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Mis en ligne le 29 février 2008 - Retouche août 2012 (voir en fin de page)
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Nicolas Prévost fait partie de ces artistes que lhistoriographie récente a permis de ramener à la lumière. Les travaux de Robert Fohr et de John Schloder, puis la redécouverte par Éric Moinet dans les réserves du Musée des Beaux-Arts dOrléans de toiles provenant du décor du château de Richelieu ont progressivement constitué un ensemble de peintures quil faut compléter, pour les dessins, de ce que Jacques Thuillier a pu rassembler en marge du catalogue de Jacques Blanchard. Pourtant, son style ne sest pas clairement dégagé et jai moi-même proposé de distraire de loeuvre supposé quelques unes des peintures pour la demeure poitevine du cardinal, au profit de Jean Mosnier. La prochaine exposition consacrée au décor de ce château, organisée par les musées dOrléans et de Tours, sera loccasion dune importante mise au point au sujet de ces deux artistes. Je voudrais ici revenir sur Nicolas Prévost à loccasion de la réapparition dune de ses productions. La Mort de Cléopâtre Voir cette Mort de Cléopâtre, pour qui connaît tant soit peu le dossier concernant Nicolas Prévost, oriente invinciblement la recherche en paternité vers son nom. Lélément le plus probant est certainement une autre représentation de Femme forte comme les aime le XVIIè siècle, Judith tenant la tête dHolopherne autrefois chez Heim et récemment présentée par la galerie Jack Kilgore, à New York. |
Nicolas Prévost, La mort de Cléopâtre, coll. part. - Judith tenant la tête dHolopherne chez Jack Kilgore (New York) en 2006 |
Le parti, deux figures échangeant un regard méditatif en commentaire du drame, sur fond de grande draperie rouge, est commun. Trois des quatre femmes proposent chacune un visage aux joues pleines, à la petite bouche boudeuse, au nez long et fort, complément dun corps puissant et charnu. La gamme chromatique est voisine, même si la Cléopâtre joue avec austérité des trois couleurs primaires quand la Judith préfère le raffinement en ajoutant notamment une belle plage blanche au centre - autant la tunique que la chair si pâle de Judith -, environnée dun rose tendre et de vert. Le type de drapé, lourd, aux plis nombreux et prononcés, souples tout en portant des accents sculpturaux, révèle les influences de Gentileschi, des Bolonais, de Vouet et de lantique ainsi que la connaissance de lactualité de la Rome baroque vers 1630. Prévost-Stella : un partage toujours difficile La Judith Kilgore, comme je lai signalé sur latribunedelart.com dans lune de mes suites à lexposition Bossuet, est gravée sans nom dauteur, mais lestampe est cataloguée à la Bibliothèque Nationale de France dans loeuvre de Nicolas Prévost. La peinture appartient à un petit groupe que javais constitué en 1994 en proposant une attribution à Jacques Stella sur la base de rapprochements avec ses ouvrages des premières années françaises. Dater le Mariage de la Vierge de Toulouse, de Jacques Stella |
********* Comparaison de détails du carton de Toulouse et de la Semiramis de 1637 (Lyon, Musée des Beaux-Arts) peints par Jacques Stella |
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Le Jugement de Salomon de Vienne ne dispose pas déléments documentés permettant une fourchette chronologique resserrée. Pourtant, le catalogue de lexposition de Lyon et Toulouse (2006) et la monographie de Jacques Thuillier (2006) saccordent pour lui trouver une place dans les années 1630, plutôt après le retour en France. Pour ma part, jai dit sur ce site quil nétait pas impossible quil fût peint dans les derniers temps à Rome, par rapprochement avec certains détails du dessin emblématique dOxford (1631) ou de lAllégorie Borghese du Louvre (1633), entre autres. Le traitement anguleux et un peu schématique de certains soldats, aux lèvres tombantes, commun à la feuille de 1631 et au tableau de Vienne, prolongent certaines physionomies à la cavalier dArpin vus, par exemple, dans la suite sur saint Philippe Neri. Il semble assez circonscrit dans le temps même sil apparaît encore dans la gravure en lhonneur des Villeroy, sans doute du tout début de la carrière française. La très nette influence de Dominiquin mincline, quoiquil en soit, à situer cette peinture vers 1633-1635. |
