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Conserver, préserver. Réflexion sur les rapports entre patrimoine historique et nécessités écologiques Mis en ligne le 6 novembre 2007 |
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Lhistoire, lhistoire de lart et le patrimoine sont, si lon peut dire, de plus en plus dactualité. Quils soient promus, recherchés, courtisés ou menaçés, notre société les place volontiers parmi ses principaux centres dintérêts. Manifestement, lécologie et les préoccupations environnementales bénéficient dun traitement aussi favorable, sinon plus, ces temps-ci, qui sont ceux du Grenelle environnement. Sen réjouir ne suffit pas. Linconvénient de lactualité est quelle laisse peu de place au recul, à la mise en perspective. Je voudrais ici apporter une réflexion qui sera peut-être qualifiée diconoclaste - paradoxe ou attente légitime! - mais qui cherche avant tout, en tant quhistorien de lart, lexpression de la raison dans le monde de la sensibilité. Il faut évidemment connaître les champs des notions en présence, patrimoine et écologie, mesurer leur compatibilité et forger les outils dune gestion équitable (forcément) de lun et de lautre, et de lun par rapport à lautre. Néanmoins, je ne voudrais pas tant chercher dabord à les définir quà examiner la réalité de ce quils sont, dans la mesure où la confusion entretenue est amplement exploitée dans les débats à leur sujet. |
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Contours et enjeux du patrimoine : sauvegarder/préserver, restaurer, entretenir. |
La Cène de Bouzonnet Stella lors de sa redécouverte. |
Ce que peut être le patrimoine aujourdhui est le fruit dune démarche empirique. Le tronc est formé de ce que lon appelait jadis les Beaux-Arts par le fait que les disciplines quils recouvrent manifestent leur esthétique (la beauté) autant sinon plus que leur fonctionnalité. Plus généralement, la perte par un objet de son utilité peut faire que lon sattarde sur ce qui, dans son apparence peut attirer, fasciner, bref susciter une émotion. En conséquence, pour légitimer certaines options, on a pris lhabitude de les qualifier. On parle le plus volontiers de patrimoine architectural, de patrimoine industriel, par exemple; rarement de patrimoine pictural. Cest cette rupture dans la fonctionnalité, en fait, qui confère à un élément produit par lhumanité son statut dobjet de patrimoine. On ne sen soucie en tant que tel quà partir du moment où il perd sa fonction - au même titre, finalement, que lon ne sintéresse à un héritage que quand celui qui vous le transmet, qui la constitué et pour qui il sintégrait fonctionnellement à sa vie, nest plus. Tout élément historique est sujet à la mort. Chacun ne survit un temps plus ou moins long que tant quil signifie quelque chose pour ceux qui peuvent en avoir la charge; quelque fois, il meurt pour la même raison, le fils (ou le successeur) se complaisant à effacer ce que le père a réalisé, pour sa propre affirmation. La question est particulièrement présente en France, pays qui semble avoir pratiqué le vandalisme plus souvent quà son tour. La Révolution Française a certes beaucoup détruit, mais elle a fait plus encore en sapant le régime politique et économique en place quen désignant ses monuments et témoignages concrets à la vindicte. Une étude statistique montrerait sans doute que la majorité des châteaux disparus entourant Paris, par exemple, ont été détruits après la Révolution, et non pendant. Vaux-le-Vicomte a failli disparaître en 1875, et na été sauvé quau bénéfice de lintervention dun riche industriel. Dautres ont été transformés. Laristocratie napoléonienne a remplacé celle capétienne, et à Grosbois, une belle galerie jadis ornée par un des peintres importants du début du XVIIè siècle, Horace Le Blanc, a laissé la place à une autre, peuplée de batailles peintes et de bustes. La fonction de résidence de prestige a préservé lédifice (et quelques éléments du décor ancien, tout de même), non son ornement majeur. On pourrait parler aussi de lincroyable parti adopté pour lancien hôtel La Vrillière : devenu Banque de France, sa galerie décorée à la voûte par François Perrier, et sur les murs par une impressionnante collection de peintures des artistes actifs à Rome au XVIIè siècle (incluant