Contacts : sylvainkerspern@gmail.com
Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Jacques Stella - Catalogue
France, oeuvres datées de 1655-1657

La Passion du Christ, peintures, dessins et gravures par Claudine

Catalogue : Ensemble - Comme un pur effet... (1655-1657), mosaïque - Table Stella - Table générale
Mise en ligne initiale le 3 mars 2017 - retouches : mai 2018 (autoportrait dessiné...) - novembre 2019 - avril 2022 - novembre 2024
Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.

La Passion du Christ,

en trente tableaux
1-G. Entrée à Jérusalem, gravure de Claudine.

Absent de la vente Demasso de 1771
2-G. La Cène, gravure de Claudine.


Correspond au tableau n°19 du second jour de la vente Demasso de 1771 (contracté ici ensuite en Demasso1771_II-x) Demasso1771_II-19
3-G. Le lavement des pieds, gravure de Claudine.

Demasso1771_II-56
4-G. Christ au jardin des Oliviers, gravure de Claudine.

Demasso1771_I-54
5-G. Arrestation du Christ, gravure de Claudine.

Demasso1771_II-53
6-G. Le soufflet devant le Grand Prêtre Anne, gravure de Claudine.

Demasso1771_II-49

Trente toiles.

Env. 45 x 35 cm (selon la vente Demasso en 1771).

Les 13 premiers sujets gravés par Claudine entre 1687 (?) et 1693 pour les 10 premiers, et entre 1693 et 1697, pour les 3 suivants. 13 autres sujets donnés par la vente Peter de Masso de 1771; à quoi peut s'ajouter Le Christ tombant sous la croix signalé par Pierre Rosenberg, qui peut ne pas correspond au Portement de croix; il faut sans doute aussi envisager une Déposition de croix. Manqueraient encore 2 sujets. La numérotation ci-contre pour les sujets n'ayant pas été gravés suggère l'amplitude pour leur place dans la suite pour pallier les lacunes.

Historique : fonds d'atelier; coll. Bouzonnet Stella (testament et inventaire de Claudine, 1693-1697, non numéroté, p.16, 30), léguées à Michel de Masso (1654-1731), peintre son cousin, avec les 13 planches déjà gravées par Claudine; Simon de Masso, son frère (1658-1737); Pierre son fils (1692-1773); Pierre (II) son fils (1728-1787); 25 peintures vendues les 8-9 mars 1771 par Pierre (Peter) Demasso à Londres, chez Christie's, comme Poussin (voir Kerspern 2021).

- 11, Christ devant Pilate. Toile. 46,4 x 35,4 cm.
Succession de Stella, puis des de Masso; vente Demasso, Christie's Londres 8-9 mars 1771, n°68 (« Our saviour accused before Herod; a noble and beautiful composition, (engraved) 18 14 »). Vente Sotheby's Londres, 11 décembre 1996, n°257. Localisation inconnue.

- (16/20?), Christ tombant sous la croix. Toile.
Succession de Stella, puis des de Masso; vente Demasso, Christie's Londres 8-9 mars 1771, n°64 (« Our saviour Our saviour carrying his cross; the custom exactly observed, and the composition excellent 18 14 »). Localisation inconnue.

- (18/22?), La Crucifixion. Toile.
Succession de Stella, puis des de Masso; vente Demasso, Christie's Londres 8-9 mars 1771, n°74 (« The crucifixion of our saviour, in which the passions, darkness, and other circumsances of that great and terrible event, are touched to life 18 14 »). 46,5 x 35 cm.
Vente Sotheby's Londres OMP 26 octobre 1994, lot 149 (F. Verdier)

- (19/23?), L'embaumement du Christ. Toile. 45,5 x 35,5 cm.
Succession de Stella, puis des de Masso; vente Demasso, Christie's Londres 8-9 mars 1771, n°37 (« The embalming of our saviour, preparatory to his being laid in the Sepulchre; a very affecting scene 18 14 »). Vente Londres 26 septembre 2023; Paris, marché d'art; Vente Artcurial Paris, 26 novembre 2024.

