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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue
Paris, oeuvres datables de 1649-1651


Tables du catalogue :
La Fronde (1649-1651)
Ensemble
Table Stella - Table générale
Début de mise en ligne le 28 juin 2023 - dernière retouche en février 2024
Au temps de la Fronde. Oeuvres datables de 1649-1651.
Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.

Autoportrait (Lyon),
peinture
Actions sur le naturel,
dessins
Sainte famille aux langes et à la bouillie,
peinture (Toulouse)
La Vierge allaitante,
gravure de Regnesson
La Vierge à l'Enfant au chardonneret,
gravure de Poilly
La Vierge allaitante,
peinture
Repos de la sainte famille au raisin,
gravure de Rousselet
Le retable de Gandelu,
deux peintures
Sainte famille à la pomme,
peinture (Angers)
La Vierge à l'Enfant au chardonneret Piasecka,
peinture
La Vierge reine des anges,
gravure de Nicolas Poilly (et copie chez de Masso)
L'histoire de Vénus et Cupidon,
peinture
Étude d'enfant,
dessin
La Vierge adorant l'Enfant,
peinture (Dieppe)
L'enfant Jésus couché,
peinture (Nîmes)
Les petits Jésus et saint Jean parant un agneau,
gravure de Lombart
La Vierge adorant l'Enfant endormi à la pomme,
peinture (Ermitage)
Candaule et Gygès,
peinture
La Vierge allaitant l'Enfant,
peinture
La Vierge donnant la bouillie,
peinture (Blois)
Pietà,
peinture (Limoges)
Le Christ portant sa croix,
gravure de R. Lochon
Le Christ au jardin des Oliviers,
peinture
Ecce homo,
peinture
Ecce homo,
gravure de Regnesson
Le détail de certaines références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver dans la Bibliographie.

Autoportrait,
peinture
(et gravure par Claudine)
* Huile sur toile. 85 x 68 cm.

Lyon, Musée des Beaux-Arts

Historique : fonds Jacques Stella, gravé par Claudine pour mettre en tête des Divers ornements d'architectures recueillis (...) par MR Stella , livre publié en 1658; collection de Masso avant 1693 et l'inventaire de Claudine? collection Horace Coignet (1736-1821)? collection Jean-Baptiste Coignet, acquisition par le musée des Beaux-Arts de Lyon à l'initiative du sénateur-maire et préfet du Rhône Claude-Marius Vaïsse (1795-1864), chargé de l'administration du Rhône, en février 1856 de M. Coignet, arrière-neveu de Jacques Stella, par l'entremise de Thierry Brölemann (1800-1869), vice-président du conseil municipal, pour 1000 francs, plus 300 à Odier pour la restauration (selon S. Laveissière 2006 et la documentation du musée).

** Gravure à l'eau-forte par Claudine, 1658. 17 x 17 cm.
Plusieurs états (voir Kerspern 2019) et exemplaires à la BnF; Lyon, B.M., Munich, Bibliothèque de l'État de Bavière; Rijksmuseum; Versailles, Musée du Château...

Bibliographie sélective :
* Claudine et Françoise Bouzonnet Stella, Divers ornements d'architectures recueillis (...) par MR Stella, Louvre, 1658
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, 1-118
* Antoine Joseph Dezallier d'Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, 1745, II p. 256
* Simon de Saint Jean, « Notes et recherches sur l'authenticité du portrait de Jacques Stella (...) Lues à l'Académie de Lyon, le 12 février 1856 », Mémoires de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, vol. 5, p. 99-101
* A. Sallès « Horace Coignet compositeur lyonnais (1736-1821) et le Pygmalion de J.-J. Rousseau», Bulletin de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon, 1906, p. 43-69
* Jacques Thuillier in Actes du colloque Nicolas Poussin, Paris, 1960 , p. 103 n.119
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle, t. II, 1951, p. 87.
* Jacques Thuillier, Nicolas Poussin, Paris, 1988 , p. 292
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella, Lyon-Toulouse 2006 , notamment p. 50-55 cat. 1-4, 178-179 cat.105
* Jacques Thuillier, cat. expo. Jacques Stella, Nancy, 2006 , p. 86-87, 192-193
* Jean-Pierre Cuzin, « Le Portrait de Stella : Charles Le Brun?» in Richelieu patron des arts (Jean-Claude Boyer, Barbara Gaethgens et Bénédicte Gady dir.), Paris, 2009, p. 407-414
* Bénédicte Gady, L’ascension de Charles Le Brun, Paris, 2010.
* Sylvain Kerspern, « L'adoration des bergers de Condé-en-Brie, œuvre de jeunesse de Charles Le Brun dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le octobre 2015
* Sylvain Kerspern, « Initiation à la lecture des oeuvres d'art : IV. Lire : l’exemple du Christ retrouvé par ses parents dans le Temple, par Jacques Stella, 1654 (Provins, église Saint-Ayoul) », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 novembre 2015
* Bénédicte Gady in cat. expo. Charles Le Brun, Paris-Lens, 2016.
* Sylvain Laveissière, notice de l'autoportrait de Stella de 1633, in cat. expo. De Caravagio a Bernini. Obras maestras del Seicento Italiano en las Coleccionnes Reales Madrid, Palacio Real, 2016, p. 190-191
* Sylvain Kerspern, « Quelle main! » ... mais quelle main? Le portrait de Jacques Stella de Lyon. », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 4 juin 2019 - retouche août 2019 - repentir septembre 2021

L'origine familiale de ce tableau ne semble pas sujette au doute. Si j'ai pu faire le lien entre les de Masso et Horace Coignet, il reste à faire celui de ce dernier avec le vendeur de 1856. Le portrait avait été gravé par Claudine pour accompagner un des premiers ouvrages de l'atelier des Stella, les Divers ornements... traduits par Françoise Bouzonnet d'après leur oncle. Sa publication en 1658 s'ouvre sur cette effigie avec pour âge dans la lettre 62 ans, que Jacques aurait eu alors s'il n'était mort un an plus tôt. Il n'est d'ailleurs pas impossible que la nièce ait réalisé, ou du moins entrepris, son eau-forte sous les yeux du modèle. Cela explique l'absence de mention de l'auteur de la peinture, implicite par son insertion dans un album où les gravures de Françoise ne précisent pas plus qu'elles traduisent des dessins de Stella.

Il faut bien en passer encore par ces remarques puisque la responsabilité dans la création de cette singulière effigie a fait l'objet de multiples débats apportant presqu'autant de propositions. Je suis longuement revenu sur la dernière en date en faveur de Charles Le Brun, qui peut sembler séduisante mais que je ne crois pas aussi pertinente que celle donnée lors de son entrée au musée comme autoportrait. Parmi les points discutés, les mains; or celle qui tient la sanguine dans le tableau de Lyon est aussi celle saisissant le collier de l'ordre de Saint-Michel de l'autoportrait qu'il glisse dans le retable de Provins, en 1654; l'autre y est pareillement masquée, d'autant moins visible dans le format initial de notre tableau, agrandi sur tout le pourtour de quelques centimètres.

J'y ai fait aussi le point sur la datation relative de cette effigie, qui figure parmi les assez nombreuses occasions saisies par Stella de se représenter : quelques années avant le retable de Provins (1654) dans lequel il apparaît fatigué et la chevelure grise alors que ce n'est qu'avec cette commande qu'il semble avoir perçu le déclin de sa santé; et un peu après le tableau dans lequel il présente sa mère, peut-être à 70 ans en 1643-1644 (Vic-sur-Seille, musée départemental), dans lequel son visage est plus dynamique, ses cheveux apparemment moins gris. Le choix d'un mur de fond aux tons bruns est fréquemment fait dans la période particulière de l'œuvre de Stella que scandent le cuivre de Schiedam (1649) et l'Enfance du Christ de Dijon (1651) (ci-contre), intervalle probable pour situer notre portrait.

L'Enfant Jésus retrouvé au Temple, 1649.
Cuivre. 47,3 x 35,2 cm.
Schiedam, Sainte-Lidvina
L'enfance du Christ, 1651.
Huile sur toile. 39 x 53,5 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts

Le tableau a été attribué par le peintre Jean de Saint-Jean à l'ami Nicolas Poussin. Plus immanquablement encore, il a été rapproché des effigies que celui-ci a pu peindre pour d'autres amis, Jean Pointel, marchand lyonnais établi à Paris, et Paul Fréart de Chantelou, tous deux bien connus de Stella. Pour décider de se peindre, on le sait, notre artiste n'a jamais eu besoin de l'exemple de Poussin, qui y répugnait. Le contexte de l'atelier pour former les Bouzonnet me semble une motivation plus pertinente pour entreprendre cet exercice, dont Claudine put se servir pour son autoportrait glissé dans l'ex-voto de guérison destiné à Fourvière, en 1653.

« Entourage de Pierre-Jean Mariette » d'après Claudine Bouzonnet Stella et son autoportrait
dans l'Ex-voto peint en 1653 pour Fourvière, dessin. Ashmolean Museum, Oxford

Pour sa part, Poussin adopte dans ses deux effigies un parti démonstratif puisqu'il s'appuie sur la mise en scène élaborée d'attributs. L'effigie aimable pour Pointel est placée devant un bas-relief avec putti et guirlande ornementale austère; il tient un livre dont la tranche a reçu un titre qui désignerait un écrit théorique. Cet ajout que l'on sait aprocryphe est un contre-sens puisque le propos qui lui est prêté - de lumine et colore - prend place dans un camaïeu de bruns d'où n'émergent que les carnations emprisonnées par la chevelure et la cape noire sommée du col blanc de la chemise. Le contexte évoque plus volontiers les arts du dessin que la peinture seule.

Nicolas Poussin, Autoportrait Pointel, 1649.
Toile. 78,3 x 64,5 cm. Berlin, Staatliche Museen.
Nicolas Poussin, Autoportrait Chantelou, 1650.
Toile. 98 x 74 cm. Louvre.

Dans sa tentative de déjouer la jalousie de Chantelou, il prend le contrepied de ce traitement, autant par un coloris plus sonore que par la représentation de l'allégorie de la peinture sur un tableau qu'il n'a sans doute jamais fait, que masque en partie une autre toile au dos duquel se voit l'inscription en forme de dédicace ou de signature, que vient encore partiellement obscurcir l'ombre de Poussin posant - évocation de l'histoire de Dibutades. Notons au passage que la main qui tient le porte-mine chez Pointel est occultée chez Chantelou, comme dans le Stella de Lyon. Deux bras d'une figure invisible saisissent les épaules de la Peinture : Bellori y voit l'amitié, et sans doute les liens marqués par l'absence née de la distance dont Poussin pouvait vouloir faire ainsi sentir la morsure. La pose comme l'expression plus grave et solennelle place le modèle dans un décor abstrait, intemporel, sacralisant la relation de l'artiste et de son mécène autour de l'art de peindre.

Une fois fait le rapprochement par le costume sombre entre ces portraits et le Stella, et en dehors du fait qu'il s'agisse d'autoportraits, il est illusoire - et toujours aussi funeste - de vouloir regarder l'œuvre en pensant à l'amitié entre les deux hommes. Le face-à-face que suppose une telle image est, à Lyon et à la différence de chez Poussin, sans concession : si la pose est un peu détournée, elle ne fait que souligner une contrainte de l'exercice, peu compréhensible si le peintre n'est pas le modèle; l'expression, elle, est fascinante et focalise l'attention. Au vrai, celle-ci ne pouvait être distraite que par l'ombre sur le mur derrière le peintre et par la feuille enroulée dans la main qui laisse entrevoir un dessin à la sanguine, outil précieux du graveur; simples attributs des arts du dessin alors que la main soustraite au regard renvoie à la pratique de la peinture en action que matérialise le tableau.

Voilà qui ramène à cette facture si brillante, dont je veux bien admettre qu'elle est très éloignée de celle du duc d'Enghien, dix ou douze ans plus tôt, mais parce qu'elle appartient à une toute autre veine. Ici, ce n'est pas le destinataire qui commande mais l'artiste en son art, le pinceau, dans tous les prestiges de la touche, encore sublimés par une palette restreinte. D'un point de vue chromatique, le dispositif met en avant les carnations, le visage qui livre le sujet, et les mains, l'une tenant un dessin qui désigne l'artiste, lequel se peint en action par l'occultation de l'autre.

Que dit, au bout du compte, cette expression? Une puissante concentration dans l'exercice qui fait écho aux propos de Félibien soulignant le grand amour qu'il avait pour la peinture. Tel est l'héritage qu'il compte laisser aux Bouzonnet, qu'il commence alors à former à l'art de peinture et de gravure et que je crois, au moins pour Antoine, Claudine et vraisemblablement Françoise, spectateurs de la démonstration. Telle devrait être le sentiment qui s'impose devant le spectacle de tant de ses œuvres, dont les plus magistrales portent cette singularité troublante qui étonne au premier regard, et que l'ami Poussin dût savoir dépasser pour lier une amitié si profonde et durable avec Stella. On ne peut que s'étonner de mettre en regard une image aussi peu flatteuse et un tempérament que d'autres témoignages disent enjoué, social; deux facettes d'un artiste passionné par l'art et la vie, intimement liés.

S.K., Melun, juin 2023

La Sainte Famille,
saint Joseph sèche un lange, un ange prépare la bouillie
,
peinture (et gravures)

Huile sur cuivre. 45 x 35 cm. Toulouse, Musée des Augustins.

Historique : gravé à Paris par Jean Audran au début du XVIIIè siècle? Collection Maury, don au Musée en 1892.

Gravures

- « La Ste Vierge levant de son berceau l'enfant Jésus qui lui fait des caresses pendant que st Joseph chauffe des linges pour l'emmailloter, gravé au burin par un médiocre graveur d'après Jacques Stella » (une Bouzonnet débutante?), selon Mariette (éd. 1996, p. 221). Perdue.

- avec variantes (?) (chat absent, cintrage dans le haut, arbre masqué en partie par la colonne) gravée (?) et éditée par (Jean) Audran (1667-1756). Burin et eau-forte. 51 x 34,4 cm. Exemplaire, Médiathèque de Montpellier (Est0762) (ci-contre en bas).
Lettre : sous le cadre, à gauche J. Stella pinx. et à droite Audran Ex.; dans la marge : Mortels pour vôtre Dieu vous devez reconnoître/ Cet Enfant dont le laict se prépare à vos yeux;/ Les Anges descendus des Cieux/ Viendroient-ils le servir s'il nétoit pas leur maître./ a Paris chez Audran Graveur du Roy a l'Hôtel Royal des Gobelin.


Bibliographie :
* Henri Rachou, Catalogue des collections de peinture du musée de Toulouse. Appendice, Toulouse, 1920, p. 15, n°726 (attribué à J.S.).
* Jean-Pierre Cuzin, cat. expo. Raphaël et l'art français, Paris, 1983, p. 176-177, n°222.
* Michel Hillaire in cat. expo. Grand Siècle, Rennes-Montpellier-Montréal, 1993, p. 248-249, n°80.
* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 135, n.18.
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II, p. 221.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 175 (n°102).
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 168-169.
* Sylvain Kerspern, « Catalogue de l'œuvre de Jacques Stella (...), La Vierge donnant la bouillie, 1651 », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en octobre 2016.


