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Sylvain Kerspern Le lever et la toilette de Hyanthe et Climène, pièce capitale de Nicolas Baullery
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Généalogie et biographies des Baullery | Baullery selon les sources | Le peintre selon van Mander | Baullery et Brueghel à la noce! | Baullery et Brueghel en conférence | Baullery, parcours d'un grand seigneur |
Lune des grandes entreprises décoratives du règne de Henri IV est lensemble peint inspiré de la Franciade de Ronsard, manifeste généalogique et romanesque installé dans une des galeries du château de Saint-Germain et confié à Toussaint Dubreuil quelques mois avant sa mort. Cette disparition précoce se perçoit dans les épaves qui nous en sont parvenues, issues de mains différentes (voyez par exemple Le sacrifice et Le repas, deux dentre elles, en plus de celle qui va nous occuper). Ce nest pas le lieu ici den discuter, ni même de sinterroger sur la prétendue incompétence en peinture du maître qui laurait fait abondamment déléguer et travailler en chef datelier entrepreneur, pour lessentiel. Dans ces lignes, je reviendrai sur le statut de lune de ces peintures conservée au Louvre, en très bon état et manifestement dune main distincte de celles des autres, quil faut caractériser. |
Le style : au coeur de la "Seconde école de Fontainebleau". |
Cette peinture nous installe dans le contexte galant, érotique de lÉcole de Fontainebleau. Le thème (partie intégrante du programme quHenri IV ne pouvait éviter) se prête à une évocation de la sensualité féminine, par le jeu des transparences que lartiste emploie, mais avec une approche paradoxale : la main de la jeune femme que lon coiffe vient autant désigner son sein que le couvrir, et son regard insistant joue sur la pudeur, par la pose détournée de sa tête, en un procédé que le peintre a passablement systématisé ici. Les deux héroïnes, objets de cet érotisme romanesque, nous regardent, attisent autant quelles refusent le regard de convoitise. Paradoxe maniériste, qui saffirme encore dans une forme de renversement du poids, matérialisé par les vases pansus sur de petits supports, autant que par la concentration sur un plan médian de lessentiel de ce qui se voit des personnages. Le volet dune fenêtre et la table, portant une nappe au schéma géométrique étrangement voisin de celui du réseau de plomb des vitres, proposent des indications de perspective accélérée au point de linvraisemblance. Celle-ci renforce lambiguïté dune proximité charnelle, à la manière des peintures de Tintoret sur le thème de Suzanne et les vieillards. Au demeurant, il sagit dun érotisme froid, par le jeu des couleurs. Les tons rouges, chauds, forment une toile de fond sur laquelle viennent jouer ceux, secondaires, caractéristiques dune palette appartenant à la Seconde école de Fontainebleau, que lon voit chez Dubreuil, Dubois ou Fréminet, entre autres : vert olive, jaune orangé, violine, teintes argentées, noir profond, notes turquoises, brunes, grises ou blanches. La sensualité passe par la façon dombrer les chairs, encore nen use-t-il pas pour les principales intéressées, montrées en pleine lumière. Est-ce tout à fait volontaire? Ce peut être encore un procédé mais il sinscrit parfaitement dans les intentions du sujet, tout en jouant sur son ambiguïté. Dautres effets appuyés sont évidents : le jeu des ports de têtes (profils, trois-quarts, profils perdus, inclinaisons...), par exemple. Le décrypter revient à souligner un ensemble dattitudes interiorisées, absorbées à la tâche, contrastant avec les regards entendus des deux héroïnes. Autre tic que celui consistant à écarter lindex du majeur, qui rappelle, notamment lart de lÉcole de Prague. Tout cela désigne un artiste au bagage éprouvé et qui en use ici avec la pertinence qui convient à une commande importante. |
12 34 56 78 Détails du tableau du Louvre (1, 3, 7) confrontés au frontispice du Livre de portraiture de 1610 (2), à la Nativité de Fontenay-Trésigny (4, 7, 8), et au Christ devant Hérode (6) |