Poussin) dispersée à la Révolution, a été mise à bas au XIXè siècle pour être remplacée... par une réplique à lidentique. Malgré le talent des copistes, le fait nous demeure incompréhensible... Ces trois exemples déclinent la notion de préservation. Elles prolongent lexistence du bâtiment au prix de transformations plus ou moins drastiques. Pour Grosbois, le lieu et son programme militaire en lhonneur du maître des lieux furent prolongés - mais ledit maître avait changé. Le prestige nétait pas dans la valeur de lart mais dans celle, exaltée, du commanditaire, aux yeux du maréchal dEmpire Berthier qui lavait acquis. La rupture avec lAncien régime ne lincitait guère à un souci de sauvegarde... À lhôtel de la Vrillière, à Paris, lattitude de la Banque de France est évidemment plus complexe. On ne pouvait apparemment pas la conserver en létat (quoique...) mais son éclat, la fonction dapparat traditionnelle au lieu, ont peut-être fait quon en préserve ainsi le souvenir, lidée et linvention, en réintégrant ainsi les toiles des murs par des copies. |
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Pour Vaux, le château (dont létat initial avait déjà été modifié au XVIIIè siècle par les Villars et les Praslin) a été plutôt respectueusement restauré, alors. Pour les jardins, il y avait beaucoup plus à faire, et entreprendre une véritable restitution était alors quasi-impossible. On fit donc appel aux Duchêne, on acheta et on passa commande pour les repeupler de statues. À défaut de restitution, on eut recours à limitation, au sens précisément artistique qui tient de lémulation et non pour signifier un plagiat pur et simple. |
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Les deux derniers exemples sont quasi-contemporains. Or cest précisément le moment où la notion de patrimoine historique, assortie des recherches qui se développent pour en restituer les lacunes, saffirmait désormais avec force - mais pas toujours avec le respect rigoureux qui peut se manifester aujourdhui : cest aussi le temps de Viollet-le-Duc, critiqué pour des restitutions dépassant le simple stade archéologique (mais larchéologie était alors une discipline fort jeune...). On ne sétonnera pas que les tenants des lois de la finance ne soient pas allés au-delà des apparences dans leur démarche, et on ne peut que se féliciter, pour Vaux, du véritable mécénat patrimonial dAlfred Sommier et de ses descendants : même sil sagit de leur bien, ils ont choisi, pour rester dans la terminologie généalogique, dadopter plutôt que de recréer, et donc de conserver notamment les décors de Le Brun. Jen ai fait le mot dappel dun de mes cours : lhistoire de lart tient aussi de la course contre la mort, contre loubli. Cest une des missions de la conservation dans ses différentes déclinaisons institutionnelles en France, les musées, lInventaire, les Monuments historiques, les Architectes qui y sont rattachés et les Conservateurs des Antiquités et Objets dArt. Ils nen sont pas les acteurs exclusifs, bien sûr : il faut leur adjoindre les marchands dart et les universitaires, qui contribuent également à léclairage sur lhéritage que constitue notre patrimoine, et par voie de conséquence, au choix opéré dans ce quil faut conserver, et tout ceux qui contribuent à le faire apprécier. Car bien sûr, on ne peut tout conserver. Conserver, cest aussi choisir; doù le titre de cette réflexion, qui suppose comme corollaire : quels critères pour élire tel élément dans ce que lon pourrait appeler globalement le conservatoire du patrimoine? Laccueil fait aux Impressionnistes, entre autres, ou encore la redécouverte dartistes tombés dans loubli (Georges de La Tour "nexistait" plus au début du XXè siècle) rend sur ce sujet extrêmement frileux, par peur de manquer le génie incompris, le témoignage essentiel. En sorte que tout est potentiellement éligible au statut de patrimoine à conserver. Il faut ici en passer par un point historique, même schématique, destiné à suggérer les enjeux. Les différentes notions qui le sous-tendent nourrissent le débat sur le patrimoine, jusque dans ses rapports avec la question écologique. |
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Du goût. Ci-contre, |
