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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com | |
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Les Stella |
« Il eut aussi une singulière estime pour le Poussin, qui de sa part n'en avoit pas moins pour Stella. » (Félibien) L'amitié en peinture : les Poussin de Jacques Stella. 1. Contours d'une collection Mise en ligne en juillet 2023 |
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2a. Portrait d'un ami en peintures : Souvenirs d'Italie (janvier 2024) |
2b. Portrait d'un ami en peintures : Le frappement du rocher (avril 2024) |
2a. Portrait d'un ami en peintures : Moïse sauvé (juin 2024) |
Mes premières recherches en histoire de l'art, il y a bientôt quarante ans, sont nées de l'interrogation des sources et commentaires à propos de Jacques Stella, insistantes sur le rapport amical qu'il a pu entretenir avec Nicolas Poussin et les conséquences sur l'art du Lyonnais. Une forme d'incompréhension sinon d'indignation devant l'admiration pour l'un et l'infamie du qualificatif d'imitateur (au mieux) pour l'autre m'a poussé à entreprendre de réunir les éléments d'une défense de l'œuvre du Lyonnais, en commençant par ses ouvrages qui me semblaient les plus sûrs, sous l'impulsion bienveillante de Jacques Thuillier. Mon article de 1994 pour la Gazette des Beaux-Arts signait un au revoir pour laisser le champ libre à Gilles Chomer après avoir partagé avec lui mes dossiers, par l'esquisse d'un parcours stylistique venant en contrepoint à l'étude des ressorts de ce que j'ai appelé une « amitié funeste » au gré de sa fortune critique, aux allures d'infortune. |
À l'invitation de Pierre Rosenberg, j'ai clarifié le moment de la première rencontre entre les deux hommes, suivant l'éclairage de leurs biographies respectives mais aussi de celle de Jean Mosnier (1600-1656), natif de Blois où l'on trouve Poussin dans sa jeunesse vagabonde, et qui se rend à Florence alors que Stella y séjourne. Jacques est encore à Lyon à Noël 1615, il est parrain non loin de là, sur les terres de la famille de sa mère, les de Masso. Selon Félibien, il part en Italie à 20 ans, âge qu'il prend le 29 septembre 1616. Il doit donc quitter Lyon avant l'hiver 1616-1617, donc bien avant que Poussin n'y séjourne (en 1619-1620); Jacques est en Toscane à temps pour participer aux décorations pour le mariage de Ferdinand de Gonzague avec Catherine, sœur de Cosme de Médicis en février 1617.
De son côté, Nicolas séjourne en Poitou et à Blois dans sa prime jeunesse. Comme Jacques Thuillier, je pense qu'il faut mettre en relation sa présence à Blois et son aller et retour à Florence avec l'exil de Marie de Médicis, disgraciée en avril 1617. Félibien situe les peintures blésoises vers le temps de son escapade antérieure en Poitou mais par conjecture : connaissant (par Bernier?) l'existence des tableaux des Capucins, il fait le rapprochement en introduisant son propos par « Il y a apparence que... ».
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Jacques Stella, La flagellation, 1618. Dessin, détail. Ensba |
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Nicolas Poussin, La mort de la Vierge, 1622. Aquarelle. Hovingham Hall, Yorkshire (U.K.) |
Ci-dessus, le détail d'un dessin de Stella et une aquarelle de Poussin suggèrent les premiers pas de nos deux hommes, et dans quelle mesure, déjà, l'un et l'autre pouvaient se retrouver pinceau en main, bien que très loin des recherches classicisantes qui feront leurs succès respectifs. Le catalogue raisonné de l'œuvre de Jacques mis en ligne sur ce site, presque achevé, m'aura donné plusieurs occasions de signaler sa singularité, y compris par rapport à l'art de son ami, de nature à susciter une estime que Poussin n'accordait pas si facilement, et qu'il reporte d'ailleurs sur le neveu, Antoine Bouzonnet Stella. On sait depuis longtemps que cette amitié s'est traduite en peintures du Normand pour le Lyonnais. Si on en connaît mieux la teneur, en particulier depuis l'article de Mickaël Szanto dans le catalogue de l'exposition de Lyon et Toulouse en 2006-2007, aucune étude globale faisant notamment la synthèse des données iconographiques et de ce que cela peut dire de cette amitié n'en a été menée. Voici quelques notes qui apporteront un premier éclairage sur le sujet. |
Quels chemins de Poussin à Stella? |
Stella commanditaire, un inventaire | ||
L'estime réciproque des deux artistes s'est traduite de diverses façons. Poussin a répondu à des demandes de Stella - y compris, apparemment, pour d'autres amateurs, -, et ce dernier a complété sa collection d'acquisitions auprès d'un cercle assez étroit que le Lyonnais a contribué à faire éclore.
