat, gravure (1642)
BIBLIOGRAPHIE :

- Barbara Brejon de Lavergnée Musée du Louvre. Cabinet des dessins. Inventaire Général des dessins. École Française. Dessins de Simon Vouet, Paris, 1987.

- Émile Jacques Philippe Cospeau, un ami-ennemi de Richelieu, Paris, 1988.

- Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier, catalogue d'exposition La Hyre, Grenoble-Rennes-Bordeaux, 1988.

- Jennifer Montagu, « Les oeuvres de jeunesse de Charles Le Brun : l'influence de Simon Vouet et d'autres » in Rencontres de l'École du Louvre. Simon Vouet, actes du colloque de 1990, Paris, 1992, p. 531-543.

- Catalogue d'exposition Autour de Simon Vouet, Coutances-Le Mans, 1996-1997, p. 94-95 (Marie Cabane) et 112-113 (Ivonne Papin-Drastik).

- Sylvain Kerspern, Jean Senelle, Meaux, 1997.

- Claude Nivelon, Vie de Charles Le Brun, éd. Lorenzo Pericolo, Paris, 2004 (Nivelon fut élève et collaborateur de Le Brun).

- Philippe Malgouyres, Charles Mellin, un Lorrain entre Rome et Naples, catalogue d'exposition, Caen-Nancy, 2007 (p. 102-108).

- Bénédicte Gady, L’ascension de Charles Le Brun, Paris, 2010.

- Paola Bassani Pacht et Sylvain Kerspern in cat. expo. Richelieu à Richelieu, Orléans-Richelieu-Tours, 2011 (notamment p. 115-127).

- Catalogue d'exposition Dessin français du XVIIè siècle, Paris, BnF, 2015, p. 107-109 (notices de Barbara Brejon de Lavergnée).
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr.
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