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Ce que lon pourrait appeler le "syndrome van Gogh" témoigne à merveille du rapport actuel à lart et au patrimoine en général. Il nexisterait pas sans une démocratisation de lart qui prend sa source au moment de la Querelle du coloris, au temps de Louis XIV : alors, des "amateurs", au premier rang desquels Roger de Piles, revendiquent la faculté de bien juger des oeuvres, sappuyant sur la réception qui peut en être faite. Lopinion publique prend la parole, et les Salons, plus tard, font lobjet de compte-rendus critiques dont les plus célèbres sont ceux de Diderot et de Baudelaire. Cette rupture profonde prend pour argument limpact de lart sur son spectateur. Quand bien même la faculté dimiter la nature jusquà la tromperie serait un lieu commun de lart, de Piles estime que cette qualité nest pas partagée par tous (Cours de peinture par principes, Paris, 1708). Il critique Raphaël (héros des partisans du primat du dessin dans la théorie de lart), anecdote à lappui : un visiteur, recherchant au Vatican les oeuvres dun artiste si réputé et ne les trouvant pas, se vit répondre quil se trouvait au milieu delles. Le théoricien y voit la preuve dun génie imparfait, incapable dappeler le spectateur, qualité quil reconnaît en revanche aux coloristes, Titien et Rubens en tête. Cette qualité dappel passe par le traitement coloré de la lumière pour provoquer le saisissement devant limpression de vie. Le succès dune oeuvre - en loccurence, une peinture - se mesurerait à cette double détente : tromper, puis se révéler. |
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Raphaël, École dAthènes, Vatican |
Titien, Madone Pesaro, Venise, Frari |
Le développement de lart depuis la Renaissance (cest-à-dire depuis lépoque de Giotto, vers 1300, dois-je préciser) sétait fait contre ce point de vue. Il sétait agi de promouvoir le dessin comme élément intellectuel, noble, opposé à laspect "mécanique" (de la main, au sens étymologique) et matériel, trivial, de la couleur - autant le pigment que le "fard" quil donne aux choses. LAcadémie royale de peinture et de sculpture en est le point dorgue en France, manifesté par tout un ensemble théorique exposé lors de conférences tenues dans son cadre, émanant des artistes et soumis à la discussion. Loffensive victorieuse de Piles sappuyait sur ce couronnement de lart de peindre et de sculpter au plus haut sommet de lÉtat pour en discuter le fondement même, et finir par inverser la tendance. Il est vrai quil ne sagissait pas de nier limportance du dessin mais simplement de consacrer la primauté de la couleur, singularisant la peinture et lui conférant une autorité indiscutable par sa capacité à représenter la vie. Une opposition se fait donc jour entre une conception intellectuelle, distanciée de lart, défendue par les gens de lart, et une autre sensible sinon sensuelle pour un public certes averti mais plus large, qui reconnaîtrait le prix des oeuvres à leur "vérité", leur faculté de séduire, tromper la vue par la restitution du réel : le commencement de ce que lon pourrait appeler la culture de masse, du confort et du loisir. Ainsi commençait le XVIIIè siècle de Watteau, Boucher et Fragonard. Si de Piles triomphe, cest quil a déjà un public. Peintre amateur (il avait été lélève de Frère Luc), il fut sans doute mêlé au commerce dart. Celui-ci prend en effet son essor en France à cette époque et trouve sa consécration au XVIIIè siècle dans lorganisation de ventes dotées de catalogue. Là réside, notamment, la répartition, parfois étrange, des artistes par école, pour les besoins du marché de lart. Elle développe lantagonisme Italie - Flandres, Rome (et Florence) - Venise résumant le débat dessin-coloris, dont lart des La Fosse, Antoine Coypel ou Rigaud forme la synthèse française. La Révolution agit ensuite comme un puissant catalyseur, rompant avec lAncien régime et son système social, sélectionnant certains chefs doeuvre pour un museum exemplaire (le Louvre), dispersant le reste des collections au bénéfice du marché international de lart. Lidée dun patrimoine national naît alors, et se teinte de ce fait dune mélancolie tenace devant les destructions et les disparitions. Dans la reconstitution historique des splendeurs passées, tout est à reprendre, recherches, oeuvres, témoignages... La contradiction entre art "officiel" et art "pour amateur" resurgit