Dessins.

- 4D1, Christ au jardin des oliviers. Plume et encre brune, lavis gris. 23,8 x 17,2 cm.
Historique : coll. Louis Collet (1722-1787), vente 14-23 mai 1787, lot 353 (Jacques STELLA un dessin à la plume et lavé d'encre de la Chine, sur papier blanc, représentant Jesus-Christ dans le Jardin des Olives ; des anges lui présentent des instruments de sa Passion. Hauteur 9 pouces, largeur 6 pouces et demi.). Coll. Bourguignon de Fabregoules (1746-1836). C.J.-B. Giraud. Flury-Hérard (cachet b.d. F.H. N°551 - ou 7 ou J). Chez Nicolas Schwed en 2007. Localisation inconnue.

- 4D2, Christ au jardin des oliviers. Plume et encre brune, lavis gris sur traces de crayon noir. 28,4 x 21 cm.
Historique : coll. P.J. Mariette, sa vente, 15 novembre 1775, partie du n°1364; acquis par Basan (1723-1797). Comte Moriz von Fries (1777-1826). Philippe de Chennevières (1820-1899). Acquisition par le Louvre en 1950, inv. RF29778.

- 4D3, Christ au jardin des oliviers. Pierre noire, plume et encre brune, lavis gris. 29 x 22 cm. Au verso, reprise partielle de la composition et croquis d'architectures à la sanguine.
Historique : Vente Morel et divers, 3 mai 1786, lot 339 ( Jacques STELLA - Le Christ aux Olives, auquel les Anges présentent les attributs de la passion ; composition de onze figures, lavée à l'encre de la Chine sur papier blanc. Hauteur 10 pouces, largeur 8 pouces. ; acquis par Joseph-Alexandre Lebrun pour 216 livres). Ancienne coll. Henry Stephen Olivier (1795-1864) (Lugt 1373, marque en b. g.). Paris, coll. part (marque b.d.).

- 7D, Le reniement de saint Pierre. Plume et encre brune, lavis gris sur traces de crayon noir. 30,5 x 20,7 cm.
Historique : coll. Georges Oprescu (1881-1969) (sa marque, L. 4954). Marché aux puces, acquis par l'actuel propriétaire (2018)

- (21/25?D), Le Christ apparaissant à la Vierge. Plume et encre brune, lavis gris.
Historique : Snite Museum, University of Notre-Dame (Indiana), don de Mr. John D. Reilly, '63 (2006.069.011)

Planches de cuivre par Claudine
Historique : les 13 premiers sujets gravés par Claudine entre 1687 et 1697; legs à Michel de Masso, qui les vend à Lyon en 1725, selon Mariette. Fonds de la veuve Auguste Jean, sa vente en 1846, 2è partie du catalogue, n°318, qui y ajoute le Christ aux outrages qui ne fait pas partie de la suite (vacation du 18 juin). Fonds du libraire Jombert? (selon Montaiglon 1859). Deux états, le second maquillant la lettre indiquant J. Stella pour inventeur en N. Poussin. 46,5 x 35,3 cm (au coup de planche)
7-G. Reniement de Pierre, gravure de Claudine.

Demasso1771_II-59
8-G. Jésus devant Caïphe, gravure de Claudine.

Demasso1771_I-71
9-G. Jésus moqué par les gardes, gravure de Claudine.

Demasso1771_I-76
10-G. Jésus emmené devant Pilate, gravure de Claudine.

Demasso1771_II-40
11-G. Jésus devant le prétoire, gravure de Claudine, gravure de Claudine.

Demasso1771_I-45?
12-G. Jésus revêtu de la robe des fous, gravure de Claudine., gravure de Claudine.

Demasso1771_I-42
13-G. Jésus devant Pilate, gravure de Claudine.

