Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella par Jacques Thuillier.

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À la mémoire
de Joseph Hahn




II. Livre en main :

le catalogue des oeuvres

a. Autour des

camaïeux romains.



Mis en ligne le 7 mars 2008

Assomption de Pastraña (1624).


En préambule, il faut rappeler le titre donné, qui borne déjà l’ambition : catalogue des oeuvres, non de l’oeuvre. Cette partie est donc conçue comme le traitement méthodique du rassemblement des ouvrages sans prétention exhaustive. Ce qui suit s’en inspire et ne prétend pas combler toutes les lacunes possibles des deux catalogues récemment consacrés à l’artiste.

Les "Camaïeux" et les premières années romaines (p. 51-63).

Ce que Jacques Thuillier dit des camaïeux sonne comme le regret de ne pas avoir pu leur consacrer tout le temps nécessaire. Céline Caillaux les a étudiés, et si on peut regretter que son travail n’ait été publié, les enseignements en sont ramassés dans le catalogue de l’exposition. Pour ma part, je pense que l’implication de Jacques Stella est grande, et que ce n’est pas à la légère que certaines planches portent la mention "Stella fecit", qui désigne généralement celui qui a "fait" la gravure. Au demeurant, le style graphique de ces "bois" est très proche des témoignages dessinés de cette époque. Je me contenterai de deux exemples tirés du cabinet des dessins du Louvre présentés à Lyon mais absents de la monographie, il est vrai.

L’étude sur nature d’une femme se lavant les pieds en compagnie de deux autres et d’un enfant, montre un usage insistant, en particulier pour l’ombre, des hachures longues et nettes que l’on retrouve abondamment dans ces gravures, simplement assagi par le frein du bois à travailler, par exemple dans le Repas chez Simon. On peut y associer La tentation de saint Antoine, présentant notamment un type physique de vieillard qui se voit dans la gravure sur bois. Si les personnages enturbannés y sont évidemment plus fouillés, ils se retrouvent également au verso de la même feuille du Louvre, représentant L’adoration des mages, et pareillement traités dans leurs visages qui semblent émaciés. Dans ces dessins, et d’autres qui relèvent du début du séjour italien (Florence et les premières années romaines), le trait règne en maître, il est vif, franc et s’incurve légèrement, et la main a une vigueur qui va progressivement s’assagir. C’est précisément ce que montre l’ensemble des gravures sur bois, à un point tel qu’il paraît difficile de croire à un intermédiaire graveur. Pour ma part, je pense que Maupain d’Abbeville, dont le rôle est affirmé par Félibien et Mariette, intervient ici simplement comme éditeur.

Femmes et enfants (1), Tentation de saint Antoine (2),
Adoration des mages (3), dessins du Louvre confrontés
à une des gravures sur bois (1624-1625) (4)
1. 4.

2. 3.

5.
et au dessin Chennevières (1619)(5) (voir ci-dessous) (détails)


Il faut d’ailleurs souligner que ce travail de la main sur le bois prolonge celui sur le cuivre. Dans les ouvrages florentins, les ombres sont principalement transcrites par des parallèles, les tailles croisées sont rares et très discrètes, y compris dans la grande Cérémonie du Tribut. La gravure du Saint Georges, de ce point de vue, marque une rupture franche, par l’abandon de cette prédominance et par un travail beaucoup plus minutieux, s’appuyant sur le croisement de l’empreinte sur le métal. C’est tout l’effet magistral de la monture du saint, qui déplace Stella de l’obédience de Callot à celle de Tempesta - son voisin à Rome.

Ces remarques conduisent, en outre, à reconsidérer attentivement deux témoignages graphiques négligés l’un par Jacques Thuillier, l’autre par le catalogue de l’exposition. Le Joyeux buveur (ou Le roi boit?) est tout entier construit par ce travail du trait, terminé souvent par un retour en crochet, effet de rapidité quasi absent dans les gravures mais qui se voit aussi dans l’étude de la femme qui se lave les pieds du Louvre, évoqué plus haut. Le professeur n’en dit rien dans son catalogue mais on apprend son avis défavorable par l’ouvrage consacré à la collection de Philippe de Chennevières, qui vient de paraître. C’est pourtant, à mon sens, un témoignage précieux car daté pour le séjour florentin accrédité par la technique telle qu’elle est ici présentée.