Bibliographie additionnelle :
- Paola Bassani Pacht, Claude Vignon, Paris, 1992 (pour 1993), n°264G.

Gravure perdue, mention de Mariette

Si la peinture n'apparaît que tardivement, à la toute fin du XIXè siècle dans le Sud-Ouest, elle semble avoir été gravée par Jean Audran à Paris dans la première moitié du XVIIIè siècle. Son estampe, jusqu'alors inconnue de la littérature sur l'artiste, propose quelques variantes qui pourraient désigner un autre exemplaire, mais certains détails secondaires semblables (comme la forme des nuages) plaident pour l'identité; il se peut qu'Audran ait pris quelques libertés avec son modèle, ou traduit un dessin associé à la peinture qu'il affirme graver.

L'estampe vient confirmer la responsabilité de Jacques Stella, à qui le cuivre n'est qu'attribué par Henri Rachou. Nul n'a pensé devoir la remettre en cause, et il a ainsi représenté l'artiste à plusieurs expositions. Dès l'apparition de l'Enfance du Christ acquise ensuite par le musée des Beaux-Arts de Dijon, de 1651, il en a été rapproché pour l'ambiance et surtout pour la présence de l'ange cuisinier, venant confirmer la situation vers 1650 que j'ai proposée en 1994. La toile bourguignonne et le tondo passé par la Galerie Coatalem, également de 1651 (ci-contre), me semblent montrer un pas franchi dans la minéralité un peu plus tardif.

L'une et l'autre, et d'autres exemples encore cités dans la notice du tableau circulaire de 1651, montrent le thème de la bouillie que Stella semble avoir particulièrement apprécié alors, comme d'ailleurs l'allaitement. Il se peut que la naissance des neveux et nièces ait permis à l'artiste, au cours de ses séjours lyonnais (notamment en 1642), de faire des études particulières de ce moment, réutilisées alors qu'il commence à les former - à cette date, le plus jeune, Sébastien, n'en a plus l'âge et doit avoir environ 6 ans. Ceci étant, si l'iconographie est tout à fait dans l'esprit bienveillant, enjoué, de l'artiste, il n'en a pas l'exclusivité. Des années plus tôt, l'ami Claude Vignon (1593-1670) en avait donné une version gravée ensuite par Gilles Rousselet, gravure et peinture figurant dans l'inventaire du peintre de 1643 (P. Bassani-Pacht 1992).

Le motif de l'ange semant des fleurs sur Joseph et le berceau chez le Tourangeau fait référence à la Grande Sainte Famille de Raphaël, dite de François 1er à qui elle fut offerte par le pape Leon X en 1518 (Louvre). Elle était encore à Fontainebleau en 1644 mais fut transférée ensuite à Paris, où elle est signalée aux Tuileries en 1666. Or Stella a pareillement médité dans le cuivre toulousain l'exemple du peintre urbinate, comme l'a remarqué Jean-Pierre Cuzin (1983). Si l'artiste possédait une étude à la sanguine pour la Vierge de Raphaël (Louvre), il faut noter que Stella s'est efforcé de rivaliser avec la sculpturale complexité du drapé de la peinture, non du dessin. Le visage de la Vierge, demie-lune au menton pointu, yeux mi-clos et pommettes saillantes, n'est pas tant raphaëlesque que dérivé des modèles de Léonard, également cité par Jean-Pierre Cuzin, mais aussi Corrège, que Stella admirait selon le témoignage de l'inventaire de Claudine.

Il est vraisemblable de situer la conjonction de ces références au moment du repli de l'activité dû à la Fronde, et dans le cercle des amateurs autour des frères Fréart, qui doit le faire aussi fréquenter un Charles Errard. Stella partageait avec eux l'admiration pour ces grands maîtres de la Renaissance italiens et l'art antique. Pourtant, ce qui pourrait passer pour un travail « de manière », c'est-à-dire s'appuyant essentiellement sur la médidation du modèle d'un autre artiste, doit désormais être associé à une étude « sur le naturel », grâce au dessin du British Museum dans laquelle apparaît un motif de mère et enfant sur un berceau comparable (catalogué avec les « dessins de genre »). L'installation de la vieille femme derrière eux a pareillement servi pour celle de Joseph dans le cuivre toulousain, au moins pour toute la partie basse. La feuille conduit néanmoins à souligner à nouveau l'émulation plus franche avec la peinture de Raphaël pour les plis du manteau bleu de la Vierge.

Aussi érudite, culturellement connotée soit-elle, la peinture de Toulouse témoigne d'un des ressorts essentiels de la création de Stella, le recours au familier de ses contemporains. Ce double aspect, je ne me lasserai pas de le répéter résulte de son grand amour pour l'art, autant comme collectionneur et expert qu'il fut qu'en tant que praticien, ce dont attestent la science de la composition, la facture très finie et raffinée et les détails savoureux. Ici, l'artiste a su associer le travail dans l'ombre - mais en pleine lumière de l'âtre - de l'ange chauffant la bouillie, Joseph tenant le lange pour qu'il sèche; et le chat auprès de la cheminée qui nous regarde, présence familière mais que la religion prenait volontiers pour un mauvais présage. Tous laissent à l'Enfant l'opportunité de caresser affectueusement le visage de sa mère et de lever un pied pour s'extraire du berceau, probable allusion à la sortie du tombeau lors de la Résurrection. Stella lie ainsi encore étroitement sentiment du quotidien et leçon universelle.

Sur le plan formel, l'alchimie prend par l'instauration d'une pyramide dont la tête du père forme le sommet, l'axe de symétrie passant par l'Enfant. Cette construction tout autant que l'installation d'un chat auprès d'une source de chaleur ont vraisemblablement été méditées par Charles Le Brun (1619-1690) lorsqu'il peint, en 1655, la Sainte famille dite le Silence (Louvre). La comparaison m'oblige à dire que dans sa simplicité et son rapport au quotidien, l'interprétation de Stella fait oublier ce qu'une telle construction pouvait avoir d'artificiel, à quoi Le Brun, tout à sa démontration de l'expression rhétorique des Passions, ne parvient pas tout à fait...

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Toile circulaire. Diam. 71,5 cm.
Galerie Coatalem en 2013
L'enfance du Christ, 1651.
Huile sur toile. 39 x 53,5 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts
Gilles Rousselet d'après Claude Vignon,
Sainte Famille et des anges préparant la bouillie.
Gravure avant 1643. 57,5 x 45,4 cm. Albertina
Raphaël, Étude pour la Vierge de la Grande Sainte Famille. Sanguine. 17,3 x 11,9 cm. Louvre, Inv. 3862. (ancienne collection Stella) Raphaël, Grande Sainte Famille de François 1er, 1518. Huile sur toile. 207 x 140 cm.
Louvre, Inv. 3862.
Deux femmes agenouillées jouant avec leur enfant, une vieille femme et un homme le visage dans les mains assis.
Plume et lavis. 15,5 x 24,3 cm. Annoté en rouge en haut à gauche 192. British Museum (1859,0514.225).
Charles Le Brun, Sainte Famille dite Le Silence, 1655.
Toile. 87 x 118 cm. Louvre (INV 2880).
Peinture perdue La Vierge allaitant,
peinture perdue,
et gravure de Nicolas Regnesson (1616?-1670)
Peinture perdue.
Historique : collection Gabory, fabricant de toiles peintres à Rouen, sa vente, Paris, 15-16 avril 1822, lot 53 (« 53. La Vierge allaitant l'Enfant-Jésus. Ce sujet gracieux est composé de deux figures qui se détachent sur un fond brun, en laissant à droite une échappée de paysage. B. H. 12p., L. 9p. [ 30,5 x 25 cm. env. ] »); acquis par Gérard selon mention manuscrite sur l'exemplaire du catalogue du Philadelphia Museum of Art). Localisation actuelle inconnue.

Gravure en ovale par Nicolas Regnesson (1616?-1670).

Lettre : Dans le cadre au bas : NRegnesson ex. (à gauche), Cum privil. regis (à droite).

Exemplaire : BnF (Da20 fol., œuvre des Stella).

Bibliographie :
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La Vierge allaitant l'Enfant (...) gravé par Pierre van Schuppen, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mars 2023

Bibliographie additionnelle :
* Sylvain Kerspern in cat. expo. Résurrection d'une œuvre. Un tableau du XVIIème siècle, Dammarie-lès-Lys, 1992, p. 13, 40-41.
* Jérôme Montcouquiol, « Quelques petits formats de Frère Luc », site La Tribune de l'art, mise en ligne 29 juillet 2012, consulté le 7 juin 2023.

La gravure figure dans l'album Beringhen consacré aux Stella, ce qui est un indice mais ne suffit pas à assurer de l'inventeur que Regnesson, peu scrupuleux en la matière, ne croit pas devoir mentionner, n'indiquant que son rôle d'éditeur. J'ignore s'il existe des états plus complets. Néanmoins, la forte correspondance avec une peinture sur bois donnée formellement à notre artiste et qui figurait dans la collection Gabory à Rouen au début du XIXè siècle, vient la conforter. Le goût de la coiffure, le visage à l'ovale pointu, le profil régulier de l'enfant peuvent être particulièrement mis en rapport du Christ enfant retrouvé... de Schiedam (1649) et de l'Enfance du Christ de Dijon (1651), pour s'en tenir aux ouvrages datés.

L'installation en diagonale de la Vierge, l'Enfant contre elle, pourrait avoir été suscitée par l'émulation avec Sébastien Bourdon, qui apprécie ce procédé. Il est plus vraisemblable encore que le Frère Luc se soit inspiré de Stella dans sa représentation insolite de la Vierge tenant l'Enfant sur une petite croix. Il place pareillement les deux personnages devant une ouverture sur un paysage, et s'appuyant sur une couche au décor à l'antique, jusque dans le dessin du rideau qui le surmonte (ci-contre). La simple inversion de ces différents éléments dans les deux estampes peut d'ailleurs faire songer à une inspiration via la gravure de Regnesson, si celle-ci est en sens inverse de la peinture sur bois.

Le détail du mobilier à l'antique, également visible dans la Sainte famille de Sivry-Courtry du frère récollet redécouverte et exposée en 1992, s'inscrit une fois encore pour Stella dans les préoccupations de cette période, dans l'entourage des frères Fréart. L'image se veut plus sereine que dans la version gravée par van Schuppen (ci-contre), que je crois antérieure de quelques années. La diagonale de la pose de la Vierge, pour qu'elle s'appuie sur la couche, n'est pas un effet de style « à la Bourdon » mais de naturel dans son désir de protection, en un échange de regards avant ou après la tétée. La tendresse s'impose ici en une image de simple maternité - n'étaient les détails archéologiques, marqueurs du drame à venir.

S.K., Melun, juin 2023

L'Enfant Jésus retrouvé au Temple, 1649.
Cuivre. 47,3 x 35,2 cm.
Schiedam, Sainte-Lidvina
L'enfance du Christ, 1651.
Huile sur toile. 39 x 53,5 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts
(Ci-dessus)
Sébastien Bourdon,
Sainte famille et saint Jean-Baptiste.
Gravure. Diam.:16,8 cm. British Museum

(Ci-contre) N. Regnesson d'après le Frère Luc, La Vierge à l'Enfant sur la croix. Gravure. 37,8 x 29,2 cm. BnF.

Le Frère Luc (1614-1685)
Sainte famille dite le Silence.
Toile. 180 x 135 cm. Sivry-Courtry.
Le Christ mort, 1643.
Cuivre. 17,5 x 11,8 cm.
Coll. part.
Pierre van Schuppen
La Vierge allaitant.
Gravure. 37,6 x 30 cm. BnF.
Peinture perdue La Vierge à l'Enfant au chardonneret,
peinture perdue,
et gravure de François de Poilly (1623-1693)

« La Ste Vierge en demie-figure, ayant sur ses genoux l'enfant Jesus près d'une tableau sur laquelle est une corbeille de fruits, gravé au burin par François de Poilly d'après Jacques Stella » (Mariette 1996, p. 218)

Peinture perdue (Si identification avec le tableau de l'inventaire de Claudine : sur marbre noir. Ca. 32,5 x 22 cm.)
Historique : ? fonds Stella, puis Bouzonnet Stella (« sur marbre noir, de 12 pouces de haut sur 8 : une Vierge et le petit Jésus qui tient un oiseau au bout d'un file &nraquo;); legs au libraire parisien André Pralard en 1697. Localisation actuelle inconnue.

Gravure par François de Poilly (1623-1696). 29,5 x 20,4 cm.

Lettre :
État : Dans la marge de part et d'autres du blason sommé d'un casque de chevalier, dédicace, Clarissimo viro DD Nicolao Sainctot, Palatii Quæstori/ et Regiæ Mensæ Præfecto politiorum artium omnisque/ elegantiæ Scientissimo Pictura Sculpturaque/ gratiæ et gratantes DD CC/; (au bas :) Stella pinxit [ Stella pinxit  Poilly sculpsit Herman Weyen excud. Cum Privil. Regis.

Exemplaire : Abbeville, Musée Boucher de Perthes; BnF (Ed 49b res.).

Bibliographie :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 13, 29, n°31.
* Robert Hecquet, Catalogue de l'œuvre de F. de Poilly, graveur ordinaire du roi, Paris, 1752, p. 24, n°37
* José Lothe, L'œuvre gravé de François et de Nicolas Poilly d'Abbeville graveurs parisiens du XVIIè siècle, Paris, 1994, p. 176, cat. FdP 306.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 218.
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La Vierge à l'Enfant qui tient un oiseau au bout d'un fil (...) Gravure par Gilles Rousselet, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en février 2022

La peinture que traduit la gravure de François de Poilly présente une Vierge au long cou, noble dans l'attitude reprenant un type féminin qui s'affirme en plein dans une autre collaboration des deux hommes, le frontispice pour le tome 3 de La perspective pratique du père jésuite Dubreuil publié en 1649. On peut en rapprocher aussi la Madone Beauharnais, datée de 1650, pour la puissante interiorité de la mère balancée par le regard insistant de l'enfant de profil - Jésus ici, le petit saint Jean là.

Le dédicataire, Nicolas Sainctot, est vraisemblablement le maître d'hôtel du roi et introducteur des Ambassadeurs à la cour qui fait appel à Louis Le Vau pour édifier son hôtel particulier parisien sur le quai de Béthune, dans l'Île Saint Louis, en 1639, mort en 1655; à moins qu'il ne s'agisse de son fils, pareillement prénommé (1632-1713) et qui hérite de la charge, selon que l'on situe la gravure avant ou après le séjour de Poilly en Italie. Les dates affectées aux estampes qu'il y produit vont de 1651 (Ceremonial de Clément VIII; thèse Germanus Osiris Ferdinandus 3...) à 1654 (Vita Nicolo Albergati, Umbrae Geniales Io. Francisci Raymundi......), de Rome et (sur le chemin du retour?) de Venise (Synonymorum apparatus). En 1649 encore est publié à Paris La perspective pratique citée plus haut : l'absence de Paris doit s'étendre de courant 1649 à fin 1654.

