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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
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Pour Gui Rochat, aventurier de l'art perdu




Sylvain Kerspern




François Langlois, dit Chartres,

sous les feux

de Mathieu Frédeau

(Paris, vers 1607? - ?, 1657?)






Mise en ligne le 23 octobre 2024

En 2022, Ger Luitjen disparaissait. Une exposition lui a rendu hommage cette année pour témoigner de la qualité dans son enrichissement des collections de la Fondation Custodia. On y trouve un portrait à l'auteur encore anonyme mais dont le modèle est bien connu. François Langlois dit Chartres (ou Ciartres, selon la prononciation italienne) y est représenté ouvrant un rouleau de faibles dimensions - peut-être 50 cm de largeur, sans doute moins en hauteur -, morceau de cuir utile à son travail de libraire ou toile prenant part à son activité de marchand d'art. Il pose à proximité d'une table où sont entassés livres, estampes, dessins, une petite tête sculptée et une sourdeline, instrument de la famille des cornemuses d'origine italienne dont l'homme est un spécialiste. Il se détourne pour nous regarder, au premier plan d'un intérieur sans caractère, orné çà et là de médaillons sculptés et de cadres sans toile, contre le mur du fond duquel reposent d'autres rouleaux.

Son vêtement, austère pourpoint à col rabattu, à boutonnières sur le devant et aux manches, semble italien, à comparer avec les effigies gravées à Rome par Mellan, celle du donateur du retable de Noël Quillerier pour Rappechiano (Spello) en Ombrie ou celle par le même gravée par Jérôme David de Boniface Cieras. Comme l'inscription au dos (« Rittratto del Ciartres» ), cela souligne le temps passé au-delà des Alpes, au même titre que l'habitude prise avec ses amis, soulignée par l'amateur Mariette, de correspondre dans la langue de Dante. Le chapeau est celui, à large bord, qu'il porte le plus fréquemment dans les effigies que l'on conserve de lui : on en connaît en effet plusieurs témoignant de sa réputation, son tempérament prompt au contact et aux voyages, de l'Italie à la France en passant par l'Espagne, l'Angleterre ou les Flandres. Elles vont nous servir à cerner la situation de la peinture aujourd'hui à la Fondation Custodia.

Noël Quillerier,
Retable de Rappechiano (Spello, Ombrie), 1627. Détail du portrait du donateur.
Jérome David d'après Noël Quillerier,
Portrait de Boniface Cieras à 64 ans, vers 1627? Gravure
Un libraire modèle

Il faut d'abord cerner le modèle. François Langlois est né dans le diocèse de Chartres - ce qui lui vaudra son surnom - en 1588. Lorsqu'il est reçu maître-libraire à Paris le 26 octobre 1634, il déclare avoir été « absent de Paris plus de vingt années pendant lesquelles il aurait continué l'exercice de la librairie tant en Espagne qu'Italie et autres lieux » (Grivel 1985, p. 330). Plusieurs documents témoignent de ces voyages. On a effectivement retrouvé sa trace à Rome dès 1613-1614, y rencontrant alors Claude Vignon, avec qui, dix ans plus tard, il s'associe dans des activités de marchand d'art international. En février 1633 encore, il est à Naples où Jacques Stella lui envoie une lettre, aujourd'hui à l'Institut Néerlandais, qui témoigne d'une amitié non moins forte. Les deux artistes seront d'ailleurs parmi les parrains choisis par Langlois pour ses enfants - Stella par deux fois, la seconde par l'intermédiaire non de sa fille, comme l'écrit l'officiant trop souvent repris tel quel, mais de sa sœur Françoise, en 1646.

Installation professionnelle en 1634 et mariage en 1637 ne fixent pas tout à fait le marchand libraire dans la capitale. Il est en Angleterre en juin 1635, ménageant notamment des opportunités pour Claude Mellan, et encore en octobre 1637. En novembre 1641, Vignon lui écrit alors qu'il doit se rendre en Angleterre puis en Flandres pour qu'il salue plusieurs artistes ici ou là, en particulier van Dyck et Rembrandt. La lettre a été publiée par Bottari (1764) comme de Stella, et de 1632, erreur pareillement longtemps reprise malgré la correction faite l'année même de la publication par Mariette, qui la possédait, signalée dans le tome suivant de 1766. Le même amateur, qui avait hérité du libraire, possédait une autre missive de janvier 1641 dans laquelle Vignon demandait à celui-ci d'être introduit auprès de van Dyck, qui séjourne alors à Paris.

Ces quelques précisions chronologiques étaient nécessaires pour clarifier des informations parfois floues, sinon contradictoires, et parce qu'elles sont en lien avec les trois autres effigies rapportées à Langlois (ci-contre). La face juvénile jouant de la sourdeline italienne (à plusieurs chalumeaux) peinte par Vignon remonte sans doute aux années italiennes, vers 1620, peut-être en 1622 lorsque Claude quitte Rome pour s'installer à Paris. Le portrait avec musette française (un seul chalumeau) ne saurait remonter aussi haut, Langlois étant beaucoup plus âgé. Vers 1635-1637, lors d'un séjour londonien du libraire? Ou 1640-1641, lors de celui du peintre flamand à Paris? L'effigie gravé par Poilly, miniature mentionnée par Mariette qui n'élude pas le strabisme du modèle, semble tardive. Toutes ces représentations viennent confirmer l'inscription portée au dos de la toile de la Fondation Custodia :  «Rittratto del Ciartres »

Claude Vignon (1593-1670),
Langlois. Toile, 80 x 67 cm.
Wellesley, Davis Museum
(Encore anonyme)
Langlois. Toile, 91,5 x 68,5 cm.
Fondation Custodia
Anton van Dyck (1599-1641),
Langlois. Toile, 97,8 x 80 cm.
Birmingham, Barber Institute of Fine Arts
Nicolas de Poilly d'après A. van Dyck,
Langlois. Gravure, 11,7 x 9,5 cm.
British Museum
Situation de l'effigie de la Fondation Custodia.

Les trois effigies (auxquelles on ajoute parfois d'autres témoignages graphiques difficiles à juger car peu caractérisés) posent l'aspect du visage de Langlois, et suggèrent une évolution, des traits encore juvéniles sous le pinceau de Vignon à ceux marqués autour des cinquante ans montrés par van Dyck. Celle de la Fondation Custodia le montre à sa maturité, nettement plus proche du tableau de Birmingham que de celui de Wellesley; par rapport à ce dernier, le visage s'est étoffé tout en laissant plus nettement percevoir la structure osseuse, les joues se sont alourdies, signes d'une assiette tout à la fois bien remplie et professionnellement acquise.

