Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com | |
Sommaire de la rubrique Attribuer Table générale Contacts : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr |
Sylvain Kerspern La Pietà pour Cadillac, de Vignon à Brebiette. Mise en ligne le samedi 16 mars 2013 |
La Tribune de lart a fait état de lacquisition récente, pour le château de Cadillac et par le Centre des Monuments Nationaux auprès de la galerie Mendès, dune Pietà présentée comme de Claude Vignon. En en prenant connaissance, jai reconnu un esprit voisin au peintre mais une atmosphère légèrement différente, qui ma rendu dubitatif. Le coloris sonore, les ombres enveloppantes, la tonalité générale un peu étrange voire fantastique, le drapé construit par les zig-zags des plis qui lui confèrent de lampleur, lattention plus grande à lanatomie ne me paraissaient pas correspondre parfaitement au Tourangeau. De plus, il me semblait avoir déjà rencontré cette image de la Vierge retenant le corps mort de son fils, au pied de la croix. Pris par dautres recherches, je nai pas poussé plus loin... jusquà ce que ces recherches my ramènent : jen trouvais une représentation très proche, avec quelques variantes significatives dans une gravure réalisée par lun des amis intimes, et ombrageux, de Vignon, Pierre Brebiette, qui me remit en tête le tableau de Cadillac. Pas de doute possible, et tous les éléments qui mavaient initialement gênés tombaient dun coup dans le bagage habituel du peintre. Le château ny perd pas, puisque les peintures de lartiste sont encore assez rares. Brebiette lui y gagne encore en éléments de caractérisation de son style. Les variantes entre peinture et gravure consistent dabord en une redistribution en hauteur du format en largeur de lestampe. Celle-ci nest pas dune lecture évidente dans sa partie gauche : les deux angelots sont installés sur un nuage mais au-dessous? Est-ce lamorce dune roche, ou bien plutôt lombre qui gagne sur une partie de Jérusalem, puisquil semble que des bâtiments continuant ce qui se voit sur la droite soient indiqués? La question nest pas anodine car elle amène à sinterroger sur la lumière. On voit se coucher le soleil sur la ville, ce qui signifie que cest vers une lumière surnaturelle, projetant des ombres vers son couchant, que la Vierge tourne son visage ravagé par la peine. La peinture se veut plus traditionnelle et naturelle. Une roche, cette fois, sélève à gauche, bloquant la composition et isolant dautant plus le groupe de quatre personnages. Lapparition de léchelle appuyée sur la croix et du linceul blanc, absents de la gravure, inscrivent encore lépisode dans son histoire, dans la temporalité. Lexpression des sentiments en devient plus intérieure. Celle de la Vierge ne cherche pas à traduire une réaction humaine au drame de la mort mais une pamoison plus conventionnelle. La transformation pourrait résulter du dialogue avec le destinataire - même si le format et le support, courant pour le graveur quétait Brebiette, laissent ouverte la possibilité dune peinture faite initialement sans commanditaire, pour soi. |
Ici rendu à Pierre Brebiette, Pietà, Cadillac, château. Huile sur cuivre - 38 x 30 cm Pierre Brebiette, Pietà, eau-forte. Nancy, Musée des Beaux-Arts, donation Thuillier. |
On pourrait dire, un peu vite, que dans le parallèle si commode à faire entre lui et Vignon, ce dernier à la génie facile et le plus souvent heureux quand Brebiette sonde plus volontiers les tourments, les hauts et les bas, de cette sorte de génie quon associe volontiers au tempérament artistique. Il ny a rien détonnant à avoir vu resurgir son oeuvre peint notamment par deux représentations de Lenlèvement de Proserpine (musée de Châlons-en-Champagne et Louvre, à quoi sajoute une version en hauteur en mains privées) car on penserait volontiers que cest aux Enfers - les siens propres - quil puise quelques unes de ses méditations les plus personnelles, tels le Geiton ou les sujets aventureux ou dramatiques de sa vie même quil a pu mettre en