Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com | |
Varia France-Italie : quel enseignement pour lhistoire de lart dans lenseignement secondaire? *Sommaire de la rubrique varia * Table générale Contacts : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr |
France-Italie : quel enseignement pour lhistoire de lart dans lenseignement secondaire? Festival de lhistoire de lart, Fontainebleau. Table ronde du 28 mai 2011 Mise en ligne le 7 juin 2011 |
|
LItalie étant à lhonneur, lors du premier Festival de lhistoire de lart, qui sest tenu à Fontainebleau du 27 au 29 mai dernier, il était intéressant de comparer avec ce qui se met en place en France pour lenseignement de lhistoire de lart avant le baccalauréat. Irene Baldriga, professeur dhistoire de lart du secondaire en Italie, responsable de lAnisa (Associazione Nazionale Insegnanti di Storia dellArte) et Henri de Rohan-Csermak, Inspecteur général de lÉducation Nationale, ont donc fait le point, historique et pratique, des deux expériences, et lancé le débat auprès de la salle, animé par Cécile Lestienne, rédactrice en chef dArts Magazine. |
1. Lexpérience italienne. |
Irene Baldriga la introduit par un petit film sur sa propre expérience, en interrogeant ses élèves sur ce que leur apporte lhistoire de lart : ils mentionnent la possibilité de déchiffrer les murs dimages qui composent leur paysage quotidien; la prise en compte de témoignages concrets de lhistoire, toujours vivants alors que les protagonistes de cette dernière ne sont plus; léducation à la diversité du monde, à laltérité, et à la citoyenneté, par lappréhension critique du patrimoine historique environnant. Cet enseignement, introduit au niveau secondaire dès 1901 en Italie, y est obligatoire depuis 1923 mais une récente réforme a voulu revenir dessus. Il a été intimement lié, dès lorigine, au patrimoine historique, évidemment très présent dans la péninsule. Il fallait une approche didactique propre à la mise en rapport concrète et sensible du patrimoine subsistant avec son contexte historique, qui fonde loriginalité de lhistoire de lart. Il est apparu, en conséquence, nécessaire que toute personne participant à léducation à lhistoire de lart au niveau secondaire, formé spécifiquement à cette discipline, soit enseignant-chercheur, assurant ainsi de sa formation continue. Le rapprochement avec la situation française a immédiatement fait surgir des différences essentielles. Commençons tout de même par ce qui les rapproche : limpulsion décisive donnée par Nicolas Sarkozy plaçait le débat sur le terrain de léducation citoyenne. Que lon soit daccord sur lorientation quil souhaitait lui donner ou pas, il faut au moins lui reconnaître le fait que soit prise en compte cette mission dutilité publique quexerce lhistoire de lart; cest peut-être dailleurs ce qui a motivé, de son côté, Silvio Berlusconi à vouloir en diminuer le rôle. |
2. Le clivage : spécificité de lhistoire de lart. |
Henri de Rohan-Csermak a relevé, dans le film dIrene Baldriga, un passage mettant en regard les recherches tonales de Debussy et lapproche chromatique des Impressionnistes, comme pour illustrer la nécessité dune approche plus large de la discipline sous le vocable histoire des arts, intégrant notamment la musique. Cest oublier que le musicologue intervenait dans le cours dune enseignante en histoire de lart, chacun pour des compétences reconnues dans leur domaine respectif. On peut comprendre que linspecteur général de lEducation Nationale, lui-même musicologue de formation, se félicite de leur rapprochement. Sans remettre en cause la bonne volonté dHenri de Rohan-Csermak, on peut tout de même sétonner que laccompagnement de la réforme devant aboutir à lenseignement de lhistoire de lart dans le secondaire soit confié à un musicologue plutôt quà un historien de lart, ou simplement à une coordination paritaire. La raison est sans doute bureaucratique. Nous avons été plusieurs, dans le public, à intervenir sur ce point essentiel de la réforme. Nier la nécessité dun recrutement des enseignants sur la seule base des compétences demandées en histoire de lart, cest nier la réalité de cette dernière comme discipline à part entière. Lhistoire de lart nest pas simplement lanalyse formelle dun objet du patrimoine, lequel serait son élément véritablement irréductible; ce nest pas non plus regarder une oeuvre dart à partir du point de vue historique. |