Que sait-on de lart de Nicolas Baullery? |
Le premier point que soulève lévocation du nom de Baullery est celui du prénom. Deux artistes de ce nom sont connus, en sorte que les dessins du Louvre ont pu être donnés au père, Jérôme (vers 1535? - 1601), ou à Nicolas son fils (vers 1560 - 1630). Consulter la base photographique de la Réunion des Musées Nationaux ou lInventaire du département des arts graphiques sur Internet, sur ce point, suggère quen létat actuel des recherches, cest le nom du père qui est privilégié. Depuis plus de quinze ans maintenant, je soutiens quil sagit du fils : il est évident que le dessinateur de cette évocation rétrospective dun tournoi du temps de Charles VIII, en 1493, ne fait quun avec le peintre des Nativités signant pareillement Baullery et lartiste ayant représenté les trois épisodes de La reddition de Paris par Henri IV gravés en trois planches par Jean Leclerc en 1606, tant les types physiques, le traitement des formes, des habits, de la lumière sont semblables1 . La lettre de ces estampes précisent le prénom par linitiale "N.", qui ne laisse pas de doute. Leur statut nest pas simple. Lintégration dans des placards justifie le caractère satirique que lon perçoit, notamment dans la scène où le roi observe le départ des troupes espagnoles. Cest tout naturellement que Pierre de Lestoile (1546-1611) les a insérées dans son recueil "Les belles Figures et Drolleries de la Ligue". Or elles reprennent des peintures, suivant la lettre. Sagit-il douvrages présentés dans une célébration commémorative, grandes détrempes parties prenantes de décorations éphémères? Déléments de décors royaux ou dédiés au roi? Pourquoi évoquer en 1606 des évènements vieux de plus de dix ans? À cette dernière question, une réponse peut être apportée avec beaucoup de vraisemblance : cest lannée du baptême de Louis XIII et de ses soeurs, et il faut rappeler que la légitimité dHenri IV tient aussi à son abjuration , et à son inscription dans la lignée catholique de la monarchie française; lépisode montrant la procession vers Notre-Dame vient encore le rappeler directement. Cela conduit-il à situer ces peintures à cette date pour autant? On ne peut laffirmer. |
Graveur anonyme daprès Nicolas Baullery, éditée par Jean Le Clerc, Paris, 1606, Reddition de Paris par Henri IV Entrée dans Paris par Henri IV Le départ des Espagnols sous loeil dHenri IV |
1 . Sylvain Kerspern 1988-1989; Sylvain Kerspern 1993; jai présenté une approche restée inédite de lart de Baullery dans le cadre des séances de la Société de lhistoire de lart français le 11 février 1995. Cette étude en livre une partie; une autre doit la compléter prochainement.Retour au texte |
La représentation du Couronnement de Marie de Médicis gravée par Léonard Gaultier et éditée par Jean Leclerc en 1610 va dans le sens dune présentation moins excentrique de lévènement. Mais il sagit dune évolution sur quatre ans au moins, puisque les peintures gravées en 1606 concernant la reddition de Paris pourraient être antérieures à cette date. Elle montre une consolidation du style, pas un abandon de sa fantaisie. Ainsi, quelques détails typiques des partis "surprenants" de Baullery transparaissent, en particulier certaines poses des gardes faisant repoussoir, le traitement "cabossé" du drapé, les visages vus en raccourcis de dessus (voir les détails de comparaison en fin détude). Léonard Gaultier daprès Nicolas Baullery, |
Daprès Nicolas Baullery, frontispice du Livre de portraiture Mains du frontispice de 1610, |
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En létat actuel des choses, on ne dispose pas dautres éléments pour envisager une chronologie de lartiste, dont la production doit couvrir une quarantaine dannées : un marché de 1623 pour une église de Paris le montre encore actif à cette date, 7 ans avant sa mort, et 38 après la naissance de son premier enfant. Les trois Nativités de Chassey (Côte-dOr) (ci-contre), Toulouse (ci-dessous) et Fontenay-Trésigny (détail à la suite), dans cette perspective, ne peuvent être placées quaprès 1610, bien sûr, de même que le Christ devant Pilate présenté à lexposition consacrée à Marie de Médicis à Blois en 2004. Sil faut proposer un étalement dans le temps, il semble que ce dernier soit encore assez proche de la gravure de 1610, de même que le tableau bourguignon, celui de Fontenay-Trésigny paraissant une réplique avec variante (amputée, malheureusement) de la grande composition toulousaine, tous deux tardifs. Toulouse |
