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Sylvain Kerspern




La mort de Saphire,


une peinture inédite


de François Nicolas, de Bar.






Mise en ligne le 3 juin 2014


La mort de Saphire est un épisode des Actes des apôtres assez rarement représenté en peinture. Raphaël avait traité un sujet tout voisin, celui de la mort de son époux Ananie - l’une et l’autre coupables aux yeux de Dieu d’avoir gardé de l’argent de la vente de leur champ, destinée à financer les activités des apôtres -; et c’est dans le désir de rivaliser avec lui que Poussin peint précisément ce sujet en 1652. Notre artiste ne se place pas vraiment sur leur terrain, caractérisé par la frontalité de la frise, la rigueur architectural et le hiératisme expressif des dispositions : il préfère la profondeur de champ d’un décor d’architecture vu légèrement de dessus, un canon moindre pour des attitudes plus diversifiées, narratives plutôt qu’exprimant des Passions.

(ci-contre)
Ici attribué à
François Nicolas, de Bar
Mort de Saphire, toile; 45 x 62.
France, coll. part.

Le coloris clair et raffiné et la mesure dans les attitudes suggèrent une main française, tandis que le fond d’architecture, plus “Renaissance italienne” que réellement antiquisant, doit situer le contexte de la création en Italie. La typologie joufflue, le type de drapé, et la pose même de Saphire peuvent être rapprochés des modèles fournis par d’autres artistes français présents à Rome au XVIIè siècle : François Perrier, et surtout Pierre Mignard et Charles-Alphonse Dufresnoy. Ces derniers ont longuement séjourné en Italie, entre 1635 et 1656-1658. Parmi les artistes qu’ils ont pu alors marquer, Nicolas François, de Bar(-le-Duc) (vers 1632-1695), s’impose comme l’auteur plus que vraisemblable de cette peinture.

François Nicolas, de Bar
Mort d’Eurydice, 1654, toile; 62,5 x 82,5 cm.
Bar-le-Duc, Musée barrois.

L’artiste a été étudié par Paulette Choné et Jacques Thuillier. Il arrive à Rome à 20 ans en 1652, s’y marie quatre ans plus tard avec la fille et petite-fille d’un peintre, pour y fonder une famille qui l’incitera à demeurer à Rome jusqu’à sa mort. Il y obtient des commandes surtout religieuses mais dernièrement, une peinture profane a resurgi et se trouve, aujourd’hui, au musée Barrois : Orphée et Euridyce (ci-dessus) est une oeuvre précoce, datée de 1654, qui dénote autant une formation lorraine sans doute encore marquée par le maniérisme d’un Claude Deruet que le désir d’en actualiser la veine par des notes archéologiques et une étude des Passions. Ce souci le rapproche, en effet, de ce que l’on connaît des carrières italiennes de Dufresnoy et Mignard. Du premier, citons La mort de Lucrèce (Cassel); du second, Pyrame et Thisbé (coll. part.) ou La mort de Cléopâtre (idem).


Charles-Alphonse Dufresnoy, La mort de Lucrèce, Cassel

Pierre Mignard, Pyrame et Thisbé, coll. part.

Les commandes des années 1670-1680 pour les églises Saint-Nicolas-des-Lorrains (Sainte Catherine, vers 1670-1673), Santa Maria della Vittoria (chapelle Saint-Jean-de-la-Croix, vers 1675-1680?) et Sant’Antonio dei Portoghese (Naissance de saint Jean-Baptiste, vers 1682-1685) montrent une évolution vers un style moins lourd et plus “aimable”, selon le terme de Jacques Thuillier, mais pas moins dense car discipliné dans les drapés. Ce dernier aspect pourrait avoir été favorisé par le voisinage de Reynaud Levieux, revenu à Rome à partir de 1671, et qui habite comme Nicolas via Laurina à partir de 1675.

Chemin faisant, il n’en abandonne pas moins les ambitions d’un “classicisme” attentif à l’expression rigoureuse des Passions et au détail archéologique à laquelle l’exemple de Mignard et Dufresnoy (depuis rentrés en France) pouvaient l’avoir d’abord incité. Il est vraisemblable que le fait de répondre à des commandes de retables religieux l’ait conduit à privilégier l’organisation de ses tableaux de façon décorative, ce qu’il fait en disposant l’enchaînement de ses personnages selon une arabesque à la base solide, certains étant assis ou agenouillés.

François Nicolas, de Bar
(en haut)
Saint Catherine, Saint-Nicolas - Saint Jean de la Croix, Santa Maria della Vittoria

(en bas)
La naissance de saint Jean-Baptiste, Sant’Antonio dei Portoghese


La mort de Saphire doit appartenir à cette seconde phase de sa carrière. Ses figures féminines ou enfantines, aux joues rebondies, adaptations personnelle d’exemples de Dominiquin, sont particulièrement caractéristiques de l’artiste. La comparaison des agonies d’Eurydice et d’Ananie montre le chemin parcouru vers un drapé plus discipliné et classique dans sa référence à l’antique; de même, pour les anatomies et la typologie proposée.
Ces différents éléments sont, de fait, des points de rapprochements plus nets avec La naissance de saint Jean-Baptiste de Sant’Antonio dei Portoghese, laquelle peut elle-même être confrontée utilement avec le dessin de même sujet (inédit, coll. part.), gravé par Baron dans les années 1650 : on constate clairement un autre rapport des personnages avec leur espace.
Le format de notre tableau suggère une destination pour amateur, domaine dans lequel on connaît plusieurs exemples malheureusement non localisés (Enlèvement d’Europe publié en 1982 par Jacques Thuillier - ci-contre -; Moïse sauvé des eaux sur le marché d’art de Parme en 1996 figurant sur la base de données Zeri). Leur canon est évidemment autre mais l’artiste n’y renonce pourtant pas à disposer ses personnages en frise et sans discontinuité.

Il semble que ce ne soit que tardivement que François Nicolas aère franchement ses compositions. C’est ce que montre en particulier la gravure d’après une de ses inventions de Wouters, datée de 1689, La Madone du Panthéon. La composition repose sur le choix d’un podium au premier plan, où se place la scène principale, surplombant le fond d’architecture, parti commun à notre Mort de Saphire. Il semble donc plus vraisemblable de situer notre peinture dans la toute dernière phase de l’artiste. Elle apporte un élément supplémentaire d’appréciation pour un artiste attachant, capable de répondre, dans un des principaux foyers artistiques européens du temps, Rome, à des commandes publiques autant qu’à des sollicitations privées.

G. Wouters d’après F. Nicolas,
La Madone du Panthéon, gravure, 1689

Sylvain Kerspern, Melun,
le mercredi 21 mai 2014

BIBLIOGRAPHIE :
Jacques Thuillier in cat. expo. Claude Gellée et les peintres lorrains en Italie au XVIIè siècle, Nancy-Rome, 1982, p. 422-433
Paulette Choné : “ François Nicolas de Bar, " Nicolò Lorenese " (1632-1695)”, Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes, Année 1982, Volume 94, n° 94-2, pp. 995-1017
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