Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Varia

L’histoire de l’art en France :
déclin ou vitalité? (2006)

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L’histoire de l’art en France : déclin ou vitalité?

Mis en ligne le 20 mars 2006

Un débat agite actuellement le monde de l’histoire de l’art en France : la discipline serait en déclin pour certains, toute de vitalité pour d’autres. La Tribune de l’art, notamment, s’en est fait l’écho, en ouvrant ses colonnes à Olivier Bonfait, qui se situe résolument dans le camp des optimistes. La question a été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale du Comité Français d’Histoire de l’Art, ce qui fera sans doute l’objet d’un compte-rendu. Je voudrais apporter une contribution très personnelle sur le sujet.


Une forte curiosité ...

Je partage, dans l’ensemble, le point de vue d’Olivier Bonfait. Le renouveau des revues (malgré la disparition de la Gazette des Beaux-Arts, au demeurant due à une décision de leur propriétaire), après le sauvetage de la Revue de l’art, en témoigne, au même titre que la spectaculaire réussite du site de La Tribune de l’art, dirigé par Didier Rykner.
En l’état actuel des choses, il existe donc une forte demande mais elle peine à trouver réponse. Les départements d’histoire de l’art des universités regorgent d’étudiants, et concurrencent ceux de psychologie par le désir exprimé de suivre avant tout des études présentant un intérêt, qu’importe la finalité professionnelle. La fréquentation des musées et des expositions est là, également, pour souligner l’appétit des Français, et des visiteurs en général, pour l’art.


...qui demeure inassouvie

Mais beaucoup s’interrogent, visitent sans comprendre et même admirent sans savoir. Le déficit est là, dans la perception que l’on peut avoir de l’art qui alimente le sentiment que, décidément, les artistes sont des gens à part, des génies étranges, et que l’art, "ça ne s’explique pas". Le succès de l’histoire de l’art en université, en première année, tient aussi au mystère que la discipline peut encore recéler, puisqu’elle n’a pas été abordée auparavant, du moins en tant que telle. Les cours que je donne à Melun ont pu confirmer des vocations naissantes mais l’initiative demeure isolée.
De fait, il faut bien souligner l’étroitesse du milieu de l’histoire de l’art. Trois "grandes" voies s’offrent au jeune diplômé : l’enseignement, la conservation (musée, inventaire, antiquités et objets d’art, monuments historiques) et le marché de l’art. La première propose actuellement par an une dizaine de postes quand une cinquantaine de thèses sont soutenues. La seconde n’en propose guère plus pour un public comprenant les autres niveaux d’études - évidemment plus nombreux encore... La troisième fluctue en fonction de l’état du marché - qui n’est pas bon actuellement. Elle offre rarement une solution qui s’épanouisse dans la durée.
Une quatrième possibilité cherche à émerger, au profit de la décentralisation : la recherche indépendante (à laquelle je me rattache). Mais elle se heurte à des difficultés inhérentes à sa nouveauté, et pâtit d’un déficit de reconnaissance du travail d’historien d’art. Exemple parmi d’autres : si vous êtes sollicité pour un avis sur une oeuvre (attribution, iconographie, etc.) et que vous en demandiez au préalable rétribution, vous risquez, la plupart du temps, de voir s’échapper cette opportunité de travailler. Expérience vécue aussi bien avec le domaine privé qu’avec le service public... Il est vrai qu’il existe une concurrence indirecte dans les faits, puisqu’il peut suffire de faire appel à un conservateur ou un universitaire, voire un jeune chercheur, que l’on suppose rétribué dans sa pratique de l’histoire de l’art et que l’on ne rémunerera donc pas. Or c’est le fruit de plusieurs années d’études et, quoiqu’il en soit, un travail à accomplir en plus de ce pour quoi il est par ailleurs salarié, enfin, du temps pris à cette tâche sanctionné par une réponse formulée avec plus ou moins d’ampleur. Toute peine ne mériterait donc pas salaire?
Autre exemple personnel : j’ai mis en place à Melun (Seine-et-Marne) des cours d’initiation à l’histoire de l’art - non pas des conférences mais bel et bien une formation à la compréhension des oeuvres d’art (dont la page "formation" de ce site donne une idée). Sans entrer dans le détail des petites tracasseries subies, il s’en est suivi un émoi très feutré, mais qui est remonté jusqu’aux élus, pour m’empêcher d’utiliser un lieu mis à disposition en priorité aux associations (mais donc ouvert également, contre rétribution, aux entreprises) par la ville. La raison invoquée? L’offre existe déjà en quantité suffisante. Ce qui est faux (il n’y a pas d’équivalent véritable à l’initiation que je propose) et purement protectionniste, si j’en crois des témoignages qui montrent que la demande excède largement l’offre...
Cette activité fête son premier anniversaire, avec un succès mitigé : des étudiants, pour la plupart, très intéressés, satisfaits, et prouvant, par la qualité de leur participation aux cours d’analyses collectives, que ma démarche était bonne. Mais en nombre insuffisant, l’opposition demeurant et faute de relais officiel ou de presse réguliers, pour que je puisse, à ce jour, la continuer sans mettre en péril la santé financière de mon entreprise... et de mon foyer. Dont acte. Même si je n’ai pas renoncé...