Chassey Christ devant Pilate, localisation inconnue Fontenay-Trésigny |
Il existe un certain nombre de représentations de batailles et de sièges dHenri IV (certains en plusieurs exemplaires) qui semblent dériver dune suite prestigieuse, voire les éléments dun décor royal (telle une galerie). Peut-être la plus brillante et la plus spectaculaire est celle conservée par le musée de Pau montrant le Premier siège de Paris. Linventaire Bailly du début du XVIIIè siècle des collections royales recense, dans les appartements de Madame à Versailles, une suite de neuf tableaux dans lequel, selon toute vraisemblance, on peut la reconnaître : "un siège de ville, où il paroît que lon donne des armes au roy Henri IV mesurant 15 pouces sur 18" (correspondant aux dimensions de ce panneau de bois). Évidemment, sa localisation alors ne pouvait être sa destination originelle, aussi faut-il envisager un décor conçu pour une autre maison royale remonté là à la suite de remaniements. Fontainebleau, où une galerie conçue par Dubois et De Hoey comprenaient semblables représentations? Le Louvre, par exemple comme accompagnement des "hommes illustres" de la Petite galerie entreprise par Jacob Bunel, détruite par un incendie entre-temps? Les raccourcis des visages sommairement indiqués, les dispositions sans cohérence apparente, ou pour mieux dire, aux actions divergentes, lintérêt pour les jeux de lumière sur les chairs, la simplification géométrique dans les drapés comme pour le beau cheval cabré au centre, le coloris, en particulier la palette où domine le vert olive, le noir, le gris, les bruns, le rouge et lorangé, tout ceci correspond bien à ce que lon connaît dassuré de Baullery. Les petites figurines, la moindre vigueur des drapés, moins sculpturaux que dans les peintures plus tardives, désignent sans doute une autre période à rapprocher des représentations de la reddition de Paris. Le bel effet de nuit, illuminé par les éclairs de lartillerie agissante, rappelle la fameuse caractérisation faite par van Mander en 1604 du style dun Baullery parisien. On comprend plus aisément son admiration devant semblable peinture, ce qui confirmerait la précocité de cette représentation, que devant ce qui a été présenté jusque là. Et à mon sens, le Baullery en question est bien Nicolas, non Jérôme, mort en 1601. |
Nicolas Baullery, Henri IV devant Paris (ou Le premier siège de Paris), Pau, Château-Musée. Vers 1600-1605. |
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678 91011 1213 Détails du Siège de Paris (1, 4, 6, 10-11,13) confrontés aux dessins du Tournoi de Sandricourt (Louvre) (2), aux gravures de 1606 de lEntrée dHenri IV dans Paris (3, 8, 12) et du Départ des Espagnols (5), au frontispice du Livre de portraiture de 1610 (9), à la Nativité de Fontenay-Trésigny (8), |
Place du tableau du Louvre tiré de la Franciade de Ronsard. |
Cet élément, en attendant de pouvoir faire prochainement dautres apports plus délicats mais qui devraient donner une image cohérente dune personnalité complexe, permet de dessiner un parcours qui est celui de toute lécole française alors, au bénéfice de la paix retrouvée, mais qui ne prendra vraiment son essor quau moment de la disparition de Baullery, grâce à une véritable stabilité politique. Dans cette évolution, Baullery part dune culture "caronesque" pleine de fantaisie et deffets, peut-être agrémentée de contacts avec lart de Venise, de Bassano et de Tintoret en particulier, pour parvenir à un art dune solidité confinant à la rusticité "brueghelienne", mais toujours empreinte des contournements maniéristes. Lintérêt