à propos des Impressionnistes, puis des différents mouvements qui jalonnent la production artistique depuis le Second Empire. La commande, qui était autrefois le principal ressort de la création, se raréfie et les marchands dart deviennent les principaux interlocuteurs des artistes. Lunivers mental a radicalement changé. Comme je lai souligné ailleurs, lidée que le monde en vieillissant perdait de sa vigueur et que lhumanité ne pouvait donc être que décadente (ce que les récits sacrés, mythiques et mythologiques évoquant des longévités exceptionnelles, des géants, des héros et autres dieux foulant son sol accréditaient) a longtemps été dominante. La citation dAlberti montre que le renversement de conception date de la Renaissance - on comprend pourquoi : par essence, lhumanisme sefforce certes de retrouver la splendeur dantan mais en lui conférant une qualité qui la rend supérieure, la foi chrétienne. Immanquablement, la notion de progrès devait saffirmer. La disparition dun ordre social que lon croyait figé, la féodalité, lui laissait le champ libre. Mais en soi, pour lart, cest une notion déstabilisante. Existe-t-il un progrès en art? Dès lors quon entreprend un travail historique, laffirmation devient gênante, voire dangereuse. Les artistes eux-mêmes iront contre cette idée - le Cubisme, et tous les courants rejetant le recours à la nature comme imitation ou se tournant vers des cultures dites "primitives", en témoignent. Il sagissait, au fond, de remettre en cause la doctrine classique dans ses fondements même, en ouvrant à la diversité des voies de la création; au risque du mélange des genres et de la confusion, par le fait dune démocratisation du goût, voire dune dictature du tout-égalitaire dans ce domaine. Cette confusion a fait le bonheur des Surréalistes, comme en témoigne la Fontaine en forme durinoir de Marcel Duchamp. À quoi a répondu ce que lon considère comme un attentat mais que son auteur, Pierre Pinoncelli revendique comme un hommage, ce qui dun certain point de vue - et notamment celui de Duchamp, que Pinoncelli invoque -, peut être compris. Parler dart, en loccurence, cest autre chose... De fait, comment lévalue-t-on? Puisquil devient dangereux sinon tabou de procéder à des comparaisons dordre technique ou théorique, le référent qui simpose est celui qui a pris progressivement un rôle moteur, depuis la Renaissance : largent en fonction de la loi de loffre et de la demande. Il y a parfaite adéquation entre le développement du fonctionnement de lart et son instrument de mesure. On pensera peut-être que ce qui précède est hors-sujet. En fait, la logique qui prévaut pour lart est valable pour lensemble du domaine culturel, et contamine donc les témoignages des temps passés. Pour se limiter au XVIIè siècle, le demi-siècle qui vient de sécouler est rempli de redécouvertes et de réévaluations dartistes pourtant essentiels, tels Poussin, Le Brun, Le Nain, La Tour, Vouet, Le Sueur, Champaigne ou Stella. À chaque fois, ce qui semblait une hiérarchie bien établie et une image clairement définie se trouvait battu en brêche. Je pourrais parler restaurations, comme celle de la Chapelle Sixtine, qui en dévoilant une palette très différente, changeait tant les habitudes et heurtaient les sensibilités de spectateurs qui devaient simplement reconnaître que jusque là, ils se méprenaient... Idéalement, donc, il faudrait tout conserver, pour être sûr de ne pas se tromper. Désormais, le patrimoine industriel fait aussi lobjet de mesures de protection au titre des Monuments historiques. Jai assisté à des Commissions départementales des Objets mobiliers au cours desquelles ont été présentées, par exemple, des locomotives. Cela suppose quil y ait des passionnés qui sy intéressent et recherchent une forme de reconnaissance telle que celle dune mesure de classement. Par principe, elle couronne ce que lon pourrait appeler un héritage assumé. De fait, il ne faut pas aller chercher ailleurs les critères opérationnels de la conservation : à défaut de tout, protégeons ce qui fait lobjet dun certain consensus ou ce qui est puissamment soutenu par quelque groupe de pression. Le raisonnement peut être poussé à labsurde. Il fut un temps où le Forum des Halles faisait scandale, autant au nom du parti architectural que parce quil