Demasso1771_I-68
4-D1. Christ au jardin des Oliviers, dessin. Loc. inconnue 4-D2. Christ au jardin des Oliviers, dessin. Louvre 4-D3. Christ au jardin des Oliviers, dessin. Coll. Part. 4-D3vo. Christ au jardin des Oliviers, dessin, verso. Coll. Part.
7-D1. Le reniement de saint Pierre, dessin. Coll. part.
11-T. Jésus devant Pilate. Toile. 46,4 x 35,4 cm. Vente Sotheby's Londres, 11 décembre 1996, n°257. Localisation inconnue.

Demasso1771_I-68
Perdu Perdu Perdu Perdu
(16/20?). Jésus tombant sous sa croix, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_I-64?
(14/18). La flagellation, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-17
(15/19). Le couronnement d'épines et autres outrages, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_I-56
(16/20). Jésus portant sa croix, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_I-64
(17/21). Jésus déshabillé préparé pour la crucifixion, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-35
(18/22). La crucifixion, vente Peter de Masso, 1771.
Demasso1771_I-74

Toile. 46,5 x 35 cm.
Vente Sotheby's Londres OMP 26 octobre 1994, lot 149 (F. Verdier)
Perdu Perdu Perdu Perdu
(19/23). L'embaumement, vente Peter de Masso, 1771. Vente Londres 26 septembre 2023; Paris, marché d'art; Vente Artcurial Paris, 26 novembre 2024.

Demasso1771_II-37
(20/24). La résurrection, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-32
(21/25?). Le Christ apparaissant à sa mère, dessin. Snite Museum of Art

(22/26). Noli me tangere, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-24
(23/27). La cène à Emmaüs, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-29
(24/28). L'ascension, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_I-66
Perdu Perdu
(25/29). Le Christ à la droite du Père, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-26
(26/30). La descente du Saint-Esprit, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_II-64
(27/30). Le Christ recevant sa mère au Ciel, vente Peter de Masso, 1771.

Demasso1771_I-61
Bibliographie :
* (Eugène Piot?) « Les marchands de Paris, I. Madame Ve Jean, marchande d'estampes anciennes de Paris, Le cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, II, 1843, p.183-188.
* Catalogue des planches gravées en tous genres par les plus célèbres graveurs du XVIe au XIXe siècle, composant le fonds de commerce d'éditeur d'estampes de Mme Vve Auguste Jean(...)., Paris 1846, p. 87-88 lot 318.
* (Pierre-Jean Mariette) Abecedario et autres notes, publ. Archives de l'art français, V, 1858-1859, p. 263-264.
* Anatole de Montaiglon, « L'auteur de la Passion gravée par Claudine STELLA n'est point Nicolas POUSSIN mais Jacques STELLA », Revue universelle des arts, 1859, 9, p.97-124.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. II, Paris, 1951, p. 82.
* Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 228-231
* Jacques Thuillier 2006, p. 214, 287-293
* cat. expo. The Epic and the Intimate. French Drawings from the John D. Reilly collection, 2011, Snite Museum of Art, University of Notre-Dame (notice de Cheryl K. Snay)
* Sylvain Kerspern. « L'héritage de Stella. Notes sur la famille de Masso, site dhistoire-et-dart.com, septembre 2021.
On sait par Félibien que cette suite consacrée à la Passion en trente tableaux est le dernier ouvrage qu'il ait pu achever avant de mourir, ce qui me motive à le situer dans les toutes dernières années de sa vie. L'homogénéité stylistique de ce que l'on en connaît, qui correspond principalement aux premiers sujets de la suite confirme une situation aussi tardive. Selon le catalogue de 1771, il y aurait glissé un ultime autoportrait dans les traits d'un apôtre de la Descente du Saint-Esprit.