Une reconnaissance toujours à conquérir.

Aussi bien, le sentiment de crise pour notre discipline n’est pas totalement hors de propos. Comme le souligne Olivier Bonfait, elle tarde à obtenir la reconnaissance institutionnelle. D’où l’absence de diplômes d’enseignement (licence ou agrégation) hors le doctorat; sa mise en oeuvre, dans l’expérience menée de son intégration à l’enseignement secondaire par des professeurs choisis pour d’autres compétences (histoire, lettres ou arts plastiques); ou encore, décision stupéfiante, le choix de mettre à la tête de l’Institut National d’Histoire de l’Art une personnalité extérieure à notre domaine. Laquelle, tout de même, a été suspendue devant la levée de boucliers.
Les débouchés professionnels, étroits, favorisent l’esprit de chapelle, de clans qui se battent pour les rares postes mis à disposition chaque année. J’en ai personnellement fait les frais dans la recherche d’un poste universitaire; or, d’une part, c’est en suivant les cours de Daniel Arasse à la Sorbonne, accompagnés des TD de Philippe Morel que ma rencontre avec l’histoire de l’art s’est confirmée, et d’autre part, mon jury de thèse était composé de Daniel Ternois (président), Jean Jacquart et Jacques Thuillier. Je ne me sens d’aucun clan, et pourtant je me suis retrouvé étiqueté, jugé sur cela, non sur mes travaux. Le "choix" d’une activité en tant qu’indépendant est la conséquence de portes qui se sont fermées pour cela.
Comme Olivier Bonfait, je pense qu’il existe une diversité féconde des approches de l’art - et que l’excellence comme le moins bon se trouvent en tous lieux de notre discipline.
Le fait est que la recherche ou la formation en histoire de l’art, hors du domaine public, universités et musées, a peu de visibilité. Le marché de l’art a son mot à dire, et produit régulièrement des expositions aux catalogues soignés, moins scientifiques, peut-être, dans leur forme, mais soucieux d’une rigueur d’étude tout à fait louable. C’est aussi, à ce titre, un partenaire incontournable de notre discipline. S’il faut parler d’une seule voix, elle doit tenir compte de son existence.


Que faire?

L’Institut National dont est dotée désormais l’histoire de l’art en France doit incarner cette unité dans la diversité. Par un effort de clarté et de solidarité, nous parviendrons à travers lui à satisfaire cette importante demande, parce que nous aurons convaincu les institutions de la valeur scientifique de notre travail. De là devraient découler des débouchés plus importants dans l’enseignement secondaire (puisque ce serait en tant qu’historien d’art, agrégé ou titulaire d’une licence d’enseignement, qu’un enseignant serait susceptible d’y apporter une initiation à la discipline), un soutien financier plus ample dans les différentes opportunités offertes (expositions, publications, missions de recherches ou d’inventaire...), etc. Et par contrecoup, un bol d’air atténuant les tensions nées d’une si rude concurrence...
Nous avons les intentions, les moyens, le reste est affaire de volonté. Cela pourrait commencer par la défense du droit à l’usage de l’image dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, pour lequel, il est vrai, les intérêts pourraient être divergents, entre universitaires et responsables de collection. Qu’il suffise de considérer l’intérêt ultime : le dynamisme de la recherche, dont l’ensemble profite - et qui se trouverait affaibli face aux pratiques étrangères, et notamment anglo-saxonnes. En attendant, tout un chacun peut aller sur les pages suivantes pour s’informer et souscrire à la pétition proposée sur le sujet.
* le point de vue de André Gunthert, École pratique des Hautes études en sciences sociales;
* la pétition, elle, est close (août 2012).

S.K.

PS : Je ne me présente pas à la direction de l’Inha...
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