revenait sur larchitecture métallique du XIXè siecle qui était celle du Ventre de Paris. Aujourdhui, alors quil doit être remodelé, lhistoire se répète à son bénéfice. Qui sait si, au nom dun même principe, ceux qui critiquaient le Forum ne le défendent pas aujourdhui... Pour sa part, la Pyramide de Ieoh Ming Peï a également fait couler beaucoup dencre. Lune des critiques apportées concernait la perspective depuis le Louvre passant par les deux arcs de triomphe du Carroussel et de la place de lÉtoile. Celle-ci nétait, si lon peut dire, quaccidentellement historique : jusquen 1871, elle était barrée par le château des Tuileries, qui a brûlé cette année-là. Autre argument contre la Pyramide du Louvre : le voisinage de larchitecture de notre temps avec celle de lhistoire; il en fut de même pour Beaubourg (et le Forum des Halles aussi, dailleurs). |
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Implantation du Centre Beaubourg de Piano et Rogers, Paris |
La perspective des arcs napoléniens vers 1860 |
La question figure parmi celles que tout architecte des Monuments Historiques ou des Bâtiments de France doit se poser lorsquun permis de construire dans le périmètre dun monument dont il a en quelque sorte la surveillance lui est soumis. Toute personne cheminant dans un quartier historique pourra, je pense, constater quen la matière, selon que lon est puissant ou misérable, la réponse ne sera pas la même... |
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Patrimoine et écologie : un partage à faire. Ci-contre, |
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Cest précisément dans ce contexte que se place, depuis des années maintenant, la confrontation des intérêts patrimoniaux et de ceux de lécologie. Le terrain commun est lenvironnement, ce qui a valu le titre ambigu dun article polémique dAnne-Marie Lecoq dans la Revue de lart, " Pour une écologie du patrimoine" - autrement dit "préserver lenvironnement du patrimoine". Pour les uns, limpact visuel prévaut; pour les autres, priorité est donnée à lenvironnement naturel par le biais dune énergie renouvelable et propre. Sont principalement sensibles (si lon peut dire!) le solaire et les éoliennes. Sur cette question, je le dis avec conviction, je ne comprends pas que certains projets soient refusés en fonction de considérations (plus ou moins) patrimoniales. Sans parler de la nécessité dune conversion économique à lécologie que tout le monde voudrait apparemment épouser, ces derniers temps, il faut poser la question de la pollution visuelle et de ses répercussions. Quiconque a eu loccasion de voir une installation de panneaux solaires correctement agencée sait combien elle peut être discrète; refuser le projet revient à figer le bâtiment concerné dans un temps qui nest plus le sien, ni celui de ses occupants - quitte à ce que ceux-ci, pourtant soucieux de conservation dans leur démarche écologique, soient contraints de labandonner à son péril. Je parle de dossiers dont jai eu évidemment connaissance. Lopposition aux éoliennes relèvent de la même philosophie favorable à une glaciation du patrimoine en période de réchauffement climatique. Certes, il faut se méfier de certaines attitudes qui se font jour et qui résument le Développement durable, ou plutôt soutenable - le terme est plus ambitieux encore - à une nouvelle manne potentielle sur le plan financier, et pour qui, comme toujours, le profit vaux mieux que la conservation. En cela, je rejoins le point de vue de Didier Rykner : ceux-là ne sont pas vraiment concernés par le respect de lenvironnement. Néanmoins les arguments opposés par les adversaires des éoliennes peuvent être réfutés lun après lautre comme le font nombre de sites dont vous pouvez trouver certaines adresses en fin de texte : le retard de la France en la matière permet dobserver ce qui sest passé ailleurs (comme en Allemagne) et den tirer un constat rassurant, que ce soit pour limpact sur la faune ou la pollution auditive. Quant à celle visuelle, je ne la comprends guère : y-a-t-il plus de grâce, délégance et de force plastique dans une centrale nucléaire (comme celle de Cattenom en Lorraine), ou dans les grands pylones électriques quune politique des énergies renouvelables ramenée à léchelle locale permettrait de progressivement diminuer? Au cours dun trajet en train en Allemagne, jai pu voir des champs déoliennes : elles ne minspirèrent aucune crainte ni aucun déplaisir mais donnaient, au contraire, le majestueux spectacle qui devait être autrefois, finalement, celui des moulins à vents, simplement porté à léchelle monumentale. Il est évident que cest la peur, agitée par des groupes de pressions qui ne peuvent être quindifférents à la conservation de notre planète, qui est en jeu ici. Pousser leur raisonnement jusquau bout conduirait à un monde de pierre et dart que plus personne ne pourrait admirer. Et qui disparaîtrait dailleurs en moins dun siècle... |