L'iconographie a fait l'objet de plusieurs versions par Stella, comme je l'ai souligné à propos de la composition gravée par Rousselet qui, à ce jour, est la plus ancienne en date. Vers le temps de la gravure de Poilly ou peu après doit se placer la Madone Piasecka, à laquelle j'ai consacrée une étude particulière puisqu'elle était alors donnée sans discussion à Michel II Corneille (1642-1708). Il se peut que le modèle de la gravure de Poilly soit la peinture sur marbre noir de 12 pouces de haut sur 8 par Jacques Stella (n°31) (32,5 x 22 cm env.), ce qui expliquerait le fond très sombre sur lequel se plaquent les personnages et le rideau.

Les trois versions font de l'oiseau l'objet d'une interaction entre la mère et son fils. Symbole des plus humbles pourtant objets de l'attention de Dieu selon un passage de l'évangile de Luc formant lettre de l'estampe de Rousselet, et plus généralement de l'âme, l'attache au bout d'un fil représente la vie terrestre marquée par le péché de quoi le Christ délivre par son sacrifice. L'interprétation qui nous occupe introduit la corbeille de fruits sur laquelle s'est posé le volatile pour picorer. L'Enfant, qui tient d'une main le fil, l'indique de l'autre à sa mère, vers qui il a porté son regard. Marie semble impassible, sortant de lourdes pensées pour suivre ce qui lui est montré. Jésus, lui, ne montre pas d'inquiétude, soit qu'il ne mesure pas la portée symbolique de l'instant, soit, plus vraisemblablement, qu'il incite à en suivre l'enseignement. Comme souvent chez Stella, le ton est à la fois familier et solennel, suivant une intériorité qui incite à restaurer le dialogue muet de ses personnages, source de méditation offerte au spectateur.

S.K., Melun, juin 2023

F. de Poilly d'après Stella
frontispice de La perspective pratique, 1649.
Gravure. 21,4 x 14,3 cm. BnF
La Vierge à l'Enfant et saint Jean Beauharnais, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm. Coll. part.
G. Rousselet d'après Stella, La Vierge à l'Enfant tenant un oiseau au bout d'un fil. Gravure. 30,2 x 22,2 cm. BnF. La Vierge à l'Enfant au chardonneret Piasecka.
Toile. 82,5 x 65,5 cm.
Vente Piasecka, 8 juillet 2009.
La Vierge à l'Enfant endormi après l'allaitement,
peinture

Huile sur toile. 62 x 51 cm. Galerie Michel Descours en 2018.

Historique : vente Lempertz 16 mai 2018 (lot 1096, Italianischer Meister um 1700); Galerie Michel Descours en 2018 (Jacques Stella).

Bibliographie :
* Sylvain Laveissière, notice du catalogue Varia. Peintures et dessins de Paris Bordone à nos jours, Galerie Michel Descours, Lyon, 2018, n°4, p. 23-27.
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La Vierge allaitant l'Enfant (...) gravé par Pierre van Schuppen, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mars 2023

L'œuvre est apparue sur le marché d'art comme italienne vers 1700. Elle a été acquise par la Galerie Descours qui, outre l'attribution à Stella confirmée par Sylvain Laveissière, a procédé à une restauration enlevant le repeint de pudeur qui masquait en partie le sein gauche que Jésus a quitté. Il ne s'agit donc pas de peindre une simple Vierge à l'Enfant endormi mais de montrer l'Enfant gagné par le sommeil après l'allaitement. Coiffure « égyptienne », mise à part, Stella reprend l'essentiel des dispositions trouvées pour l'Office de la sainte Vierge de Tristan (1645), dans lequel l'Enfant est plus complétement tenu emmaillotté. La sculpturalité et le fond brun situent plus tard, autour de 1650, notre toile, non loin de la Vierge donnant la bouillie de 1651 passée par la Galerie Éric Coatalem.

Vente Lempertz, 16 mai 2018
(avant restauration).
La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Toile circulaire. Diam. 71,5 cm.
Galerie Coatalem en 2013
Huile sur marbre noir. 13,5 x 10,5 cm.
Localisation actuelle inconnue
(Vers 1630-1632)
Abraham Bosse d'après Stella, 1645
Gravure. Env. 4,6 x 3,3 cm.
.
BnF, British Museum...
(1645)
P. van Schuppen d'après Stella
Gravure. BnF
(Vers 1646-1648)
Nicolas Regnesson d'après Stella
Gravure. BnF
(Vers 1649)

Le sujet a volontiers sollicité l'invention de Stella au long de sa carrière. Ci-dessus sont reproduites les différentes versions qui ont précédé (selon moi), plus complètement détaillées dans la notice de l'estampe de van Schuppen, témoins de la richesse de son inspiration. La peinture vendue en 2018 s'en distingue en étant la seule qui montre Jésus, rassasié au point de s'endormir comme une anticipation de la mort. Elle conduit le spectateur à se concentrer sur les seules pensées maternelles devant l'abandon, tout en confiance, de Jésus, Dieu caché, mais aussi à propos d'un destin terrible autant que libérateur.

Le sein découvert et l'expression absente de Marie laissent croire que Stella, à sa manière accoutumée, saisit ici un moment fugace du quotidien de l'Enfance du Christ au milieu duquel se manifeste la Divine Providence, dans toute sa complexe incarnation. La très haute qualité de la touche comme le raffinement du coloris hissent cette méditation intime proposée au spectateur au rang de chef-d'œuvre.

S.K., Melun, juin 2023

Peinture perdue Repos de la Sainte Famille à la grappe de raisin,
peinture perdue,
et gravure de Gilles Rousselet (1610-1686)

« La Ste Vierge se reposant au pied d'une colonne, près de st Joseph qui lit; un ange luy presente une corbeille de fruicts dont elle prend une grappe de raisin, gravée au burin par Gilles Rousselet d'après Jacques Stella » (Mariette 1996, p. 220, sous le n°55)

Peinture perdue. Exemplaire Fesch : toile, 107 x 140 cm ca.
Historique : ?Collection Pierre-Joseph Lafontaine, sa vente le 17 janvier 1810, lot 139, p. 31 (Sainte famille. Composition de quatre figures de proportion presque nature.), acquis par Charles Simon (selon le Getty Provenance Index)? Collection du cardinal Fesch, inventaire de 1841, lot 1858 (Sainte famille. Figures de moyennes proportions. 3 . 3 . x 4 . 3 .), sa vente Rome, 17-18 mars 1845, lot 435 (Toile, 3 P. 3 p. 6 l. x 4 P. 3 p. 10 l., soit env. 107 x 140 cm.; l'astérisque désigne une peinture apportée à Rome de France); acquis par le marchand italien Colombo? Localisation actuelle inconnue.

Gravure par Gilles Rousselet (1610-1686). 33,8 x 45 cm.

Lettre :
États :
1. Dans la marge, blason avec armoiries (écartelé d'argent au 1 à une étoile d'argent, au 2 à un aigle à deux têtes, au 3 à une croix de Saint-André (?) et au 4 à un trèfle d'argent); de part et d'autre, I. Stella pinxit à gauche; G. RouSSelet Sculp. et ex. C. Pri. Reg..
Exemplaire : BnF (Da 20 res., p. 19).

2. Idem avec la date 1657 après la mention du privilège.
Exemplaire : Albertina; BnF (Ed 40b res., p. 12).

Bibliographie :
* (Charles George), Galerie de feu S.E. le cardinal Fesch (catalogue de sa vente le 17-18 mars 1845 et jours suivants), Rome, 1844, 3è partie, Rome, 17-18 mars 1845, p. 83 lot 435.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 220.
* Véronique Meyer, L'œuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle, Paris, 2004, n°36.

La typologie de la Vierge et des enfants et la puissance des formes de l'estampe de Rousselet peuvent aisément être rapprochées de celles des deux Madone de 1650 et 1651 (Beauharnais et à la bouillie, ci-contre). Le travail du graveur incarne une nouvelle collaboration avec Jacques Stella dont la particularité est de prendre place l'année de la mort de ce dernier. Les armes de chevalier qu'il inscrit dans la marge restent à identifier.

La description du tableau Fesch, s'il s'agit bien du modèle de la gravure, signale que l'Enfant vient de quitter le sein, ce que la gravure a peut-être occulté en le recouvrant, alors qu'un autre pan de vêtement relevé pour le contourner témoigne de sa mise à disposition pour l'allaitement. L'attention de Jésus est détournée par sa mère qui lui présente une grappe de raisin saisie dans la corbeille de fruits, proposée par un ange agenouillé auprès d'eux.

Au travers d'une image qui peut sembler convenue, Stella, représentant le moment de la diversification alimentaire, évoque non seulement un épisode de la vie cachée de Jésus, dans ce que l'on appelle un Repos (pendant la fuite) en Égypte, mais aussi le temps qui passe pour le conduire vers un terrible destin, et son sacrifice auquel fait encore allusion la grappe de raisin, annonçant le vin servant à la célébration de la messe. Contrepoint traditionnel, Joseph, dans l'ombre, lit, déchiffrant peut-être dans les Écritures l'annonce de la mission du Christ. L'expression songeuse de Marie contraste avec celle discrètement souriante de son fils et du petit serviteur, proposant au spectateur d'autres réactions à la péripétie et à ce qu'elle pouvait signifier. L'estampe apporte un nouvel exemple du naturel au service du raffinement et de la symbolique tel que Stella le pratique, ici dans une formule puissante propre à ces années.

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge à l'Enfant et saint Jean Beauharnais, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm.
Coll. part.
La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Toile circulaire. Diam. 71,5 cm.
Galerie Coatalem en 2013

Le baptême de Clovis et
L'ange apportant la Sainte Ampoule,
peintures du retable de Gandelu

1. Baptême de Clovis.
Huile sur toile. 190 x 160 cm. Gandelu, église Saint-Rémy (tableau principal du retable).
2. L'ange portant la Sainte Ampoule.
Huile sur toile. Dimensions inconnues. Gandelu, église Saint-Rémy (attique du retable).

Historique : peints pour l'église priorale Saint-Rémy de Gandelu? Inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques le 22 juin 1973 (XVIIè siècle pour le grand, XVIIIè pour celui de l'attique).

Bibliographie :
* Sylvain Kerspern, « Jacques Stella ou l’amitié funeste », Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 130.
* Véronique Alemany-Dessaint in Clovis et la mémoire artistique, 496-1996, catalogue d'exposition, Reims, Musée des Beaux-Arts, 1996, p. 64.
* Sylvain Kerspern, Jean Senelle, Meaux-Paris, 1997, p. 89.
* Sylvain Kerspern, Bossuet, Miroir du Grand Siècle, Meaux-Paris, 2004, p. 110.
* Didier Rykner, « Bossuet, Miroir du Grand Siècle », La tribune de l'art, mise en ligne le 11 mai 2004 (consulté le 12 juin 2023).

Bibliographie additionnelle :
- Dom Toussaint Duplessis, Histoire de l'Église de Meaux, Paris, 1731, t. 2, p. 641-642
- Maximilien Melleville, Dictionnaire historique du département de l'Aisne, Paris-Laon, 1865, vol. 1, p. 413-414
- M. Barbey, « Excursion archéologique à Cerfroid et à la commanderie de Moisy-le-Temple », Annales de la société historique et archéologique de Château-Thierry, 1880, p. 115

C'est par Dominique Brême, et autour des Revel, dont l'un des peintres membres de cette famille castel-téodoricienne avait été proposé pour auteur des peintures du retable, que j'ai eu connaissance du Baptême de Clovis, aussitôt rapproché de l'une des scènes du Vray trésor (...) de Liesse (1647), gravée par Poilly. Il est complété d'un Ange tenant la Sainte Ampoule parfois oublié dont le style nerveux s'apparente à ce que montre Le jugement de Pâris de 1650, ce qui m'a conduit aussitôt à une situation vers cette date.

On ne peut guère remonter loin dans l'historique de ces deux éléments de retable. Partie du mobilier du décor de l'édifice provient de l'abbaye proche de Cerfroid mais l'église est anciennement dédiée à saint Rémy, l'évêque qui baptise le roi franc, et attachée à un prieuré mal connu. La notice de Barbey en 1880 associe le maître-autel avec un « un tableau de l'école de Lesueur », qui semble bien être le Baptême de Clovis. Par ailleurs, l'église était au voisinage immédiat d'un château qui appartenait alors avec le marquisat de Gandelu à René Potier de Tresmes (1579-1670). Si la présence en ces lieux de nos deux tableaux remonte à leur origine, en fut-il responsable? Fut-ce le chanoine prieur, ou le curé, à la collation de l'abbé d'Essomes? Impossible à dire mais dans ces derniers cas, la commande témoignerait encore de l'allégence du clergé régulier à l'évêque (qu'il soit de Meaux ou de Soissons) et par-delà, au roi, dans cette période qui voit le pouvoir de ce dernier menacé. Les traits délicats donnés à Clovis pourraient bien renvoyer au jeune Louis XIV, que Stella avait portaituré et qui a alors une douzaine d'années - même s'il n'est pas question de le reconnaître ici.

Le tableau principal a manifestement souffert, montrant des usures particulièrement sensibles dans les personnages dans les tribunes ou au fond, ce qui peut expliquer qu'il ait pu sembler un peu faible. En revanche la figure de saint Louis, la cuve et, dans une moindre mesure les autres personnages du premier plan présentent une matière encore nourrie et une qualité de pigments qui désignent un beau pinceau. Le format un peu moins large, en proportion, que celui de l'estampe a conduit l'artiste à quelques suppressions, dont une tribune, tandis que le sujet imposait de ne montrer à gauche que le roi. Moins attendue est la substitution du bâton de commandement par un bouclier pour le soldat à la main gauche levée, modifiant la pose de l'autre; elle résulte peut-être de la présentation au pied de la cuve de l'épée de Clovis dans son fourreau. Enfin, l'artiste a remplacé la crosse sommée d'un enroulement par une croix à double traverse.

Vers le même temps que Pierre Puget (1652, Musée des Beaux-Arts de Marseille) mais dans un tableau séparé, Stella substitue à la colombe un ange tenant la Sainte Ampoule. On imagine que la nécessité d'une peinture à l'attique (inscrite aux Monuments Historiques comme d'une époque plus récente, curieusement) aurait favorisée ce remplacement, permettant de présenter une figure entière en action. Stella fait de son attitude une interpellation à destination du fidèle pour souligner l'intervention divine dans l'accomplissement du vœu de conversion du roi franc. La palette chromatique souligne la dignité royale mais le dispositif, perspective et aplomb de l'ampoule, orientation de l'ange, font de l'évêque le point d'orgue de la composition. Pour fatigué qu'il soit, ce retable témoigne, en mineur, de l'efficacité par la puissance des formes alliée au raffinement du coloris propres à Stella jusque dans les formats plus modestes que ceux qui ont fait la gloire de l'artiste, au Noviciat des Jésuites, à Sainte-Élisabeth de Bellecour ou à Provins.