scène. Non que Claude Vignon soit incapable de traiter les sujets graves sinon morbides : il a peint des Pietà et autres morts héroïques, comme la célèbre Cléopâtre de Rennes. On peut sen faire encore une idée par le Saint Mamert dOrléans à travers la notice que javais conçue pour lexposition Bossuet en 2004 et qui ne fut pas utilisée, le tableau nétant finalement pas emprunté. Néanmoins, son inspiration nest pas inquiète mais le plus souvent théatrale : malgré le sang qui vient maculer les mains du saint, au visage émacié, malgré le teint blafard du Christ, cest une image de foi, et de confiance, jusquà labandon ou leffusion. Brebiette, au contraire, par exemple pour un sujet aussi peu douloureux que le sermon du Christ à Marthe à propos de la part de Marie-Madeleine (Solers, église), et bien sûr dans la Crucifixion de Châlons-en-Champagne, peut faire transpirer une angoisse manifestée par des couleurs plus sombres émergeant, ruisselantes, chancelantes ou striant lespace, dune ombre qui semble destinée, au final, à gagner. Où Vignon tend à nier la profondeur de lespace par ses jeux dempâtements et de joaillerie, le traitement appuyé des volumes par Brebiette semble lutter avec un environnement soit à lhorizon bloqué, (comme ici) soit mouvant (comme à Solers ou dans la Crucifixion). Et dans notre Pietà, cest bien plus par létrangeté colorée du paysage que par les indications de sang que sexprime le sentiment de malaise propre au sujet. Point déquilibre dans cet art, car ses éléments vacillent ou dansent, selon le point de vue et lhumeur du moment, dont on sait quelle pouvait être joyeuse ou aux prises avec des accès de bizarrerie, selon ce que rapporte Mariette. Brebiette paraît avoir mis plus de santé dans les sujets païens que dans les méditations religieuses, signe possible dun combat intérieur dont on pressent, ici ou là des indices. Si la mort de sa femme, en 1637, semble avoir assombri ses dernières années, dès 1632 et le tableau de Solers, le déséquilibre est patent, tant par le flottement des formes que par la variété des factures, ici fondue et diaphane, là nourrie et sonore, ailleurs encore, surtout, obsessive et laborieuse. La figure de Marthe, en particulier, au pied de laquelle il a caché sa signature et disposé plus visiblement la date, témoigne dune virtuosité proprement affolante du pinceau, qui défaille au moment de calculer les proportions des bras ou de rendre convaincante la main accusatrice, ce dont il est capable en dautres circonstances. Jai personnellement toujours été intrigué par quelques touches fines et circulaires jaunes, posées avec une grande vivacité au milieu de la toile, qui semblent ne correspondre à rien dautre quun geste inconsidéré : le mépris précieux de la règle, ici, nexplique pas tout. |
Pierre Brebiette, Le Christ chez Marthe et Marie, Solers, église. Toile, 1,08 x 1,51 cm. Ici rendu à Pierre Brebiette, Pietà, Cadillac, château. Huile sur cuivre - 38 x 30 cm. |
Le tableau de Cadillac, en comparaison, paraît calme. Il témoigne de la veine la plus classique du peintre, celle quil avait notamment employée pour lédition des Tableaux de Platte Peinture entreprise par Favereau autour de 1630 ou dans un certain nombre de sujets de dévotion. Le tableau appartient certainement aux périodes durant lesquelles Brebiette navait pas ces accès de bizarrerie. Mais dévidence, un tel effort ne le fit pas sortir de lombre, ni dans son art, ni dans sa vie. Maigre consolation, justice peut aujourdhui lui être rendue jusque dans ses si contemporaines turpitudes, et notamment par cette belle Pietà. Sylvain Kerspern, Melun, mars 2013 |
Bibliographie : - Paola Pacht Bassani et Sylvain Kerspern, Pierre Brebiette, catalogue dexposition, Orléans, 2001-2002. |
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr. |
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? Cest gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce nest pas payant... Désabonnez-vous.... |
dhistoire-et-dart.com Plan du site - Accueil |