Le second est la gravure (publiée par Jacques Thuillier dès 1960) de la Déposition de croix (Thuillier 2006, p. 57), qui porte la mention "Iacobus * inv.". Le travail pour les lointains est si proche du Saint Georges (et dans le prolongement du paysage du Songe de Jacob, par ailleurs) que je pense qu’il en est également le graveur; il n’y a, du reste aucune autre mention que celle de l’éditeur de ce qui semble un second état, réalisé trois ans après le départ de Stella de Rome. Le voisinage valant rapprochement avec les "camaïeux" dans la monographie de Jacques Thuillier, très convaincant, situe bien l’estampe à leur époque. La mise en regard du tableau récemment acquis par le Louvre, La Madeleine aux pieds du Christ en croix, confirme la date de la signature de celui-ci, 1625. Enfin, il faut encore rapprocher de cet important ensemble de gravures une feuille que Madame et Monsieur Joseph Hahn ont eue entre les mains jadis, représentant quatre compositions religieuses en autant de vignettes dont on peut croire qu’elles avaient la même intention, tant le style et le mode de présentation en sont semblables.

1. 2.
3. 4.
3. 5.
Gravures
du Songe de Jacob (1620) (1),
du Saint Georges (1623) (2),
de la Déposition de croix (3),
du Repas chez Simon (1624-1625) (4); et
dessin de la Trinité (jadis chez Hahn) (5).
(détails)

Y ajouter l’ensemble de gravures de Jérôme David, pour lesquelles on suppose une destination purement publicitaire en l’absence de lien connu avec une entreprise éditoriale précise, conduit à remarquer, de la part de Stella, la volonté de s’affirmer comme un peintre et graveur d’histoire, alors que le séjour florentin l’avait amené à développer les scènes de genre et un talent d’observateur de son temps. Sa participation aux décorations pour les canonisations témoigne de cette ambition plus large - même si la peinture qui leur est associée pourrait thématiquement prolonger les exemples florentins...-; de même que l’Assomption de Pastraña, de 1624. La reproduction qui en est donnée dans la monographie est meilleure que celle du catalogue d’exposition, mais reste difficilement lisible alors que c’est un jalon essentiel.

Parmi les gravures de Jérôme David que je viens d’évoquer, située autour de 1625, figure une autre version du thème marial. Il semble qu’elle soit à l’origine de la commande du grand retable de la famille Arese, aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Nantes. Son ampleur, l’attention aux modèles bolonais des Carrache, la touche qui s’assouplit par rapport à celle, encore nerveuse et raide, de la Sainte Cécile de Rennes, datée de 1626, correspond à une sorte de deuxième temps dans le séjour romain où l’artiste s’affranchit progressivement de l’empreinte du séjour florentin, pour n’en conserver que ce que les nouvelles références prises (Tempesta, Raphaël, toujours, puis le Cavalier d’Arpin, les Carrache et Vouet, et enfin Guido Reni ou Dominiquin, principalement) peuvent conforter. La confrontation avec La Madeleine aux pieds du Christ en croix de 1625 (récemment acquis par le Louvre), marqué par Fetti et Elsheimer, à mon avis, sert à nouveau de repoussoir vers 1627.

Deux précisions pour finir ce chapitre : la lecture donnée de l’inscription portée sur le livre du saint, à gauche, dans l’Assomption n’est pas F. *, mais J*. Enfin, les recherches pour l’exposition ont permis de montrer que la gravure de L’adoration des bergers, vraisemblablement préparée par le dessin du Louvre de 1631, et que Jacques Thuillier rattache aux ouvrages de Jérôme David (n°1 p. 60), est d’un autre graveur et constitue une copie d’après celle de Charles Audran pour le Bréviaire d’Urbain VIII, qui doit correspondre à la date de la feuille du Louvre.

Sylvain Kerspern, mars 2008

(À suivre)

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