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Sylvain Kerspern Un tableau inédit de Nicolas de Plattemontagne : Le Christ et la Samaritaine. Mise en ligne le lundi 3 octobre 2011- retouche le 10 mai 2015 |
Linternet est devenu une ressource incontournable et précieuse pour la recherche, notamment pour lhistoire de lart : limage y est reine. Les découvertes ny manquent pas. Jaimerais reprendre ici une habitude un peu délaissée pour des études de longue haleine : consacrer des notices à des oeuvres mal attribuées ou anonymes que la Toile nous propose ingénument. Je recommencerai ici avec Nicolas de Plattemontagne. |
Lartiste, formé par son père et Philippe de Champaigne, grand ami du neveu Jean-Baptiste, a longuement survécu à ces trois peintres, se montrant apparemment sensible à lexpressivité dun Le Brun, voire dun Coypel, héritiers de Poussin mais aussi, curieusement, au coloris et à la suavité dun Mignard, ce quil doit peut-être à la pratique régulière du portrait. On le pressent notamment grâce à deux catalogues dexposition récents, et aux études décisives de Frédérique Lanoë quils renferment : À lécole de Philippe de Champaigne (Évreux, 2007-2008) et Trois maîtres du dessin, Philippe de Champaigne, Jean-Baptiste de Champaigne, Nicolas de Plattemontagne (Port-Royal-des-Champs, 2009). Il faut aussi rendre hommage à Pierre Rosenberg et Nathalie Volle qui, sans Internet, avaient réuni un premier ensemble essentiel de feuilles autour de lartiste dans la cadre des études consacrées à la donation Baderou, en 1980. Parmi elles figurait une étude de buste pour un personnage, vraisemblablement le Christ, à léloquence muette : son doigt levé évoque le discours et la source de son inspiration, lautre main en retrait paume ouverte, sa réaction, ce qui suggère un échange plutôt quune prédication au sens strict. La consultation des bases patrimoniales du ministère de la culture, sur le thème de la rencontre du Christ et de la Samaritaine, me mit en présence dune composition peinte du couvent des Pères du Saint-Esprit à Paris : la pose du Christ métait familière. Le style, de la fin du XVIIè siècle, imposa rapidement le nom de Plattemontagne et le souvenir de la feuille Baderou. La confrontation ne fait guère de doute, à voir la reprise de la bordure de manche pour le bras levé du dessin, si proche, comme la pose générale. Du dessin au tableau, Plattemontagne retouchera son drapé mais lessentiel est déjà là. On est tenté den rapprocher la version de Pierre Mignard (Louvre, 1690), commande royale : on y retrouve le geste paume en avant de la main gauche, dont je ne connais pas dautres exemples pour ce sujet, et qui est la principale variante davec la version antérieure, de 1681, que Louis XIV avait admirée. Le Troyen peint les deux fois une jeune femme attentive et statique, ce qui met en évidence le fait que Plattemontagne se serve avec beaucoup dà propos de la marche circulaire du puits pour, quant à lui, mettre en scène son avancée vers le Christ, la main sur la poitrine. Il suggère ainsi que le dialogue tourne autour de lindignité supposée de la femme de Samarie et de son peuple, dordinaire méprisé par les Juifs, à qui Jésus sadresse pourtant pour lui demander de puiser de leau pour lui. Létonnement de son interlocutrice lamène à révéler sa nature, lui signifiant que si elle le connaissait, cest elle qui lui demanderait leau vive quil dispense (Évangile de Jean, 4). Le double geste conçu par Plattemontagne doit mettre en balance leau du puits de Jacob, de sa main gauche, et celle, spirituelle, dont il situe la source avec la droite.
