Dessin/dessein, préparation et réalisation :
le fonctionnement de latelier de Charles Errard
pour la GrandChambre du Parlement de Rennes.
Enseignements dune exposition.
Mise en ligne initiale en 2005 - Mise en page actualisée en 2013
|
|
Des décors conçus pour les différentes chambres du Parlement de Rennes depuis le XVIIè siècle, restaurés et présentés au musée des Beaux-Arts de la ville de novembre 1998 à janvier 1999, le plus impressionnant est certainement celui dirigé par Charles Errard 1. Les guirlandes de putti par Jouvenet sont séduisantes mais les sujets principaux qui les accompagnent, plus traditionnels malgré la force du pinceau, doivent beaucoup au précédent dErrard. Laudace de Louis Ferdinand Elle dun plafond unifié par-delà la structure boisée, compromis ou contradiction volontaire reflétant la combinaison entre les actualités parisiennes des années 1650 et du début du XVIIIè siècle, manque de la vigueur et de la fermeté présente chez un La Fosse, dont Elle semble proche. Il me paraît nécessaire de revenir sur le premier en date de ces décors pour réfléchir sur le problème de la paternité, en particulier grâce aux dessins.
|
1 . Il faut souligner la fructueuse collaboration entre les services de lInventaire, des Monuments Historiques et du Musée des Beaux-Arts qui ont permis cette présentation et lexamen rapproché de peintures ayant failli disparaître à jamais en 1994.
Cette étude formait lun des deux volets dun travail plus important dont le second, proposant détoffer le catalogue de Charles Errard, est en ligne sur La tribune de lart. Je tiens à remercier grandement Laurent Salomé. Retour au texte
|
Dessin et partage des tâches. |
Aux peintures conservées de la Grandchambre sont venus sajouter des dessins préparatoires dont les statuts divers doivent être précisés. Prenons le cas du tondo de La Justice arrachant son masque à la Fraude (fig. 2).
|
1. Attribué à Charles Errard, La Justice arrachant son masque à la Fraude, étude dessinée densemble. Plume et pinceau, lavis gris et brun, rehauts de blanc sur papier brun préparé. Rennes, Musée des Beaux-Arts.
|
2. Charles Errard (et Noël Coypel), La Justice arrachant son masque à la Fraude, tondo. Rennes, Grandchambre du Parlement. |
|
|
Létude générale (fig. 1) (que rien ne rattache à lart de Coypel alors que les liens avec celui dErrard ne manquent pas) nest pas immédiatement préparatoire au tableau. Il sagit dune mise en place sans doute précoce dans laquelle les différents protagonistes sarticulent autour dune zone-pivot située dans le bas de la composition. Le ton dialectique lisible dans la disposition peut suggérer un combat à lissue apparemment incertaine, donc de curieuses interprétations : lensemble fut réorienté pour suggérer la descente punitive de la Justice et le retrait de la Fraude.
|
3. Attribué à Charles Errard, La Fraude, étude. Plume et encre noire, encre et lavis bruns (?). Rennes, Musée des Beaux-Arts.
|
4. Attribué à Noël Coypel, La Fraude, étude. Pinceau, encre et lavis bruns sur esquisse à la pierre noire, rehauts de blanc sur papier brun. Coll. part.
|
|
|
Le verso de la même feuille présente une étude au lavis dont les contours sont griffonnés à la plume, sans doute dErrard, proposant une solution pour la Fraude (fig. 3), intégralement reprise dans le tableau final (hauteur des genoux, disposition des mains, des seins, des lumières...). Comme dans létude densemble, le masque préconisé par liconographie est présent.
