Une forte curiosité ...
Je partage, dans lensemble, le point de vue dOlivier Bonfait. Le renouveau des revues (malgré la disparition de la Gazette des Beaux-Arts, au demeurant due à une décision de leur propriétaire), après le sauvetage de la Revue de lart, en témoigne, au même titre que la spectaculaire réussite du site de La Tribune de lart, dirigé par Didier Rykner.
En létat actuel des choses, il existe donc une forte demande mais elle peine à trouver réponse. Les départements dhistoire de lart des universités regorgent détudiants, et concurrencent ceux de psychologie par le désir exprimé de suivre avant tout des études présentant un intérêt, quimporte la finalité professionnelle. La fréquentation des musées et des expositions est là, également, pour souligner lappétit des Français, et des visiteurs en général, pour lart.
...qui demeure inassouvie
Mais beaucoup sinterrogent, visitent sans comprendre et même admirent sans savoir. Le déficit est là, dans la perception que lon peut avoir de lart qui alimente le sentiment que, décidément, les artistes sont des gens à part, des génies étranges, et que lart, "ça ne sexplique pas". Le succès de lhistoire de lart en université, en première année, tient aussi au mystère que la discipline peut encore recéler, puisquelle na pas été abordée auparavant, du moins en tant que telle. Les cours que je donne à Melun ont pu confirmer des vocations naissantes mais linitiative demeure isolée.
De fait, il faut bien souligner létroitesse du milieu de lhistoire de lart. Trois "grandes" voies soffrent au jeune diplômé : lenseignement, la conservation (musée, inventaire, antiquités et objets dart, monuments historiques) et le marché de lart. La première propose actuellement par an une dizaine de postes quand une cinquantaine de thèses sont soutenues. La seconde nen propose guère plus pour un public comprenant les autres niveaux détudes - évidemment plus nombreux encore... La troisième fluctue en fonction de létat du marché - qui nest pas bon actuellement. Elle offre rarement une solution qui sépanouisse dans la durée.
Une quatrième possibilité cherche à émerger, au profit de la décentralisation : la recherche indépendante (à laquelle je me rattache). Mais elle se heurte à des difficultés inhérentes à sa nouveauté, et pâtit dun déficit de reconnaissance du travail dhistorien dart. Exemple parmi dautres : si vous êtes sollicité pour un avis sur une oeuvre (attribution, iconographie, etc.) et que vous en demandiez au préalable rétribution, vous risquez, la plupart du temps, de voir séchapper cette opportunité de travailler. Expérience vécue aussi bien avec le domaine privé quavec le service public... Il est vrai quil existe une concurrence indirecte dans les faits, puisquil peut suffire de faire appel à un conservateur ou un universitaire, voire un jeune chercheur, que lon suppose rétribué dans sa pratique de lhistoire de lart et que lon ne rémunerera donc pas. Or cest le fruit de plusieurs années détudes et, quoiquil en soit, un travail à accomplir en plus de ce pour quoi il est par ailleurs salarié, enfin, du temps pris à cette tâche sanctionné par une réponse formulée avec plus ou moins dampleur. Toute peine ne mériterait donc pas salaire?
Autre exemple personnel : jai mis en place à Melun (Seine-et-Marne) des cours dinitiation à lhistoire de lart - non pas des conférences mais bel et bien une formation à la compréhension des oeuvres dart (dont la page "formation" de ce site donne une idée). Sans entrer dans le détail des petites tracasseries subies, il sen est suivi un émoi très feutré, mais qui est remonté jusquaux élus, pour mempêcher dutiliser un lieu mis à disposition en priorité aux associations (mais donc ouvert également, contre rétribution, aux entreprises) par la ville. La raison invoquée? Loffre existe déjà en quantité suffisante. Ce qui est faux (il ny a pas déquivalent véritable à linitiation que je propose) et purement protectionniste, si jen crois des témoignages qui montrent que la demande excède largement loffre...