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Nicolas Poussin, Armide transportant Renaud. Toile. 120,7 x 150,5 cm. Berlin, Staatliche Museum.216 |
Nicolas Poussin, Hercule enlevant Déjanire. Crayon noir, plume et lavis d'encre brune. 21,7 x 31,6 cm. Windsor Castle (RCIN 911912) Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 |
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Nicolas Poussin, Le frappement du rocher, 1649. Toile. 122,5 x 191,5 cm. Ermitage |
Nicolas Poussin, Moïse exposé sur les eaux. Toile. 149,5 x204,5 cm. Oxford, Ashmolean Museum |
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Nicolas Poussin, Paysage avec la naissance de Bacchus, 1657. Toile. 122,6 x 180,5 cm. Harvard Art Museums/Fogg Museum, Gift of Mrs. Samuel Sachs in memory of her husband, Samuel Sachs; ©President and Fellows of Harvard College |
Stella collectionneur, quels complément aux commandes? |
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Stella a fait l'acquisition auprès d'autres clients du Normand, qui appartenaient à son propre cercle. Ainsi du Crucifiement pour le président de Thou, en 1646, que Félibien dit en 1685 « dans le Cabinet du sieur Stella » - même si Antoine est mort alors depuis trois ans. Le biographe signale encore plusieurs peintures que son interlocuteur Pymandre et lui ont pu y voir : un Bain de femmes peint pour le maréchal de Créqui; Apollon et Daphné, Danaé couchée sur un lit et Vénus donnant des armes à Énée, ce dernier « peint en 1639 ».
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Nicolas Poussin, La Crucifixion. Toile. 148,6 x 218,5 cm. Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund |
Edme Jeaurat d'après Nicolas Poussin, Bain de nymphes. Gravure. Albertina |
Gérard Audran d'après Nicolas Poussin, Apollon et Daphné. Gravure. Albertina |
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Nicolas Poussin, Vénus montrant ses armes à Énée. Toile. 107 x 146 cm. Rouen, Musée des Beaux-Arts |
Nicolas Poussin, Saint Pierre et saint Jean à la porte du Temple. Toile. 125,7 x 165,1 cm. The Metropolitan Museum |
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Nicolas Poussin, Danaé couchée sur un lit. Disparu |
Nicolas Poussin, La Sainte Famille à l'escalier. Toile. 72,3 x 104 cm. Cleveland Museum of Art |
Quel chemin de Stella à Poussin? |
Sauf rares exceptions, les mentions de tableaux de Poussin chez Stella ont essentiellement servi à l'étude du Normand, ce qui a d'ailleurs nui au destinataire ou collectionneur que fut le Lyonnais. Pour rétablir l'équilibre, il faut envisager l'appétit que ce dernier put avoir des ouvrages de son ami, ce qu'il a pu vouloir posséder sans nécessairement en être le premier propriétaire, pour resserrer ensuite sur ce que Nicolas a peint en ayant Jacques à l'esprit. Si la première approche pourra servir à l'appréciation du goût de Stella, la seconde, objet d'une étude à venir, en dira plus des enjeux picturaux et plus largement intellectuels et psychologiques de l'amitié qui les a liés. Contrairement au principe ayant servi au rassemblement qui précède, il me semble nécessaire de l'envisager dans la dynamique propre à l'histoire de l'art : la chronologie. |
Stella collectionneur, quelles orientations? | ||
Jacques Stella a collectionné tôt. Félibien signale en 1688 qu'il a rapporté d'Italie « plusieurs tableaux des bons Maistres, entres autres deux de la main d'Annibal Carrache : l'un, est un bain de Diane; & l'autre, une Vénus que l'on peut voir chez M. le Président Tambonneau ». Jacques Thuillier (1988) les a identifiés avec des peintures en Angleterre et à Bologne, l'une et l'autre posant la question du caractère strictement autographe tout en restant, quoiqu'il en soit, dans le cercle étroit du maître. Claudine en gardait une copie de chaque (lot 133 et 134). Il faut aussi rappeler que la dernière trace de la présence de Jacques à l'Académie de Saint-Luc à Rome consiste préciséement en une récompense à lui accordée le 21 octobre 1629 d'un petit Paysage, signe d'un appétit déjà ouvert, et connu.