Toutefois, on ne peut négliger certains indices italianisants. La mention au dos situe-t-elle la réalisation dans la péninsule? Rien n'est moins sûr : on sait par Mariette que le petit groupe autour de l'éditeur et de Vignon avait pour fantaisie de s'écrire en italien, ce dont les lettres de gravures faites en France peuvent témoigner (ci-contre une estampe de Pierre Brebiette, autre membre de la « clique »). On notera tout de même le vêtement et la sourdeline, propres à l'Italie qui n'apparaissent plus dans le portrait par van Dyck, ce que pourrait expliquer une exécution en Angleterre. Si donc la toile de la Fondation Custodia ne semble pas pouvoir être italienne, sa réalisation doit prendre place peu après l'installation en France, où il avait ramené l'instrument (Montbel 2015).

À la différence des autres portraits peints, le modèle n'est pas représenté dans la pratique d'un loisir, la musique, mais dans son cadre professionnel. Quand bien même serait présentée son instrument de prédilection, sorte d'attribut de reconnaissance de son identité, c'est bien le fait d'ouvrir un rouleau qu'il tient dans les mains qui est mis en évidence par l'artiste. Sur la table, avec la sourdeline et une partition, sont mis en évidence des sanguines si utiles au travail de la gravure par la technique de la contre-épreuve, des estampes en paquet ou en feuilles isolées et des livres, propres au métier d'éditeur. S'y ajoute une petite tête sculptée liée à ses activités de marchand d'art, de même que le cadre noir, un compas et les camées accrochés au mur du fond.

Je dois avouer ne pas pouvoir affirmer la nature de ce que Langlois tient en mains, qui doit être comparable à ce que l'on voit posé contre les murs. Est-ce un rouleau de parchemin ou de vélin nécessaire à son activité de marchand-libraire? Sont-ce plutôt des toiles entreposées alimentant son activité de marchand d'art, comme le pense Saskia van Altena (2024)? Si je penche pour l'activité principale, d'autres que moi, spécialistes de ces activités, apporteront peut-être une réponse claire et irréfutable, qui n'est pas l'objet de cette étude. Je souhaite ici proposer un nom pour l'auteur du portrait.


Pierre Brebiette (1598?-1642),
Le triomphe de Bacchus.
Eau-forte. 36 x 46 cm.
Albertina (avec dédicace en Italien par François Langlois à Claude Vignon)

Résumons les enjeux du tableau, et son aspect général. Le peintre nous montre Langlois comme au travail, dans son atelier ou sa boutique. Selon son âge apparent, la situation dans les années 1630 est vraisemblable, non loin de la version de van Dyck, et en France malgré un costume à l'italienne, qui doit évoquer les multiples voyages et les longs et fréquents séjours dans la péninsule; soit dans une plage large allant de 1634 à 1641. Le tableau diffère des deux autres peintures par une palette éteinte, modulant blanc, gris et bruns. Le parti peut servir à mettre en valeur les témoignages de son activité, ou bien désigner une palette personnelle, différente du feu d'artifice précieux de l'ami tourangeau ou de la chaude ambiance rubénienne du Flamand. J'aimerais proposer ici une attribution à un autre des peintres du cercle de Langlois : Mathieu Frédeau.

En quête d'auteur : Mathieu Frédeau (v. 1607/8-v. 1657?), artiste rare.

L'artiste est mal connu, et même sa biographie est lacunaire. On en fait le frère du plus fameux Ambroise (1589?? ou v. 1606?-1673), dont la carrière toulousaine a mieux préservé l'œuvre, que l'on dit né à Paris alors que Mathieu serait originaire d'Anvers; on ignore quand il meurt, et l'existence avancée d'un « Michel » vient encore lui compliquer l'existence, si j'ose dire. Des documents viennent dissiper certaines incertitudes.

Marie-Antoinette Fleury et Claire Constans (2010) ont publié une déclaration du 25 octobre 1637 d'Antoine Frédeau, maître menuisier, disant que Michelle, femme séparée de Simon de Caen, Jeanne et Barbe Frédeau, enfants dudit Antoine demeurant avec leur père, ne peuvent rien prétendre en sa succession sur les études de leur frère Mathieu, maître sculpteur et peintre, ni sur les sculptures, peintures, tailles-douces, livres, bosses et curiosités faits par Mathieu, sauf ses tableaux laissés à son père : un Crucifix, un Saint Sébastien, une Décollation de saint Jean-Baptiste, un Saint Jérôme qui lit et les Portraits de son père, de sa mère, et de son frère. Malheureusement, après vérification faite sur le document, il faut rectifier le nom du fils, bénéficiaire de la déclaration : Antoine, sculpteur et peintre, non notre Mathieu.

Le père, Antoine, est alors au soir de sa vie. Son activité de menuisier est documentée au Minutier Central des Notaires depuis 1601, ce qui le fait naître au plus tard en 1575, et lui donne 62 ans au moins en 1637. Son aînée Michelle s'est mariée mais est déjà séparée de son mari au moment de la déclaration de 1637, qui prépare sa succession. Un frère d'Antoine y est mentionné comme modèle d'un portrait qu'il a peint, mais sans suffisamment de précision. Est-ce Jean, Mathieu ou Ambroise? Ce dernier, lorsqu'il entre en 1640 comme frère lai au couvent des Augustins de Toulouse, est dit âgé de 33 ans, ce qui le ferait naître en 1607, mais un auteur, Joseph Maillot, peintre écrivant au XVIIIè siècle, affirme lui qu'il est né à Paris en 1589 (Mesuret 1956, p. 517-518).

Je n'ai pas retrouvé l'origine de cette date de naissance d'Ambroise si tôt, donnée et répétée systématiquement. Elle a posé question à Robert Mesuret. Elle est difficilement compatible avec un passage supposé dans l'atelier de Simon Vouet : le maître serait alors le cadet de l'élève d'un an! Un tel apprentissage ne pourrait prendre place avant 1627 et le retour de Vouet en France, ce qui situerait la naissance de l'élève dans la première décennie du siècle, voire la suivante, plus en accord avec les indications concernant son père Antoine qui ne semble actif qu'au tout début du XVIIè siècle. L'âge de 33 ans en 1640 semble donc préférable.

