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Pour Arnauld Brejon de Lavergnée Sylvain Kerspern «Oeuvres en quête dauteur» : le cas de la Délivrance de saint Pierre de Rozay-en-Brie. Mise en ligne le samedi 6 juillet 2013 |
Arnauld Brejon de Lavergnée vient de faire lobjet dun livre dhommages venant récompenser des compétences et une générosité largement appréciées. Sans autre lien avec moi que le partage de la passion de lhistoire de lart, il a régulièrement fait preuve à mon égard de très favorables dispositions dont je ne peux que lui savoir gré. Aussi, jaimerais ici massocier à ces témoignages mérités damitié et de reconnaissance à propos dune peinture quil connaît bien : il avait fait partie des éminents spécialistes consultés pour lexposition Trésors sacrés, trésors cachés. Patrimoine des églises de Seine-et-Marne, qui sest tenue en septembre-octobre 1988 au Palais du Luxembourg et à laquelle participait la Délivrance de saint Pierre conservée dans léglise de Rozay. Lors de la réédition du monumental ouvrage de Nicolson sur le caravagisme, il a attiré lattention des spécialistes sur son cas dans son article pour la Gazette des Beaux-Arts (1993). Lan passé, pour le Festival dhistoire de lart, il a proposé le nom de Louis Finson pour cette oeuvre dans une manifestation où, pour ma part, jenvisageais une délicate piste française, que je souhaite exposer ici. La délivrance de saint Pierre de Rozay est une énigme que son état, et une restauration en partie décevante, rend dautant plus difficile à résoudre. Le contexte caravagesque et le rapport à Saraceni, notamment, sont évidents. Le nom de Louis Finson avancé par Patrick Poupel dès 1988 et qua souhaité reprendre Arnauld Brejon de Lavergnée lan passé, peut se comprendre; Pierre-Yves Kairis, de son côté, ma fort obligeamment fait part de liens très nets avec lart dun Liégeois mal connu, François Walschartz, très marqué par Saraceni. Patrick Poupel avait également fait le rapprochement avec le Saint Jérôme américain que Simon Vouet a peint lors de son séjour en Italie. |
France (?), XVIIè siècle (ici attribué à Noël Quillerier), La délivrance de saint Pierre, Rozay-en-Brie, église. Toile. 150 x 215 cm. Possible citation du Saint Jérôme de Simon Vouet (Washington, NG). |
De Rome à Effiat... |
Jai souhaité néanmoins réviser la situation du tableau en posant comme référence non lart du Caravage et de ses émules, mais un modèle qui, tout en étant marqué par le maître lombard, souhaite aussitôt prendre ses distances par une recherche de géométrisation spectaculaire de lespace : la version du thème par le Dominiquin pour San Pietro ai Vincoli, de 1604, que grave notamment (en sens inverse), au XVIIè siècle, Pierre Daret (ci-dessous). Dans les deux cas, leffet lumineux met en évidence des volumes simples, et un soldat ensommeillé simposant au spectateur, grâce à léclairage et aux dispositions. Lange du Dominiquin désigne les chaînes défaites, allusion à léglise destinataire (Saint-Pierre-aux-Liens); celui de notre peintre montre la porte par laquelle passe la lumière qui inonde la pièce, en un geste rapproché de celui du Saint Jérôme de Vouet (Washington, National Gallery). Voilà qui implique à coup sûr que lauteur du tableau de Rozay ait séjourné assez longuement en Italie, et particulièrement à Rome, sans doute dans les années 1620. Ce recours à une lumière contrastée, aux espaces nus et simples, léconomie générale du peintre qui sétend aux drapés ou aux physionomies, amène au rapprochement avec dautres peintures. Il faut citer dabord celui de cheminée du château dEffiat, Thétis dans la forge de Vulcain, probable commande du maréchal (mort en 1632). Sil est malheureusement anonyme, Jean-Christophe Baudequin, avec qui jen ai discuté, lavait également associé au tableau de Rozay. Cette fois, cest lidentité vraisemblablement française du peintre qui se profile; ce rapprochement le situerait en bonne place en tant que décorateur auprès dun des principaux personnages du royaume, ambassadeur, militaire mais aussi surintendant des Finances, et lun des proches du cardinal de Richelieu. |
Saint Jérôme de Simon Vouet (Washington, NG). |
Lumières dOmbrie : la solution Quillerier? |