Intervient ensuite létude de la seule Fraude, très fouillée si lon peut dire (fig. 4). Le masque nest plus là, liconographie importe peu : nous sommes en présence de la mise au propre dune recherche dattitude (sur le motif?) en vue du résultat final, travail de pure exécution puisque lessentiel en est déjà suggéré par le dessin précédent. Les dispositions du drapé et du nuage respectant mieux le format rond du tableau vont dans le même sens. La timidité relative du trait qui donne finalement peu de relief au dessin désigne bien lexécutant, Noël Coypel.
|
5. Attribué à Charles Errard , La Sagesse chassant la Calomnie, étude dessinée densemble. Plume et pinceau, encre brune, lavis gris, rehauts de blanc sur papier gris. Coll. part.
|
6. Charles Errard (et Noël Coypel), La Sagesse chassant la Calomnie, tondo. Rennes, Grandchambre du Parlement.
|
7. Charles Errard ou Noël Coypel , La Calomnie, étude. Pinceau, lavis brun sur esquisse à la pierre noire, sur papier brun. Rennes, Musée des Beaux-Arts.
|
|
|
|
Pour La Sagesse chassant la Calomnie, le rapport entre dessin densemble (fig. 5) et tableau final (fig. 6) est voisin :
- la transformation opérée indique plus franchement la descente diagonale et accroit la solennité de la composition;
- des attributs iconographiques (lions ici, griffons là) disparaissent, atténuant lappareil symbolique de lallégorie au profit dune perception du sens dynamique, active, parfaitement en accord avec lévolution artistique, en particulier au sein de lAcadémie qui favorise lexpression des passions.
Létude finie présentée pour la Calomnie (fig. 7) est à nouveau une étude expressive prolongeant cette transformation - dune figure au sol, non en situation. Aussi fouillé que soit son drapé, les grandes lignes sen retrouvent dans le dessin densemble, dErrard, la feuille de détail pouvant revenir à Coypel, selon lindication de Guillet.
Lun et lautre désignent toujours le maître du chantier comme son responsable en toute phase : la profonde mutation opérée des premières études aux tableaux (intervenant notamment sur liconographie) ne saurait être le fait du jeune Coypel mais du maître contractant. Le drapé même du dessin fini pour la Calomnie, dans sa façon denrober le corps par petits plis parallèles, appartient en propre à Errard, non à son élève. Au reste, il manque une étape intermédiaire entre cette feuille et le tableau, dans lequel la fuite se trouve accentuée par lavancée plus franche de la jambe gauche, que le format circulaire pouvait encourager. |
8. Charles Errard, étude pour Lautorité de la Loi. Plume et pinceau, encre brune, lavis gris, rehauts de blanc sur papier brun préparé. Coll. part.
|
9. Charles Errard (et Noël Coypel?), L autorité de la Loi. Rennes, Grandchambre du Parlement. |
|
. |
Cette grande implication est soutenue par une feuille détude de drapé immédiatement préparatoire à la figure allongée au premier plan à droite de Lautorité de la Loi (fig. 8). Suivre lopinion commune, depuis Guillet, conduirait à en faire la mise au point du collaborateur, comme celles déjà évoquées. Or la technique na rien dappliqué ici et montre une sûreté, une économie, un sens du volume, et une ... autorité qui désigne lentrepreneur : les effets en sont semblables à ceux de lesquisse dErrard du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale, par exemple.
Confronter (fig. 10, ci-dessous) cette étude avec celle pour la Fraude est instructif et convainc de ce que lon pouvait déjà pressentir devant la peinture elle-même : Charles Errard na pas fait que préparer le chantier, il y a mis la main et apposé sa touche jusque dans la réalisation finale. Le statut de létude finie pour la Calomnie (10b), dès lors, devient moins facile à trancher... |
10a. Charles Errard, étude pour Lautorité de la Loi
|
10b. Charles Errard ou Noël Coypel, La Calomnie, étude
|
10c. Noël Coypel, La Fraude, étude. |
|
|
|
Y eut-il un partage des peintures, et peut-on sen faire une idée? Des différences de qualité se perçoivent mais par chute dinspiration ou par létat de conservation? La Bretagne protégeant lInnocence pourrait avoir pâti des deux; son pendant par le format incurvé présente des négligences que létat seul nexplique pas non plus : lusage du drapé est moins convaincant, par exemple, et tend à contredire le format alors quailleurs, il en joue.