L'année de la prise d'habit du frère, Mathieu se marie avec Clémence Legrand, 13 ans, fille de François Legrand de Senlis, selon le Fichier Laborde. Le jour de publication du deuxième ban, le 15 janvier, Antoine passe de nouveaux actes notariés pour équilibrer les dons faits à ses enfants (Fleury et Constans 2010, doc. 853 et 854). Le 15 mars 1639, Mathieu avait pris François Legrand, frère de Clémence, en apprentissage pour 5 ans. J'aurai à revenir sur le lien de notre artiste avec Senlis et j'apporte des précisions sur les Legrand ici. Ce qui nous est précieux tient à l'âge qui est donné au futur : Mathieu est dit avoir 32 ans, ce qui le ferait naître en 1607 - curieusement, la même année supposée pour Ambroise lors de son entrée en religion.

La publication de Claire Constans et Marie-Antoinette Fleury (2010) vient contredire l'affirmation de Pierre Salies (1961) qui disait Ambroise Frédeau à Paris, réglant ses affaires avec son père le 15 janvier 1640 : il y a confusion avec Mathieu. Son étude sur Ambroise nous est en revanche fort utile en mentionnant (sans référencer sa source, il est vrai) le testament produit par le futur moine au moment d'entrer au couvent. Le lien fraternel avec Mathieu s'en trouve incontestable, ainsi qu'avec le sculpteur Jean, également installé à Toulouse, semble-t-il, depuis 1634, où il mourra en 1644, et qu'Ambroise dit son aîné. Le document atteste pour ce dernier d'une carrière de peintre déjà bien entamée, plus compatible avec l'âge de 33 ans plutôt que celui de 20 que Pierre Salies mentionne comme préféré alors - il est vrai, sans y croire. Qu'il n'apparaisse pas dans les actes parisiens de son père me semble témoigner du fait qu'il était déjà installé en Languedoc, en même temps que Jean, pareillement absent desdits documents passés en 1637-1640

Pierre Salies (1961) s'interroge encore sur le lien de parenté éventuel avec Jean Royer, autre destinataire d'un legs. La réponse se trouve à nouveau dans la publication de Claire Constans et Marie-Antoinette Fleury (2010, doc. 1973), qui mentionne le contrat de mariage de ce « maître peintre et peintre de la maison du roi » avec Barbe Frédeau, fille d'Antoine, sœur de Jean, Antoine, Ambroise, Mathieu et Jeanne, qui avait épousé, elle, le marchand de chevaux Charles Vallet. Antoine est dit frère par erreur, il s'agit du père de la future. En 1969, la seule Marie-Antoinette Fleury avait publié le bail pris le 2 mai 1639 par Jean Royer et Mathieu de trois pièces d'un logement qui pourraient avoir servi d'atelier commun.

Mathieu est-il flamand? L'idée qu'il soit d'Anvers tient à l'interprétation faite d'un passage de la correspondance de Peiresc : le 20 décembre 1630, il évoque avec Borrilly  «le jeune peintre d'Anvers que vous dites avoir tant gouverné », comme s'il ne le connaissait pas. Frédeau est à Aix depuis plus d'un an, puisque le retable de Notre-Dame-du-Rosaire des Frères Prêcheurs d'Aix qu'il a peint lui est payé en août 1629; il serait bien étonnant qu'ils ne se soient pas encore rencontrés. Surtout, lorsque Peiresc recommande Mathieu parti pour Rome à Cassiano dal Pozzo en 1634, il le dit parisien. La publication de la mention dans la correspondance du Provençal avec l'Italien s'accompagne du rapport de l'ambassadeur de France à Rome qui dit pareillement Frédeau parisien. Il eut été surprenant que le fils d'Antoine, menuisier actif dans la capitale au plus tard à partir de 1601 n'y soit pas né quelques années après seulement. L'accent flamand que l'on a pu discerner dans son œuvre ne tient donc qu'au contexte franco-flamand à Paris.

Écartons aussi rapidement le prénommé Michel. Il s'agit certainement d'une extrapolation de Marolles à partir de la lettre M. figurant au bas de la gravure de Couvay du portrait de Charles Faure. Je n'ai trouvé nulle autre trace d'un artiste pareillement prénommé, alors que le prénom Mathieu a pu être confirmé par Robert Fohr à partir du tableau de Tours et des documents du Minutier central. La peinture de Marceille représentant Saint Antoine Ermite montre également une belle signature complète, «Mathieu/ fredeau In. / fe. » (ci-contre).


Signature de Mathieu Frédeau au bail du 7 mars 1645 (Arch. Nat. MC/ET/CIX/189).

Signature de Mathieu au contrat de mariage de Barbe en 1639 (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/255).

Biographie abrégée de Mathieu Frédeau (vers 1608? - 1657?).

- 1607-1608? naissance vraisemblablement à Paris (voir au 8 novembre 1634); il est fils d'Antoine, maître menuisier dont les autres enfants connus sont Michelle, Antoine, Jean, Ambroise, Jeanne et Barbe.
Un premier apprentissage autour des 13-15 ans pourrait le mettre en contact, parmi les artistes les mieux connus, de Frans Pourbus, mort en 1622, Nicolas Baullery, Quentin Varin, Georges Lallemant, Ferdinand Elle ou Claude Vignon, sans négliger le passage de Rubens pour le Palais du Luxembourg; et dans un deuxième temps, avec Aubin Vouet, Pierre Brebiette, Jean Mosnier ou Simon Vouet, voire le jeune Champaigne.