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La centrale de Cattenom, cliché Jean-Jacques Kissling |
Éolienne à Peyrelevade |
Car conserver est une chose, encore faut-il savoir ce que lon va en faire. En cette matière, il existe un purisme qui néglige, à mon sens, la nécessité, pour quun monument survive, de lui en donner les moyens. Naguère, Anne-Marie Lecoq a poursuivi sa réflexion sur la préservation du patrimoine dans son environnement en assassinant par le verbe un architecte des Monuments historiques, toujours dans la Revue de lart. Certes, il faut reconnaître des choix opérés à lencontre des principes de la conservation. Mais une gêne se fait jour à la lecture de ce réquisitoire, comme à celui du même auteur déjà mentionné. Lidée fondamentale défendue dans ses pamphlets est que le patrimoine doit être dégagé de toute logique économique. Surtout, en condamnant lexploitation qui peut être faite dun lieu historique par la déclinaison de produits dérivés, cest louverture à un public large, pas nécessairement averti et qui consommerait plus quil ne goûterait qui est mise en cause. Son discours fustigeant lappréciation de lart qui peut en résulter, insistant sur limpression de vie, fait curieusement resurgir le débat théorique du temps de Roger de Piles en condamnant, au fond, son initiative et avec elle, la culture de masse. Parce que jai animé le Parcours historique de la ville de Melun avec une rigueur scientifique appréciée, parce que jai donné de façon indépendante des cours dhistoire de lart à Melun, je sais quil existe une attente de la part dun large public qui demeure inassouvie - je lai signalé ailleurs -, à laquelle il suffit de répondre en sollicitant lintelligence et la sensibilité - pas en le traitant par le mépris. Je ne saurais donc me satisfaire de cette culture de lentre-nous, réservant lappréciation du patrimoine à un public de connaisseurs passant par des codes de réception obligés. Je ne prétends pas que lon puisse dire tout et son contraire dune oeuvre, mais que les chemins pour parvenir à sa compréhension peuvent être divers, et fonction de la personnalité de chacun. Les difficultés de notre discipline à se faire reconnaître passent notamment par la tentation du repli et de labscons dans lexplication de notre objet, comme si un traducteur, pour entretenir son emploi, brouillait le discours quil est censé restituer... Dans le même ordre didée, on peut aussi déplorer la tenue du Spectacle historique de la ville de Meaux sur lesplanade qui sépare la cathédrale du musée Bossuet, six mois par an; il faut savoir pourtant que cette animation, qui connaît un grand succès, donne à la ville suffisamment de souplesse budgétaire pour proposer des expositions de haute tenue. Et je peux dire que sans cela, lexposition Bossuet, dont lintérêt a été largement souligné, et qui a reçu une affluence record (plus de 10000 visiteurs), naurait certainement pas pu être montée dans les délais très courts qui ont été les siens, ni avec autant defficacité - voire pas du tout. Dans la mesure où la conservation suppose un entretien, ce qui doit être alloué pour sa subsistance doit être budgeté par le propriétaire ou compensé par un appel au mécénat; ce qui laisse imaginer lampleur des sommes nécessaires à lensemble du patrimoine dÉtat. Il faut donc admettre que la conservation du patrimoine passe par son animation ou par sa réhabilitation à dautres fins. Vouloir sauver un monument ne suffit pas : il faut lui trouver les moyens dexister ensuite. Lécologie a son mot à dire, dailleurs, sur ce point. Edf a fait savoir quelle sintéressait à certains équipements anciens encore debout, tels les moulins, susceptibles dêtre reconvertis pour produire de lélectricité propre. Pour beaucoup dentre eux, malheureusement, cela vient trop tard... Et pour ceux restant, que pourra-t-elle face aux exigences patrimoniales en question? |