Depuis le retable de Provins (1654), Stella sait que ses forces vont déclinant. Il est dès lors difficile de ne pas songer aux propos de son ami Poussin, vraisemblablement en 1646, à qui il avait demandé un Portement de croix, rapportés par le biographe :
« Je n'ai plus assez de joie ni de santé pour m'engager dans ces sujets tristes. Le Crucifiement m'a rendu malade, j'y ai pris beaucoup de peine, mais le Porte-croix achèverait de me tuer. Je ne pourrais pas résister aux pensées affligeantes et sérieuses dont il faut se remplir l'esprit et le cœur pour réussir ces sujets d'eux-mêmes si tristes. Dispensez-m'en donc s'il vous plaît. »

in Jacques Thuillier, « Pour un 'corpus pussinianum', »
Colloque Poussin, 1960, p. 219

Or la Crucifixion commandée par Jacques-Auguste de Thou (1609-1677) sur un sujet proposé par Jacques, selon Loménie de Brienne, lui était revenue; elle figure dans le partage de 1657-1658 entre les Bouzonnet, choisie par Claudine qui la grave en 1672 (ci-contre). Loin de moi l'idée d'une nouvelle comparaison entre les deux amis, voire d'une preuve d'imitation : il s'agit d'entrer dans l'état d'esprit de l'époque, et en particulier de la relation amicale qu'ils entretenaient. On n'en comprend que mieux pourquoi Stella l'entreprend aussi comme une démarche spirituelle aux portes de la mort.

Un tel cycle n'est pas, en soi, une nouveauté. Il est peut-être plus fréquent dans le Nord de l'Europe qu'en Italie, comme en témoignent les suites de gravures de Dürer, Lucas de Leyde, Callot ou par Wierix, Sadeler... Un Grégoire Huret en donnera bientôt une version en 32 sujets avec laquelle il serait intéressant de comparer celle de Stella, si celle-ci était complète (voyez du moins la version du Met de son Christ revêtu de la robe des fous). On peut tout de même donner une première appréciation de cet ensemble.

Des peintures et dessins montrés ici, il n'y a, à ce jour, d'assurément autographes et en rapport avec cette suite que les trois feuilles pour le Christ au jardin des oliviers. Je ne connais pas directement les tableaux mais les dimensions du Christ devant Pilate rejeté par Lauren Laz en 2006, qui correspondent à celles de la peinture vendue en 1771, et une facture et un coloris qui conviennent m'incitent à le maintenir dans ce catalogue. Le fait qu'il soit dans le même sens que la gravure ne doit pas nous arrêter ici : le constat est le même pour le Christ au jardin des oliviers et ses trois préparations abouties. Constance d'ailleurs étonnante, tant on a pu constater avec quelle gourmandise Stella pouvait se plaire à l'inversion pour remâcher ses idées - ce dont, au demeurant, la reprise à la sanguine au verso du troisième dessin témoigne. Claudine aurait donc gravé ses interprétations dans le sens des modèles.

Retouche, novembre 2024 : j'ai enfin pu voir l'une des peintures de la suite, qui incite à voir dans les autres tableaux de même format des ouvrages pareillement autographes (voir ici, plus bas).
Nicolas Poussin, La crucifixion, gravure de Claudine B. Stella, 1672.
13-G. Jésus revêtu de la robe des fous, gravure de Claudine.
Les trois feuilles en question témoignent des multiples recherches que Stella pouvait encore entreprendre pour un même sujet, jusque dans une suite qui devait en comprendre trente. Il ne s'agissait donc pas vraiment de produire un ensemble faisant synthèse des propositions qu'il avait pu faire au cours de sa carrière, mais bien de donner une ultime et nouvelle version de chacun d'entre eux. Cet épisode pourrait donner le la de la partition que l'artiste voulait jouer.

Le rapport avec l'invention pour le De imitatione christi a frappé au point que la proposition du Louvre est publiée par Jacques Thuillier non pas en regard de la suite de la Passion mais dans le chapitre consacré aux entreprises de l'Imprimerie Royale; à tort, puisque le frontispice est une invitation à une foi sans faille, non l'illustration d'un épisode incluant les apôtres au second plan. De plus, il est clair que Stella veut faire de ce moment un temps de défaillance, sinon de doute. À mesure qu'il avance dans sa mise en scène, Stella abandonne le ton didactique qu'incarnent les grands angelots - il n'en reste d'ailleurs plus qu'un au final - pour insister sur l'abandon du Christ devant le destin qui l'attend. La présence angélique cesse de lui montrer le chemin pour l'y accompagner par compassion.