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Annibale (?) Carracci, Diane et Callisto. Toile. 83,7 x 103,5 cm. Mertoun, St Boswell's, Scotland |
Annibale Carracci et/ou Francesco Albani (?), La toilette de Vénus. Toile. 89 x 99 cm. Bologne, Pinacothèque |
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Edme Jeaurat d'après Nicolas Poussin, Bain de nymphes. Gravure. Albertina |
Jacques Stella, Clélie et ses compagnes. Toile. 137 x 101 cm. Louvre |
Il se retrouve entre les mains des Bouzonnet dont la dévotion était bien plus prégnante que pour l'oncle, qui put acquérir la peinture après la mort au combat de Créquy le 17 mars 1638. Il se peut que le Lyonnais ait servi d'intermédiaire à la commande au moment de l'arrivée de l'ambassadeur en juin 1633, et avant d'être jeté en prison. Si Stella a pu s'en servir pour peindre sa Clélie, il en limite le voyeurisme, l'appel du regard au spectateur à une seule compagne et il faut l'inscrire parmi d'autres références sublimées, Raphaël, Vouet, La Hyre et Guido Reni, notamment. On ne saurait en faire l'influence de l'un sur l'autre mais la manifestation de centres d'intérêts voisins que le Lyonnais actualise pour une commande vraisemblablement royale.
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Parmi les premières peintures apparemment commandées par Stella à son ami une fois en France figure l'Enlèvement de Déjanire, vers 1637 comme Armide transportant Renaud. De cette période date encore Apollon et Daphné, peinture perdue dont le destinataire primitif est inconnu mais il n'est pas impossible qu'il s'agisse encore de Stella, de la collection de qui héritèrent les Bouzonnet chez qui Félibien la vit. Un constat s'impose : la veine amoureuse est alors au centre des préoccupations du Lyonnais. Pour en apprécier la teneur, il faut aborder les témoignages graphiques qui les concerne, en particulier les sujets concernant la mythologie.
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Gérard Audran d'après Nicolas Poussin, Apollon et Daphné. Gravure. Albertina |
Nicolas Poussin, Hercule enlevant Déjanire. Crayon noir, plume et lavis d'encre brune. 21,7 x 31,6 cm. Windsor Castle (RCIN 911912) Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 |
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Nicolas Poussin, Hercule et Déjanire. Pierre noire, plume et encre brune. 20,9 x 16,6 cm. Louvre |
Claude Massé (1631-1670) d'après Nicolas Poussin, Apollon et Daphné. Gravure. Rijksmuseum, BnF (« recueil » Jabach) |
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Gérard Audran (16401-1703) d'après Nicolas Poussin, Apollon et Daphné. Gravure. Albertina |
Claude Massé (1631-1670) d'après Nicolas Poussin, Armide transportant Renaud. Gravure. BnF (« recueil » Jabach) |
Le rapprochement de ces différents documents graphiques apporte quelques enseignements. Le premier point à soulever est celui du format de deux sujets pour lesquels ils pourraient suggérer une alternative, en hauteur ou en largeur. J'ai déjà avancé que les lettres n'impliquaient pas que les gravures renvoient à la peinture achevée, au contraire d'autres témoignages, estampes ou dessins. Audran, reprenant le dessin du Louvre, néglige par le fait la péripétie de l'offrande de la Corne d'abondance issue du combat contre Acheloüs, qui vaut au héros la main de Déjanire (Ovide, Les métamorphoses, 9, 1-100). Le dessin des Offices proposant sans doute une première idée développait pareillement le sujet en largeur, en introduisant, lui, la suite, avec le centaure visible au loin. Il me paraît peu vraisemblable qu'ensuite, ayant élaboré la remise de la Corne, Poussin y renonce ensuite en réduisant la surface peinte et le nombre de personnages, lui qui ne manque pas d'en mentionner le nombre pour justifier son prix.