S.K., Melun, juin 2023

F. Poilly d'après Stella,
Le baptême de la sultane, illustration de Le vray trésor...
de Jean de Saint-Pérès, 1647.
Gravure. Env. 19,7 x 14 cm. BnF
Le jugement de Pâris, 165O, détail.
Toile.
Hartford, Wadsworth Atheneum

Sainte Famille à la pomme,
peinture

Huile sur toile. 49 x 60 cm. Angers, Musée des Beaux-Arts.

Historique : collection Pierre-Louis Éveillard de Livois (1736-1790), catalogue de sa vente après décès, 1791, p. 54, n°151 (« La Sainte Vierge ayant l'enfant Jésus sur ses genoux; Saint Joseph assis à côté d'elle, tient une corbeille, des raisins & d'autres fruits. Ce tableau qui est du bon tems de ce maître, & par conséquent très estimable, a d'hauteur 19 pouces, largeur 23 pouces. T[oile]. »); partie du lot de 197 tableaux vacant par l'émigration des ayants droit sous sequestre au Musée National du département en 1799; partie du fond de ce qui est devenu Musée des Beaux-Arts d'Angers en 1799.

Bibliographie sélective :
* Pierre Sentout, Catalogue raisonné d'une très belle collection de tableaux, des Écoles d'Italie, de Flandres, de Hollande et de France, Pastels, Miniatures, Gouaches, Dessins, qui composoient le Cabinet de Feu M. de Livois à Angers, Angers, 1791.
* Henri Jouin, Inventaire général des richesses d'art de la France. Province. Monuments civils. Tome III, Paris, 1885, p. 5, 44.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 192-193, n°112.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 150-151.
* Sylvain Kerspern, ,« La Vierge Piasecka », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 28 janvier 2013

La Sainte Famille d'Angers est apparue avec la juste attribution à Stella, malgré l'absence de signature, au moment où la réputation de l'artiste et surtout sa connaissance était sinon au plus bas du moins très contrastée. Issue du rassemblement du passionné d'œuvres d'art que fut Pierre-Louis Éveillard, marquis de Livois, mort au début de la Révolution française, elle est d'abord déposée au musée par mesure conservatoire, puis finalement intégrée à ses collections, officieusement en 1808, officiellement, après indemnisation des derniers prétendants à l'héritage, en 1842.

Le tableau me semble à placer proche de la Madone Beauharnais, de 1650 (coll. part.) et, pour la typologie, non loin de la Samaritaine de 1652 (ci-contre). Toutefois, il faut aussi tenir compte du rapprochement avec le dessin de sujet voisin de l'Albertina autant pour le décor, que Stella apprécie particulièrement dans la seconde moitié des années 1640 et dans les toutes premières de la décennie suivante, que pour l'inspiration monumentale et psychologique. Un moyen terme autour de 1650 est vraisemblable, sans doute pas avant, ni après 1652. La pose de Joseph se retrouve dans une gravure de Vallet (Albertina et BnF pour deux états différents), invention un peu plus tardive à rapprocher d'un tableau passé en vente en 2000 demandant un examen direct.

L'œuvre a pourtant été peu commentée. Je peine à souscrire, une fois encore, au rapport à Poussin. Stella actualise des dispositions déjà éprouvées (exemples ci-contre) selon le contexte de recherches classisicisantes, archéologiques, qui est celui des frères Fréart - seule raison éventuelle mais non indispensable d'invoquer leur ami commun qui vit à Rome -, fervents admirateurs de l'Antique, de Léonard et de Raphaël. Stella, déjà grand collectionneur, y mêle des appétits propres pour Corrège ou Parmigianino, que peut avoir raviver le retour de Baugin d'Italie.

La peinture comme éloquence muette suppose de pouvoir retrouver par les formes, les dispositions et les expressions, l'action voire les dialogues qui l'ont ponctuée. Sans aller jusqu'à en imaginer les propos exacts, on peut ici reconstituer ce qu'il s'est passé. Point de lys, attribut de Joseph, comme dans les autres Sainte famille reproduites ci-contre, et pourtant le père n'a pas un rôle secondaire : c'est manifestement lui qui a proposé la pomme que Jésus tient dans ses mains, tendues vers sa mère à qui il vient de la montrer. Celle-ci a abandonné ses travaux de couture; son expression pensive suggère qu'elle a perçu sa signification symbolique, et douloureuse, qui peut avoir conduit à son tour le Christ à se tourner vers son père adoptif, qui répond à son regard. Ainsi passe la leçon offerte au spectateur, des personnages dont la nature divine autorise la prescience à celui qui doit acquérir par d'autres moyens (souvent la lecture) semblable connaissance.

La Vierge à l'Enfant et saint Jean Beauharnais, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm.
Coll. part.
Le Christ et la Samaritaine, 1652.
Toile, détail.
Paris, église N.-D. de Bercy
La Sainte Famille.
Sanguine. 20,6 x 22,7 cm.
Albertina.
Guillaume Vallet d'après Stella
La Sainte Famille à la branche de cerise.
Gravure. 34 x 43 cm. Albertina.
F. Poilly d'après Stella
La Sainte Famille au lys.
Gravure. 30,2 x 35,4 (image seule). BnF.
La Sainte Famille au lys.
Huile sur ardoise. 34,5 x 43 cm.
Vente Sotheby's Londres, OMP, 15 juin 1983.

Il faut le dire nettement : cette approche, si personnelle, n'a pas de véritable équivalent chez Poussin dont les Sainte famille se départissent rarement d'une gravité plus rhétorique - ou d'une rhétorique plus grave, ce qui ne doit pas signifier que Stella préfère les sujets « enjoués ». Il n'élude pas ici la dimension tragique que suppose le rachat du pêché originel par celui qui n'est encore qu'un enfant mais lui donne une saveur familière et familiale, quotidienne, qui parle peut-être plus largement ou directement à qui veut voir. Ce qu'il peut y avoir d'austère ici, la puissance des formes et du drapé, le visage sculptural comme un masque à l'antique, la géométrie simple du cadre à la perspective conduisant le regard vers la corbeille de fruits, sont autant d'outils pour inscrire le message dans une ambition artistique d'universalité, qui constitue l'autre pôle sur lequel repose son inspiration, et son art. Une forme de rudesse qui fait chanter la délicatesse de la facture dans la restitution des fruits, point d'orgue du sujet : il semble bien que Joseph soit sur le point de saisir une grappe de raisin, complément naturel dans la signification de l'eucharistie, associant le sacrifice du Christ à celui, rituel, de la messe. Par son style, son iconographie et la manière dont l'un restitue l'autre, la Sainte famille d'Angers figure assurément parmi les plus belles réussites de Stella.

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge à l'Enfant au chardonneret sur une cerise,

dite aussi Vierge Piasecka

peinture

Pour mon amie Catherine





Huile sur toile. 82,5 x 65,5 cm.
Localisation actuelle inconnue.

Historique : fonds Stella, puis Bouzonnet Stella; legs de Claudine à sa cousine germaine Anne Molandier, à Lyon en 1697. Galerie Heim, Londres, été 1974 (cat. n°12, comme Michel II Corneille); coll. John S. Johnson (1984); coll. Barbara Piasecka Johnson, sa vente 8 juillet 2009.

Bibliographie sélective :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 26 n°12.
* Jean-Pierre Cuzin in cat. expo. Raphaël et l’art français, Paris, 1984, p. 93 (Michel II Corneille) numéro 54.
* Sylvain Kerspern, “L’exposition Jacques Stella à Lyon : enjeux et commentaires”, La tribune de l’art, mise en ligne le 29 décembre 2006.
* Sylvain Kerspern, ,« La Vierge Piasecka », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 28 janvier 2013
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La Vierge à l'Enfant qui tient un oiseau au bout d'un fil (...) Gravure par Gilles Rousselet, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en février 2022

C'est peut-être par Raphaël, modèle bien plus pertinent que Poussin, que j'en suis venu à rechercher Stella. Les célébrations du cinquième centenaire de la naissance du peintre d'Urbino auront mis en évidence le rapport privilégié que le Lyonnais, parmi tant d'autres, a entretenu avec lui. J'ai alors visité l'exposition réunissant partie des ouvrages de l'Italien en France, non celle sur son empreinte sur l'art français, mais la consultation de son catalogue alors que je commençais à travailler sur Stella me fit aussitôt rapprocher son style du tableau de la collection Johnson, alors donné à Michel II Corneille (1642-1708), ce qui forma une de mes toutes premières attributions. Je ne crois pas avoir convaincu Gilles Chomer lorsque j'ai partagé, peu après, le dossier que j'avais réuni sur l'artiste.

J'ai consacré sur ce site une étude complète sur le tableau lorsqu'il a été mis en vente en 2009 parmi les chefs-d'œuvre de la collection de Barbara Piasecka Johnson, sous le nom persistant de Michel Corneille le fils qui ne dût pas convaincre malgré sa haute qualité, puiqu'il ne s'est pas vendu. J'y soulignais combien l'artiste restait méconnu en dehors des grandes commandes (telle celle pour les Invalides abordée ici), ce qui n'a pas tellement changé. On y trouvera les arguments qui permettent d'écarter décidément ce nom autant que ceux en faveur de Stella. La rapprochement avec le tableau de Toulouse, notamment la typologie de la Vierge « à la Léonard » soulignée par Sylvain Laveissière (2006), forme un point d'ancrage tardif dans l'œuvre de l'artiste, que vient confirmer la Madone Beauharnais (1650).

Il faut signaler que ce type physique, entre Léonard et Corrège, est déjà perceptible pour la « mauvaise mère » du Jugement de Salomon de Vienne ou dans le Mariage mystique de sainte Catherine de l'église Saint-Paul de Lyon, bien antérieurs. C'est l'intégration à un langage puissant, mesuré dans sa gestuelle, dépouillé de tout pathos, venant affecter son traitement qui conduit à le placer si tard. Il est probable que l'occasion de voir les peintures de la collection royales, qui doivent quitter Fontainebleau pour Paris vers ce temps, notamment de Raphaël et Léonard, aura ravivé une émulation érudite et stylistique.

Quoiqu'il en soit, c'est ce visage qui avait suscité le rapprochement avec Corneille, non celui de l'Enfant. Les différents éléments ci-contre témoignent clairement - et sans être exhaustif - de son appartenance au vocabulaire de Stella. De même le sujet, pas si fréquent, l'a occupé au moins deux fois auparavant en des compositions connues par les gravures de Rousselet et Poilly (ci-contre). Il mêle l'un des jeux d'enfants (écarté de ceux qu'il donne à graver à Couvay et Poilly, puis sa nièce Claudine) à la légende qui associe le volatile et la Crucifixion au cours de laquelle il aurait acquis sa tâche rouge du sang du Christ.

Il en a, à chaque fois, profondément renouvelé les dispositions. L'oiseau n'est plus sur la main de Marie ou sur la corbeille de fruits mais sur deux doigts de l'Enfant qui lui propose à picorer des cerises qu'il tient de l'autre main. Les deux précédentes propositions jouaient sur l'interaction entre la mère et son fils pour en faire le support de la méditation mêlant innocence du moment et prescience des souffrances à venir. Cette fois, la Vierge, comme enfermée dans ses pensées mais légèrement souriante, est simple spectatrice de ce que fait Jésus, qui cherche à apprivoiser l'oiseau autant que son destin : la couleur des cerises est encore celle du sang. Il semble bien qu'avec des pommes et du raisin se trouve un morceau de pain dans un panier tout eucharistique, par le fait, sans parler du lange présageant du linceul.

Plus encore que le rideau que l'on aperçoit derrière les deux personnages, la drame de la Passion sert donc bien de toile de fond au spectacle qui nous est donné comme objet de méditation. Si les expressions peuvent faire planer un doute sur la prescience qu'ils peuvent en avoir, Stella n'en laisse aucun au spectateur, l'enrobant de ses talents en matière de nature morte ou dans le registre du costume à motifs à l'antique. Le traitement de la grappe de raisin et de l'impact bleuté de la robe souligne son travail de coloriste et la dextérité de la touche. Je ne sache pas que Michel II Corneille ait jamais atteint un tel raffinement...

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge à l'Enfant et saint Jean Beauharnais, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm.
Coll. part.
Sainte famille aux langes et à la bouillie.
Huile sur cuivre. 45 x 35 cm.
Toulouse, Musée des Augustins
(voir plus haut).
Leonardo da Vinci (1452-1519)
La Vierge aux rochers.
Peinture. 168 x 113 cm. Louvre.
Les pélerins d'Emmaüs.
Toile, détail.
Nantes, Musée des Beaux-Arts.
Le mariage mystique de sainte Catherine.
Huile sur toile 39,5 x 49,3 cm. Vente Koller Zurich 21 septembre 2007.
Gravure de Gilles Rousselet, BnF...

et de François de Poilly, Abbeville (voir plus haut).

Dessin perdu La Vierge reine des anges,
dessin,
gravure de Nicolas (de) Poilly (1627-1696)

Les grandeurs de la Vierge,
gravure chez François de Masso (1628-1676) publiée en 1660

Dessin perdu.

Gravure par Nicolas de Poilly. 10,8 x 6 cm.
Lettre : Dans la marge, Regina Angelorum et plus bas à droite, N. Poilly.
Exemplaire : BnF (Ed 48).

Gravure en sens inverse de celle de Poilly chez François de Masso (1628-1676) pour l'édition de Le Parnasse séraphique du R.P. Martial de Brives, Capucin, publié à Lyon en 1660.

Lettre : Au dessus du trait de marge à droite : 119 (numérotation de la page d'en face) et dans la marge, Les grandeurs de la Vierge.
Exemplaire : Lyon, B.M..

Bibliographie :
* José Lothe, L'œuvre gravé de François et de Nicolas Poilly d'Abbeville graveurs parisiens du XVIIè siècle, Paris, 1994, p. 281, cat. NdP 43.

Pour mineure qu'elle semble, cette invention mérite qu'on y prête attention. L'étude du catalogue de l'œuvre des Poilly par José Lothe m'avait conduit à y pressentir une invention de Stella. L'historien d'art, et notamment de l'estampe, pour sa part, pensait que l'estampe en copiait une autre par son frère François mentionnée par Mariette dans laquelle l'amateur croyait voir, disait-il, une traduction d'après Maratta, laquelle reste à retrouver. L'image de Nicolas n'a pas grand'chose à voir avec les scénographies spectaculaires, quoique classique du peintre italien (ci-contre).

En travaillant sur les de Masso, j'ai rencontré une illustration en tout point semblable n'était l'inversion dans un ouvrage publié à Lyon dès 1660, tendant à confirmer la piste Stella pour l'invention. Selon toute vraisemblance, le graveur (François de Masso lui-même?) a simplement copié l'estampe de Poilly. On peut dès lors se demander s'il ne s'est pas servi d'un tirage fourni par Stella, qui doit séjourner à Lyon en 1653-1654. L'ouvrage renferme d'autres images qui semblent des copies propres mais sans génie d'inventions dont une, à coup sûr, d'un autre Lyonnais parti pour Paris, Grégoire Huret (1606-1670).