Une telle image prise isolément, faisant primer l'émotion, passion ainsi exprimée, pourrait interroger sur la nature de la foi de l'artiste. Au fond, elle constitue l'étiage du drame, le point le plus bas du sentiment animant le Christ tout au long de son chemin de croix. Dans le cycle, il devient acceptation douloureuse en pleine conscience des épreuves qui l'attendent. Celles-ci semblent s'étendre sur les deux tiers de la suite - la reconstitution faite ici ne plaçant la Résurrection au plus tôt qu'au numéro 19.
Pour autant, les mentions de 1771 montrent que Stella a laissé une part importante aux épisodes manifestant son triomphe sur la mort et son apothéose. Parmi ses sujets, l'un montre les retrouvailles du Christ et de sa mère après la Résurrection. L'auteur de la description fut-il rigoureux? Fut-ce au ciel ou sur terre? Les deux versions connues par Stella, peinte au Louvre et dessinée au Snite Museum, semblent se placer dans un intérieur. La feuille, au style tardif proche des feuilles pour le Christ au jardin des Oliviers, et en hauteur (le catalogue de 2011 n'en donne pas les dimensions), pourrait bien préparer le tableau de notre suite.

Rapproché ci-contre du Reniement de Pierre dont Anthony Blunt signalait, en 1974, un possible exemplaire « unusually caravagesque », malheureusement non publié, la feuille, et l'ensemble de ce qui est présenté ici laisse penser que Stella a construit sa suite sur l'usage signifiant de la lumière. C'est à nouveau en terme picturaux que l'artiste s'exprimerait, pour mettre en forme son discours spirituel; nouvelle méditation de longue haleine, pinceau en main, cherchant encore et toujours la correspondance entre l'art et la vie.
Jésus apparaissant à la Vierge. Huile sur albâtre. 31 x 40 cm. Louvre
Jésus apparaissant à la Vierge.
Plume, encre brune et lavis gris.
Snite Museum (2006.069.011)
S.K., Melun, février 2017
Addenda
Un dessin pour le Reniement de saint Pierre.
J'ai trouvé sur Internet ce dessin que son propriétaire a correctement rendu à Stella, même si la datation qu'il propose (les années 1630?) est moins pertinente. En effet, le lien avec la version du sujet de la suite de la Passion est incontestable, autant dans la composition, l'importance et le rôle de la lumière que par le style graphique heurté, qui ne s'embarrasse plus d'une nette définition voire de souplesse dans le trait. La facture est identique à celle de l'une des feuilles préparant Le Christ au Jardin des Oliviers, en collection particulière; ce que l'on peut aisément comprendre, dans l'urgence qui pouvait être celle d'un artiste sentant la vie lui échapper.
Le reniement de saint Pierre.
Plume, encre brune et lavis gris. 30,5 x 20,7cm.
Coll. part.
Claudine Bouzonnet Stella d'après Jacques Stella
Le reniement de saint Pierre.
Gravure
Pour autant, l'abondance des feuilles pour le seul épisode de la prière, dont pas une seule encore ne correspond à la gravure, témoigne, à nouveau, de la passion de créer de Stella, et du travail préparatoire, par le dessin, guère moins acharné que celui d'un Dufresnoy. À la différence du dessin du Snite Museum montrant l'apparition du Christ à sa mère après sa mort, dont l'aspect soigné pourrait signaler une composition arrêtée, celui-ci, comme ceux pour la prière au Jardin des Oliviers sont autant de méditations et de recherches proposant de nombreuses variantes qui soulignent le sens de sa progression.