Cette activité fête son premier anniversaire, avec un succès mitigé : des étudiants, pour la plupart, très intéressés, satisfaits, et prouvant, par la qualité de leur participation aux cours danalyses collectives, que ma démarche était bonne. Mais en nombre insuffisant, lopposition demeurant et faute de relais officiel ou de presse réguliers, pour que je puisse, à ce jour, la continuer sans mettre en péril la santé financière de mon entreprise... et de mon foyer. Dont acte. Même si je nai pas renoncé...
Une reconnaissance toujours à conquérir.
Aussi bien, le sentiment de crise pour notre discipline nest pas totalement hors de propos. Comme le souligne Olivier Bonfait, elle tarde à obtenir la reconnaissance institutionnelle. Doù labsence de diplômes denseignement (licence ou agrégation) hors le doctorat; sa mise en oeuvre, dans lexpérience menée de son intégration à lenseignement secondaire par des professeurs choisis pour dautres compétences (histoire, lettres ou arts plastiques); ou encore, décision stupéfiante, le choix de mettre à la tête de lInstitut National dHistoire de lArt une personnalité extérieure à notre domaine. Laquelle, tout de même, a été suspendue devant la levée de boucliers.
Les débouchés professionnels, étroits, favorisent lesprit de chapelle, de clans qui se battent pour les rares postes mis à disposition chaque année. Jen ai personnellement fait les frais dans la recherche dun poste universitaire; or, dune part, cest en suivant les cours de Daniel Arasse à la Sorbonne, accompagnés des TD de Philippe Morel que ma rencontre avec lhistoire de lart sest confirmée, et dautre part, mon jury de thèse était composé de Daniel Ternois (président), Jean Jacquart et Jacques Thuillier. Je ne me sens daucun clan, et pourtant je me suis retrouvé étiqueté, jugé sur cela, non sur mes travaux. Le "choix" dune activité en tant quindépendant est la conséquence de portes qui se sont fermées pour cela.
Comme Olivier Bonfait, je pense quil existe une diversité féconde des approches de lart - et que lexcellence comme le moins bon se trouvent en tous lieux de notre discipline.
Le fait est que la recherche ou la formation en histoire de lart, hors du domaine public, universités et musées, a peu de visibilité. Le marché de lart a son mot à dire, et produit régulièrement des expositions aux catalogues soignés, moins scientifiques, peut-être, dans leur forme, mais soucieux dune rigueur détude tout à fait louable. Cest aussi, à ce titre, un partenaire incontournable de notre discipline. Sil faut parler dune seule voix, elle doit tenir compte de son existence.
Que faire?
LInstitut National dont est dotée désormais lhistoire de lart en France doit incarner cette unité dans la diversité. Par un effort de clarté et de solidarité, nous parviendrons à travers lui à satisfaire cette importante demande, parce que nous aurons convaincu les institutions de la valeur scientifique de notre travail. De là devraient découler des débouchés plus importants dans lenseignement secondaire (puisque ce serait en tant quhistorien dart, agrégé ou titulaire dune licence denseignement, quun enseignant serait susceptible dy apporter une initiation à la discipline), un soutien financier plus ample dans les différentes opportunités offertes (expositions, publications, missions de recherches ou dinventaire...), etc. Et par contrecoup, un bol dair atténuant les tensions nées dune si rude concurrence...
Nous avons les intentions, les moyens, le reste est affaire de volonté. Cela pourrait commencer par la défense du droit à lusage de limage dans le cadre de lenseignement et de la recherche, pour lequel, il est vrai, les intérêts pourraient être divergents, entre universitaires et responsables de collection. Quil suffise de considérer lintérêt ultime : le dynamisme de la recherche, dont lensemble profite - et qui se trouverait affaibli face aux pratiques étrangères, et notamment anglo-saxonnes. En attendant, tout un chacun peut aller sur les pages suivantes pour sinformer et souscrire à la pétition proposée sur le sujet.
* le point de vue de André Gunthert, École pratique des Hautes études en sciences sociales;
* la pétition, elle, est close (août 2012).
S.K.
PS : Je ne me présente pas à la direction de lInha...
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