pour la lumière la conduit dabord à la concevoir comme un élément spectaculaire (dans la tradition des fêtes des Valois, peut-être), puis comme le vecteur dune unification monumentale dont témoigne au mieux le grand tableau de Toulouse. Le tableau du Louvre sy inscrit en son milieu. Il ne paraît guère possible den faire une commande au lendemain de la mort de Dubreuil, en 1602, sans doute pas non plus consécutive à la publication des grands placards de 1606, mais plutôt un effet de la faveur de Marie de Médicis après la représentation de son couronnement en 1610. Quelques détails rapprochés diront mieux que bien des discours (et des répétitions de ce qui, au demeurant, a été déjà formulé) lintégration parfaite dans loeuvre de notre artiste. |
Types féminins du tableau du Louvre, comparés à ceux de Baullery - frontispice 1610 - Nativité de Fontenay-Trésigny - Nativité de Chassey; - frontispice 1610 - Nativité de Fontenay-Trésigny |
Ce qui frappe, dans ce qui précède, cest finalement quil sagisse (Nativités et frontispice hormis) douvrages directement en rapport avec la royauté. Lartiste a certainement recherché et obtenu la protection de la couronne, concrétisée par le tableau du Louvre mais aussi vraisemblablement avant laccession au pouvoir de Marie. Ceci explique quil soit mentionné (avec erreur de prénom) par Félibien et Perrault parmi ceux qui travaillèrent au Louvre (ce dont pourrait témoigner le tableau de Pau, peut-être dautres de la série, dailleurs), et cité par van Mander parmi les peintres en vue de la capitale. Il reste que le lien entre ce qui ressemble fort à une carrière officielle apparemment réussie et les peintures religieuses pose question. Il est clair que son oeuvre appelle des compléments pour être perçue dans toute sa complexité - quitte à quelques audaces. Ce sera lobjet dune suite à venir... S. K., Melun, novembre 2005 |
Quelques autres détails formant "signature" de Baullery |
Avril 2014. La suite se profile enfin. Un premier épisode met en place le contexte biographique. S.K. |
Bibliographie : van Mander, 1604 : Karel van Mander, Het Schilder-Boeck (Le livre des peintres), Harlem. Félibien, 1679 : André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres ..., Paris, t. III, 1679. Perrault, 1696-1700 : Charles Perrault, Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle. Avec leurs portraits au naturel, Paris, 2 vol., II, p. 93. Jal, 1872 : Auguste Jal, Dictionnaire critique de biographie et dhistoire, Paris, 1867, 2è édition, 1872; Bailly-Engerand, 1899 : Inventaire des tableaux du roi publiés par Fernand Engerand, Paris, 1899 (notamment p. 567, n°120-128.). ; Sterling, 1961 : Charles Sterling, Les peintres Jean et Jacques Blanchard, Art de France, I, 1961, p. 76-118. Béguin, 1970 : Sylvie Béguin, I disegni dei maestri. Il Cinquecento francese, Milan, p. 90 Weigert et Préaud, 1976 : Roger-Armand Weigert et Maxime Préaud, Bibliothèque Nationale, Cabinet des estampes. Inventaire du fonds français : graveurs du XVIIè siècle, tome VII, Paris (p. 430). Cordellier, 1985 : Dominique Cordellier, Dubreuil, peintre de la Franciade de Ronsard au Château-Neuf de Saint-Germain, Revue du Louvre et des musées de France, 1985, p. 357-378. Pérot, 1985 : Jacques Pérot, Musée national du château de Pau. Quinze années dacquisitions, 1970-1984, Paris, p. 35-40. Charles, 1987 : Isabelle Charles in cat. exp. La Chartreuse de Paris, Paris, Carnavalet. Kerspern 1988-1989 : in Cat. exp. Meaux De Nicolo dellAbate à Nicolas Poussin : aux sources du classicisme (1550-1650), Meaux, musée Bossuet, n° 15 (notice Sylvain Kerspern). Kerspern, 1993, notices sur Jérôme et Nicolas Baullery pour lAllgemeines Künstlerlexikon, t. 7, p. 573 (avec erreur de titre sur la bataille dHenri IV - en fait celle présentée ici). Thuillier 1998, Jacques Thuillier, cat. exp. Jacques Blanchard, Rennes,1998, p. 15. Pacht Bassani Paola 2004, in cat. exp. Marie de Médicis, Blois, 2004, p. 154-157, 162. |
Courriel : sylvainkerspern@gmail.com. |
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