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Nicolas Poussin, Hercule et Déjanire. Plume et encre noire. Uffizzi |
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Nicolas Poussin, Hercule enlevant Déjanire. Crayon noir, plume et lavis d'encre brune. 21,7 x 31,6 cm. Windsor Castle (RCIN 911912) Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 |
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Nicolas Poussin, Armide transportant Renaud. Toile. 120 x 150 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie. |
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Nicolas Poussin, Armide transportant Renaud. Crayon noir, plume et lavis d'encre brune. 25 x 36,7 cm. Windsor Castle (RCIN 911976) Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 |
Que les deux compositions illustrent, si j'ose dire, le transport amoureux est au bout du compte un bien mince fil conducteur dans l'appréciation de ce qui pourrait constituer un programme global, même en plaçant la variation significative sur le genre du porteur, un homme ici, une femme là. Si le canon des personnages semble mieux s'ajuster avec l'Apollon et Daphné, la circulation est encore identique et n'autorise pas plus la mise en pendant.
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Stella inspirateur | ||
Des peintures visibles dans les collections françaises, Félibien mentionne Vénus montrant ses armes à Énée (Rouen, Musée des Beaux-Arts) parmi trois qu'il n'a pas encore citées chez les Stella, mais en précisant pour elle seule sa date de réalisation, 1639. C'est peut-être ce qui a incité Jacques Thuillier (1974 et 1994) a écrire qu'il fut fait pour Stella, supposant que ce fut par ce biais que l'historiographe aura eu la datation, ce qui n'est pas assuré. Si tel est le cas, il peut être instructif de mettre en regard une version du sujet, aujourd'hui à Toronto, que tous les spécialistes ont placée avant le tableau normand et, notamment pour Jacques Thuillier, à une période au cours de laquelle Stella aurait pu le voir peint ou, du moins, entrepris, vers 1633-1635.
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Nicolas Poussin, Vénus montrant ses armes à Énée. Toile. 108 x 135 cm. Toronto, National Gallery of Ontario |
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Nicolas Poussin, Vénus montrant ses armes à Énée. Toile. 105 x 142 cm. Rouen, Musée des Beaux-Arts |
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Jacques Stella, Allégorie Borghese, 1633. Dessin. Louvre |
Jacques Stella, Saint Louis faisant l'aumône, 1638-1640. Toile. Bazas |
Stella semble bien avoir fait quelques suggestions pour des peintures de son ami qui ne lui étaient pas destinées. Le témoignage de Loménie de Brienne, parfois sujet à caution dans ses informations, l'affirme pour le tableau de la Crucifixion (Thuillier 1960) :
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Nicolas Poussin, La Crucifixion. Toile. 148,6 x 218,5 cm. Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund |
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Nicolas Poussin, Le portement de croix. Dessin. 16,8 x 25,5 cm. Dijon, Musée des Beaux-Arts |
Evacuons d'abord l'hypothèse de pendants : Brienne précise bien que le compagnon de La crucifixion ne fut envisagé qu'une fois ce tableau livré; cela permettait à Poussin d'esquiver l'obstacle, non sans avoir pensé faire, dans le dessin de Dijon, le lien par le groupe de la Vierge. La peinture de Hartford doit donc être analysée comme un tout et comme le reflet d'une relation tripartite dont les racines remontent à leur rencontre en 1632-1634, susceptible de s'épanouir au moment où de Thou vient de quitter l'habit religieux pour assurer la lignée familiale suite à l'exécution de son frère en 1642 pour avoir participé au complot de Cinq-Mars. C'est ainsi au moment où il fonde une famille qu'intervient la commande d'un sujet aussi dramatique, propre à la spiritualité chrétienne. |
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Nicolas Poussin, La Crucifixion. Toile. 148,6 x 218,5 cm.