****** Jacques Stella, San Filippo Neri vêtant les enfants, Yale University, 1629 - Le jugement de Salomon, Vienne, Kunsthistorisches Museum, vers 1633-1635 - K.Audran daprès J. Stella, Allégorie en lhonneur des Villeroy, gravure, vers 1635. |
Le rapprochement avec le carton de Toulouse (ainsi, notamment, que les deux peintures pour Saint-Germain) permet daffirmer que cette référence au Bolonais perdure en France, et contribue à la fermeté de son style face à la découverte de ceux, si divers, de Jacques Blanchard, Simon Vouet, Laurent de La Hyre ou Philippe de Champaigne, entre autres. Cest elle qui lentretient encore pour quelque temps dans la volonté de recourir pour les types physiques au naturalisme, qui disparaîtra au profit de stéréotypes basés sur la connaissance de lantiquité. Cest aussi à ce titre que le Christ retrouvé par ses parents dans le Temple aujourdhui aux Andelys (1641-1642) peut apparaître comme un manifeste. La réapparition récente dune peinture reprenant le schéma du carton pour Notre-Dame en apporte une sorte de confirmation, de ce point de vue (Galerie Éric Coatalem, Paris). Les visages sont nettement moins particularisés et ce qui était sobre et puissante référence aux modèles raphaëlesques (sur le sujet comme pour les fresques du Vatican) via Bologne devient méditation à lantique sur un évènement et les péripéties dramatiques doù peut sourdre une violence moins retenue, présentée comme de lagitation vaine. La comparaison du coloris montre un changement significatif vers la froideur et le raffinement, de la blondeur au laiteux. |
*** Jacques Stella, Mariage de la Vierge, version de Toulouse (vers 1636-1638) - Galerie Éric Coatalem, Paris (vers 1643-1645). |
Léquivalent le plus net à cette variation à partir du carton pour Notre-Dame est peut-être la Naissance de la Vierge de Lille, signée et datée de 1644, épave du décor de la chapelle du Palais-Royal commandé par Anne dAutriche. Cest sans doute vers cette date ou légèrement avant, suivant dautres références qui seront détaillées dans une étude à venir, quil faut situer cette variation sur le thème du carton de Notre-Dame : elle marque, au changement de règne, une référence appuyée à ce qui fut une commande majeure de lère Richelieu-Louis XIII, dans lorbite du cardinal. Le cas des peintures troyennes
Il fallait prendre le temps de faire ce point, en éclairant lart de Jacques Stella à son retour de Rome, au moment où Nicolas Prévost travaille à son chantier majeur, le château de Richelieu. Ainsi apparaît plus clairement en quoi les peintures de Troyes, que javais rapprochées de la Judith Kilgore en songeant à Stella, peuvent être mis en regard de lart du Lyonnais alors. |
****** ****** Ce qui rapproche la Thomyris de Stella vers 1635-1640. |
Tournons-nous maintenant vers le Moïse foulant la couronne de Pharaon. À nouveau, le Mariage de la Vierge propose en la matière quelques équivalences de poids : le visage et lattitude de la Vierge, proche de la fille de Pharaon (couronnée à gauche); le Grand-Prêtre et lhomme à la tête couverte, tenant poignard; saint Joseph (ainsi que lhomme derrière lui) et Pharaon, assis, lequel ne peut manquer dêtre également rapproché du messsager de la Sémiramis; le profil dans lombre de la jeune femme agenouillée dans langle inférieur gauche et celle qui tient Moïse, lequel est tout à fait comparable aux enfants de la même mendiante du Saint Louis distribuant les aumônes de Bazas, ou au Jésus de la Sainte famille au lys gravée par Poilly. |
****** ** ****** Ce qui rapproche le Moïse de Troyes de la production de Stella vers 1635-1640. |
Tant déléments de convergence, quils soient de détail ou dans la conception et le coloris, font que je reviendrais volontiers à lintuition avancée en 1994. Le coup de grâce pourrait être porté en les rapprochant de ce quil y a de plus sûr chez Prévost à la même époque : la Porcia, lIdolâtrie de Salomon ou le Sacrifice dIphigénie. |