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Signe des Temps Ci-contre, |
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Il est vrai que notre société - disons le monde occidental dans son ensemble - porte volontiers en elle des germes mortifères. Un certain nombre de drames de lhistoire récente, depuis la barbarie nazie ou soviétique, lutilisation militaire du nucléaire jusquaux horreurs que la télévision ne manque pas de ramener des quatre coins du monde pour en faire un spectacle, sape la confiance en lhumanité. Peur et dégoût suscitent une envie de distance insistant sur la forme plutôt que sur le fond dans la création. Loeuvre de Nicolas de Staël apparait comme une magistrale et dramatique tentative de réponse en réintroduisant le fond après quait été forgé loutil formel. Dautres signes issus de la culture de masse trahissent cette distance de diverses façons. On accorde plus de crédit aux émissions satiriques, Guignols en tête, quà celles de linformation elle-même. La télé-réalité prétend nous montrer la "vraie vie" tout en en faisant un spectacle. La faillite du sens au profit du recyclage délements préexistant sincarne dans le succès des Star Academy et autres Nouvelle Star, qui usent et abusent des reprises de succès du répertoire populaire, insistant sur lappropriation dune chanson - autrement dit, la capacité à mettre de soi dans une interprétation. Cette insistance finit par produire un stéréotype dans la façon dinterpréter, en sorte que la personnalité finit par seffacer derrière le style - ce qui peut passer pour une définition du maniérisme. Et pour les Christophe Willem et autres Julien Doré, une fois la compétition remportée sur cette base, imposer leur personnalité dans l'album quils ont ainsi acquis le droit de réaliser n'est pas acquis. On me pardonnera ce qui peut passer pour de la futilité, et des comparaisons audacieuses : il sagit avant tout de sextraire des hautes sphères de lhistoire de lart pour se confronter à notre réalité contemporaine. Une même démarche doit amener à prendre la mesure de la place que nous accordons au patrimoine historique, notamment au regard des préoccupations écologiques. Dun certain point de vue, lattrait actuel pour le patrimoine est du même ordre. Il correspond à une sacralisation de la mémoire, propre à une culture de lécrit. Par la quête de sens quil implique, il pose le problème de linterprétation de lhistoire humaine. Comme je lai déjà dit, beaucoup visitent les musées sans comprendre, comme un rite plus que comme une véritable curiosité débouchant sur le savoir. Tout se passe comme si la dimension sacrée sincarnait dans une simple idolâtrie, et non pas dans la spiritualité. Ne soyons pas les prêtres qui en confisquent la parole et instaurons un véritable dialogue entre le patrimoine et ce quil faut bien appeler son public. De fait, lenfermer dans une tour divoire ne mapparaît évidemment pas comme une solution, aussi bien dans sa diffusion intellectuelle que par son inscription dans son environnement. Certes, il faut veiller à ne pas en brouiller la lecture en en masquant ce qui relève de lintention du créateur. Ce qui ne veut pas dire faire le vide autour dune église conçue, à lorigine, dans le grouillement dun habitat médiéval, et interdire toute rupture de style alentour - sachant que le monument que lon souhaite préserver a lui-même, au moment de sa création, constitué pareille rupture. Quitte encore à accepter la logique économique - dès lors quen effet, il ne sagisse pas dune simple exploitation spéculative mais le vecteur de la communication du sens du patrimoine. Voila qui laisse le champ libre aux nécessités écologiques dès lors quil y a cet équilibre dans le respect. |
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Rupture écologique Ci-contre, |