EN PROVENCE, AUPRÈS DE PEIRESC

- 1629, 10 juillet, quittance du solde du marché passé par François Langlois dit Chartres pour une peinture sur toile pour le retable du maître-autel de Notre-Dame du Rosaire des Frères Prêcheurs d'Aix-en-Provence, passé le 23 mars (Boyer 1957)
Le rôle de Langlois fut-il d'épauler un peintre comme garant juridique, Mathieu étant vraisemblablement mineur? Avait-il fourni un modèle gravé? Quoiqu'il en soit, l'artiste s'insère dans la « clique Langlois-Vignon ».
- 1630, collaboration avec Marcel Bernier pour un « platfonds » représentant l'Assomption pour le maître-autel de l'église du Beausset (Var) (Boyer 1957)
- 1631, février, Mathieu peint à Aix des citrons pour Peiresc selon sa lettre du 8 juin à Borrilly, secrétaire ordinaire de la chambre du roi (Peiresc-Dupuy éd 1888, p. 23)
- 1631, 16 juin, lettre de Peiresc à Borrilly indiquant que Mathieu travaille avec 3 ou 4 autres peintres à la chapelle de M. de Grimaud, à Régusse, après être passé à la Ciotat; il envisage qu'il réalise ensuite une bannière de Corpus Domini (Peiresc-Dupuy éd 1888, p. 26)
- 1632, 2 décembre lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant Mathieu et ses travaux pour l'érudit (Peiresc éd. 1888-1898, t. II, p.326)
- 1632, 8 août lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant Mathieu qu'il espère voir selon sa promesse (Peiresc-Cassiano éd 1989, p. 93)
- 1633, 14 mars lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant un dessin fait par Mathieu (Peiresc éd. 1888-1898, t. V, p. 134)
- 1633, 28 mars lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant le travail de Mathieu sur un dessin de vase (Peiresc éd. 1888-1898, t. V, p. 141)
- 1633, 2 mai lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant une grisaille de Mathieu (Peiresc éd. 1888-1898, t. V, p. 150)
- 1633, peint un « platfonds en toile » pour le grand autel de l'église de Belgencier (Boyer 1957)
- 1634, 14 février-8 avril lettres de Peiresc mentionnant l'activité de Mathieu à Marseille (Peiresc éd. 1888-1898, t. VI, p. 640-649)
- 1634, 25 juillet lettre de Peiresc qui attend d'un jour à l'autre Mathieu (Peiresc éd. 1888-1898, t. III, p. 150)
- 1634, 7 août lettre de Peiresc mentionnant le dessin fait par Mathieu de l'alzaron, parti de Tunis le 30 juin (Peiresc éd. 1888-1898, t. III, p. 162)

EN ITALIE

- 1634, 8 novembre lettre de Peiresc recommandant Mathieu, « Pittore Pariggino », parti pour Rome, à Cassiano dal Pozzo (Peiresc-Cassiano éd 1989, p. 158).
Il est donc douteux que Mathieu soit né à Anvers
- 1635, 13 novembre lettre de Peiresc à Cassiano dal Pozzo mentionnant que Mathieu se dit contraint de se rendre à Venise, (Peiresc-Cassiano éd 1989, p. 216)
- 1637, 25 octobre déclaration de son père, Antoine, et de ses enfants habitants avec lui Michelle, Jeanne et Barbe, de ne rien prétendre sur les études de leur frère Antoine, sculpteur et peintre et non Mathieu, prénom donné en ligne et dans la publication de 2010; il n'est pas mentionné, soit qu'il soit encore en Italie, soit qu'il ait pris son indépendance comme Jean et Ambroise, également omis (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/251; Constans-Fleury 2010, doc. 847; corrigé sur le document)

EN FRANCE

- 1638, 4 juillet obligation par Charles Vallet, marchand de chevaux demeurant à Saint-Germain-des-Prés rue du Petit-Lion, par Pierre Vallet, marchand de chevaux, demeurant rue de la Huchette et par Joseph Duiston, bourgeois de Paris, demeurant rue du Petit-Lion, envers Mathieu, peintre ordinaire du roi, demeurant rue Quincampoix pour 150 livres remboursables dans un an; et à la suite, quittance de la main de Mathieu de 100 livres, du 15 juillet 1639 (Arch. Nat. MC/ET/VI/486; Fleury 1969, p. 246).
- 1638, 10 août obligation de Jean Beausier, marchand maître brasseur de bière et sa femme, envers Mathieu, peintre du roi, demeurant rue Quincampoix pour 1100 livres remboursables dans quatre ans (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/253; Constans-Fleury 2010, doc. 848).
L'artiste a apparemment obtenu un brevet du roi.
- 1638, 3 octobre obligation de Jean Beaussier, marchand maître brasseur de bière et sa femme, envers Mathieu, peintre du roi, demeurant rue Bertin-Poirée, pour 2200 livres remboursables quatre ans plus tard (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/253; Constans-Fleury 2010, doc. 849)
- 1638, 30 novembre obligation de Jean Beaussier, marchand maître brasseur de bière et sa femme, envers Mathieu, peintre du roi, demeurant rue des Deux-Boulles, pour 700 livres remboursables quatre ans plus tard (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/253, Constans-Fleury 2010, doc. 850).
- 1638, 5 décembre, parrain de Mathieu, fils de Jean Beaussier; il est dit habiter rue des Mauvaises paroles, paroisse Saint-Germain-L'Auxerrois (fichier Laborde 28.107).
En cinq actes et autant de mois, la somme monte à 4000 livres, et Mathieu y est mentionné à quatre adresses différentes! L'une d'elles, rue des Deux-Boulles en novembre 1638, pourrait être celle de son confrère Jean Royer, qui épouse sa sœur Barbe au début de l'année suivante.
- 1639, 24 février, contrat de mariage de Jean Royer, maître peintre et peintre de la maison du roi, demeurant rue des Deux-Boulles, avec Barbe Frédeau, fille d'Antoine Frédeau et feue Marie Villain, demeurant rue Mouffetard; signent les deux Antoine, le père et le frère, Mathieu, frère de Barbe, Charles Vallet, beau-frère par Jeanne Frédeau (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/255; Constans-Fleury 2010, doc. 1973; vérifié).
- même jour, déclaration de son père, Antoine, disant que dans sa chambre, un cabinet de bois de noyer sculpté et enrichi de marbre, contenant cuillers, bagues, or, argent et autres curiosités est à son fils Mathieu qui les a rapporté de « pays estrangers », et qu'il a remboursé à son père 66 l. pour en prendre possession (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/255; Constans-Fleury 2010, doc. 851).
S'agit-il du voyage d'Italie, ou a-t-il séjourné encore ailleurs en 1637-1638? Qui sait, avec Langlois?
- 1639, 15 mars contrat d'apprentissage pour 5 ans au profit de François Legrand natif de Senlis, entre Aubin Pallé, maître maçon et voyer de la terre Saint-Geneviève, demeurant rue des Prêcheurs, paroisse Saint-Étienne-du-Mont, et Mathieu, maître peintre du roi, demeurant rue des Deux-Boulles, moyennant 100 l. : 50 l. le jour même, 50 deux ans plus tard. (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/255; Constans-Fleury 2010, doc. 852).
- 1639, 2 mai bail pour 3 ans par Jean Poignant, bourgeois de Paris, demeurant rue du Grenier-Saint-Lazare, à Mathieu Frédeau, peintre du roi, et à Jean Royer, maître peintre, de deux chambres avec une antichambre, dépendant de la maison où demeure ledit Poignant, avec la faculté d'aller tirer de l'eau au puits en contribuant aux frais de la corde, moyennant un loyer annuel de 200 livres (Arch. Nat. MC/ET/IX/383; Fleury 1969, p. 246).