**** **** Mise en regard des peintures de Prévost pour Richelieu et du Moïse de Troyes. |
Malgré une communauté de recherches vers un art mesuré, lart de Prévost à Richelieu reste marqué par la désinvolture des Précieux, sexprimant par un moindre souci dans la restitution des drapés ou des volumes, une palette polychrome et vive, et des types physiques détachés de tout naturalisme pour rechercher, comme dans Porcia, la grandeur antique, les idéaux de Guido Reni ou de Mellin, croisés à Rome - dans les deux cas sexprimant par une épaisseur certaine des traits, étrangère à lart de Stella -; ou encore, lexemple de Varin, qui fut apparemment son maître, par laspect de figurine. Certes, il aime situer ses scènes au tout premier plan, ou du moins de grands personnages occupant tout ou partie de la hauteur plutôt soigneusement traités, suivant la leçon des peintres de la Contre-Réforme bolonais; mais lorsquil peint ceux du second plan, dans Salomon sacrifiant aux idoles et dans le Sacrifice de Polyxène pour en rester aux peintures de Richelieu, la désinvolture reprend le dessus et ce sont des figurines sommairement indiquées, qui font songer à Vignon ou Saint-Igny, voire La Hyre dans la première partie des années 1630. On retrouve cette opposition de style dans une peinture passée en vente à Rouen en 1972 dont je nai malheureusement quune très médiocre reproduction. Son sujet, La Manne, en fait un candidat possible au décor du Salon de la Galerie du château de Richelieu. Le procédé rejette le personnage principal, traité hâtivement au second plan, pour mettre en valeur au premier les bienfaits de lintervention du législateur. Stella, dans sa Libéralité de Titus, nagit pas autrement, rendant simplement plus explicite lallusion à laction du cardinal en donnant à ce dernier et à Louis XIII, les traits des principaux personnages. Surtout, il accorde un soin égal dans toute la profondeur du champ. Dautres ouvrages de Prévost pour le château se servent de la désinvolture pour les principaux personnages, comme la suite des Femmes fortes. Pour sa part, la Victoire navale présente un type charpenté et charnu mais avec un coloris précieux. Enfin, La paix et la justice porte encore haut lhéritage maniériste dans la façon de plier les corps et les attitudes aux caprices de la géométrie, et de la préciosité. Varin et le jeune La Hyre, notamment, ne sont pas loin. Sur ces différents points, lécart avec loeuvre de Stella, et avec le Moïse et la Thomyris de Troyes me paraît sensible, et pourrait conduire à leur retour dans son sein. Par les liens constatés, il faudrait vraisemblablement situer le Moïse tôt après le retour en France, vers 1635-1636, et la Thomyris peut-être légèrement plus tard. En fait, il faudrait supposer une chronologie parallèle au Saint Louis et à la Sainte Anne destinés à Saint-Germain, auprès desquels il faut aussi placer le Mariage de la Vierge de Toulouse. Dun autre côté, la Cléopâtre nest pas si éloignée de la Thomyris, au point que lon pourrait envisager quelque lien de commande entre les deux, étant donné la thématique et le format plutôt en largeur. Lélément le plus sensible est sans doute le drapé des tableaux troyens : Stella est dordinaire plus minéral, plus géométrique, et privilégie les tissus unis. Mais on pourrait trouver des contre-exemples en particulier à cette période. De même, le fond du Moïse, sommaire et peu convaincant pour Stella, semble proche de ce que lon voit à Richelieu, dans la Porcia ou le Sacrifice dIphigénie. Mais que penser de son état? |
Ce qui rapproche notamment la Thomyris de la Cléopâtre de Prévost (apr. 1641?).... *** et le Moïse du même tableau |
Stella-Prévost : quels rapports? Par comparaison avec les oeuvres poitevines, la Cléopâtre paraît gagnée au classicisme par la densité des formes, le souci du drapé et des carnations travaillés avec plus de soin (sans atteindre celui de Stella), la profondeur du coloris. Cette conversion sur le mode de la référence à lantique apparaît le plus nettement, à Richelieu, dans la Porcia, en particulier dans lart du drapé et lampleur solennelle et retenue donnée à la scène. Salomon adorant les idoles sinscrit dans une veine narrative, avec un vocabulaire et une approche propre à la culture parisienne du premier quart du siècle, simplement modernisée et assagie par le séjour italien. Ce dernier se traduit plus franchement dans le Sacrifice dIphigénie, par une peinture claire, charnelle, dinspiration bolonaise. Faut-il lire là le sens de lévolution de lartiste sur le chantier poitevin (1634-1642), dun art encore fortement maniériste (La paix et la