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Nicolas de Plattemontagne, dessin pour Le Christ Rouen, donation Baderou Idem, Le Christ et la Samaritaine Paris, couvent des Pères du Saint-Esprit |
On ne sait quand lartiste, né en 1631, a intégré latelier de Philippe de Champaigne, donc sil a pu voir son maître peindre, pour Port-Royal, le tableau aujourdhui au musée des Beaux-Arts de Caen, daté de 1648. Quoiquil en soit, il en reprend un certain nombre déléments que je crois déterminants : le geste indiquant le ciel du bras droit du Christ, celui la main sur la poitrine de la Samaritaine, le fait que la femme soit en mouvement, et le rôle du puits dans la circulation des personnages, notamment. Il en tire pourtant un effet très différent. Philippe semble insister, par les attitudes, sur ce qui sépare les deux personnages. Le Christ développe son discours sans égard particulier pour la jeune femme, apparemment sur le point de repartir. Tout est dans la capacité de persuasion, et cest une vision très rhétorique de lépisode, voire janséniste en ce que la grâce touchera implacablement la jeune femme. Nicolas, au contraire, insiste sur la rencontre, et en plaçant linterlocutrice dans lencadrement du mur du puits, il lui confère presque le rôle principal. Ce nest finalement pas tant une méditation sur le symbolisme de leau, source de vie, comme chez Stella pour les Carmélites (Paris, église Notre-Dame de Bercy, 1652), ou sur lélargissement de la mission du Christ, que la mise en évidence dune conversion. Il se sert, pour cela, du dynamisme instauré par le contournement du puits, mais aussi de loblique de ce mur, qui conduit inévitablement vers Jésus. Il sagit dinciter à suivre le mouvement de la Samaritaine, dont la vivacité est suggérée par lenvolement de son manteau. Lépisode constitue lun des élargissements du message du Christ hors de sa communauté dorigine, au même titre que celui qui le met en présence de la Cananéenne. Plattemontagne a précisément représenté les deux rencontres dans léglise Saint-Martin-des-Champs, en pendants à deux autres peintures commandées à Charles-François Poerson, en 1700-1701 (Jean-Aymar Piganiol de La Force, Description de Paris, de Versailles, de Marly, Paris, éd. 1742, X, p. 379; Antoine-Nicolas Dézallier dArgenville, Voyage pittoresque de Paris, Paris, éd. 1770, X, p. 203). Le Christ et la Cananéenne est depuis le XIXè siècle à la Primatiale de Lyon, La Samaritaine ayant disparu. Sagit-il de notre tableau? À vrai dire, lanalyse qui précède ne va pas vraiment dans ce sens, et un certain nombre de différences sinterposent encore pour un tel rapprochement. Le tableau parisien est cintré, ce qui ne semble pas avoir été le cas de celui de Lyon. Son format plus nettement en hauteur incite le peintre à un jeu en mouvement dans la profondeur quand loption apparemment plus large de la Cananéenne conduit à des dispositions plus en frise. Leffet de la peinture parisienne en paraît dailleurs dautant plus original. Une feuille de lAshmolean Museum dOxford montre différentes études, dont certaines concernent la composition aujourdhui à Lyon, ainsi quun croquis pour un Christ et la Samaritaine. Une même installation suivant une oblique dans la profondeur sy voit, mais lattitude du Christ est nettement différente et la jeune femme est, cette fois, très statique. Je suis enclin à penser que Plattemontagne soit parti de la solution connue par le tableau dont il est ici question pour linfléchir dans le sens quimposait la mise en pendant avec la Cananéenne : cette fois, ce sont les femmes qui reçoivent la révélation de la nature du Christ hors le cercle strict des Juifs. Le style de notre tableau est très différent de celui de la Primatiale et du dessin dOxford, qui figurent parmi lultime production du peintre, marquée par une forme doutrance dans lexpressivité, jointe à des compositions à la franchise presque brutale : comme si lénergie de ses dessins, sensible par la vigueur de certains traits, avait fini par gagner son pinceau. Notre Samaritaine garde une élégance et une souplesse qui doit la situer nettement avant. Frédérique Lanoë, en cataloguant le dessin en rapport, suggère pareille distance mais ainsi quelle-même le constate, il y a trop peu de témoignages encore de sa main, notamment peints, pour que son évolution, qui couvre plus de cinquante ans, soit clairement articulée. Néanmoins, on imagine bien que cette peinture inédite au style moins puissant soit plus proche dans le temps de latticisme, pratiqué entre autres, par Philippe de Champaigne et Jacques Stella que du grand style héroïque de Charles Le Brun. Elle traduit sans doute un talent encore jeune, capable de moduler pour répondre à la diversité des opportunités.