Stella a trouvé la mise en page superposant le Christ emmené par des soldats et le reniement de Pierre s'opposant aux affirmations de la femme selon lesquelles elle les avait vus ensemble, ainsi que certaines attitudes, comme celle de l'apôtre ou de l'homme assis se chauffant les mains. L'articulation des deux péripéties dût lui sembler trop directe, et il intercale dans la profondeur un mur surmonté d'une ouverture cintrée, permettant de voir le transfert de Jésus par un escalier désormais doté d'une fine balustrade. Une porte ménage une communication entre ces espaces, rendant moins artificiel le rapprochement.

Les dimensions de la feuille sont plus réduites en largeur, ce qui peut expliquer un canon un peu différent. Si la composition finale intègre sur un côté le coq avant le chant duquel Pierre aura renié trois fois son maître, il ne s'agit pas pour autant d'un agrandissement puisque au sol, les soldats sont peu ou prou pareillement placés. En fait, Stella a diminué la dimension des personnages pour les redistribuer et clarifier leurs attitudes, notamment dans leur rapport au foyer, auquel il souhaite donner une véritable place, malgré l'occultation partielle, mais signifiante, offusquant la vérité, provoquée par le soldat qui nous tourne le dos.
Le reniement de saint Pierre.
Plume, encre brune et lavis gris.
30,5 x 20,7cm. Coll. part.
Le Christ au jardin des Oliviers.
Plume, encre brune et lavis gris.
Collection particulière
La lumière est un enjeu essentiel de la suite et explique le recours abondant aux contrastes par le lavis dans ces préparations. Dans la composition finale, il révise les éclairages du cortège du Christ, entre torche et lanterne, pour en dynamiser le mouvement - une torche haute derrière le Christ, une lanterne dans la main plutôt qu'au bout d'une perche devant lui. Le redéploiement de la soldatesque permet de comprendre un motif conçu dès le départ mais que l'esquisse ne rend pas nettement : une jambe qui s'avance pour réchauffer un pied. Pour autant, c'est bien ce qui motive l'attroupement des militaires, le feu, qui commande la restitution de la scène par Stella, au point que le dialogue entre l'accusatrice et l'apôtre pris en défaut passe réellement au second plan, la femme reculant vers le mur, Pierre, derrière le second soldat à droite, comme pour souligner le fait qu'il veuille s'en soustraire. La passivité initiale des soldats se fait ensuite commentaire, entre indications du saint, préoccupations calorifères et discussions; moyen de condenser les trois reniements successifs mentionnés, notamment, par Marc (14, 66-72). Si la peinture déploie pleinement les intentions de l'artiste, entre notations familières et efficacité dans la mesure de la gestuelle, le dessin, par ce détail encore obscur à ce stade, montre qu'il s'agit d'un souci tout personnel et profond dont il ne s'est jamais départi, et qui participe de la singularité et du prix de Stella.

(S.K., Melun, novembre 2019)

Sous une attribution à François Verdier, La Crucifixion.
Des recherches d'iconographie sur certaines peintures de Stella menées avec ma fille Raphaëlle m'ont conduit à noter une influence assumée de François Verdier (1651-1730) et de fil en aiguille, j'ai pu identifier un des sujets de notre suite, La crucifxion passé en vente sous ce nom, chez Sotheby's à Londres le 26 octobre 1994. La typologie au nez fort des deux femmes, entre autres, correspond bel et bien au dernier style de Jacques Stella, de même que le canon trapu visible dans toute la suite. Le catalogue permet de constater la similitude de dimensions avec le Christ devant Pilate, qui correspond par ailleurs à celles donnés par la vente Demasso de 1771, mais aussi à celles des gravures. Il semble qu'un certain nombre des peintures vendues par l'héritier fraudeur en Angleterre soient restées durablement dans le pays.