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Notre époque est celle dun défi terrible et formidable. Elle possède les moyens et la mémoire nécessaires pour garantir à lhumanité un développement mondialement soutenable, tolérable par tous, mais peut aussi lui assurer sa disparition de la surface de la Terre. La mise au point de larme atomique avait, pour la première fois, fait prendre conscience que lhomme pouvait détruire la planète qui lhéberge. Léquilibre de la terreur a évité le pire, dit-on parfois; aujourdhui, en ayant entretenu son existence et motivé tant de nations dans la course à son acquisition, il en a simplement multiplié les risques. Ne soyons pas dupes : la recherche pour le civil pouvant servir à celle pour le militaire, priorité a été donnée, en France pendant des années, au nucléaire, et nous en a depuis rendu otages. Au point que le péril que représente le fait de laisser vieillir les centrales devienne un argument de campagne en sa faveur... La conversion du bouquet énergétique aux sources propres et renouvelables condamne à terme, par nécessité écologique, cette énergie dont les dangers néchappent à personne, qui a déjà fait des victimes et dont on ne sait toujours pas traiter, des décennies après les premières expérimentations, les déchets. On préfère pour linstant les "garder au chaud" pour les "générations futures"... Or, on saperçoit que ce nest plus le seul danger planétaire. Il a fallu beaucoup se battre pour que la réalité du réchauffement (ou dérèglement) climatique soit reconnue, encore demeure-t-il suffisamment de personnes dubitatives et de difficultés à une information exacte pour que son ampleur nait toujours pas été pleinement perçue. Et pour que certains groupes de pressions en profitent pour défendre des intérêts souvent obscurs, et jose le dire, toujours égoïstes. Il y a nécessité à une rupture écologique : à savoir quil faut que lhomme reconnaisse son appartenance au monde qui lentoure, et surtout sa dépendance, qui lui impose un respect sensible dans toutes ses activités. À léchelle des civilisations, dun certain point de vue, celle de la Renaissance a vécue. Elle sétait affirmée comme une prise de possession du monde connu et inconnu, aussi bien à travers les voyages de découvertes, les grandes inventions, lessor de la cartographie et de limagerie du monde ou encore linvention de la perspective, mais aussi le colonialisme ou lesclavagisme. Axée sur lindividu, sa valeur et sa réussite (plus que son accomplissement), elle a porté un modèle déconomie reposant sur la finance pour exploiter le monde environnant. Aujourdhui, celui-ci montre sa finitude par lépuisement de ses ressources, et il réagit à lactivité déréglée de lhomme. Chaque rapport du GIEC, dont le travail vient dêtre reconnu par le Prix Nobel de la Paix, est plus alarmant que le précédent. Face à ce défi, il y a une certaine futilité à arguer de lesthétique dun champ déoliennes en milieu historiquement protégé. Il nous faut repenser complètement notre rapport au monde, environnements naturel et historique tout ensemble - ce qui implique dailleurs les relations entre les différentes composantes de lhumanité, qui doivent être équitables. Pour espérer jouir le plus longtemps possible des attraits du patrimoine. Mais pas seulement : pour quil ne soit pas protégé en vain... Sylvain Kerspern, Melun, 5 novembre 2007 |
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Pour poursuivre le débat autour des éoliennes : - larticle Wikipedia sur léolien; il donne des éléments chiffrés importants; avec en prime une éolienne du plateau de Millevaches qui ne perturbe apparemment pas les troupeaux... - le site de lAdeme Pour se faire une idée, il faut écouter les arguments de chacun. - favorable aux éoliennes : * thewindpower.net * planete-eolienne.fr (et en particulier, réponse au collectif anti-éolien.) - contre les éoliennes : * association Vent de colère - rouge de colère noire; plus lisible, sans doute, un dossierdunet consacré à ce point de vue avec forum de discussion; - un blog où les différents points de vue sont confrontés, et largumentation reste courtoise (ce qui est assez rare sur les forums internet...) Pour mémoire, les deux sondages récents sur la question signalent que 90% des Français y sont favorables. Cest dire la force et la virulence de ses opposants, qui en retardent un peu partout limplantation. Et, il faut bien le dire, leur grande capacité de nuisance... |
Courriels : dhistoire_et_dart@yahoo.fr - sylvainkerspern@hotmail.fr. |
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