L'image gravée par Nicolas Poilly doit pareillement prendre place dans un projet d'édition au format in-12 (comme L'office de la Sainte Vierge Tristan). Elle figure parmi les ouvrages les plus précoces du graveur, peut-être pour pallier le départ pour Rome de son frère François, son maître dont le métier se ressent ici. On en rapprochera notamment les gravures qu'il donne d'après Errard pour d'autres ouvrages liturgiques en 1655, de même format, plutôt que de celles pour un autre Office de 1651 d'après des images de Champaigne et de son atelier - ici Jean Morin.

De fait, il me semble imprudent de trop préciser la datation de l'estampe de Poilly tant que ne sera pas connue la publication dans laquelle elle s'insère. J'en rapproche ci-contre les élégantes figures, l'humilité exprimée par Vénus et les pans de robe flottant dans l'air du Jugement de Pâris de 1650 comme point d'ancrage sans interdire tout glissement un peu plus tard. Elle incarne le raffinement tout en retenue de l'artiste jusque dans la plus humble création, moment d'équilibre auquel les ouvrages ultimes de l'artiste donneront plus de puissance, de sévérité et de densité.

S.K., Melun, juin 2023

J. Frey d'après C. Maratta
L'Immaculée Conception.
Gravure. 47 x 33 cm.
Herzog Anton Ulrich-Museum.
N. Poilly d'après Champaigne/Morin
Illustration pour L'Office de l'Église..., in-8 chez Le Petit, 1655.
Gravure. 16 x 9,1 cm. BnF.
N. Poilly d'après C. Errard
Frontispice pour L'Office de la sainte Messe..., in-12, 1655.
Gravure. 12 x 7 cm. Albertina.
Le jugement de Pâris, 1650.
Toile. 75 x 99 cm.
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Summer an Mary Catlin Summer Collection.
Étude d'un enfant dans ses langes,
dessin

Pierre noire et craie blanche. 22,7 x 31,8 cm. Annoté au bas à gauche à la pierre noire j. Stella. Paraphe à la plume d'Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville (1680-1765) avec le numéro d'inventaire 2594
Orléans, Musée des Beaux-Arts.

Historique : fonds Stella, puis Bouzonnet Stella, 1697; Simon de Masso. Pierre Crozat (1665-1740)? (Montage LBS 066) Coll. Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville (1680-1765) (L. 2951), sa vente 18-28 janvier 1779, probablement partie du lot 368. Collection Léon Coignet (1794-1880); legs de sa veuve Caroline Thevenin en 1892 au musée d'Orléans.

Bibliographie :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 53-55, partie d'un lot 12 à 19.
* Jacqueline Labbé, Lise Bicart-Sée, La collection de dessins d'Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, Paris, 1996, p. 297.

Stella n'est décidément pas un artiste facile à saisir au premier regard. Gilles Chomer et moi avions échangé à propos de la feuille d'Orléans, qui lui semblait presque du XIXè siècle. Son passage dans la collection Dezallier d'Argenville établi, l'ancienneté ne faisait pas de doute. Des différents lots de la vente de 1779, seul le 368 propose apparemment un sujet et une technique compatibles (« études de figures à la pierre noire, rehaussées de blanc par de Troy, le père; et quatre autres dessins de Stella & Testelin »), qui semblent avoir été pour le collectionneur (ou l'expert?) des outils de classement ou de regroupement.

Pour autant, l'annotation, qui ne remonte pas au XVIIè siècle, et le jugement de Dezallier, pas toujours fiable à propos du Lyonnais, n'emportaient pas nécessairement la conviction. La mise à jour de la Vierge adorant l'Enfant de Dieppe, puis de l'Enfant allongé sur sa couche entré au Musée des Beaux-Arts de Nîmes, a apporté un élément favorable d'autant plus décisif qu'ils entretiennent un rapport sans ambiguïté avec le dessin : il propose une attitude qui n'est pas intégralement reprise dans les peintures, qu'il ne saurait donc copier.

Stella a longtemps été connu comme un dessinateur travaillant à la plume, au lavis avec rehauts de gouache, beaucoup plus rarement comme travaillant principalement au crayon. La présence d'une sanguine dans la main de son Autoportrait (Lyon, Musée des Beaux-Arts, catalogué plus haut) en semblait d'autant plus étonnante. Depuis, plusieurs exemples de cette pratique sont apparus, comme la Vierge adorant de Dijon (1647), dont le travail appuyé dans le clair-obscur et la restitution du fond sont comparables à celui de notre feuille. Cette dernière est, quant à elle, un témoignage également rare de son travail principalement à la pierre noire, mais un exemple bien connu désormais se trouve à l'Ashmolean Museum : le portrait de sa mère à 80 ans, de 1654. Les rapprochements n'en sont que plus nets, autant par le recours aux hachures ou les contours renforcés. La spontanéité de l'étude, malgré le sentiment d'une attention dans le trait d'autant plus sensible que la trace en est volontiers saccadée, parfois compulsive, se manifeste dans le repentir du pied sortant du lange.

Ces deux références forment une fourchette de datation. L'aspect sculptural aux plis brisés suggère les années 1650. Le rapport aux deux peintures sur pierre, à prendre en compte de ce point de vue, me semblent conduire à cataloguer cette feuille dans la même section, celle qui nous occupe.

Le Christ enfant allongé sur sa couche. Huile sur marbre (ou sur ardoise?).
29,5 x 35 cm.
Nîmes, Musée des Beaux-Arts.

La Vierge adorant l'Enfant sur sa couche.
Huile sur marbre noir. 49 x 37,5 cm.
Dieppe, Musée.

Claudine de Masso.
Pierre noire. 17 x 13,4 cm. Oxford, Ashmolean Museum.

La Vierge, virgo adoranda.
Sanguine. 34,5 x 20,5 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts

Il n'est pas impossible que la technique un peu appuyée n'ait une valeur démonstrative. Au même titre que les « dessins de genre », d'une grandeur un peu moindre, on peut se demander si Stella n'en a pas fait un élément de l'enseignement prodigué à son neveu et ses nièces. Il détaille particulièrement le clair-obscur, notamment par les hachures, la restitution sculpturale du drapé, la pose des accents de craie blanche sur le drap sur lequel l'enfant repose pour un effet de lumière. Nous sommes loin des dessins « très-finis » selon la réputation que Dezallier lui-même reprenait volontiers...

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge adorant l'enfant Jésus,
peinture sur marbre

Huile sur marbre noir. 49 x 37,5 cm.
Dieppe, château-musée (Inv. 934.2).

Historique : collection Sancy-Lebon (Jacques Stella), legs au musée en 1934.

Bibliographie :
* Sarah Destrez, Etude et conservation-restauration d'une Vierge à l'Enfant attribuée à Jacques Stella, première moitié du XVIIe siècle (Dieppe, Château-Musée), mémoire de fin d'études pour l'obtention du diplôme de restaurateur du patrimoine, septembre 2008, Institut National du Patrimoine.
* Sylvain Kerspern, « La Vierge à l'Enfant endormi attribuée à Jacques Stella (...)Autographie, datation, signification », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 31 octobre 2008.

Le thème de la Vierge adorant l'Enfant endormi allongé dans sa couche n'est pas rare, et j'ai pu consacrer une étude sur le sujet à partir d'un exemplaire peint par Stella. Pour comparaison ci-contre est reproduite la version qu'Abraham Bosse a gravé d'après lui vers 1640, et pour la situation, le frontispice de François de Poilly pour le tome 3 de la Perspective pratique du père Dubreuil, de 1649. On peut aussi rapprocher la monumentalité recherchée de la Madone de Beauharnais, de 1650, datation envisageable pour le marbre de Dieppe.

Ce qui fait sa singularité tient d'abord au fait que l'enfant ne dort pas et, par surcroît, est peint dans une attitude d'orant, bras levés et écartés. Son geste nous est destiné puisqu'il nous regarde. Le dessin d'Orléans pourrait constituer une étude destinée à cette invention, même si, par maints détails, il s'en distingue : l'enfant de Dieppe, dénudé, est plus franchement tourné vers nous, jambes comprises; sa main gauche suggère autant une intention de prière que le fait de montrer sa mère, son attitude solennelle, mains jointes.

La peinture réarrange la coiffure suivant les pratiques habituelles de l'artiste mais l'expression du visage est toute proche. Stella est allé jusqu'à isoler le motif dans la peinture de Nîmes, ce qui se fait fréquemment pour un Christ enfant endormi, notamment sur une croix - des peintures de l'artiste en témoignent d'ailleurs dans l'inventaire de Claudine -, mais beaucoup plus rarement éveillé et doté d'une pose dynamique. Le bras gauche est un peu plus replié que dans le marbre de Dieppe, ce qui renforce l'impression que dans ce dernier, l'enfant souhaite désigner la Vierge en modèle au spectateur.

Le marbre a souffert. Il a été brisé, et patiemment restauré par Sarah Destrez pour lui restituer une unité de lecture. La photographie peut tout de même laisser l'impression qu'un rideau agrémenté d'un cordon sur la droite, dont un pan revient au-dessus de la tête du Christ sur la gauche, possiblement en or souvent disparu pour les raisons que l'on imagine. De fait le dispositif était peut-être plus complet mais il laissait tout de même de larges plages du marbre en réserve : c'est une pratique fréquente de sa part, pour jouer des propositions graphiques ou tonales du support minéral.

Sur cette base sourde, Stella choisit de ne faire chanter que trois tons pour cerner les carnations : les couleurs emblématiques de la Vierge, rouge et bleu, associé aux bruns du foulard et du petit lit, semblant sortir de l'ombre inhérente au thème du Dieu caché. Le geste de l'Enfant prend alors tout son poids, comme une révélation offerte au spectateur de la piété maternelle, qui elle-même renvoie au sacrifice à venir de son fils par ses mains jointes, gages de son acceptation. Cette inspiration plus grave, loin du ton enjoué qu'on a trop voulu voir dans son œuvre, s'affirme volontiers durant ces années, au diapason de temps incertains et, peut-être, comme un écho des disparitions des proches que furent son frère ou l'ami Langlois.

S.K., Melun, juin 2023

A. Bosse d'après Stella.
La Vierge adorant l'Enfant endormi.
Gravure. 17 x 13,4 cm. BnF

F. Poilly d'après Stella.
frontispice de La Perspective pratique, 1649.
Gravure. 34,5 x 20,5 cm. BnF

Le Christ enfant allongé sur sa couche. Pierre noire et craie blanche.
22,7 x 31,8 cm.
Orléans, Musée des Beaux-Arts.
Le Christ enfant allongé sur sa couche.
Huile sur marbre noir. 29,5 x 35 cm.
Nîmes, Musée des Beaux-Arts.
L'enfant Jésus allongé sur sa couche,
dessin

Huile sur marbre (ou ardoise?). 29,5 x 35 cm.
Nîmes, Musée des Beaux-Arts.

Historique : collection Bernard Eyhéralde, don au musée en 2013.

Inédit.
Je remercie Pascal Trarieux conservateur du musée, et Véronique Boccaccio-Toulouse, chargée de la régie des oeuvres, de m'avoir fourni informations et cliché de Rémi Benali.

Bibliographie additionnelle:
Barbara Brejon de Lavergnée, « Les Corneille », Nouvelles de l'estampe [En ligne], 235 | 2011, mis en ligne le 15 octobre 2019, consulté le 26 juin 2023.

Je ne reviens pas sur les liens qui rapprochent le marbre de Nîmes de celui de Dieppe et du dessin d'Orléans, déjà bien établis dans les notices précédentes qui les commentent. La puissance des formes et du modelé, la lourdeur du rideau jusque dans l'ampleur des motifs et la typologie amènent à convoquer la Madone Beauharnais, de 1650, pour comparaison, et dans une moindre mesure, la Vierge donnant la bouillie datée de 1650, notamment pour le masque de l'Enfant. Le marbre de 1650 est d'ailleurs un élément utile pour se faire une idée du rideau de la peinture de Dieppe.

Cette fois, Stella se focalise sur le seul Christ, ce qui me semble rare, sans même les animaux de la crèche tels que cela se voit, par exemple, dans une invention de Michel Corneille le père gravé, selon Barbara Brejon de Lavergnée, par son fils Michel-Ange (ou Michel II) (ci-contre). Le sujet ne s'ancre pas pour le Lyonnais dans une narration mais dans une confrontation atemporelle, presque symbolique. L'enfant est installé sur un drap matelassé roulé en traversin pour soutenir la tête, apparemment posé sur une dalle de pierre. Un lourd rideau richement décoré qui le protégeait de toutes parts a été tiré pour nous le révéler.

L'absence de la Vierge enlève partie de la signification du geste du bras gauche puisqu'il ne peut la montrer et oblige à interroger plus avant la signification de l'attitude de l'enfant. Le dessin d'Orléans pourrait soutenir l'idée qu'elle a pu être observée sur le naturel; assurément, Stella donne à une gestuelle symbolique un accent familier, quotidien, propre à son génie par le travail plus ou moins préparatoire de cette feuille. Si on peut y voir le geste rituel de l'orant, renvoyant à la cérémonie de la messe et au sacrifice qu'elle commémore, les motifs de la bordure du rideau qu'il indique désignent les instruments de la Passion (couronne d'épines, roseau, croix, fouet, lance...). La pierre, qui remplace ici le berceau de bois de Dieppe, cesse alors d'être un simple support à sa couche pour désigner le tombeau, la mort et la résurrection, participant à la gravité du temps, sensible encore dans l'expression de l'Enfant. La délicatesse du pinceau, perceptible malgré l'état, magnifie un propos grave...

S.K., Melun, juin 2023

Madone Beauharnais, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm.
Coll. part.
La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Huile sur toile circulaire. Diam. : 71,5 cm.
Coll. part.
Attribué à Michel II Corneille (1642-1708) d'après Michel Corneille le père (1603-1664)
Le Christ enfant dans la crèche.
Gravure. Diam. : 71,5 cm.
Coll. part.
Peinture perdue L'Enfant-Jésus et saint Jean-Baptiste parant un agneau de fleurs,
peinture,
gravure de Pierre Lombart (1612/1613-1681)

* Peinture perdue.

Historique : fonds Stella, puis Bouzonnet Stella; inventaire 1693, lot 19 (L'enfant Jésus appuyé sur un agneau et saint Jean qui lui présente des fleurs; tableau de 1 pied sur 1 et demi, 32,5 x 49 cm), legs à Anne Molandier. Localisation actuelle inconnue.

* Gravure par Pierre Lombart (1612/1613-1681). 29,7 x 36,3 cm.
Lettre :
- État I sans lettre.
- État II : dans la marge, P. Lombart Academiæ sculp. et exc. (mentionné par Mariette 1856, p. 215-216) postérieur à 1673 pour cause de mention de son appartenance à l'Académie Royale de peinture et de sculpture.
Exemplaires : BnF (Da 48, p. 82 ; Ed 37, p. 17).

Bibliographie :
* (Mariette) Abecedario et autres notes..., publ. par Philippe de Chennevières et Anatole de Montaiglon, t. 3, 1854-1856, p. 215-216.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 222, sous le n°73.
* Grazia Rapacciuolo et Maxime Préaud, « Pierre Lombart (1612/1613-1681) Maître graveur en taille-douce », Les nouvelles de l'estampe [En ligne], 247 | 2014, mis en ligne le 15 octobre 2019, consulté le 28 juin 2023, ill. 8.