justice, Salomon adorant les idoles, les Femmes fortes), qui se teinte de la modernité italienne (Le Sacrifice dIphigénie) pour tendre à latticisme parisien (Porcia) ? Ce que voudrait la logique, supposant une progression linéaire, nest pas toujours confirmé par la succession des oeuvres, comme en témoigne la difficile chronologie de ... Jacques Stella. Je dois admettre quil demeure des liens troublants entre les tableaux de Troyes et lart de Prévost, aussi me garderais-je bien dêtre péremptoire sur leur statut : Stella vers 1636? ou Prévost un peu plus tard? Seule la confrontation lors dune exposition me semble en mesure de trancher définitivement le débat, que je voulais rouvrir à cette occasion. La Cléopâtre, manifestement de Prévost par le drapé, les types physiques si caractéristiques, donne une possible clé, en suggérant quil sagisse dune oeuvre plus tardive de lartiste, recherchant le goût classique, comme le seraient le Moïse et la Thomyris. Il est évident que le peintre prendrait appui sur les exemples de lart du Lyonnais au temps du Cardinal, et peut-être à dessein. Lexposition Richelieu prévue pour 2010 et organisée par les musées de Tours et dOrléans sera loccasion de présenter un certain nombre de découvertes à propos de Prévost, dont des peintures dun style proche de la Cléopâtre et pareillement sobre. Dautres pourraient dici là compléter lensemble et permettre lors de cette manifestation une heureuse clarification des problèmes abordés ici, et notamment de la chronologie de lartiste. Faute de mieux, on peut avec vraisemblance placer cette belle peinture après le séjour parisien autour de 1640, concrétisé par la commande du May de 1641 (hélas! perdu), au cours duquel Prévost, dont la vie sest principalement déroulée en Poitou, a pu mesurer lévolution de lart de la capitale sous limpulsion notamment de Jacques Stella, promoteur dun classicisme épuré, dense et solennel. Sylvain Kerspern, Melun, février 2008 |
Bibliographie : Gilles Chomer, Jacques Stella, pictor lugdunensis, Revue de lart, n°47, 1980, p. 85-89. John Schloder, Un peintre oublié : Nicolas Prévost, peintre de Richelieu, Bulletin de la société de lhistoire de lart français, 1980, 1982, p. 59-69. Robert Fohr in cat. Azay-le-Féron, château, Richelieu, musée, Tours, Musée des Beaux-Arts. Tableaux français et italiens des XVIIè et XVIIIè siècles, Paris, 1982. Sylvain Kerspern, Jacques Stella ou lamitié funeste, Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 117-136. Jacques Thuillier, cat. expo. Jacques Blanchard, Rennes, 1998 ( en particulier p. 317-320) Sylvain Kerspern et Éric Moinet, notices in cat. expo. Maîtres retrouvés. Peintures françaises du XVIIè siècle, Orléans, Musée des beaux-Arts, 2002 (p. 146-160) . Sylvain Kerspern, Retour sur lexposition Bossuet, Latribunedelart.com, 4 octobre 2004 Sylvain Kerspern, Retour sur lexposition Bossuet, suite, Latribunedelart.com, 12 novembre 2004 Sylvain Laveissière (dir.), cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006. Jacques Thuillier, Jacques Stella (1596-1657), Metz, 2006. Sylvain Kerspern, Exposition Jacques Stella. Enjeux et commentaires, Latribunedelart.com, 29 décembre 2006 |
Retouche août 2012 : Lexposition sur le décor du château de Richelieu, qui sest finalement tenue en 2011, a confronté les tableaux de Troyes à un premier ensemble cohérent de Nicolas Prévost, à qui il est désormais impossible de ne pas songer. Ils sinscrivent apparemment dans le cadre de sa production pour le cercle de Richelieu, particulièrement les Bouthillier pour un de leurs châteaux de Champagne. Ils suggèrent une évolution du peintre vers le classicisme, et sous la singulière influence de Stella, qui demeure difficile à préciser dans le temps, les repères après 1640 - soit pour trente années de sa carrière - nous faisant cruellement défaut. |
Ces études donnent une idée de mon travail dexpert. Comme en dautres domaines, il ne peut y avoir obligation que de moyens. Je ne prétends pas arriver à une attribution à coup sûr mais avant tout contribuer à une meilleure connaissance de lobjet de létude. Aussi, la différence entre les forfaits tient au temps passé et à lampleur des recherches requises. |
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr. |
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