S. K., Melun, lundi 3 octobre 2011 |
Jacques Stella Idem 335 x 224 cm. Paris, église Notre-Dame de Bercy Nicolas de Plattemontagne Le Christ et la Cananéenne 400 x 233 cm. Lyon, Primatiale Saint Jean |
Retouche (mai 2015) |
Vient de passer en vente une feuille montrant une proposition d'ensemble pour cette commande, complétée d'une alternative pour la Samaritaine, qui vient confirmer, s'il en était besoin, mon attribution. Celle-ci est d'ailleurs évoquée dans la notice du catalogue de vente, mais hélas! très évasivement. Le dessin porte l'annotation caractéristique qui avait favorisé le premier rassemblement fait par Nathalie Volle et Pierre Rosenberg en 1980 : « montagne ». Il permet de compléter notre connaissance de l'artiste au travail. |
Le premier point concerne les traits portés sur la ligne inférieure du cadre, qui en mesure la largeur : sans doute 5 pieds, soit environ 1,62m. Cela viendrait confirmer - puisque je n'ai pas les dimensions du tableau du couvent des Pères du Saint-Esprit - qu'il ne peut s'agir de la Samaritaine mise en pendant de la Cananéenne pour Saint-Martin-des-Champs, aujourd'hui à la Primatiale de Lyon, nettement plus grande. En revanche, le cadrage vient contredire l'argument un peu rapidement avancé du cintrage, car le format initial semble bien rectangulaire : l'examen attentif de la photo (à défaut du tableau lui-même) permet de déceler une mise au format du retable que la toile de Plattemontagne est venu rejoindre. On retrouve alors (sur l'image ci-dessous) une composition accordant une forte présence aux personnages, fréquente chez le peintre et qu'il avait contracté auprès de Philippe de Champaigne.
La pose du Christ appelle également des commentaires. Elle permet de comprendre que l'étude de la donation Baderou propose une transformation fondamentale en cours d'élaboration, à partir de la version de Champaigne, qui l'avait fait s'écarter de la Samaritaine. C'est un dialogue que les deux artistes nous présentent, dont le fruit est la conversion de la Samaritaine. Nicolas, au final, fait se pencher le Christ vers elle.
Se trouve alors mis en évidence le geste de la main gauche, jusque là peu lisible. Il vient maintenir une distance, en forme de dénégation, et donner corps aux ambiguïtés entretenues par Jésus sur le sens matériel et spirituel de l'eau, car celles-ci forment le ressort de son discours, qui amènent la conversion de la jeune femme. La reprise griffonnée de la Samaritaine hors cadre du dessin d'ensemble situe son bassin au niveau du rebord du puits. La jeune femme aurait donc moins dominé son interlocuteur, et surout probablement amorcé le geste de saisir la cruche, en montant sur la margelle; alternative finalement non retenue, l'anecdote pouvant atténuer la perception du dialogue. Dans le tableau, le drapé (notamment l'envol derrière son épaule) accentue la dynamique vers Jésus et suggère, non qu'elle se penche simplement pour se saisir de la cruche - ou se relève après en avoir saisi la corde -, mais bien qu'elle avance dans sa direction. C'est au final une interprétation décidément axée sur la réthorique au service de la persuasion, pour laquelle la gestuelle est essentielle en peinture. Cette composition montre l'artiste à un point d'équilibre dans sa carrière. Elle s'inscrit bien dans les enjeux de l'académie royale de peinture et de sculpture, insistant sur l'expression des passions à laquelle Charles Le Brun a accordé une grande importance. Néanmoins, Nicolas de Plattemontagne garde à l'esprit l'héritage de son maître Philippe de Champaigne comme moteur essentiel pour sa création. Son style témoigne d'une délicatesse dans l'animation qu'il va progressivement abandonner pour une expressivité le rapprochant, via l'assimilation possible avec le théâtre, des exemples d'un Antoine Coypel; nous sommes ici bien plus proches de son morceau de réception (1663) ou du tableau d'Orléans (Apollon et Diane châtiant les filles de Niobé), ou du May de 1666 (et son modello) que de la Cananéenne (1701). Ainsi se dessine une chronologie...
S. K., Melun, dimanche 10 mai 2015 |
Nicolas de Plattemontagne La Samaritaine 25,5 x 22,5 cm. Crayon noir, rehauts de gouache blanche. Vente Ferri, Paris, 5 mai 2015. Nicolas de Plattemontagne Dessin pour Le Christ Rouen, donation Baderou |
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