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund |
Si le contexte du début de la Régence pourrait avoir permis le mécénat du président aux Enquêtes, c'est plus vraisemblablement le prolongement du contexte romain qui préside à la réalisation de notre Crucifixion, ce que l'intervention de Stella alléguée par Brienne ne peut que confirmer. On peut croire que l'iconographie singulière se soit nourrie de discussions tenues alors, non nécessairement sur ce sujet mais sur la dimension spirituelle de l'histoire du Christ. Le tableau est malheureusement dans un état aussi obscur que le moment qu'il capte, signalé par le détail de l'un des larrons que l'on s'active à descendre de sa croix, de dos, sans doute le mauvais : celui de la mort du Christ qui voit le ciel s'assombrir au point de ressembler à la nuit. Cela rend difficile sa juste appréciation mais Claudine et sa gravure peuvent nous apporter leurs lumières. |
On y voit que le coup de lance a été donné, la plaie au côté est ouverte. Au pied, les Saintes Femmes et saint Jean sont accablés, un cavalier lève un bras comme étonné, possible signe d'un début de conversion. Au bas de la croix du Bon Larron, une femme s'enferme dans son chagrin autant que dans son manteau, le regard perdu en direction d'un homme qui semble surgir de terre. Il s'agit d'Adam que la tradition disait enterré au lieu même de l'évènement dépeint et dont les yeux vers le Christ désignent la source du réveil. Un des soldats jouant aux dés les vêtements du Christ se détourne de ses compagnons en levant une main tenant un poignard, semblant effrayé par l'apparition que lui montre le soldat debout derrière lui, prélude à la Résurrection du Christ lui-même. |
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Claudine Stella d'après Nicolas Poussin, La Crucifixion. Gravure. 56 x 77 cm.
Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum |
Poussin, selon un regard plus ou moins circulaire associant deux obliques, donne à voir tout autant l'aveuglement du chagrin et de l'espoir envolé et la réalité sensible, l'accomplissement de la mission du Christ; représentation qui ne prétend pas à la vérité historique mais théologique, incarnée par l'expression des Passions qui lui est si chère. C'est évidemment ce parcours proposé comme une méditation à développer en son for intérieur qui rencontre le propre travail de Stella, et qui réunit les deux hommes non comme l'application par l'un de l'approche de l'autre mais comme le fruit d'une conception commune de l'art, qui rejoint encore l'intérêt partagé pour la référence au classicisme de Raphaël, des Carrache ou de Dominiquin, ou à l'antique. |
Il faut partir de la femme assise éplorée. Viennent ensuite la lamentation du groupe autour de la Vierge et saint Jean, les soldats qui s'affairent pour descendre les suppliciés - une échelle que l'on lève, puis celle posée sur une croix; et en revenant sur le devant de la composition, le dérisoire amusement des bourreaux dont certains sont spectateurs de la rédemption qu'apporte le sacrifice du Christ, vers lequel nous sommes enfin renvoyés par le regard du premier homme. C'est ce cheminement intérieur que Poussin invoque pour être déchargé du Portement de croix, toutes les «pensées affligeantes et sérieuses dont il faut se remplir l'Esprit et le cœur pour réussir à ces sujets d'eux-mêmes si tristes et si lugubres »; ce même si le message est, au bout du compte, d'espérance.
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Claudine Stella d'après Nicolas Poussin, La Crucifixion. Gravure. 56 x 77 cm.
Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum |
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Jacques Stella, La Madeleine au pied du Christ en croix, 1625. Cuivre. 33,4 x 24 cm. Louvre |
Jacques Stella, La Crucifixion de la Passion en 30 tableaux, 1656-1657. Toile. Env. 46 x 35 cm. Localisation actuelle inconnue |
En commun, les croix en oblique et le « mauvais larron » de trois-quarts dos, visage invisible; mais Stella avait fait le premier choix dès 1625 dans le petit cuivre du Louvre (ci-dessus), pour instaurer un dialogue muet entre le Christ mort et la Madeleine en déploration. Au soir de sa vie, dans sa Passion, cette interaction entre Jésus expirant et ses tout proches retient encore son attention, ne conservant que les deux autres crucifiés pour inviter le spectateur à une méditation seconde sur la promesse faite à l'un, que l'autre refuse. Par rapport à la version chorale de Poussin, ces derniers viennent, sans merveilleux mais une fois de plus par l'interiorisation de l'histoire, prendre la place d'Adam, manifestation de l'espérance en la Résurrection. Par-delà une communauté d'esprit, chacun développe son langage et ses solutions.
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Claudine Stella d'après Nicolas Poussin, La Crucifixion. Gravure. 56 x 77 cm.
Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum |
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Michel-Ange, partie centrale du Plafond de la Chapelle Sixtine. Fresque. Vatican, Basilique Saint-Pierre |
Apollonios d'Athènes, Torse du BelvedereMarbre. Vatican |
On connaît les propos sarcastiques de Poussin sur certains miracles proclamés, en sorte que sa dévotion n'était en rien religiosité. L'irruption d'Adam ne souhaite pas avaliser une prophétie mais l'inscrire dans le propos, le fin mot de l'histoire, selon des moyens plastiques, les outils et la culture de son art, au même titre qu'un Dieu-fleuve ou une nymphe. Toutes choses que Stella, peintre, expert et collectionneur, pouvaient comprendre sans nécessairement y recourir lui-même, ce que Poussin n'ignorait pas. Voilà qui peut fonder une amitié, enrichie des singularités propres à chacun. (À suivre) |
Bibliographie :
* Bernier (Jean), Histoire de Blois, Blois 1682, p. 167, 570 * André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres..., Paris, 1666-1688; 4e partie, 1685, p. 262, 263, 264, 294, 299, 300, 304, 305, 399; 2e. éd., 1688, t. II, p. 650-651, 658 * (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de lArt Français, 1877, p. 38 (notamment). * Jacques Thuillier, « Pour un Corpus Pussianum » in Colloque Nicolas Poussin. Actes publiés sous la direction dAndré Chastel, 1960, t. 2, p. 214, 218, 219, 221, 222. * Jacques Thuillier, Tout l'œuvre peint de Nicolas Poussin, Paris, 1974. * Jacques Thuillier, « L'influence des Carrache en France : pour un premier bilan », Actes du colloqueLes Carrache et les décors profanes, Collection de l'École française de Rome, 1988, p. 426-427. * Louis-Antoine Prat et Pierre Rosenberg, catalogue de l'exposition Nicolas Poussin, Paris, 1994 (notamment p. 236-237, 355-362, 397-402, 419-424, 484-487, 498-500). * Jacques Thuillier, Poussin before Rome, Londres, 1994, p. 14, 28. * Jacques Thuillier, Poussin, Paris, 1994. * Mickaël Szanto in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 259-260. * Stefano Pierguidi (2011-1), « Uno de quali era già principiato, et l'altro me l'ordinò. I pendants di Poussin, o la libertà dai condizionamenti del mercato et della committenza », Schifanoia, 2009, 2011, n°36-37 p. 233-249. * Stefano Pierguidi (2011-2), « Fetonte chiede ad Apollo il carro del Sole e Armida trasporta Rinaldo di Nicolas Poussin e i loro possibili (non identificati) pendants », Jahrbuch der Berliner Museen, 2011, Bd. 3011 p. 67-71. * Maxime Cormier, Marie de Médicis au pouvoir vue par les observateurs italiens, Master d'histoire moderne, Université de Rennes-2, 2012, p. 253-257. * Sylvain Kerspern, Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne depuis octobre 2013 * Sylvain Kerspern, Notes sur la famille de Masso, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 27 septembre 2021 |
Courriels : sylvainkerspern@gmail.com. |
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