Mariette loue la pièce de Lombart comme l'« une des pièces qu'il a le plus fini ». Il en donne l'invention à Stella, et la typologie comme l'iconographie confirment son affirmation. La lettre du second état de l'estampe situe sa réalisation bien après la mort de Stella. Lombart s'était d'ailleurs longuement absenté de France, séjournant à Londres de 1649 à 1663. Le métier très accompli ne permettait pas, au demeurant, une situation dans la première partie, parisienne, de sa carrière (1637-1649). Il restitue de façon très propre des types et un drapé qui renvoient au début des années 1650, entre le cuivre de Schiedam, de 1649 et le tondo de la Vierge donnant la bouillie de 1651.

Deux peintures de ce sujet figuraient dans l'inventaire de Claudine en 1693, mais seul celui légué à Anne Molandier propose un format en largeur, d'1 pied sur 1,5 et sur toile. Lombart, académicien comme Antoine Bouzonnet Stella, pourrait avoir eu par ce biais l'opportunité de le graver. Le fond sombre de sa gravure pourrait désigner un marbre laissé en réserve, support de l'autre version conservée par les Bouzonnet, mais celle-ci était de format carré.

Jacques renoue ici avec la veine qui a fait sa réputation, plus immédiatement souriante que grave. L'histoire sacrée passe par un amusement du quotidien partagée par deux enfants, le Christ secondé par Jean-Baptiste. L'agneau, lui, est là pour rappeler le sacrifice qui attend Jésus. Le fait de l'orner de fleurs avait déjà fait ses délices pour telle Vierge ou telle Sainte famille mais il semble que cela ne soit que tardivement qu'il ait choisi d'isoler les deux enfants. Cette focalisation s'apparente à ce qui a pu être constaté pour le marbre de Nîmes, escamotant la Vierge visible à Dieppe.

L'attention est ainsi portée sur les incarnations traditionnelles de l'innocence, manifestant pourtant la pleine conscience de leurs missions. La composition était vraisemblablement en sens inverse, supposant une lecture que l'on fait ici, par la gravure, de droite à gauche, refermée par le rideau jonchant le sol au tout premier plan. Le geste de transmission du Baptiste souligne son rôle de précurseur, le couronnement de l'animal, la confiance en le triomphe sur la mort. Ainsi se trouve mise en scène, avec des gestes simples et des expressions tranquilles, la devise inscrite sur la banderolle attachée à la petite croix de Jean, Ecce agnus dei. Elle se résoud, avec tout son sens, dans le geste enlaçant l'agneau pour le couronner, jouant pleinement sur l'ambiguïté associant geste familier et message universel, dans l'esprit propre à Stella, et dans l'esprit de Léonard.

S.K., Melun, juin 2023

L'Enfant Jésus retrouvé au Temple, 1649.
Cuivre. 47,3 x 35,2 cm.
Schiedam, Sainte-Lidvina
La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Toile circulaire. Diam. 71,5 cm.
Galerie Coatalem en 2013
La Vierge, l'Enfant, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 22,5 x 18,2 cm.
Offices.
La sainte famille, saint Jean-Baptiste et l'agneau.
Huile sur ardoise. 31,4 x 23,7 cm.
Marché d'art en 2021
La Vierge adorant l'enfant Jésus endormi qui a lâché une pomme,
peinture sur marbre (ou ardoise noire?)

Huile sur marbre noir (ou ardoise noire?). 50 x 37,5 cm. Ermitage.

Historique : fonds Stella, puis Bouzonnet Stella; inventaire de Claudine, 1693, lot 22 (bordure faite par Madeleine Stella, mère de Claudine) ou 23 (bordure dorée, peint pour Françoise Stella)? collection Conti, Pierre-Joseph Victor Besenval (1721-1791) et Catherine Thévenin, sa vente 20 décembre 1819 lot 18 (« La Vierge, une main posée sur sa poitrine, la tête tournée de trois quarts, semble contempler l'enfant Jésus qui sommeille. Ce précieux tableau, qui peut être regardé comme un des chef-d'œuvres de Stella pour la suavité du pinceau, la grace et l'élégance du dessin, est peint sur marbre noir : il provient du cabinet de M. de Bézenval, et antérieurement de celui du prince de Conti, où il fut vendu 3000 francs. »); acquis pour 321 francs par Hazart(?!) selon mention sur catalogue (Getty Provenance Index). Collection particulière, acquis par l'Ermitage en 2005.

Bibliographie :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p.27, lot 22 ou 23.
* Charles Blanc Le trésor de la curiosité tiré des catalogues de vente des tableaux, t. 2, 1858, p. 336.

La description de la vente de mademoiselle Thévenin en 1819 donne des détails qui permettent d'identifier le tableau entré récemment dans les collections de l'Ermitage, notamment la main sur la poitrine. La provenance Conti qu'elle signale ne semble pas passer par les deux ventes de 1777 et 1779, sauf à croire, sur la foi d'un support de marbre et de dimensions identiques, qu'il s'agit de la Vierge de la première (du 8 - en fait 11 - avril), vendue pour 650 livres à Destouches, qui installe pourtant l'Enfant sur les genoux de sa mère. Le linge qui vient couvrir le bas-ventre de l'Enfant pourrait être un repeint de pudeur. Cette fois, nulle impression d'un rideau, d'or ou non.

La présentation en ligne sur le site de l'Ermitage donne pour date 1642, qui ne semble pas portée sur l'avers. Si elle est inscrite sur l'œuvre, il y a lieu de douter de son caractère autographe ou de sa lecture : la puissance des formes, la solennité de la Vierge au long cou est toute différente de l'élégance raffinée que Stella manifeste vers 1640 et qui se voit dans le marbre d'Épinal. De même, le Christ retrouvé par ses parents dans le Temple des Andelys (1641-1642), qui pose un accent monumental que Stella va approfondir au long des années, montre une sculpturalité moins minérale dans le drapé, un coloris moins sonore. L'attitude toute intériorisée de la Vierge, le masque aux yeux mi-clos, de marbre oserais-je dire, sont à rapprocher du frontispice de Poilly pour la Perspective pratique (1649), de la Samaritaine de 1652, de Notre-Dame de Bercy, dans laquelle la jeune femme montre semblable port de tête aristocratique et visage à l'antique, ainsi, bien sûr, que du marbre de Dieppe catalogué un peu plus haut. Autre affinité avec ce dernier, le format rigoureusement identique pourrait provenir d'un achat commun du support. L'étude de Sarah Destrez pour la Vierge normande en donne pour provenance la Belgique, lieu d'extraction fournissant volontiers les artistes au nord des Alpes.

Stella réintroduit ici deux attributs : une pomme que l'Enfant a tenue et restée entre ses bras une fois assoupi; un livre que la Vierge a refermé pour regarder son fils, tout en conservant sa page en y ayant glissé trois doigts. Se met ainsi en place une narration dans laquelle les symboles prennent un sens tout à la fois quotidien et universel, propre à nourrir l'esprit de tout chrétien. Le livre renvoie aux Écritures que Jésus est censé venir accomplir, et à la foi de Marie qui lui a valu d'être choisie. La pomme désigne le péché originel qu'il vient racheter et dont sa mère est exempte. Troisième attribut, psychologique, le sommeil vient préciser le chemin qui passe par la mort dont il va triompher. Pour le rendre peut-être plus sensible, Stella rompt avec la pose étudiée visible, par exemple, dans le marbre d'Épinal, pour représenter plus franchement l'abandon; l'installation en oblique, visible aussi dans la Vierge cousant, l'Enfant et un ange connue par la gravure de sa nièce Claudine, participe de cette rupture correspondant à une inflexion de gravité propre à cette période. L'admiration maternelle passe elle par la main posée sur sa poitrine; et la nôtre peut s'attarder sur une facture diversifiée pour restituer les matières, avec un soin qui peut passer pour de la froideur alors qu'il relève d'une distance qui, avec la monumentalité de la mise en page, amplifie le sentiment bienveillant, familier, tendre.

S.K., Melun, juin 2023

La Vierge adorant l'Enfant endormi.
Huile sur marbre. 30 x 22 cm. Épinal, Musée départemental des Vosges
F. de Poilly d'après Stella
frontispice de La perspective pratique, 1649.
Gravure. 21,4 x 14,3 cm. BnF
Claudine B. Stella d'après Stella
La Vierge qui coud, l'Enfant et un ange.
Gravure. 32,2 x 26,6 cm.
BnF.

Le Christ et la Samaritaine.
Huile sur toile. 335 x 224 cm.
Paris, église Notre-Dame de Bercy.


Candaule et Gygès,
toile
(et gravure de Joseph Strutt)

Huile sur toile. 84 x 68 cm. Sarasota, Ringling Museum.

Historique : collection Matthew Smith Esquire, gravé en ovale par Joseph Strutt (1749-1802) en 1787 comme d'Eustache Le Sueur, sa vente chez Christie's Londres, 12 mai 1804 lot 67 (Le Sueur), acquis par F. C. de Bligny (selon le Getty Provenance Index). Ventes John Humble les 26 mai et 29 décembre 1806, 28 février 1807, 3 mai, juillet et novembre 1808 et 18 février 1809 (comme Poussin)? Vente mai puis juin 1812 European Museum, Londres, lot 251 (Poussin)? Coll. Sir Gregory Osborne Page-Turner, 4th Bart, vente Christie's 7-9 juin 1824, lot 19 (Le Sueur), acquis par Hume (selon le Getty Provenance Index). Coll. Josiah Taylor (Pall Mall), Esq., sa vente chez Phillips le 23-28 juin 1828 (Le Sueur, 31,5 x 25,5 inches); vente Talyor 31 mai 1833, lot 73. Coll. Watson-Taylor , sa vente Christie's 7 août 1929, lot 78 (Le Sueur). Acquis par John Ringling en 1935.

Gravure par Joseph Strutt (1749-1802) sous l'attribution à Eustache Le Sueur, juin 1787. 38,2 x 27,8 cm. Exemplaires : trois états au British Museum (1. avec les noms des auteurs et de l'éditeur; 2. avec le titre ajouté; 3. avec une explication en anglais et en français ajoutée - ci-contre). Gravure copiée par Le Bas d'après Strutt pour C.P. Landon (1812)

Bibliographie :
* Charles-Paul Landon Vies et œuvres des peintres les plus célèbres... École française. Vie et œuvre d'Eustache Le Sueur, Paris, 1812, t. 2, p. 106.
* Pierre Rosenberg, Cat. expo. La peinture française du XVIIè siècle dans les collections américaines, Paris-New York-Chicago, 1982, p. 372, n°11 (Stella).
* Alain Mérot, Eustache Le Sueur, Paris, 1987, p. 417 n°R90.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 170-171.

La peinture apparaît en Angleterre à la fin du XVIIIè siècle, mais sous l'attribution à Eustache Le Sueur donnée par la gravure de Joseph Strutt. Elle est alors dans la collection de Matthew Smith jusqu'aux premières années du XIXè. La suite, après sa vente en 1804, est plus confuse. Il n'est pas sûr qu'elle soit identifiable avec le tableau qui passe ensuite sous le nom de Poussin dans différentes ventes londonniennes de 1806 à 1812, sa description étant apparemment trop succincte. En revanche, on peut le reconnaître dans la peinture de Sir Gregory Osborne Page-Turner (1824), et assurément, grâce aux dimensions, dans celle de Josiah Taylor (1828 et 1833).

L'attribution à Le Sueur, reprise par Dussieux sur la foi de la gravure de Strutt dont celle qu'il qu'il donne pour illustrer son ouvrage adopte le format ovale, a tenu jusqu'à ce que Pierre Rosenberg (1982) y reconnaisse la main de Stella. Alain Mérot (1987), de son côté, a confirmé sa sortie du catalogue de Le Sueur. Le rapprochement avec Le jugement de Pâris d'Hartford (1650), autre sujet à l'antique à l'érotisme froid - deux domaines peu rapprochés de Stella jusqu'à récemment-, justifie pleinement cette restitution. La pause de la jeune femme est un poncif de Stella, qu'il habille dans sa Vierge en adoration de 1647 et que l'on retrouve pour la reine de Saba du tableau de Lyon. On rapprochera aussi son profil de celle du Mariage mystique de sainte Catherine de Norfolk.

Le sujet est rare et sans véritable précédent en France. Il est rapporté principalement par Hérodote (Histoires, I, éd; Paris, 1645, trad. P. du Ryer, p. 4-7) qui ouvre sa narration sur l'accession au trône de Lydie de Gygès. Candaule était roi de Lydie et avait pour épouse une femme dont il souhaita partager le spectacle de la beauté nue avec l'un de ses gardes qu'il appréciait particulièrement, Gygès, et auprès de qui il la vantait. Malgré les précautions prises, l'épouse, Nyssia selon d'autres sources, Hérodote ne la nommant pas, s'en rendit compte, et se sentant trahie et humiliée, donna au soldat le choix entre la mort ou le trône en assassinant Candaule. Gygès en devint roi de Lydie, inaugurant la dynastie des Mermnades en lieu et place des Heraclides, descendants présumés d'Hercule.

Cette rareté doit provenir d'une commande érudite qui pourrait nous ramener, à nouveau dans le cercle des frères Fréart. Pour Stella, le thème est autant prétexte à peindre deux nus qu'à évoquer la grandeur antique, dans la restitution d'une couche ouvragée, d'une console et d'une aiguière qui ne figure pas parmi les vases et autres urnes ou bougeoirs qu'il donnera à graver à sa nièce Françoise. Le lourd rideau, parent de celui du Repos pendant la fuite en Égypte du Prado (1652), participe de ce décorum qui réunit dans son parcours deux voyeurs, Gygès, qui l'écarte... et le spectateur pour qui le peintre l'a tiré.

Gravure de Joseph Strutt.
British Museum.
Le jugement de Pâris, 1650.
Toile, détail. Hartford, Wadsworth Atheneum
Le mariage mystique de sainte Catherine.
Huile sur toile. 68,5 x 85 cm.
Norfolk (Usa), Chrysler Museum of Art.

La Vierge, virgo adoranda, 1647.
Bois. Env. 31 x 21 cm. Coll. part.

Pour autant, il ne se contente pas de montrer mais donne un sens à l'histoire, pointant la responsabilité de Candaule - vanité? simple imprudence, selon la légende de la gravure de Strutt? - dans son geste incitant son épouse à le rejoindre. Le doigt posé sur la bouche de Gygès, dans l'ombre, plus qu'une incitation au silence, à la discrétion, semble marquer son embarras, présageant de l'alternative finale entre deux allégeances, au roi trahissant la reine ou à l'épouse bafouée et vengeresse. Un tel dispositif pourrait s'inscrire dans la logique, courante alors, de la Divine providence, venant frapper l'orgueil coupable. L'extrême raffinement de l'image avait, par surcroît, de quoi séduire quelque commanditaire disgrâcié par la Régence ou la Fronde. En demeure un chef d'œuvre dont le style mesuré sinon froid redouble le propos appelant à la continence, qui fait, une fois encore, la singularité de Stella, et jusque dans sa (mauvaise) réputation même.