Les tableaux les plus fascinants sont certainement les tondi présentant La Sagesse déjà évoquée, La Piété et la Foi du serment et Lautorité de la Loi (fig. 9) .
- La Sagesse (fig. 5-6) est ornée dun casque éminemment errardien dans son souci de lornement, comme le drapé envolé, gonflé, ciselé et pierreux de son adversaire, également présent ailleurs dans le plafond mais absent des peintures de Coypel émancipé, à partir de 1661.
- Le personnage de la Paix (à droite dans Lautorité, fig. 9) présente une construction du corps, des dispositions (le bras droit, notamment) et un profil perdu présents ailleurs au Parlement et quErrard avait déjà employés (notamment dans le Breviarium romanum).
- Enfin, le drapé mouillé si remarquable du Renaud et Armide de Bouxwiller (comparer lArmide endormie et le personnage en bas à droite de Lautorité), qui présente également de beaux casques, apparaît ici ou là; une fois seul, Coypel sen défera rapidement.
Tous ces éléments (et dautres encore) peuvent sembler de détail : il faut au contraire les considérer comme porteurs dune culture, au sein dun atelier dont le chef est fortement responsable.
Je ne pousserai pas plus avant un possible partage : mon but est de restituer au chef de chantier toute sa responsabilité. De ce point de vue, il suffit de regarder lharmonie colorée générale : lusage si étonnant du blanc (requis par le thème mais que le peintre met si ardemment en scène) associé au bleu et aux couleurs complémentaires pour le Bien, et opposé essentiellement au rouge (éventuellement au vert ou au brun) pour ses adversaires, traduit une science sans pareille à Paris. Sa hauteur de ton est radicalement différente des solutions dun Charles Le Brun à la même époque, par exemple. Lanalogie avec lart dun Bronzino (suggérée judicieusement par Paola Pacht Bassani) suppose une formation italienne indispensable dont disposait le maître, non lélève. Encore une fois, laccord en semble passablement rompu dans les toiles incurvées et dans la production du seul Coypel.
Dessin et peinture : latelier selon Charles Errard.
|
Trancher sur le degré de collaboration, lintervention plus ou moins importante de lun ou de lautre, ici ou là, peut sembler vain. Pour sefforcer de comprendre le problème en son temps, il faut revenir aux différents témoignages qui le concernent.
Dabord, le marché est passé auprès dErrard en 1656. Cest encore lui qui signe pour les cartons de tapisserie en 1661 - alors que Noël Coypel commence à prendre son indépendance cette même année avec la commande du May. Les tableaux ne sont livrés quau début de 1662, ce qui motive la passation dun nouveau marché mais on imagine mal la confiance renouvelée pour la tenture sans le moindre témoignage peint pour le plafond projeté. Leur arrivée à cette date doit donc simplement correspondre à la possibilité dinstallation.
La période 1656-1661 est celle durant laquelle Errard déploie la plus grande activité. Il est présent sur tous les chantiers royaux (pour ne parler que deux) selon Guillet : le Louvre (à partir de 1655, pour les appartements de Mazarin, du roi, de la reine-mère et de la reine), Fontainebleau (appartement de la reine-mère, 1655-1666), les Tuileries (en 1657), Versailles (en 1661) et Saint-Germain. La pratique de latelier commune à la plupart des grands décorateurs (Raphaël, Rubens ou, en France, Dubreuil, Vouet, Le Brun...) est donc un recours indispensable. Lexemple de Rennes, que lon pourra désormais dire miraculeusement préservé (puisque ne reste guère à Fontainebleau que la partie ornementale), est particulièrement intéressant pour comprendre comment Errard lenvisageait.