- 1639, 26-28 août contrat de mariage avec Clémence Legrand à Senlis. Il est dit habiter Paris rue Grenier Saint-Lazare, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs. (site Généanet); les fiançailles sont célébrées en l'église Saint Hillaire le 28.
- 1640, 15 janvier deux donations de son père, Antoine, à sa fille Michelle, femme (séparée, voir 1637) de Simon de Caen, demeurant rue Mouffetard; et à Mathieu, dans le cadre de son mariage avec Clémence Le Grand, le jour de la publication du deuxième ban (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/257; Constans-Fleury 2010, doc. 853-854; fichier Laborde 28.108).
- 1642, signe et date la Sainte Madeleine du Musée des Beaux-Arts de Tours; et, semble-t-il, l'Adoration des mages, passé en vente en Allemagne en 2017.
- 1643, 1er mars, baptême d'Antoine, fils de Mathieu et Clémence, demeurant rue Montmorency, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs (fichier Laborde 28.109).
- 1644, 14 novembre, compromis sous seing privé visé par le désistement du 25 février 1645 (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/3; Constans-Fleury 2010, doc. 855).
- 1645, 25 février, désistement par Mathieu Frédeau, peintre ordinaire du roi, et Mathieu de Massy, maître chapelier, tous deux demeurant Grande-Rue-du-Faubourg-Saint-Marcel, d'un compromis sous seing privé du 14 novembre 1644, par lequel Frédeau devait vendre à Massy deux maisons en ladite rue moyennant 14100 l. et 1000 en cas de dédit (Arch. Nat. MC/ET/XVIII/3; Constans-Fleury 2010, doc. 855).
- 1645, 7 mars, bail par Mathieu Frédeau de 2 corps de logis (etc.) à Salomon Le Meneau, tanneur (Arch. Nat. MC/ET/CIX/189).
- 1645, 25 décembre, baptême de Jeanne fille de Jean Roier, peintre et Barbe Frédeau ; parrain Claude Melan, typographe du roi; marraine Jeanne Frédeau, femme de Charles Vallet (fichier Laborde 58.914).
- 1645, signature et date sur Le miracle de saint Rieul de l'église de Senlis (non vérifié).
- 1646, 7 mai, baptême de Madeleine, fils de Mathieu et Clémence, demeurant paroisse Saint-Sulpice (fichier Laborde 28.110).
- 1647, 22 avril, Clémence est marraine paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet (fichier Laborde 28.122).
- 1647, 27 août, ordre par le baron de Rians au nom d'Honoré, prince de Monaco, à Lenfant de payer 120 livres au peintre Frédeau, dont 60 pour trois portraits d'Honoré II destinés à Madame de Guebriant, à M. d'Hozier et à M. de Rians lui-même, et 60 comme acompte sur le prix des tableaux qu'il devait faire pour le Prince (Labande 1918, p. 83).
- 1648, 4 janvier, Frédeau donne quittance de 140 livres au baron de Rians pour solde des ouvrages par lui exécutés pour Honoré II (Labande 1918, p. 83).
- 1649, 20 février, mémoire acquitté ce jour du sieur Perrot, de Paris, comptant 120 livres payées au peintre Frédeau pour quatre tableaux destinés au Prince (Labande 1918, p. 83).
- 1654, signature et date qui seraient portées sur une peinture en mains privées, citée par Robert Fohr (1982).
- 1657, 27 mai, sentence homologuant l'avis de parents et amis de Claude et Madeleine Frédeau, enfants de Mathieu et de Clémence décédés instituant Jacques Legrand, frère de Clémence, comme leur tuteur (Arch. Nat., MC/ET/XVIII/296, 17 avril 1658, f°CIII).
- 1658, 17 avril, Jacques Legrand, frère de Clémence passe un acte comme tuteur des enfants de Mathieu et de son épouse (Reilhac 1884, p. 230, publication d'un document portant la date erronnée de 1648 au lieu de 1658; Arch. Nat., MC/ET/XVIII/296, 17 avril 1658, f°CIII).

Mathieu Frédeau (v.1607?-v. 1657?), signature au bas du Saint Antoine,
toile de l'église Notre-Dame de Marceille près Limoux.

Les documents le situant formellement à Paris vont, à ce jour, jusqu'au 22 avril 1647. Plusieurs paiements pour des peintures destinées à Monaco d'un Frédeau s'échelonnent du 27 août 1647 au 20 février 1649, mais seule la quittance du 4 janvier 1648 implique sa présence et il s'agit de portraits ne nécessitant pas le déplacement. En publiant la Madeleine du Musée des Beaux-Arts de Tours, Robert Fohr mentionne une peinture datée de 1654. Le 17 avril 1658, Jacques Legrand, peintre, tuteur des enfants de sa sœur Clémence et de Mathieu Frédeau, vend le logement de leurs parents à Pierre Lamy, chapelier. L'acte mentionne une sentence du 27 mai 1657 homologuant Legrand, oncle des enfants mineurs, comme leur tuteur, impliquant qu'ils sont déjà morts mais sans doute depuis peu.

Frédeau, comme son frère Ambroise, s'est donc formé dans le Paris tardo-maniériste de Varin, Pourbus, Lallemant, Baullery et des premières années parisiennes de Vignon. L'Adoration des Mages passée en vente en Allemagne, si la signature et la date sont bonnes, rappelle les ruissellements empâtés de ce dernier; le Saint Antoine de Limoux déjà cité, sa veine caravagesque plus certainement que ce que Mathieu a pu voir en Italie - il ne semble rester à Rome qu'une petite année, si même il ne s'en enfuit pas pour quelque raison qui nous échappe.

Le temps qu'il passe auprès de Peiresc à dessiner ou peindre en grisaille les éléments naturels ou artificiels de la curiosité de l'érudit doit l'avoir conduit à une pratique singulière de la lumière. Cette période s'ouvre sur la commande passée pour le retable des Frères Prêcheurs d'Aix en 1629, commandée, fait surprenant, à François Langlois, connu comme éditeur et marchand, que l'on aurait pu à la rigueur envisager comme graveur amateur - ce qui ne semble au demeurant pas le cas - mais pas comme peintre. On peut imaginer qu'il agisse comme intermédiaire pour notre artiste, peut-être inapte à endosser pareille responsabilité parce qu'encore trop jeune; ou pour avoir fourni le modèle par une estampe? Selon l'âge donné lors de son mariage, Mathieu aurait alors 22 ans. Cela suppose un voyage commun depuis Paris sans doute vers l'Italie, que Langlois connaissait bien. Mais Mathieu sera resté encore un lustre dans la région, protégé par le vieux savant alors que François aura poursuivi sa route.