Consulter les manuels dhistoire, pour un historien de lart, conduit à déplorer souvent le recours à limage comme simple illustration dun discours historique essentiellement centré sur lévolution de la chose publique, ou si lon veut, de lhistoire politique. Cela traduit une méprise sur limage, la pliant à ses besoins et ne lui reconnaissant pas sa profonde singularité. Quand ce nest pas reprendre une image dEpinal du XIXè siècle pour évoquer des temps plus anciens... Henri-Paul Motte, |
|
Cest tout le contraire de ma démarche lorsque jai conduit le projet dune évocation de Bossuet, de son oeuvre et de son verbe à travers lart quil pouvait connaître, pour lexposition Bossuet, miroir de son temps (Meaux, 2004) : on y percevait précisément tout ce qui fait lintérêt de lhistoire de lart dans la prise en compte de ce quexpriment les oeuvres dart et comment elles le font, et de la façon dont elles opèrent avec leurs moyens, en leur temps, quelles ressuscitent ainsi pour nous. Ce nétait donc pas une exposition historique, mais bien dhistoire de lart - Didier Rykner l'a clairement souligné dans son compte-rendu. |
A ce titre, considérer quil est tout aussi légitime dapprocher lart de façon historique, littéraire, que sais-je? me paraît une fois de plus révélateur de la méconnaissance de la didactique propre à lhistoire de lart. Comme je lai fait remarquer à une participante au débat, le fait daborder une oeuvre musicale, théâtrale, romanesque, du passé ne constitue pas en soi une approche historique : ce serait mettre en cause lenseignement de la musique ou celui du français tels quils se pratiquent dans le secondaire. Quil y ait également des diversités de points de vue en histoire de lart (insistant sur liconographie, sur le jeu des formes, sur les enjeux culturels, sur la catalographie, etc.) ne signifie pas pour autant que la discipline nexiste pas, pas plus que lémergence de lhistoire des mentalités na mis un terme à lexistence de lhistoire en tant que discipline reconnue! Lobjection comme quoi il est impossible dalourdir les programmes par des cours supplémentaires spécifiques peut se comprendre mais cest nécessairement, au fond, revenir sur lhistoire de lart à lécole. Lalternative est de rééquilibrer lensemble pour permettre son introduction spécifique, et on peut craindre, de fait, beaucoup de réticences, sinon de résistances à cela. Quoiquil en soit, il faut le répéter : confier un enseignement dhistoire de lart à une personne recrutée comme professeur de lettres, dhistoire ou darts plastiques, quand bien même lenseignant aurait également suivi une formation en histoire de lart, cest déconsidérer cette dernière. |
3. Imposer la validité de lhistoire de lart auprès de tous les publics en clarifiant sa didactique. |
Il faut reconnaître aux derniers développements de la réforme une première ouverture sur ce point, grâce à celle, parallèle, du cursus universitaire : comme Philippe Sénéchal la rappelé dans son compte-rendu LInha et lintroduction à lhistoire des arts dans la scolarité obligatoire des Nouvelles de lInha (n°39, avril 2011, p. 2-4), il est ainsi désormais possible aux historiens de lart de former des enseignants via les masters professionnels denseignement. On en vient à cette situation un peu étrange qui leur propose comme débouché la formation denseignants dautres disciplines à ce quils pourraient légitimement vouloir faire eux-mêmes auprès du public du secondaire. Cest mieux, puisque cela nexistait pas auparavant, mais cest quand même étonnant, et frustrant. Cela repose notamment, il nous faut le reconnaître, sur des obscurités entretenues jadis et naguère ici ou là, comme sil fallait garder jalousement le feu sacré et nen pas délivrer de façon ouverte et compréhensible lapport fondamental : Notre communauté scientifique, écrit Philippe Sénéchal, a trop longtemps souffert dune image d'hermétisme au nom de laquelle ses contempteurs lont commodément écartée du débat public culturel. De fait, une question du public, lors du débat de Fontainebleau, si elle ma étonné, a bien été jugée problématique : était-il possible denseigner cette discipline universitaire au niveau inférieur? Le commentaire de Philippe Sénéchal à propos de la journée de réflexion sur ce thème tenue à lInha le 17 avril 2008 ne suggère pas autre chose, et me laisse également perplexe : La journée a également permis de sinterroger sur la difficulté de fonder le nouvel enseignement sur la discipline universitaire. Difficulté paradoxale alors que les images connaissent avec lInternet une diffusion sans équivalent