On ne peut prendre à la lettre ce quécrit Guillet sur leur collaboration : Coypel, sur les simples pensées de M. Errard, en faisoit toutes les études; ce qui se doit entendre en général de tout ce quil a fait pour M. Errard. Le biographe parle alors que le maître vient de disparaître bien loin de Paris tandis que Coypel est en plein exercice dans la capitale et au sein de lAcadémie : son rôle sen est sans doute trouvé majoré afin dhonorer un membre présent de linstitution. Surtout, lexposition de Rennes permet dexpliquer la pratique des études : Coypel reprend dans le détail (et avec le style de dessin du maître...) les différents éléments dune composition quil doit soumettre à lappréciation dErrard. Lexécution des peintures quil délégue doit également faire lobjet dun contrôle sévère.
|
Noël Coypel est sans nul doute intervenu sur le chantier et en a beaucoup retiré pour son art. Les peintures en camaïeu également présentées dans lexposition (fig. 11), dont il nest pas lexécutant, peuvent, par comparaison, nous éclairer sur son intervention. Car il sy pose encore, à un autre degré, le problème de la main dErrard. Lemprise du maître y est plus forte en raison dun travail de précision plus important demandé à lexécutant spécialisé (à moins, comme le pense Laurent Salomé, et la qualité de certains morceaux incitent à le suivre, quil ne sagisse du maître?). Or il est difficile de ne pas rapprocher lajustement de leurs touches avec la technique des dessins de détail (dont un certainement de Coypel) et des peintures, notamment dans les chairs.
Il se pourrait que nous soyons en présence dune méthode de travail permettant au chef datelier un contrôle jusque dans les entreprises où il doit le plus déléguer, tel le grand décor. Denis Lavalle semble partager cette analyse lorsquil évoque, dans le catalogue accompagnant la manifestation, le rendu net et puissant des volumes par Noël Coypel si insistant quil est difficile de ne pas y voir une demande spécifique dErrard. À moins, comme le suggèrent ces lignes, quon ait par trop minimisé la participation dErrard. Tant de détails dans lexécution des principaux tableaux trahissent des plaisirs propres au maître quil est clair quelles revêtaient une grande importance à ses yeux, et quil nétait guère question pour lui de les négliger.
|
11. Charles Errard (et atelier?), La Justice repoussant la corruption, grisaille (détail). Rennes, Grandchambre du Parlement.
|
Au bout du compte, tous les indicateurs désignent pour responsable scrupuleux de lentreprise Charles Errard, maître par ailleurs si imprégnant de Coypel. Notre époque sévertue à retrouver la main de Giulio Romano dans telle oeuvre considérée comme de Raphaël du vivant même du maître. Aller trop loin dans ce sens conduit à une incompréhension fondamentale de la condition de lartiste et de la conception de son ouvrage à lépoque, qui met laccent sur laspect intellectuel, lidée, au détriment de celui mécanique, le travail dexécution.
Ce combat de générations dartistes (en particulier italiens) navait pas perdu de son actualité dans le Paris de Mazarin. La querelle au sein de lAcadémie entre Errard et Bosse que rapporte Guillet sur le problème de la peinture plafonnante tourne autour de cette question : loin de renier lapport intellectuel de la perspective, la position dErrard mettait certainement au-dessus la faculté de jugement de lartiste contre la soumission trop radicale à la géométrie, autre forme dabdication à un procédé mécanique.
A mon sens, au regard de considérations historiques, il faut donc désigner pour véritable responsable du décor Charles Errard. Les lignes qui précèdent permettent au demeurant dy déceler une participation beaucoup plus grande quil ny paraissait jusqu'alors dans lexécution même de ce qui demeure lun des chefs-duvre conservés de la peinture française, et par le fait un témoignage exceptionnel et capital pour sa compréhension.
Sylvain Kerspern, Melun, 2005
|
BIBLIOGRAPHIE
Guillet de Saint-Georges, 1854 : in Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de lAcadémie royale de peinture et de sculpture, 1854, I (Errard et Testelin).
Thuillier (Jacques), 1978 : Propositions pour : Charles Errard, peintre, Revue de lart, n°40-41, p. 151-172.
Rennes. Palais du Parlement de Bretagne. Les peintures restaurées, coll. Images du Patrimoine, Cahiers de lInventaire, catalogue collectif, Rennes, 1998.
|
|
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? Cest gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce nest pas payant... Désabonnez-vous....
Site hébergé par Ouvaton - ISSN 2495-4136
|
|