L'homme devait être un personnage. Prompt à bouger, il semble bien avoir été gagné par la curiosité pratiquée de façons très diverses par Langlois et par Peiresc. En 1639, il rembourse son père qui doit l'avoir aidé dans l'achat d'un cabinet orné trouvé à l'étranger. Fut-ce en Italie ou bien ne pourrait-on pas imaginer qu'il ait à nouveau accompagné Langlois en Angleterre, où ce dernier se trouve en 1635 et 1637? Pour qu'Antoine ait aidé son fils, ne fallait-il pas qu'ils se soient revus au retour du séjour outre-monts? Les autres documents parisiens semblent, en tout cas, attester d'une certaine aisance financière.

Le lien avec Senlis est un autre aspect de ce que l'on appelle aujourd'hui le réseautage, pratiqué par l'artiste. Charles Faure (1594-1644), abbé de Sainte-Geneviève, avait été chanoine de Senlis avant d'être nommé à la tête du monastère parisien, en 1634. Mathieu, dont le père habite rue Mouffetard, non loin de l'abbaye, pourrait l'avoir alors connu et, outre la possibilité d'en dessiner les traits que grave Couvay (ci-contre), s'être ainsi procuré une opportunité dans la ville picarde, occasionnant un séjour en 1639, et la rencontre de la famille Legrand, dont François, père de la toute jeune Clémence baptisée en février 1627, était également peintre. Les liens auraient été conservés au point d'y obtenir d'autres commandes, si le Miracle de saint Rieul est bien de 1645. On ne manquera pas non plus de noter que l'abbaye de Sainte-Geneviève était de l'ordre des Augustins, qu'Ambroise, à Toulouse, rejoint en 1640.


Mathieu Frédeau (v.1607?-v. 1657?) et Nicolas Fabbri de Peiresc (1580-1637),
dessin et manuscrit à propos de L'Alzaron,
Plume et encre brune.
Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine (ms 1821, f°32-33).
Jean Couvay d'après
Mathieu Frédeau
(v.1607?-v. 1657?)
Portrait de Charles Faure,
Gravure. 16,9 x 11,8 cm.
Versailles, Musée du château.
Mathieu Frédeau (v.1607?-v. 1657?),
Miracle de saint Rieul,
Toile. 230 x 200 cm.
Senlis, Cathédrale.

L'art de Mathieu, qui a volontiers voyagé, a beaucoup moins bien traversé le temps que celui de son frère Ambroise, qui a eu la bonne idée de se stabiliser en prenant l'habit à Toulouse. Voici ce que j'ai pu réunir sur son nom.

L'artiste fut gravé. On ne s'étonne pas que Jean Couvay, qui fait partie de la compagnie autour de Claude Vignon et François Langlois, ait eu l'occasion de traduire l'un de ses ouvrages, le portrait de l'abbé de Sainte-Geneviève déjà mentionné, effigie qui doit remonter aux premières années de son installation parisienne, vers 1637-1640, en tout cas avant 1644. La gravure de Lenfant, élève en 1639-1646 de Mellan, autre proche de Peiresc et qui est parrain d'une nièce du peintre en 1645, est plus tardive. Ses premières productions datées remontent à 1646. Notre image semble avoir été conçue par le graveur comme pendant d'un Christ adolescent attribué à Raphaël.

Jean Couvay (v. 1605 - avant 1678?) d'après Mathieu Frédeau,
Charles Faure, abbé de Sainte-Geneviève.
Gravure. 16,9 x 11,4 cm
Versailles, Musée du château.
Jean Lenfant (v. 1620-1674) d'après Mathieu Frédeau,
La Vierge.
Gravure. 23,9 x 19,2 cm
BnF.

Les ouvrages datés de Mathieu se placent tard et sont rapprochés, en 1642 et 1645. Si les signatures qui en attestent ont servi à préserver son art, elles ne permettent pas d'envisager son évolution. Ils traduisent un goût aussi éloigné de la vague de Vouet et son amour de l'arabesque que du courant classicisant, et s'apparente à celui qualifié de « précieux », illustré par Georges Lallemant, Claude Déruet, Claude Vignon ou Pierre Brebiette.

Tel est sans doute le contexte dans lequel Mathieu, comme son frère Ambroise, s'est formé. Le fourmillement de personnages et les empâtements rutilants de l'Adoration des Mages (1642) évoquent l'art de Vignon; les personnages puissamment campés dans une architecture flottante du Miracle de saint Rieul (1645?) rappellent celui de Lallemant, près de dix ans après sa disparition. Ces caractéristiques motivent, sinon justifient, la proposition ici faite de rattacher à notre artiste le Songe de saint Joseph de Québec (ci-dessous tout à droite) présenté naguère à Rennes.

Le Saint Antoine de Limoux, contraste évident à la Vierge apparaissant à sainte Jeanne de Chantal, au coloris éclatant, s'apparente, lui, à la veine pseudo-caravagesque de Vignon (sous réserve d'un examen nettoyé...). Le nocturne servant de cadre à la Madeleine de Tours s'inscrit dans une troisième voie commune à Vignon, Brebiette ou Jean Senelle, clair-obscur froid à vocation plus pathétique que dramatique. La touche sculpturale, souvent ciselée dans les drapés, doit provenir de son travail auprès de Peiresc, plus que du bref séjour en Italie.

Mathieu Frédeau,
La Madeleine pénitente, 1642.
Toile. 92 x 71 cm.
Tours, Musée des Beaux-Arts.
Mathieu Frédeau,
Apparition de la Vierge à l'Enfant à sainte Jeanne de Chantal.
Toile. 154 x 190 cm.
Senlis, Musée.
Mathieu Frédeau, L'adoration des Mages, 1642.
Cuivre. 19 x 28 cm. Vente Scheublein, 22 septembre 2017.
Mathieu Frédeau (v.1607?-v. 1657?),
Miracle de saint Rieul, 1645.
Toile. 230 x 200 cm. Senlis, Cathédrale.
Mathieu Frédeau,
Sainte Antoine ermite.
Toile. Dimensions inconnues.
Limoux, église ND de Marceille.
Ici attribué à Mathieu Frédeau,
Le songe de saint Joseph.
Toile. 254 x 189,6 cm.
Québec, Musée des Beaux-Arts.