S.K., Melun, mai 2023

La Vierge allaitant l'Enfant,
peinture (et gravure de Claudine)

Huile sur toile. 61 x 52 cm.
Localisation actuelle inconnue.

Historique : fonds Stella, puis Bouzonnet Stella, gravé par Claudine. Vente Paris, 2 avril 1803 (lot 5, 24 pouces par 18, soit environ 65 x 49 cm.). Commerce d'art (juin 2014). Vente Sotheby's Paris, 21 juin 2018, lot 38.

Gravure à l'eau-forte. 10,7 x 7,7 cm.
BnF, Da 20, fol (p. 23).

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle, t. II, 1951, p. 80, n°8.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 226, sous le n°8.
* Sylvain Laveissière, notice du catalogue Varia. Peintures et dessins de Paris Bordone à nos jours, Galerie Michel Descours, Lyon, 2018, n°4, p. 23-27.
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La Vierge allaitant l'Enfant (...) gravé par Pierre van Schuppen, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mars 2023

Si Stella doit avoir traité le sujet de l'allaitement du Christ dès l'Italie dans la version naguère présentée par la Galerie Éric Coatalem, c'est surtout au temps de la Régence d'Anne d'Autriche à Paris qu'il en aura multiplié les versions dont témoignent, outre des peintures, plusieurs gravures par Bosse, Regnesson (plus haut sur cette page), van Schuppen et la nièce Claudine. On peut penser que l'observation des enfants de sa sœur Madeleine en pareille situation aura stimulé son imagination autant que son souci du détail, puisqu'il en aura, à chaque fois, donné une interprétation bien différenciée. Celle-ci, par sa monumentalité, son profil pur, l'arrangement du drapé, peut être notamment rapprochée de la Madone Beauharnais de 1650 et de la Samaritaine de Bercy, qui propose une gamme chromatique commune.

L'interprétation qu'en donne Claudine peut, pour sa part, et sur le plan technique, être rapprochée du Saint Louis pareillement à l'eau-forte qu'elle date de 1654, si ce n'est une morsure plus profonde conduisant à un fort clair-obscur. La confrontation avec l'estampe inversée montre qu'elle affadit quelque peu la solennité voulue par Jacques, accusant des expressions qu'il a voulu retenues, par exemple. Cette inflexion m'a permis naguère le partage entre les deux artistes à propos de la « petite » Vie de la Vierge. A contrario, elle permet de mettre en évidence l'inspiration toute personnelle de l'oncle. Pour cela, il faut revoir l'iconographie.

Le regard de notre époque pourrait s'étonner des linges qui engoncent toute la partie inférieure de l'enfant. La tradition séculaire de l'emmaillotement, censé faciliter la station debout et tirer le petit d'homme de l'animalité, a été depuis combattue et a donc quasi disparu. Giotto, Giovanni Bellini, Dürer, à l'époque de Stella Georges de La Tour ou Philippe de Champaigne en ont conçu des images qui en témoignent. Aux langes étaient superposés un tissu maintenu serré par des bandelettes, plus clairement visibles dans les peintures du Lyonnais.

Notre artiste, pour autant que l'on sache, l'a particulièrement représenté en France. La gravure de Bosse pour l'Office de la Vierge Tristan (1645) (ci-contre à droite) montre le corps de Jésus totalement pris, situant son image dans les six premières semaines de son existence. Le chapeau « à l'égyptienne » place l'épisode au moment de la fuite du massacre des Innocents. Notre représentation comme celle passée par la Galerie Michel Descours (commentée plus haut, et reproduite ci-contre à gauche) le montre les bras libres, ce que l'on situe ensuite jusqu'aux huit mois. Enfin, la gravure de van Schuppen l'en affranchit totalement, suggérant un âge plus grand, en rapport avec une vigilance à l'environnement sensible dans les expressions.

On ne peut que constater que Stella aura joué de l'emmaillotement. La version traduite par Bosse, illustration de livre parmi d'autres, a un caractère générique pour lequel le travail psychologique importe peu. Pourtant, le visage de l'Enfant pourrait avoir servi de point de départ pour notre tableau, au moins dans son dessin, probablement inversé.

Jésus et la Samaritaine, 1652.
Huile sur toile, détail.
Paris, N.D. de Bercy.
La Vierge à l'Enfant et st Jean, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm.
Coll. part.
La gravure de Claudine inversée.
Huile sur toile. 62 x 51 cm.
Galerie Michel Descours en 2018.
Abraham Bosse d'après Stella, 1645
Gravure. Env. 4,6 x 3,3 cm
. BnF
Pierre van Schuppen d'après Stella, 1645
Gravure. 37,6 x 30 cm
. BnF

La liberté donnée au buste conduit à deux options opposées dans les deux toiles ci-dessus. La version Descours renonce à toute gestuelle de l'enfant pour le montrer endormi et sujet de la méditation de sa mère, ainsi soulignée. Elle est d'autant plus mise en valeur que le peintre la dote d'une auréole rayonnante, cachée par le chapeau chez Bosse mais visible sur l'interprétation gravée par van Schuppen, qui en grave également une pour Jésus. Elle n'est que suggérée dans la version peinte qui le montre endormi. Notre version se veut plus dépouillée et exploite avec autant d'intelligence que de tendresse la libération des bras. C'est assurément le travail « sur le naturel » qui lui aura inspiré ces deux doigts de Jésus qui viennent se poser sur sa bouche, interrogateurs au même titre que son regard. Le sein pressé de Marie ne semble pas nourrir sa pensée, son attitude mais un dialogue muet. La vénération que l'enfant porte à sa mère, donnée en exemple au spectateur, est encore proposée par le profil de la Vierge inscrit sur le fond dont le camaïeu de bruns semble, sous l'impact de la lumière naturelle, lui former une auréole, dans un travail qui rappelle le dispositif de l'Autoportrait de Lyon (catalogué en haut de cette page). Par le langage et la technique de la peinture seuls, Stella livre un propos dépouillé de tout merveilleux pour atteindre une grandeur antique par le dessin du corps et du drapé, tout en s'appuyant sur le naturel familier au spectateur. Cette conjonction des moyens, de l'idéal « classique » et du goût pour la restitution du quotidien forme le génie propre de Stella, porté ici à son plus haut point.

S.K., Melun, mai 2023

1. La Vierge donnant la bouillie, toile (Blois)

2. La Pietà, toile (Limoges)
(et gravure de Françoise?)

1. La Vierge donnant la bouillie Toile. 66 x 52 cm. Blois, musée communal du château.

2. La Pietà. Toile. 65 x 53 cm. Limoges, musée municipal de l'Évêché.

Historique : legs testamentaire du chapelain du château de Saint-Germain Charles Encoignard, aumônier du roi (1636-1724) avec la Pietà à destination de ladite chapelle; saisie révolutionnaire; retenu (avec son pendant) pour musée central des arts; musée spécial de l'École française à Versailles, Trianon (1798-1821); rentré après restauration par Ferréol (de) Bonnemaison (1766-1826), dui détenait le Jugement de Pâris de Stella, en 1821-1824 au Louvre; dépôt du Louvre en 1872 à Blois, pour La Vierge donnant la bouillie, et en 1895 à Limoges, pour La Pietà.



La Pietà
Gravure de Françoise Bouzonnet?
.
Le cuivre signalé par Claudine dans son inventaire de 1693 et décrit par Mariette dans ses notes pourrait correspondre à la composition de Limoges ( Claudine : « Une planche, double feuille, une Vierge à moitié corps tenant Jésus mort »; Mariette : « la Ste Vierge embrassant le corps de Jésus Christ mort. Gravé en demi-corps au burin »).
Gravure de Françoise perdue?

Bibliographie sélective :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 77.
* Antoine Nicolas Dezallier d’Argenville, Voyage pittoresque des environs de Paris, Paris, 1755, p. 158 (sans nom d'auteur, dans la sacristie du château de Saint-Germain).
* Jacques-Antoine Dulaure, Nouvelle description des environs de Paris, Paris, 2è (?) éd., t. 1, 1786, p. 132 (Vierge à la bouillie par Corrège, Pietà par Carrache).
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle, t. II, 1951, p. 87.
* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 131.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 218, sous le n°33.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella, Lyon-Toulouse 2006 , notamment p. 143-145 cat. 76-77.
* Jacques Thuillier, cat. expo. Jacques Stella, Nancy, 2006 , p. 140, 194.
* Didier Rykner, « Bossuet, Miroir du Grand Siècle », La tribune de l'art, mise en ligne le 11 mai 2004 (consulté le 29 mai 2023).
* Sylvain Kerspern, “L’exposition Jacques Stella à Lyon : enjeux et commentaires”, fig. 25 et 26 (et 27) et commentaire des cat. 76 et 77, La tribune de l’art, mise en ligne le 29 décembre 2006.
* Hélène Lebédel-Carbonel, catalogue de l'exposition Peintures du musée du Château de Blois, XVIè - XVIIIè siècles, Blois, 2009, n°21.
* Sylvain Kerspern, « Regard sur une exposition et son catalogue. Peintures du musée du Château de Blois, XVIè - XVIIIè siècles (Blois, 2009) », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 5 mai 2009
* Sylvain Kerspern, « Catalogue de Jacques Stella. La Vierge donnant la bouillie à l'Enfant,1651, notice », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en octobre 2016

Bibliographie additionnelle :
- Alexis Douchin, « L' “ Académie ” de Coutances (1677-1698). L'institutionalisation manquée d'un cercle de beaux esprits », Revue de la Manche, t. 48, fasc. 193, juil. 2006, p. 34-45 (en ligne, consulté le 30 mai 2023).

Rattacher ces deux tableaux à une commande royale a longtemps passé pour une hypothèse très vraisemblable, jusqu'à ce qu'un document en fasse l'objet d'un legs testamentaire passé en 1721 par le prêtre desservant la chapelle du château de Saint-Germain, Charles Encoignard (1636?-1724) à destination expresse de la sacristie, et exécuté en 1725. Le chanoine précise que l'on estime la Vierge de Poussin et la Pietà, original de Stella. Encoignard avait apparemment l'âge de Claudine, il n'est donc pas le commanditaire. Une piste trouvera peut-être un jour confirmation, à partir de Coutances, ville dont Charles était natif, avec laquelle il reste lié au point de participer à l'éphémère Académie locale, entre 1677 et 1698 (Douchin 2006). Un nouvel évêque y est nommé en 1666 et consacré en 1668, Charles-François de Loménie de Brienne (1637-1720), son presque exact contemporain, frère de Louis-Henri (1636-1698), ministre de Louis XIV déstabilisé par la mort de sa femme au point d'être éloigné de la société, amateur d'art et détenteur du Jugement de Pâris de Stella (1650) mentionné dans son catalogue de 1662; lequel passa, par une étrange coïncidence, entre les mains de Ferréol Bonnemaison, restaurateur en 1821-1824 des deux pendants qui nous occupent. Toutefois, il ne s'agirait que d'intermédiaires supplémentaires, ou d'indices d'un milieu propice à la circulation d'ouvrages qui figuraient peut-être, initialement, dans le fonds d'atelier du peintre, ce dont témoignerait la gravure à retrouver de Françoise, mais qui auraient été dispersés avant 1693.

Dezallier d'Argenville (1723-1796) mentionne les deux tableaux dans la première édition de son Voyage pittoresque des environs de Paris, de 1755 (et non 1752) mais sans nom d'auteur, et aucune édition postérieure (1762, 1768, 1779) n'apporte cette précision. L'impétueux Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835) s'y risque dans ce qui est présenté comme la deuxième édition de sa Nouvelle description des environs de Paris de 1786 mais qui doit simplement être la suite de celle de la seule ville de Paris, de l'année précédente. Son admiration se lit dans les noms qu'il avance, qui ne sont pas totalement absurdes, loin de là, parmi les références de Stella : Corrège pour la Vierge et Carracci pour son pendant.

La Révolution aura été le cadre d'une restitution à notre artiste sans que l'on sache précisément qui en fut responsable. C'est sous son nom qu'ils figurent dans les archives alors et au XIXè siècle à Versailles puis au Louvre. Les doutes émis au moment du dépôt à Blois de la Vierge, en 1872, pourraient avoir contribué à ce qu'elle soit demeurée longtemps introuvable, jusqu'à son identification au début de notre siècle. Pour son pendant, on me permettra de souligner l'éloge de Didier Rykner lorsque j'avais choisi de le présenter dans l'hommage à Bossuet, en 2004, qui allait au rebours d'une réputation n'ayant pas encore été renversée par l'exposition de 2006-2007.

La possibilité d'une commande royale avait peut-être incité à une situation dans les premières années de l'installation à Paris dans l'esprit de Gilles Chomer, vers le temps des pendants pour la même chapelle consacrés à saint Louis et sainte Anne. De mon côté (1994), alors que la peinture de Blois semblait disparue, j'avais cru voir dans la gravure de Claudine sur le même thème la composition de Saint-Germain (ci-contre tout en haut). Celle-ci reprend en fait une autre composition, tardive, de l'oncle.

On peut encore mettre en regard une peinture de sujet semblable apparue en Belgique puis passée par la Galerie Éric Coatalem, datée de 1651 (ci-contre ensuite). Sa redécouverte m'a confirmé dans la situation du tableau de Blois au début des années 1650 suggérée par la puissance des formes, la typologie, une minéralité plus âpre du drapé, aussi sensible dans la Pietà, ainsi datée dès mon étude de 1994. De celle-ci, on peut rapprocher la gravure de Claudine d'une composition dans laquelle Jacques a substitué un ange à la Vierge ainsi que le tableau de Weimar (d'ailleurs gravé par Françoise). Tous deux appartiennent pareillement aux dernières années de l'artiste, comme la plupart des ouvrages gravés par les Bouzonnet, ce qui semble le cas de la Pietà.

Ces remarques, avec le format identique, viennent soutenir l'hypothèse d'une conception en pendant que seuls les dépôts du Louvre auront rompue. Il s'agirait de mettre en regard, et en miroir, deux moments témoignant de l'amour maternel depuis l'enfance du Christ jusqu'à sa mort. D'une certaine façon, Stella rend ici explicite, et expressif, ce que ses Vierges proposent implicitement en un seul sujet par la symbolique et la rhétorique du geste, comme une méditation toute intérieure. Si le propos est ainsi plus littéral, il ne perd pas en subtilité.

Claudine d'après Jacques,
La Vierge donnant la bouillie.
Gravure. 37 x 29 cm. BnF.
La Vierge donnant la bouillie, 1651.
Toile. Diam. : 71,5 cm.
Galerie Eric Coatalem en 2013.
Claudine d'après Jacques,
Le Christ mort soutenu par un ange.
Gravure. 25,1 x 18,5 cm. BnF.
La déploration du Christ.
Toile. 57 x 42 cm.
Klassik Stiftung Weimar.