Vers le même temps, il entreprend un cuivre sur le même sujet laissé ébauché, catalogué plus haut, dans lequel affleure la présence des larrons sur les côtés, témoignant d'un parti initial commun. D'évidence, Claudine s'est servi de la version du cycle de la Passion pour composer la gravure qu'elle insère parmi les illustrations du Missel Voisin en 1660-1661. Elle combine avec la Crucifixion peinte par Nicolas Poussin pour Jacques-Auguste de Thou, dont le sujet avait apparemment été donné par Stella qui l'acquit ensuite et le conserva jusqu'à sa mort, et que la nièce, qui en hérita, gravera. On en rapprochera encore la version inachevée par Jacques du thème, cataloguée ici.

Notre peintre évacue, quant à lui, tout autre témoins au sol que la Vierge, saint Jean et la Madeleine, et les deux larrons à senestre. Le premier, de dos et dans l'ombre, est désigné par l'inscription GESTAS LATRO, le second, par (DI)SMAS LATRO. Ce dernier est passé dans la tradition chrétienne comme saint Disme, le Bon Larron, défendant Jésus sur la croix des insultes du Mauvais, Gestas, reconnaissant en lui le Sauveur et se repentant, à qui le Christ promet le salut. Le nom doit provenir du grec signifiant crépuscule. Le ciel orageux désigne le moment précis du dernier souffle, qui fait tomber à genoux en supplique la Madeleine et défaillir la Vierge, qui s'appuie sur celui que Jésus venait de lui désigner pour fils, l'apôtre Jean. La lumière de la foudre les frappe, ainsi que les deux crucifiés promis au salut, rejetant dans l'ombre le Mauvais Larron. Pour tragique et lugubre que semble le ton de l'œuvre, son traitement lumineux désigne l'espoir, ou pour mieux dire l'espérance entretenue par l'artiste dans ses dernières semaines, par delà les épreuves et le déchirement de la séparation.

S.K., Melun, avril 2022


Je remercie Jérôme Montcouquiol qui m'a permis d'en présenter une bonne reproduction
La Crucifixion. Toile. 46,5 x 35 cm.
Vente Sotheby's Londres OMP 26 octobre 1994, lot 149 (F. Verdier)
Claudine Bouzonnet Stella,
La Crucifixion du Missel Voisin, 1660
Gravure. Env. 13,5 x 8 cm
Lyon, B.M.
Le Christ en croix, la Vierge, saint Jean, la Madeleine et des anges,
1657
Huile sur cuivre. 49 x 38 cm. Localisation actuelle inconnue.
«  Manière de Simon Vouet », L'embaumement resurgit (automne 2024).
L'embaumement du Christ. Toile. 45,5 x 35,5 cm.
Vente Londres 26 septembre 2023, lot 31 (Manner of Simon Vouet, The Lamentation over the Dead Christ). Marché d'art parisien, 2024.
Disparu à Londres en 1771 lors de la dispersion Demasso, c'est dans la capitale britannique que l'Embaumement de la Passion est réapparu en 2023, avant de passer sur le marché d'art parisien. L'identification ne fait aucun doute, grâce au style, au format - celui suggéré lors de la vente Demasso confirmé par les quelques peintures réapparues depuis - et au rapprochement possible avec une autre version du thème par Stella conservée à Montréal.

On peut s'étonner du contexte donné à la peinture lors de sa réapparition anglaise : Manner of Simon Vouet. La source de cette proposition doit être la gravure de Pierre Daret d'après une Déploration du Christ de Vouet perdue aux dispositions pour le groupe principal assez proches, notamment le Christ mort appuyé entre les jambes de sa mère, qui a les bras écartés. L'installation de ces derniers au tout premier plan et l'oblique conduisant à la grotte au fond à gauche laissent à penser que Stella a pu, en effet, s'inspirer d'une composition perdue mais qui dut être d'importance puisque traduite en grand format, date à l'appui, par Daret - l'un des collaborateurs du Lyonnais pour l'Imprimerie Royale, entre 1639 et 1645.
Pierre Daret d'après Simon Vouet,
Déploration du Christ, 1639
Gravure. 45,3 x 32,1 cm
British Museum.
Toutefois, en 1656-1657, lorsqu'il peint sa suite de la Passion, Vouet est mort depuis des années. Entre-temps, Stella avait déjà illustré le thème de l'embaumement du Christ dans une peinture aujourd'hui conservée à Montréal, composition en largeur associée à au moins trois dessins. La feuille de la Pierpont Morgan Library, caractéristique du style tardif de Jacques, est une préparation dont la principale variante, significative, est l'attitude implorante, plus que prise à témoin, de la Vierge. Le dessin très fini naguère chez Éric Coatalem, plus étroitement proche du tableau, me semble un ricordo. Celui du Louvre, enfin, pourrait être une étude préliminaire situant la scène dans la grotte, avant qu'il n'envisage de dissocier la toilette du corps en la plaçant devant la grotte.