Dépouillement du décor aux arêtes vives, tranchant la lumière, importance de la figure humaine, goût pour la nature morte jonchant le sol au premier plan, jeux de pénombres, sont des éléments qui mont fait songer à Latelier de saint Joseph de Serrone, également en quête dauteur. Ce pourrait être le commencement dune de ces déterminations de personnalité que lon invoque en tant que «maître de...» pour rassembler plusieurs oeuvres aux (supposées) fortes affinités. «Maestro di Serrone»? Ce dernier a fait lobjet de rapprochements avec Georges de La Tour, dans lhypothèse dun séjour italien du Lorrain, toujours à établir avec certitude. Il ne faut peut-être pas chercher si «loin». Cet Atelier est conservé en Ombrie, où se trouvent également dautres peintures pareillement dominées par la simplicité de la mise en place, une schématisation sculpturale des drapés ou des effigies, et un coloris voisin. Certaines sont signées clairement de Noël (de) Quillerier (1594-1669), et datées de 1625-1627. Or celui-ci est de retour en France au plus tard en 1631, et se marie à Paris le 21 janvier avec Charlotte Lerambert. Il peut avoir immédiatement travaillé pour Effiat et il est précisément signalé sur le chantier du château parisien du maréchal, Chilly, en 1632. N. Quillerier, Immaculée conception, Spello (Ombrie). |
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Son passage chez Georges Lallemand, autre Lorrain, dans la seconde décennie du siècle pourrait expliquer la sobriété parfois faussement rustique de sa veine. Mais je dois reconnaître que cette proposition reste à asseoir, car lartiste, qui a pu peindre un demi-siècle, reste fort mal connu, et singulièrement en dehors de sa production italienne. Cétait manifestement un personnage, consacré par une médaille, en 1637, montrant ses armoiries. Nicolas Sainte-Fare-Garnot a publié sur lui une étude, lors du colloque sur Simon Vouet, qui révèle des pratiques datelier qui nuisent aujourdhui à la juste perception de sa carrière française. |
Il faut donc peut-être aller plus loin... tout en restant au voisinage du «maître dEffiat». Dans léglise de la ville se trouve une Adoration des mages aux personnages imposant dans un espace resserré et baigné dans lombre. LEnfant évoque ceux du séjour italien, poupins blonds aux cheveaux bouclés ou en bataille, tandis que les adultes ont des visages tout à la fois peu fouillés, car simplifiés par la lumière, et naturalistes dans la recherche de la caractérisation. Ce que lon voit du drapé, parfois compliqué (notamment pour le vêtement vert olive, teinte que Quillerier semble affectionner dans son association au ton jaune tirant sur le brun, du mage en retrait) mais assez schématique dans lensemble, et du coloris concorde. On notera que la solution proposée pour cette rencontre entre lapparente faiblesse et le faste des puissants est voisine de celle dun Letin à Provins, vers le même temps. On notera une prédilection pour les points de vue bas, légèrement en contre-plongée (lAtelier de Serrone formant exception mais les sujets encadrant le Rosaire de Foligno montrent que Quillerier peut adopter un tel parti). Cest le cas des Pélerins dEmmaüs du musée des Beaux-Arts de Nantes, autre tableau anonyme malgré une plus grande exposition. Le rapprochement avec le Caravage simpose sans doute plus par le sujet et les dispositions, inspirées de la Vocation de saint Mathieu de Saint-Louis-des-Français de Rome, que par lusage de la lumière, qui rejoint à nouveau le modèle du Dominiquin, plus analytique que psychologique (sinon mystique), et met en évidence de beaux morceaux de nature morte comme dans les oeuvres rapprochées du tableau de Rozay. Jen finirais par un tableau également anonyme, à léclairage latéral aussi violent que celui de Rozay, et qui montre des arrangements de drapés aussi invraisemblables que ce que lon peut voir chez Quillerier, à Serrone et dans une moindre mesure à Effiat et dans la Délivrance : la Judith et Holopherne du musée Magnin. La typologie triangulaire, affutée de lhéroïne semble caractéristique de ce que le peintre français fit en Ombrie. |
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Cette dernière oeuvre, que je nai pas vue directement, ne manquait pas dattrait pour Arnauld Brejon de Lavergnée, qui la catalogua en 1980. Qui sait si ce rassemblement auquel elle participe rencontrera son sentiment? Il me semble, du moins, que la réunion du tableau de Rozay au modèle bolonais du Dominiquin plutôt que de Caravage, aux peintures dEffiat, singulièrement celle mythologique, et aux exemples de Vouet en Italie ne peut désormais être éludé et donnera, un jour prochain, quelque certitude sur lidentité de son auteur - qui sait? pour étoffer peut-être loeuvre tout aussi énigmatique de Noël Quillerier. Sylvain Kerspern, Melun, le mardi 2 juillet 2013
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