On pourrait s'interroger sur le choix de montrer l'Enfant complètement emmailloté alors qu'il semble que la Vierge commence la diversification alimentaire : l'arrangement des tissus habillant la Vierge suggère un dispositif permettant encore l'allaitement, qui vient peut-être d'avoir lieu. Stella aura vraisemblablement tiré de son observation le constat que l'emmaillotement permettait aussi de contraindre les gestes parfois intempestifs d'un tout jeune enfant au moment de lui administrer une bouillie réchauffée. La diversification ainsi évoquée situe Jésus dans son cheminement historique propre à tout humain. Stella n'a pas voulu doter ses personnages d'une quelconque auréole, soulignant ainsi d'abord le caractère ordinaire à toute maternité. La mise en regard avec la dramatique et sanguinolente Pietà, sur des fonds pareillement sombres, pourrait donner au propos d'ensemble un ton lugubre. La confiance du chrétien, indiscutable chez lui et si souvent associée à la figure maternelle, se manifeste par la double lumière de la chandelle et du réchaud, qui vient éclairer la grimace de l'angelot soufflant sur les braises en une expression apportant une note souriante au cœur de la gravité. L'artiste renverse ainsi le discours en montrant que sans Incarnation, point de Salut. Le jeu des couleurs, ce que les deux tableaux partagent et ce qui est propre à chacun, souligne dans le pendant la pâleur cadavérique du Christ comme partagée par la douleur de Marie au moment du trépas de son fils. Si Stella a volontiers, selon son tempérament, transmis un discours pesant sous des atours d'abord enjoués, il semble que la période soit alors à une restitution plus aiguë du drame humain, suggérant une religion plus doloriste. Ce tournant s'accomplira dans l'ultime Passion en trente tableaux dans laquelle il ne semble pas que l'artiste ait détourné le regard des souffrances et de la mort par quelque artifice que ce soit, mais avec la confiance d'un homme ayant auparavant célébré la vie et son cycle dans les Pastorales.

S.K., Melun, juin 2023

peinture perdue Le Christ portant sa croix, demie-figure en rond.
Peinture perdue connue par la gravure de René Lochon (v. 1620-1674)

« Jesus-Christ chargé de sa croix, demie figure dans une forme ronde, gravé au burin par René Lochon d'après Jacques Stella » (Mariette)

Peinture perdue

Gravure.
Le Christ Burin. 43,7 x 39 cm. (au coup de planche)
Lettre : État après 1665 : Sur la bande intérieure du cadre en bas : Reus Lochon (à gauche), Sculpebat (à droite); sur l'extérieur : Guilus. Chasteau excudit Cum priuilegio Regis (à gauche); Rue S.t Jacques a l'Ange Gardien.

Exemplaire : BnF, Ed-16 (a)-fol (seule épreuve que je connaisse).

Bibliographie :
* Karl Heinrich von Heinecken, Dictionnaire des artistes dont nous avons des estampes, Leipzig, 1789, t. III (p. 657, René Lochon, invention donnée à Carracci).
* Charles Le Blanc, Manuel de l’amateur d’estampes, 1854, t. II (p. 559, René Lochon n°4, invention donnée à Carracci).
* Maxime Préaud, « Guillaume Chasteau, graveur et éditeur d'estampes à Paris (1635-1683), et la peinture italienne » in La peinture italienne et la France, actes du colloque, Paris, 1990, p. 125-146.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 218, sous le n°29.
* Emmanuel Coquery, Charles Errard : la noblesse du décor, Paris 2013, p. 136.
* Sylvain Kerspern, « Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, Le Christ portant sa croix, demie-figure (...) gravé par Pierre Lochon, notice », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mars 2023

Bibliographie additionnelle :
- Rémi Mathis, « Les étapes de la vie du graveur René Lochon (1620-1674). Apprentissage, mariage, inventaire après-décès », Nouvelles de l'estampe [Online], 268 | 2022, Mise en ligne le 15 Novembre 2022, consulté le 21 février 2023.

La gravure de René Lochon dont je ne connais qu'un état mentionne Guillaume Chasteau pour éditeur mais pas le nom de l'inventeur ni, de fait, s'il s'agit d'un dessin ou d'une peinture, même si la deuxième hypothèse est vraisemblable. Heinecken puis Le Blanc ont cru y voir un modèle de Carrache, Emmanuel Coquery a tenté un rapprochement avec Charles Errard, l'un des collaborateurs privilégiés de Lochon. On peut suivre l'autorité de Mariette, qui le donnait à Stella, confortée par l'existence d'une gravure avec variante du sujet par Lochon donnant notre artiste pour inventeur : si l'expression du visage change, les dispositions ou le dessin de la chevelure et de la barbe sont fort proches, et similaires à ce que montre également le Christ discutant avec la Samaritaine dans le tableau de Notre-Dame de Bercy (1652).

Le nom de Carrache traduit peut-être une conception plus héroïque que celle que l'on accordait d'ordinaire à Stella. Rappelons qu'il a été aussi affecté à la Pietà de Limoges cataloguée précédemment. Le rapprochement avec Errard ne doit pas plus étonner : le Nantais a succédé au Lyonnais dans la réalisation du langage ornemental et des illustrations pour l'Imprimerie Royale et l'un et l'autre font partie du cercle des frères Fréart, ce qui n'a sans doute pas manqué d'occasionner des rencontres. C'est peut-être aussi par ce biais que Lochon en est venu à traduire Stella. Quoiqu'il en soit, cela correspond à une inflexion sensible de l'inspiration de notre artiste, plus tragique, que la mort de proches (Langlois et son frère François, notamment) aura favorisée. La belle qualité de l'estampe rend justice à un goût sévère et puissant en l'une des veines qu'il cultivera jusqu'au bout.

S.K., Melun, juin 2023

René Lochon d'après Stella,
Le Christ portant sa croix.
Gravure. BnF.
Le Christ et la Samaritaine, 1652.
Toile, détail.
Paris, N.D. de Bercy.
Le Christ au jardin des Oliviers, figure isolée,
peinture sur albâtre

Huile sur albâtre. 10 x 12,5 cm. Coll. part.

Historique : vente Muizon-Rieunier, 8 mars 2016, lot 20; acquis par l'actuel propriétaire.

Inédit.

L'attribution donnée sans réserves lors de la vente ne souffre pas la moindre contestation. Outre le support avec lequel l'artiste joue, le profil, le coloris et le sentiment sont parfaitement cohérents avec l'art de Stella à sa maturité, voire dans ses dernières années. Le semblant de fièvre dans l'expression peut ainsi être rapproché, notamment, du Jugement de Pâris d'Hartford (1650) tandis que les mains aux doigts en quelque sorte arthritiques par une légère déformation sont plus particulièrement propres aux années 1650. La date ici proposée, vers 1651-1652, peut fluctuer d'un ou deux ans, mais guère plus.

Stella a traité le sujet à plusieurs reprises, et l'abordera à nouveau dans sa Passion ultime. À ce jour, notre albâtre est seul à isoler la figure du Christ, choix d'ailleurs rare. Il le confronte à un calice contenant une croix d'un rouge incandescent tout symbolique, posé sur un talus couvert d'herbes vertes, dans un cadre enflammé par le chromatisme du support. Ce dernier sert souvent chez Stella à la manifestation du surnaturel propre au mystère religieux, y compris dans l'implantation d'un décor paysager servant d'abri comme outil de la Divine Providence. Ici, il ne dessine aucune forme précise en sorte que les chaudes irisations électriques de la pierre disposent une note de fond qui sonne comme un climat psychologique, accompagnant les tourments qui agitent l'âme de Jésus à la veille des souffrances, physiques cette fois, de la Passion à venir.

On pourrait objecter qu'une telle analyse surinterprète les intentions de l'artiste. Ce serait manquer le génie de l'artiste, toujours attentif aux enjeux de son art et attaché au dialogue fructueux entre support naturel et artifice du pinceau. Or la période est à un examen de conscience venant troubler un tempérament enjoué porté à la délicatesse du sentiment dans son recours au quotidien. Voilà ce que manifeste, pinceau en main et réagissant aux propositions de la pierre, un artiste en pleine possession de ses moyens, aveu non de doutes mais d'interrogations propres à nourrir une spiritualité confiante. Avec une économie de moyen toujours aussi remarquable, propre au classicisme et une monumentalité qui défie le format.

S.K., Melun, juin 2023

Le jugement de Pâris, 1650.
Huile sur toile, détail.
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Summer an Mary Catlin Summer Collection
Le Christ au roseau,
dit aussi
Le Christ à la couronne d'épines
ou L'Homme de douleurs,
peinture

Huile sur bois. 31 x 23,5 cm. Collection privée.

Historique : ?vente Caillard 20 décembre 1810, lot 168 (Le Christ au roseau) (Getty Provenance Index). Vente Tajan, 22 mars 2018, lot 63 (suiveur de Champaigne); collection privée.

Inédit.

C'est sans doute le dolorisme blafard qui a suscité l'inscription de ce tableau dans la suite de Philippe de Champaigne mais la typologie du visage renvoie bien à Jacques Stella. Une gravure sur le même thème mais sans roseau par Regnesson, qui s'en dit dessinateur dans la lettre, est formellement rendue à notre homme par Mariette, et certains détails tel le traitement bouclé de la chevelure et de la barbe rappellent ceux de l'estampe de René Lochon du Christ portant sa croix ci-dessus, rapprochée notamment du Christ et la Samaritaine de Notre-Dame de Bercy (1652). On le retrouve encore dans la Mort de saint Joseph de Grenoble pour le père de Jésus, peinture que tout le monde s'accorde à placer tard dans la carrière du peintre.

Christ au roseau, Homme de douleur selon les termes du temps, ou encore dérision du Christ dont la royauté s'incarnerait dans la couronne d'épines et le sceptre végétal, le sujet n'est pas rare. Il s'agit de montrer le buste ensanglanté du Christ, couronné d'épines et tenant roseau, au moment précis de la Passion qui suit les souffrances infligées par ses bourreaux. Stella s'inspire ici certainement de Guido Reni (1575-1642). La toile aujourd'hui au Louvre était au plus tard à la fin du XVIIè siècle en France, où la gloire de l'Italien était à son comble, pouvant susciter semblable émulation. Elle montre un dispositif très semblable, fort utile pour percevoir la distance prise par Stella avec l'un des artistes qui avaient figuré parmi ses modèles lors de son séjour en Italie.

Le cadrage en buste, le cou nu, l'expression languissante chez le Bolonais fait place à une focalisation sur le visage, la mise en place d'une corde et un visage tout à sa douleur et son angoisse, les yeux rougis résonnant avec l'abondance du sang. La morbidezza et le pathos propre à Reni, auquel Stella a pu parfois céder à la fin des années 1620, est désormais bien loin. L'émulation le conduit à surenchérir dans la brutalité de l'image au diapason de préoccupations déjà mises en avant à plusieurs reprises, notamment sur cette page, héroïsant le Christ pour témoigner d'une pleine prise de conscience de la dimension spirituelle de la vie, jusque dans son aspect tragique. Le coloris fait résonner palette chaude, bruns, rouges, jaunes, et notes bleutés à la fois expressives et traduisant, à la manière de Rubens, le modelé.

Comme pour le tableau de Limoges, il se rapproche ainsi d'une inspiration doloriste espagnole bien éloignée de la réputation qui lui a longtemps nui. Comme souvent, Stella se montre capable d'être là où on ne l'attend pas. Tout à l'amour qu'il porte à la peinture, il se départit à nouveau d'un tempérament joyeux voire de sa mesure pour produire une image fascinante, révélatrice d'une profondeur et d'une complexité de pensée qui en font l'un des artistes les plus secrets et tout à la fois les plus attachants de son temps.

S.K., Melun, juin 2023

La Pietà. Huile sur toile.
Toile. 65 x 53 cm. Limoges, musée municipal de l'Évêché
Nicolas Regnesson d'après Stella,
L'Homme de douleurs.
Gravure. Env. 37 x 33,5 cm. Albertina
Jacques Stella,
La mort de saint Joseph.
Toile, détail. Grenoble, Musée des Beaux-Arts

Guido Reni (1575-1642),
Christ au roseau.
Toile. 60 x 45 cm.
Louvre

peinture perdue Le Christ à la couronne d'épines
ou L'Homme de douleurs.
Peinture perdue connue par la gravure de Nicolas Regnesson (1616-1671)

« L'Homme de douleurs couronné d'épines, en buste, gravé au burin par Nicolas Regnesson d'après Jacques Stella » (Mariette)

Peinture perdue

Gravure.
Burin. 37 x 33,5 cm.

Deux états repérés.
État 1: avant toute lettre.
BnF, Da 20 fol.

État 2 : Lettre : Sur la bande intérieure du cadre en bas à gauche : N. Regnesson delin. Sculp. et ex. Cum priuil. Regis.

Albertina.

Bibliographie :
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 222, sous le n°78.

Je ne connais que deux états à cette gravure, la première muette sur ses auteurs, la seconde ne mentionnant que le graveur se disant responsable du dessin. Pourtant, Mariette est formel dans sa restitution à Stella de l'invention, la gravure figure dans l'œuvre des Stella à la Bibliothèque Nationale de France et on peut signaler le passage dans la vente Neyman du 8 juillet 1776 d'un exemplaire ainsi décrit : « Une tête de Christ pleine d'expression & couronnée d'épines, d'après Stella, par Regnesson, premiere épreuve... ».

On trouvera dans la notice qui précède pour un tableau à l'invention très proche les éléments qui viennent confirmer sans discussion une telle attribution du modèle, posant question sur l'intention du graveur. Cette liberté trahit peut-être une exécution par Nicolas Regnesson (1616-1671) après la mort de Stella; à moins qu'il s'attribue une telle paternité par les variantes qu'il aurait introduit à partir dudit panneau. C'est peu probable tant elles sont importantes et significatives. Outre le roseau absent, la chevelure revient plus nettement sur le devant, le dessin de la couronne d'épines est très différent et le nœud de la corde est inversé. Il me semble donc nécessaire de cataloguer séparément l'estampe comme traduisant un probable autre ouvrage. En guise de témoignage de la veine à laquelle la gravure appartient, et comme possible contexte social, on trouvera ci-contre la gravure faite sous la direction de Stella et d'après lui par Paul Fréart de Chantelou, autre ami de Poussin, d'un Christ lavant de son sang les péchés du monde, que Mariette situe en 1648.

Il faut rester prudent pour tout commentaire supplémentaire, de fait. Ce que montre Regnesson suggère une image aussi sanguinolente mais plus digne, l'absence de roseau venant atténuer encore la dérision de la royauté à laquelle les Écritures le font prétendre. Stella se focaliserait sur la douleur subie, l'expression moins tragique suggérant une force de caractère faisant du regard vers le ciel le signe de l'accomplissement de Dieu quand le panneau peint laisserait une certaine ambiguïté propice à la méditation offerte au spectateur. On peut craindre que le graveur, quelque soit la qualité de son métier, n'ait atténué la vigueur de l'invention...

S.K., Melun, juin 2023

Le Christ au roseau.
Huile sur bois. 31 x 23,5 cm.
Collection privée.
Paul Fréart de Chantelou d'après Jacques Stella,
Le Christ lavant de son sang les péchés du monde.
Gravure, vers 1648? BnF
Catalogue Jacques Stella : Ensemble ; À Paris au temps de Louis XIII, mosaïque - Table Stella - Table générale
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