Le tableau canadien et les deux feuilles qui lui sont très proches, par leurs types physiques, les recherches colorées et de lumière, par la puissance expressive, doivent être situés tardivement, vraisemblablement en 1653 ou 1654, au plus tard en 1655. Dans la notice en ligne du dessin du Louvre, Sylvain Laveissière mentionne un dessin comparable en mains privées, signé et daté de 1657, que je ne connais pas. La date pourrait désigner l'une des compositions peintes dans ses derniers mois par l'artiste pour la Passion en trente tableaux, et être plus directement en rapport avec notre tableau, ou avec un sujet tout voisin de la suite.

La confrontation vient peut-être confirmer le recours à l'exemple de Vouet pour se renouveler. Au déploiement dramatique, soucieux de l'expression des Passions enfermant chacun des personnages dans sa douleur en une méditation sur l'incrédulité face à la mort de sa version canadienne, il substitue, en renversant la figure du Christ, la manifestation de l'offrande du sacrifice, manifeste par le geste de Marie, celui de la Madeleine, bras croisés en signe d'acceptation, le soin impassible de Jean et jusqu'au geste soigneux de Joseph versant l'eau, même s'il est hors du cercle de l'attention portée sur le corps de Jésus.

Stella se tient tout de même à mille lieues des vagues d'arabesques chères à Vouet pour privilégier des attitudes naturelles, moins démonstratives que dans la composition canadienne, d'autant plus sensibles que la touche se fait moins ferme, plus rapide et fluide au gré de l'urgence que doit lui faire sentir une santé déclinante. On ne saurait oublier que cette Passion en trente tableaux est, selon les termes de Félibien, le dernier ouvrage qu'il ait achevé. Selon le rassemblement d'informations fait ici, ce sujet appartient à la deuxième moitié de la suite, dont on peut penser qu'il l'ait menée comme une méditation nourrissant son approche de la mort suivant la progression du drame pour se conclure sur la promesse de son dépassement. Le glissement d'interprétation doit être compris suivant cet angle personnel si l'on se souvient de la profonde affection qu'il vouait à sa mère : la peinture n'en est que plus émouvante.
Jacques Stella, L'embaumement du Christ.
Dessin. 22 x 32 cm.
Pierpont Morgan Library (comme Antoine Bouzonnet Stella)
Jacques Stella, L'embaumement du Christ,
Huile sur toile. 49 x 38 cm. Montréal, Musée des Beaux-Arts.
Jacques Stella, L'embaumement du Christ.
Dessin. 24,6 x 30,5 cm.
Collection particulière
Jacques Stella, L'embaumement du Christ.
Dessin. 15,4 x 20,1 cm.
Louvre, Cabinet des Dessins, Inv. 30640

S.K., Melun, novembre 2024

Je remercie David Champion, qui a découvert l'œuvre et qui m'a permis de la voir dans d'excellentes conditions.
Table générale - Table Stella
Catalogue Jacques Stella : Ensemble - Comme un pur effet de son grand amour... (1655-1657), mosaïque
Vous souhaitez être informé des nouveautés du site? C’est gratuit! Abonnez-vous!
Vous ne souhaitez plus recevoir de nouvelles du site? Non, ce n’est pas payant... Désabonnez-vous...
.

Site hébergé par Ouvaton