Je souhaite y ajouter un premier dessin d'histoire, présentant une typologie pour les enfants (forme des yeux, chevelure) et un drapé conforme à ce qui se voit dans les différents ouvrages sûrs présentés ici.

La feuille est placée au Louvre dans l'École de Vouet, le sujet restant inconnu. On peut y reconnaître Notre-Dame du Bon Secours par confrontation avec la version qu'en donne Jacques Stella dans un « camayeu » gravé en 1623-1625; peut-être s'agit-il plus exactement de l'iconographie italienne intitulée, comme l'estampe, Madonna di soccorso. Frédeau pouvait avoir eu connaissance de l'estampe que ce soit en Italie ou auprès de Stella lui-même, puisque le Lyonnais faisait partie du cercle amical de François Langlois. Cela ne signifie donc pas nécessairement qu'il fut fait en Italie (1634-1636?), même si cela est vraisemblable et pourrait donner alors une indication chronologique précieuse.

Ici attribué à Mathieu Frédeau,
Notre-Dame du Bon Secours.
Pierre noire. 19,5 x 14,7 cm
Louvre.
Jacques Stella,
La Madonna di Soccorso.
Gravure (camayeu). 31,6 x 21,3 cm
British Museum.

Plusieurs éléments me semblent à prendre en compte dans l'évaluation de la place éventuelle du portrait de Langlois dans l'œuvre de Frédeau. Le premier concerne la construction de l'espace.

Le contexte « précieux » ne l'invitait pas sur la voie d'une perspective bien entendue et rigoureuse. C'est un point commun à l'Adoration des mages, Le songe de saint Joseph et La Madone du Secours que de présenter des éléments de fuite accélérée, ce à quoi se conforme la combinaison du cadre accroché au sol derrière l'éditeur avec l'angle de la table devant lui.

Le portrait de Charles Faure excepté, Frédeau aime bien les dispositions asymétriques pour ses compositions, en équilibre instable, ses personnages les structurant la plupart du temps; ce qui relève encore du milieu artistique de sa probable formation, dans lequel il continue d'évoluer ensuite à Paris. Le portrait de Langlois ne le manifeste pas tant dans une pose oblique, qui est celle que lui donnent Vignon et van Dyck pour jouer de son instrument, que dans l'arrangement singulier des mains. L'Apparition de la Vierge, qui montre ce dispositif, recourt, pour indiquer l'impact de la lumière, au même procédé consistant en des rehauts plus clairs sur les accidents du drapé.

Les mains comme le visage de Langlois sont peints de façon « naturalistes », accusant les accidents de l'âge du modèle, tel que le montrent également le Saint Antoine ou les principaux personnages du Miracle de saint Rieul. Il faut aussi noter le traitement « pelucheux » et détaillé des pilosités, barbes et cheveux. Plus frappant encore, Frédeau aime insister sur les paupières, ciselant le contour des yeux, et l'aspect charnu des lèvres. La confrontation ci-contre entre notre portrait et le détail du Miracle de saint Rieul, me semble, sur ce point particulièrement éloquente. Plus anecdotique mais non négligeable, on notera le détail de l'auriculaire qui se détache des autres doigts, également présent dans l'Apparition de la Vierge de Senlis. Eléments de composition comme de détails concourent donc au rapprochement entre notre portrait et ce que l'on connaît de l'art de Frédeau.

Ici attribué à Mathieu Frédeau,
Notre-Dame du Bon Secours.
Pierre noire. 19,5 x 14,7 cm Louvre.
Mathieu Frédeau,
Saint Antoine ermite. Toile. Détail.
Limoux, église ND de Marceille.
Mathieu Frédeau,
Apparition de la Vierge à sainte Jeanne de Chantal.
Toile. 154 x 190 cm. Senlis, Musée.
Mathieu Frédeau (v.1607?-v. 1657?),
Miracle de saint Rieul, 1645.
Détail. Senlis, Cathédrale.

La difficulté à produire un semblant de chronologie de ses ouvrages appelle à la prudence, puisqu'une attribution s'impose dans un parcours suffisamment balisé pour donner une idée de l'évolution stylistique d'un artiste. On notera tout de même que sur le plan des informations biographiques, Frédeau aura été apprécié pour son talent de portraitiste, dont témoignent le portrait avorté de Cassiano dal Pozzo mentionné par Peiresc, la gravure d'après l'effigie de Charles Faure ou l'ensemble de portraits pour le prince de Monaco. Par ailleurs, le style ne va pas, loin de là, contre une telle hypothèse, confronté avec ce que l'on sait du portrait par van Dyck. La datation de celui-ci a beaucoup évolué. Les plus anciennes propositions balançaient entre le séjour italien des deux hommes, celui du peintre flamand à Paris en 1641 voire celui à Londres du modèle en 1641-1642. L'émergence du portrait par Vignon, assurément italien, et les précisions sur les différents séjours en Angleterre de Langlois ont rebattu les cartes.

Dans une lettre de janvier 1641 mentionnée par Mariette(1853-1854, p. 175), Vignon demande à son ami Langlois de l'introduire auprès de van Dyck. Celui-ci est donc à Paris, et sans doute depuis peu. L'amateur précise encore que Bellori justifie ce séjour dans la capitale française par l'ambition de la commande de la Grande galerie du Louvre; il devait tenir une telle information de Poussin, arrivé en décembre et à qui reviendra finalement l'entreprise. Est-ce le contexte du portrait, je ne le crois pas. Le costume de comédie (en savoyard), l'air espiègle cadre mal avec les atermoiements de la carrière du peintre alors, qui le conduisent à prendre la route pour Paris ou les Flandres, avant de mourir à Londres à la fin de l'année. Il est d'ailleurs vraisemblable que l'instrument représenté, qui n'est pas la sourdeline du tableau de Vignon en tout point semblable à l'instrument du portrait de la Fondation Custodia, trahisse une autre localisation que l'Italie ou la France. Je privilégierais donc plutôt les séjours de Langlois à Londres.

C'est Mellan qui nous éclaire sur les contacts de Langlois avec Arundel et la cour d'Angleterre, cadres des contacts et de l'amitié avec van Dyck dans le prolongement de leurs séjours en Italie (1621-1627 pour le Flamand). Le graveur adresse de Rome une lettre à Langlois à Londres le 20 juin 1635 avec l'espoir, bientôt déçu, d'une carrière anglaise. Une autre lettre de février 1637 - Langlois est alors à Paris, Mellan à Aix, auprès de Peiresc - en marque l'échec. Mais le 9 octobre 1637, un autre correspondant, Nicolas Lanier (forme francisé d'un nom italien) installé à Chiswick lui envoie une missive pour s'excuser de ne pouvoir le visiter dans la ville de Londres pour raison de santé. L'un ou l'autre de ces deux séjours anglais de Langlois (le bien nommé) de 1635 ou de 1637 doit être le cadre du portrait par van Dyck.