dans lhistoire et que la discipline paraît la mieux à même de produire un discours cohérent à leur sujet, comme dorganiser le savoir nécessaire à leur intellection. Le souci nouveau que les historiens de lart pourraient manifester en direction du public non-spécialiste apparaît bien ici comme la source des sollicitations dont ils pourraient désormais faire lobjet de la part du monde scolaire. Dabord il faut dire que tout enseignant en histoire de lart au premier niveau universitaire se trouve confronté à un public de non-spécialiste - précisément parce que lhistoire de lart ne fait pas encore partie de lenseignement obligatoire! Où serait donc la difficulté? Faut-il un certain niveau détude pour comprendre lart? Les animations des musées vers les jeunes publics ne seraient donc quamusement? Ma petite expérience denseignant indépendant en histoire de lart, sur Melun, ma permis daccompagner les premiers pas dans cette matière délèves nayant pas encore leur baccalauréat, et je peux vous assurer que celui-ci nest apparemment pas la clé dun verrou préexistant, qui empêcherait toute approche sérieuse de lart auparavant. Irene Baldriga a évidemment répondu de façon positive à cette question, de même quon peut répondre de façon positive sur le fait de pouvoir enseigner les lettres ou lhistoire, la musique, les sciences ou les langues, avant ou après le bac : les approches sont adaptées, voilà tout, mais le travail sur la sensibilité, sur le contexte, sur la signification demeurent, et cest ce qui fait la spécificité de lhistoire de lart en tant que discipline à enseigner : elle propose une médiation entre loeuvre dart plastique et le, ou plutôt les spectateurs (il ne faut pas oublier les contemporains de loeuvre), à partir dun travail critique sur lopération qui a produit loeuvre. Enlevez dans la phrase précédente plastique et il peut être question dhistoire des arts (comprenant également la musique ou les arts du spectacle). Conservez-le, et vous percevrez que cest précisément cet aspect qui manque encore à lenseignement secondaire, qui étudie en revanche déjà la production des oeuvres dart autres que plastique pour eux-mêmes. Si donc, on veut réparer une véritable lacune, il faut bien parler dintroduire lhistoire de lart dans lenseignement obligatoire. Pour finir, revenons à ce qui est incontestablement un succès, sinon un engouement de lenseignement secondaire pour lhistoire des arts : lors de la toute première épreuve dans la cadre du brevet, en 2010, la discipline qui nétait quoptionnelle a attiré 22% de lensemble des élèves, qui sy sont inscrits. Plus de 1 sur 5. Pourquoi? Sans doute pas par goût de lhermétisme. Pas plus par attirance pour la musique, ou pour les arts plastiques, objets dautres épreuves. Par curiosité, certainement, la meilleure des raisons, et par une curiosité que les enseignements dhistoire ou des lettres nont pu satisfaire. Il nest pas impossible que certains y aient vu une possibilité de gagner facilement des points, dans une matière où il semble que lon puisse dire un peu ce quon veut - reproche à lopposé de celui qui voudrait que lhistoire de lart soit réservé à des initiés, mais non moins abusif. Il nempêche que lappétit est là, et que lévidence veut que seule lhistoire de lart soit en mesure dy répondre, osons le dire, scientifiquement, sur la base dune didactique propre. Cet aspect semblait échapper à Henri de Rohan-Csermak. Irene Baldriga a insisté sur son caractère central dans lenseignement de lhistoire de lart dans le secondaire, tel que pratiqué en Italie. Philippe Sénéchal a clairement souligné un manque dans les recherches sur le sujet, en conclusion de son compte-rendu, quil est impératif de combler et dont Jean-Miguel Pire, chercheur à lEcole pratique des Hautes Études, spécialiste des politiques culturelles et éducatives sest trouvé chargé par l'Inha. Au fond, notre combat est bien là : donnons à lhistoire de lart lévidence dun travail efficace, utile et enrichissant par sa méthode et ses outils mêmes. Cétait en fait la vocation première de ce site (en particulier la page formation), jusque dans ses audaces et ses imperfections, propres à la pratique dune discipline vivante. S. K., Melun, mai-juin 2011 |
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com - sylvainkerspern@hotmail.fr. |
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? Cest gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce nest pas payant... Désabonnez-vous... Site hébergé par Ouvaton . |