Anton van Dyck (1599-1641),
Langlois. Toile, 97,8 x 80 cm.
Birmingham, Barber Institute of Fine Arts

Deux styles différents autant que deux maîtrises du pinceau rendent la comparaison de la restitution du modèle délicate : des intentions différentes peuvent commander les pinceaux. Le Flamand est un artiste internationalement reconnu, et un ami sincère poussé ainsi à une plaisanterie de Carnaval; le Parisien - puisque tel est-il, finalement -, un ami, certes, mais redevable au modèle aussi bien en Provence voire auprès de Peiresc, que lors de son installation à Paris. La liberté du pinceau de l'un contraste avec une retenue qui bride l'expression de l'autre. Je prends le risque de considérer que l'image de van Dyck accuse encore un peu, par son caractère osseux, le passage des ans. Le tableau de la fondation Custodia pourrait alors prendre place au retour de Frédeau en France, et à son installation à Paris, en 1636, précédant l'effigie anglaise faite en 1637; sans nécessairement écarter une possible inversion tant l'âge semble voisin et la restitution, affaire de style.

L'hypothèse garde une certaine fragilité liée à la maigreur, à ce jour, de l'œuvre de Frédeau, j'en ai conscience; mais elle ne manque pas de cohérence. Elle a d'abord conduit à des éclaircissements sur le portrait, ce qu'il montre comme son contexte. Il était nécessaire d'affirmer la singularité des dispositions par rapport aux effigies de Vignon et van Dyck, montrant Langlois au travail, non dans sa pratique musicale, qui suggère, ainsi que l'âge apparent du libraire, une situation lors de l'installation à Paris, autour de 1635. L'analyse des différentes cornemuses, une sourdeline chez Vignon et dans notre tableau, une musette chez van Dyck, alors que Langlois est un praticien réputé de la première, peut indiquer une réalisation par le Flamand en Angleterre, en 1635 pu 1637. Cette étude aura encore permis une mise au point sur un artiste, Mathieu Frédeau, dont la figure demeurait dans le flou des confusions avec son frère Ambroise - qui s'en trouve lui-même éclairé - et quelque artiste anversois évoqué par Peiresc qui garde sa part de mystère dans l'ombre de ... van Dyck. La vie et le style de l'ami de Langlois se dessinent désormais plus nettement dans le paysage foisonnant du foyer parisien comme une figure singulière, au talent solide et trop méconnu.

Sylvain Kerspern, Melun, octobre 2024

Bibliographie :

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* Giovanni Gaetano Bottari, Raccolta di letteresulla pittura scultura ed architettura... Rome ; t. V, 1764, p. 303; t. VI, 1766, p. 270.
* Pierre-Jean Mariette, Abecedario pittorico de P.-A. Orlandi et autres notes manuscrites, partiellement publiées par Montaiglon et Chennevières en 1853-1862; t. II, 1853-1854, p. 175, 204; t. III, 1854-1856, p. 351; t. V, 1858-1859, p. 371; t. VI, 1859-1860, p. 330.
* Abbé de Marolles, Le livre des peintres et graveurs, Paris, éd. 1872, p. 45.
* Clément de Reilhac, « La chapelle Notre-Dame de Reilhac fondée au XIVè siècle en l'église Saint-Médard-lès-Paris... » Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 1885, p. 230.
* Nicolas Fabbri de Peiresc Lettres, éd. Philippe Tamizey de Laroque, Peiresc éd 1888-1898, 7 vol., (notamment t. II, p.326; III, p.162; IV, p. 23, 26, 28; V; VI, p. 640, 646, 649)
* Léon-Honoré Labande, Inventaires du Palais de Monaco. 1604-1731, Monaco-Paris, 1918, p. CXXV, 83.
* Robert Mesuret, « La légende du frère Ambroise Frédeau », XVIIè siècle, 1956, p. 517-528.
* Jean Boyer, « Peintres et sculpteurs flamands à Aix-en-Provence aux XVI, XVIIe et XVIIIe siècles », Revue belge d'archéologie et d'histoire de l'art, XXVI, 1957, p. 52-53.
* Pierre Salies, « Ambroise Frédeau, religieux augustin... » Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Toulouse, 1961, p. 123-146.
* Marie-Antoinette Fleury, Documents du Minutier Central des Notaires concernant les peintres, les sculpteurs et les graveurs au XVIIe siècle (1600-1650), tome I, Paris, 1969, p. 246.
* Robert Fohr, Tours, Musée des Beaux-Arts. Richelieu, musée municipal. Azay-le-Féron, château. Tableaux français et italiens du XVIIè siècle, Paris, 1982, p. 41-42.
* Marianne Grivel, Le commerce de l'estampe à Paris au XVIIè siècle Genève, 1986, p. 329-331, pl. 24(?)-25.
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* Paola Pacht Bassani, Claude Vignon, 1593-1670, Paris, 1993, p. 101, 115, 116, 124 (notamment).
* Jean Penent, Le temps du caravagisme, Toulouse, 2001, p. 231-247.
* Robin Blake, Anthony van Dyck, London, 2009, p. 286, 341-342, 365.
* Claire Constans et Marie-Antoinette Fleury, Documents du Minutier Central des Notaires. Peintres, sculpteurs et graveurs au XVIIe siècle (1600-1650), tome II, Paris, 2010, doc. 847-855, 1973-1974.
* Ger Luijten, « Recent acquisitions (2008-12) at the Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris » in Burlington Magazine, 1307, 2012 pp. 157-168, XIX
* Éric Montbel, « Le portrait de Manfredi Settala attribué à Carlo Francesco Nuvolone : un hommage au collectionneur et facteur de sourdelines » in Musique, images, instruments. Revue française d'organologie et d'iconographie musicale, vol. XV, 2015, notamment pp. 19-27 (en ligne ici; dernière consultation, 22 juin 2024).
* Stijn Alsteens, Adam Eaker, cat. expo. Van Dyck. The Anatomy of Portraiture, Frick Collection, New Haven, 2016 pp. 251-252.
* Saskia van Altena, notice en ligne, cat. expo. Un œil passionné. Douze ans d'acquisitions de Ger Luijten, Paris, Fondation Custodia, 2024 n°90 (consulté le 22 octobre 2024).
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com.
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